Salut tout le monde ! Encore désolée pour le retard de publication, je suis un peu débordée ! Et je ne suis pas sûre de pouvoir publier le week-end prochain, parce qu'il faut que je retravaille l'un des prochains chapitres qui me plait moyennement. Donc, je fais mon max, mais voilà, vous étonnez pas si rien ne parait Dimanche.

En attendant, je vous propose un plus petit chapitre, qui, j'espère, vous plaira !


Les miracles, ça existe, Caleb en est persuadé. Sa grand-mère en est persuadée, et elle l'a élevé, alors il n'a pas trop le choix. Mais enfin, si le miracle existe, il doit bien y avoir un antonyme à lui accoler. Et Caleb est en plein dans cet antonyme.

Sans doute Aitor a-t-il cherché à l'alerter en ouvrant grand ses yeux bruns. Sans doute a-t-il eu l'intelligence de ne pas entrer dans le jeu de Dark, l'intelligence de rester attentif. Et sans doute a-t-il entendu les pas dans l'escalier. Lui. Pas Caleb. Caleb s'est laissé avoir. Et maintenant, Jude est là, vêtu d'un jogging et d'un T-shirt blanc, pieds nus, à l'entrée du salon, la tête tournée vers le canapé, où l'attend son ancien mentor.

- Jude ! Je discutais avec ton ami en attendant ton réveil. Je vous ai apporté de la lecture.

- Vous n'avez pas le droit d'être là.

- J'ai déjà eu cette conversation avec , il te la résumera. Viens t'asseoir, nous avons à parler.

Caleb s'attend à ce que Jude refuse, calmement ou furieusement, les deux lui vont. Mais enfin, Jude est toujours imprévisible lorsqu'il s'agit de Dark. Il lui semble que son compagnon regagne ses dix ans face à un maître d'école sévère, qu'il redevient un enfant obéissant, et va docilement s'asseoir sur le fauteuil, face à son éditeur. Il a l'air chétif, épuisé, perdu.

- De quoi voulez-vous parler ?

Même sa syntaxe se modifie, s'élève. Il tourne bien ses questions, il fait attention à son phrasé.

- J'aimerais te parler seul.

Non. N'accepte pas. Jude est immobile, et Caleb n'ose pas encore bouger de son recoin de bibliothèque. Il fait cependant signe à Aitor de quitter la pièce, et le jeune homme se fait un plaisir de s'exiler sans sa chambre. Jude est immobile. Dark le plombe de son regard sombre. Jude s'enfonce lentement dans le siège, il essaie de s'accrocher à ce qu'il peut, plante ses ongles dans les accoudoirs, sans succès. Il lutte. Même s'il ne parvient pas à le formuler. Il lutte. Alors Caleb agit. Il rejoint son compagnon, pousse l'un de ses bras de l'accoudoir et s'y assied. Il adorerait passer son bras autour de Jude, l'embrasser pendant plusieurs secondes, caresser son épaule. Mais enfin, ce serait un peu théâtral. Et le visage figé de Dark lui suffit. Sa marionnette n'en est plus une depuis plusieurs années, il a tendance à l'oublier. Et ça ne lui plait pas vraiment. Vraiment pas. Mais il comprend aussi que demander encore à Caleb de partir renforcerait l'envie de Jude qu'il reste. Ce n'est pas souhaitable.

- Nous allons devoir discuter de cette plainte, Jude. Je t'avoue que j'ai un peu de mal à comprendre. Tu m'as envoyé une fois en prison, et ça ne t'a pas suffi ? Tu sais, je ne veux pas qu'on se mène une guerre. Je crois que nous pouvons régler le problème tous les deux.

Il insiste (sans rire ?) sur le « deux », au cas où quelque chose aurait échappé à Caleb. Mais rien ne lui a échappé, et il affronte le regard vitré de l'éditeur qui se croit au-dessus des lois.

- Qu'est-ce que tu cherches à te prouver en faisant ça ?

Ce ton paternalisant… Il accroche Caleb, l'écœure, le dévore, le lacère. Parce qu'il force la mémoire, les sentiments de Jude, et le ramène à ses quatorze ans, à l'époque où Dark avait tout de lui, tout ce qu'il réclamait, même s'il ne réclamait encore rien. Et qu'aujourd'hui, il réclame tout : obéissance, corps et âme, soumission et contrôle absolu.

- Ce n'était pas ton idée, n'est-ce pas ?

L'éloigner, l'éloigner encore. Se le réapproprier. Dark étend sa silhouette d'homme total. Il s'efforce de représenter pour Jude toutes les facettes de l'homme : l'accompagnateur, le professeur, le mentor, le père, le professionnel, l'éditeur, l'amant, le désiré et le désirant. Et le prédateur, voudrait hurler Caleb.

- Ce procès ne te mènera à rien. Toi et moi le savons bien. Il y a des choses que toi et moi seuls savons. Et si ces choses s'apprennent… Je m'inquiète pour toi.

Caleb ne comprend pas le sens de la phrase. Est-ce que Dark s'inquiète pour son élève ? Ou bien s'inquiète-t-il de ce qui arrivera si… ? Caleb resserre sa prise sur le tissu du fauteuil. Il ne veut pas intervenir, il en crève pourtant d'envie. Ne pas oublier : il n'est là qu'en tant que soutien. Soutien. Pas actant. L'actant, lui, reste droit, et rêve de disparaître entre les plis du velours dépassé.

- Bon. Si tu ne veux pas me répondre…

Il ramasse le livre de Verne échoué plus tôt sur le sol, et déploie sa silhouette en se levant. Evidemment, il sait bien que quelqu'un a appelé les renforts, qu'ils ne vont pas tarder. Il époussette sa veste de costume, replace ses lunettes. Caleb le regarde étendre son ombre sur Jude, vissé au fauteuil, incapable de bouger. Il le regarde le regarder, n'avoir d'yeux que pour lui, comme si Caleb disparaissait de son tableau de retrouvailles. Dark ne touche pas Jude, il ne cherche pas à l'enlacer, l'embrasser, lui serrer la main. Rien. Pas besoin. Tout est fait. Il sourit, et s'éloigne du canapé.

- Je vous raccompagne, dit finalement Jude.

Caleb suit Jude qui suit Dark, pour s'assurer de la sortie du second, du retour du premier. Aucun signe d'Aitor dans le couloir, il a dû s'enfermer dans sa chambre, ou rejoindre ses amis. S'éloigner. Dark ne se retourne pas. Il passe la porte, et Caleb croit l'entendre chuchoter « A bientôt ». Jude referme la porte, enfin, sur ce corps indésiré. Caleb, resté en arrière, anticipe. Il anticipe le soupir de Jude qui respire de nouveau, il anticipe son corps qui s'écroule contre le mur, il anticipe sa poitrine qui se déchire sous les coups trop rapides de son cœur.

- J'te tiens. Je suis là.

Il échoue le corps de son compagnon contre le sien, le retient avant la chute, l'accompagne contre le sol, où il ne pourra plus se blesser. Il tente de le bercer, mais le corps de Jude est secoué de spasmes, et il bat une mesure que Caleb ne comprend pas. Alors il serre, il étouffe, pour effacer la douleur. Il ne trouve aucun mot, ni pour le rassurer, ni pour exprimer sa colère. Il aimerait lui dire « tout va bien », mais rien ne va.

Jude s'épuise dans ses bras durant une éternité. Parfois, il cherche un mot, le murmure, le ravale, et Caleb ne comprend pas. Il se contente de l'embrasser, de le caresser. A un moment dans cette éternité, il entend des bruits de pas précipités, et la porte s'ouvre, elle manque de briser son dos. Caleb sait qu'il s'agit de Mark (et il se trompe), mais il n'a pas le temps d'expliquer. Il claque juste des doigts et fait un mouvement vers la porte, pour inviter Mark (non) à sortir. Lentement, il réapprend à son compagnon à respirer, en le forçant à écouter son pouls, son souffle. Et lentement, Jude réoxygène son esprit, et reprend prise sur le monde, en se détachant de Caleb, sans quitter tout à fait la chaleur de la peau de Caleb. Il l'étreint, lui dit, enfin, qu'il est désolé.

- Je sais pas comment il a eu ton adresse… Quelqu'un à l'université… Je suis tellement désolé, Caleb. Je vous mets en danger.

- N'abuse pas non plus. Ce type, il est dangereux pour toi. Moi, je ne crains rien.

- Putain, Caleb, je suis sérieux ! Arrête de jouer les super-héros ! Regarde dans quel état je… Il a dû me suivre, hier. Il est sans doute là depuis hier…

- Jude, tu y es pour rien. C'est pas sa première visite. J'ai pas voulu t'inquiéter. Y a quelques mois, il est venu me voir, tu venais d'emménager à la Capitale. Il pensait que tu vivais ici. Jude se redresse, et son regard se meut, passant de l'angoisse à la rage brûlante. Il referme son poing et frappe l'épaule de son compagnon de toutes ses forces (qu'il n'a plus). Par convenance, Caleb produit une onomatopée de circonstance, mais ne dit rien d'autre, pour laisser Jude se délester.

- Mais putain, t'es vraiment con ! Pourquoi tu m'as rien dit ?

- J'ai pas voulu te perturber avec ton emménagement.

- Mais arrête d'essayer de me protéger, arrête ! J'ai pas… J'ai pas besoin de ça, j'ai pas envie de ça !

Respire, Jude, respire.

- Caleb, je veux pas… Ne joue pas les héros, ne joue pas les sauveurs. Je déteste les sauveurs, surtout s'ils cherchent à me sauver. Si tu commences à me voir comme une victime, alors…

- On est tous la victime de quelque chose, tu sais. Moi le premier.

- Ne me sauve pas.

- Si c'est ça que tu penses, alors tu n'as rien compris. Tu sais, je te fais suffisamment confiance pour savoir que tu vas te sauver tout seul, et que tu t'en sortiras très bien. Je veux juste être à tes côtés. Comme un ami, comme un compagnon, ou ce que tu veux d'autre.

Il se laisse choir sur le parquet tandis que Jude puise dans ses poumons en lui demandant pardon. Caleb lui sourit, parce que ça ne sert à rien de tenter autre chose. Jude se redresse, en s'aidant du mur où il colle son dos, et se met en tailleur, la tête renversée pour ravaler les deux larmes qui perlent. Et puis, bien, sûr, comme le temps n'a pas suspendu son vol, le tambourinement à la porte, à quelques centimètres, rappelle au couple que le monde ne s'arrête pas pour leurs crises. Une voix d'homme, éthérée, pressée, énervée, exige d'entrer. C'est vrai, Mark. Et puis, de fait, pas Mark, car ce n'est pas sa voix. Caleb lui indique d'entrer, et Xavier Foster, dans un jean et un sweat se présente sur le seuil de la porte.

- Est-ce que tout va bien ? Qu'est-ce que vous foutez pas terre ?

Caleb hausse les épaules, et propose un café à son collègue. Xavier plisse les yeux, sans comprendre, parce que Mark l'a appelé, paniqué, en lui disant d'aller immédiatement chez Caleb, que Dark y était. Alors il a sauté du lit, s'est habillé à la va-vite, a sauté dans sa voiture de location tape-à-l'œil et a grillé tous les feux rouges. Résultat : une contravention et pas de Dark. Il accepte le café.

Plus tard, Caleb lui raconte l'éprouvante matinée. Xavier ouvre grand les yeux, abasourdi par le culot de l'éditeur. Il a enregistré la conversation et envoie le document audio à sa sœur. Il explique alors à Jude et Caleb que Mark n'était pas en ville lorsqu'Aitor lui a téléphoné, complètement paniqué, et qu'Axel enregistrait une émission importante. Xavier était le plus proche. Et il n'est pas arrivé à temps, parce que Dark avait tout prévu.

- Bon, je suis pas avocat, mais je pense pas que le juge appréciera qu'il ait cherché à trouver Jude, même si ce n'était pas chez lui. En soi, il a le droit de se promener en banlieue, de tomber hasardement sur Jude, mais il n'aurait pas dû entrer en contact avec toi. Et puis, si ce n'est pas la première fois qu'il vient ici, on pourra même dire que c'était prémédité. Dans tous les cas, Lina demandera une interdiction d'approcher ta maison, Caleb.

- Donc ça veut dire qu'il faut dévoiler notre relation ?

- Juste à la police, pour l'instant. Au moment du procès, je sais pas.

- Ca commence à aller vraiment loin, cette histoire…

- Ce type t'as violé, tu t'attendais à quoi comme genre de procès ? Désolé, Jude, mais ça, ce n'est que le début. Tu vas en baver, tu sais.

Vraiment, on avait besoin de ça, Xavier.

Caleb est tenté d'éjecter son collègue de sa maison, mais se ravise puisqu'il est le seul qui a pu se rendre disponible pour leur sauvetage express. Cependant, puisqu'il n'a pas servi à grand-chose, il se réserve le droit de le virer quand même. Il en profite aussi pour envoyer un SMS rassurant à son colocataire. A ses côtés, Jude termine rapidement son café, s'excuse et rejoint la chambre. Caleb explique à Xavier que son compagnon a peu dormi, et que l'émotion du matin a sans doute eu raison de lui. Caleb espère le rejoindre rapidement, dès que Xavier aura la décence de lever le camp.

- Va falloir le blinder, tu sais. Le procès va pas être une promenade de santé.

- Il est grand, il va se blinder tout seul.

- Je crois pas. C'est Dark. Jude sait pas se montrer fort devant lui. Alors bonne chance. C'est jamais drôle, le rôle du soutien.

Il soupire, devant le ton moralisateur qui n'a pas vocation à en être un. Xavier ne pense pas à mal, bien sûr. Mais enfin, il semble à Caleb qu'il n'est pas le plus indiqué pour « blinder » qui que ce soit. Héritage de la grand-mère : ne protège que toi. Alors oui, il veut bien aider Jude, mais il ne saura pas lui apprendre à se protéger tant que Jude ne fera pas l'effort de se protéger lui-même. Xavier consulte son téléphone ultra-large, il lit sans doute un mail de sa sœur, ou un SMS de son étudiant-qui-n'en-est-pas-un.

- Au fait, l'interrompt Caleb. Y a ça.

Xavier lève la tête lorsque son collègue lui remet entre les mains une pochette en carton d'un violet livide, qui désigne son propriétaire. L'inscription l'intrigue, puisqu'il n'y a que le nom de Caleb noté au marqueur. Jude est exclu de la lecture. Xavier l'ouvre, et les craintes de Caleb se confirment. Xavier ouvre grand ses yeux vert sapin et soupire.

- Il a laissé ça tout à l'heure.

- Tu l'as lu ?

- Non. Personne l'a lu, je l'ai planqué.

- Je prends des photos et je l'envoie à Lina.

- Non, prends-le. C'est sans doute une preuve, elle en aura besoin.

- Plutôt un aveu qu'une preuve, si tu veux mon avis. T'es sûr, tu veux pas…

- Non, ça va aller. Je me suis déjà tapé son putain de cri de désespoir amoureux précédent, je vais pas m'infliger celui-ci. Je te laisse t'en occuper, ou n'importe qui à qui ça donnera pas envie de gerber.

- Je comprends. De toute façon, y a des chances que ce soit la même chose. Une façon de montrer qu'il a juste été manipulé. Va falloir empêcher la publication. Je passe voir Mark, ça t'ennuie si…

- Je m'en fous. Dark m'a sans doute filé ce truc pour que toute l'Iléveune le lise. Pourquoi tu passes voir Mark ?

- Pour lui faire un compte rendu.

- Il parait qu'il a installé le téléphone récemment…

- Ouais, ça fait longtemps qu'on s'est pas vus, c'est juste…

- T'aimes vivre dangereusement, non ?

- De la part d'un mec qui tombe lentement amoureux d'un des membres les plus sulfureux de l'Iléveune, ça me fait un peu rire.

- Sors de chez moi.

Xavier sourit et ramasse son sac avant de serrer la main de Caleb, et de lui faire promettre de s'occuper du désordre psychique de Jude. En refermant la porte, Caleb comprend que le romancier a raison. Jude doit se ressaisir. Et puisque lui ne sait pas comment l'y aider, il va devoir trouver quelqu'un de plus compétant. Il se dit qu'il va devoir téléphoner à Shawn.


Le Meilleur des Mondes : l'un des classiques de la littérature SF, signé Huxley, que j'avoue ne pas avoir aimé. Il n'y a pas de vraie référence au livre dans le chapitre, mais je trouve ce titre suffisamment ironique pour coller à cette histoire, et je voulais un lien à Xavier, qui est auteur de SF.