Chapitre 2 : Prise de conscience
Maison de Mlle Parker 431 Mountain Spring Drive, Blue Cove, Delaware, 01991
Mlle Parker dormait très peu. Un cauchemar l'extirpa de son sommeil. Elle se réveilla en sursaut, toute en sueur, pâle et assez confuse. Ses cauchemars s'étaient intensifiés depuis les événements récents qui ont eu lieu. Entre autres, la mort de celui qu'elle prenait pour son père, la vérité sur l'identité de son paternel, l'histoire de sa famille, la prophétie et sa relation avec Jarod. Surtout sa relation avec Jarod.
Elle était en proie à des doutes et à des angoisses permanentes, elle ne savait plus où elle en était. C'en était trop, c'était plus qu'elle ne pouvait le supporter. Tout son univers venait de s'écrouler, elle se sentait trahie, seule et avait le sentiment de ne plus avoir de famille, de n'appartenir à personne, d'être sans identité… Et de ne plus être aimée.
Elle avait pris conscience que seul Jarod la comprenait, lui qui vivait la même situation qu'elle, qu'il ressentait ce qu'elle ressentait et qui malgré leur relation ambiguë lui apportait son soutien indéfectible.
Assise dans son lit, Mlle Parker tendait le bras vers sa table de nuit prenant la lettre de Jarod pour la relire une énième fois. Elle l'avait maintenant la certitude qu'il aimait réellement, mais elle ne pouvait se résigner à se laisser aller à de tels sentiments. C'était une impasse ! Il n'y avait pas de solution miracle. Si seulement elle n'éprouvait rien pour lui. Mais voilà, il était bien là le problème. Elle était éperdument, secrètement amoureuse de lui…
La jeune Miss commençait alors à analyser la situation avec calme, faisant une rétrospective de sa vie. Se rendant compte de tous ses blocages, de ses pensées, de ses souffrances qui détruisaient sa vie à petit feu. Elle réalisa que depuis de nombreuses années elle répétait toujours inlassablement le même schéma, vivant sa vie en pilote automatique. Prise dans une spirale, il lui était impossible de s'en échapper.
Pour changer sa vie, elle devait alors accepter de tout remettre en question. De faire ressurgir ses douleurs tout comme ses doutes ou encore ses faiblesses. Était-elle prête à franchir ce cap…?
Les premières lueurs du jour apparaissaient. Depuis le début de la traque du caméléon, toutes ses journées finissaient par se ressembler. Pour elle, c'était un matin comme un autre, une journée comme une autre. Elle ouvrit la fenêtre pour en sentir la brise fraîche et légère du printemps sur sa peau, elle devenait presque nostalgique voire même mélancolique.
C'était une saison qu'autrefois Mlle Parker avait tant affectionnée, tout comme sa mère, et tout comme elle, Mlle Parker trouvait que le printemps signifiait un retour à la vie comme un souffle nouveau. Mais après le prétendu suicide dans un ascenseur de la personne qu'elle avait aimé le plus au monde, cette période était devenue pour elle signe de douleur, une douleur qui la hanté, une douleur qui n'arriverait jamais à s'effacer.
Et depuis ce fameux jour du 13 avril, sa vie avait basculée, causée par une balle de 9 mm, changeant son existence et celle de sa mère à tout jamais.
Et en regardant à travers la vitre, elle vit le reflet de son propre malheur.
Le Centre, Blue Cove, Delaware, quelques heures plus tard.
Mlle Parker faisait irruption dans son bureau là où Sydney et Broots l'attendaient, prenant place dans son fauteuil, elle paraissait perturbée et contrariée.
« Alors Broots, vous dormez ?
- Nous l'avons retrouvé, Mlle Parker, je viens de recevoir ce fax, il est en Californie. Voulez-vous que je fasse préparer le jet ? demanda un Broots tout excité, elle lui arracha le document des mains.
- Nous ne sommes même pas certains qu'il s'agit bien de Jarod ni qu'il y soit encore. Combien de fois sommes nous fait avoir ! répondit Sydney à son tour d'un ton presque lassant.
- Broots, faîtes envoyer une équipe de nettoyeurs sur place.
- Bien, Mlle Parker ! » Broots s'exécuta.
Sa main posée sur sa joue, les sourcils froncés, le corps rigide, elle réfléchissait à la façon de repousser encore les avances du caméléon. Le psychiatre remarqua l'expression de son visage marqué par la nervosité.
- Vous allez bien ? interrogea Sydney. Vous savez que je suis là si vous avez besoin de parler.
Elle se leva, faisant le tour de son bureau, pour arriver en face de Sydney, elle le prit par le bras et l'entraîna à l'extérieur, elle murmura à voix basse :
« Pas dans mon bureau. Sortons ! »
Dans les jardins du Centre, Mlle Parker, faisant les cent pas, s'apprêtait à lui faire une confession.
« Jarod ne se trouve pas en Californie. Ne me demandez pas comment je le sais. Je le sais, c'est tout.
- Mlle Parker, Je vois bien qu'il y a autre chose qui vous tourmente. Je peux vous aider si vous le souhaitez.
Elle n'avait pas la force ni l'envie de lui mentir, lui qui avait toujours été d'un réconfort. Elle lui avoua :
- Ce que je m'apprête à vous révéler doit rester entre nous deux, Sydney. Jamais personne ne devra le savoir.
Elle s'arrêta, prenant une profonde inspiration, lui tournant le dos pour éviter de lui faire face, elle reprit :
- Quand Jarod et moi étions tous les deux sur cette île, nous avons retrouvé une certaine complicité. Nous nous sommes rapprochés, il n'était plus question de jouer au chat et à la souris. Mes sentiments, que je croyais disparus, ont refait surface.
- Mais que s'est-il passé sur cette île pour que vous soyez aussi bouleversée ?
- Ce n'est pas ce que vous croyez, Sydney, il ne s'est jamais rien passé. Enfin, pas de la façon dont vous pouvez l'imaginer. Mais Jarod n'arrive pas à tourner la page et à vrai dire… Moi non plus.
- Vous voulez dire que vous êtes amoureuse de Jarod ? » demanda Sydney étonné.
Son silence était plus qu'éloquent, tout en évitant le regard de Sydney, elle se retourna vers lui :
- Vous avez un conseil à me donner docteur Freud ?
- Après tout ce que vous avez vécu ces dernières années, il n'est pas si étonnant que vous vous rapprochiez de la seule personne qui vous tende la main même si cette personne n'est autre que Jarod. Et éprouver des sentiments est naturel, vous ne pouvez pas les ignorer. Le seul conseil que je puisse vous donner à tous les deux, c'est de faire face à ce que vous ressentez. Vous devriez en parler avec Jarod… Parlez-lui, Mlle Parker, sinon, un jour, vous finirez par le regretter !
- Mais Sydney, on parle de Jarod, c'est insensé. Je ne peux pas faire ça.
- Ce qui est insensé Mlle Parker, c'est d'être amoureuse d'une personne et de la laisser sans aller. Ne faites pas la même erreur que celle que j'ai commise, il y a des années. Ne laissez pas le Centre vous contrôler et vous prendre plus que ce qu'il ne vous a déjà volé ! Vous aussi vous avez le droit d'être heureuse.
- Sydney… Merci. » répondit-elle comme si elle avait recherché son approbation. Lui cet homme, qu'elle avait appris à apprécier et à respecter, et au fil des années, il était devenu un peu comme le père de substitution autant pour Mlle Parker que pour Jarod. Le père qu'ils n'avaient jamais eu tous les deux.
Sur ces paroles, il tourna les talons, la laissant pensive. Elle était étonnée que pour une fois, il ne parte pas dans des explications farfelues ou encore qu'il ne la psychanalysait pas. Mais il avait raison, et elle détestait ça ! Il fallait qu'elle parle avec Jarod.
Suite 88, Le Mark Hôtel, NY
Depuis son évasion du Centre, Jarod n'avait que deux obsessions.
Un : retrouver sa mère, sa famille, son identité… Sa vie;
Deux : aider les déshérités;
Mais pour la première fois de sa vie, ce sentiment de culpabilité qu'il avait éprouvé lorsqu'il a appris que ses simulations servaient pour la destruction, commençait peu à peu à se dissiper. Ses objectifs avaient changé, il voulait plus que jamais retrouver sa famille, son identité, mais la seule personne qu'il voulait sauver, et de toutes les manières possibles, était justement la seule personne qui ne voulait pas l'être.
Regardant la photo où posait Margaret en compagnie de Catherine, il espérait que Miss Parker accepterait son invitation et que ce soir, elle laisserait de côté ses rancœurs pour s'adonner à l'amour, mais pour l'heure, il devait rassembler ses esprits pour retrouver ses maudits parchemins et sa mère. Dès lors, une alerte provenant de son ordinateur portable le sortit de ses pensées. Jarod ouvra sa boîte mail sécurisée, lisant le message qu'il venait de recevoir.
C'était Ethan. Le demi-frère par lequel il était lié à la seule personne qui ne voulait pas de lui. Cet email disait :
« Jarod,
Pardonne-moi de ne pas avoir pu te donner de nouvelles avant. Il fallait d'abord que je me mette en lieu sûr, que je me protège. C'est une situation que malheureusement, tu connais aussi bien que moi, la fuite, la traque, l'insécurité. Mais aujourd'hui, les choses ont changées. J'ai des informations de la plus haute importance à te communiquer. Cela concerne aussi bien Mlle Parker que toi-même.
J'espère que cela pourra vous aider dans votre quête de la vérité et que grâce à ses informations, tu pourras enfin réunir ta famille à nouveau et retrouver ta mère. Je sais que tu finiras par la retrouver, les voix me l'ont dit.
Je t'ai envoyé en pièce jointe toutes les instructions relatives à notre rencontre, ce après quoi, par mesure de sécurité, détruit le message. Sois très prudent !
À très bientôt, mon frère.
Ethan. »
