Chapitre 7 : Confrontation
Le Centre, Blue Cove, Delaware
Dans les couloirs du Centre, Mlle Parker jeta un œil attentif à la photo où l'on pouvait clairement identifier le kidnappeur du bébé. Ce voleur d'enfants. Cet endroit en était rempli. Elle n'en était pas moins étonnée pour autant. C'était un homme aussi cruel que perfide. Il était aussi nuisible qu'un insecte. Un insecte qu'il fallait écraser à tout prix. Les sourcils froncés, la jeune femme se dirigea vers son bureau pour exiger de lui des réponses, mais la pièce était vide, il n'y avait personne. Mais où était-il ? Encore un qui s'était volatilisé ! À croire qu'une épidémie avait frappé les employés de ce lieu maudit.
Elle décida donc de profiter de son absence pour fouiller dans ses affaires, il avait sûrement caché quelque chose. Mais qu'espérait-elle y trouver ? Peu importe, la Miss était à l'affût de la moindre indication qui pourrait la mettre sur la piste de son petit frère. Fouillant la pièce de fond en comble, elle n'y trouva rien. Il n'était pas du genre à laisser traîner des indices. Se laissant tomber sur le fauteuil, la tête couverte avec ses mains, elle se demandait si un jour elle reverrait le garçonnet, lorsque l'homme entra dans la pièce.
C'était un homme immoral, sans scrupules, malsain, et manipulateur, un véritable sociopathe, avec un lourd passé criminel à son actif. Et pourtant, elle se devait de l'affronter, lui qu'elle appelait son jumeau. Lui qui était une partie d'elle, mais qui en aucune manière ne lui ressemblait. Et parfois, il lui arrivait de se demander comment sa mère avait-elle pu engendrer un tel monstre.
Il était plutôt grand, bel homme, les cheveux bruns, courts, portant un tatouage en forme d'Ouroboros, symbole cambodgien du cannibalisme. Ayant trahi la famille Yakuza suite à une affaire peu juteuse, Lyle avait perdu son pouce gauche d'où ses surnoms : « l'homme sans pouce » ou encore « l'homme au pouce coupé ».
Il se tenait là, devant-elle, ses mains dans les poches. Il portait un costume gris, et toujours bien coiffé. Les yeux levés au ciel, le demi-sourire aux lèvres, il n'osait pas affronter son regard.
« Sœurette, qu'est-ce que tu fais là ? J'ai failli avoir une crise cardiaque.
- Arrête ton baratin, tu gaspilles ta salive pour rien.
- Alors Parker, où en es-tu de tes recherches sur la capture de notre caméléon préféré ? Tu as des pistes sur sa nouvelle cachette ?
- Lyle ! Je ne suis pas là pour parler de Jarod.
- Et tu es là pourquoi ? Quel crime aurai-je encore commis cette fois-ci ? Aurais-je…
- Où est notre petit frère ? l'interrompit-t-elle.
- Que veux-tu que j'en sache ? Ça fait quelque temps que je ne l'ai pas vu. J'ai été très pris ces derniers jours.
- Je n'ai pas de temps à perdre avec ces salades, alors garde ça pour une autre de tes conquêtes. Où est-il ?
- Parker, j'ai un rendez-vous très important, alors si tu veux bien, on en reparlera un autre jour.
- Et peut-on savoir, mon cher Lyle, avec qui tu as rendez-vous ? Encore une jeune asiatique ? Il faudrait qu'un jour, tu me la présentes pour que je puisse la mettre en garde contre toi et ton petit penchant pour le cannibalisme.
- Non, pas cette fois. Si tu veux savoir, j'ai un entretien avec un dignitaire très haut placé du Triumvirat.
- Et pourquoi n'ai-je pas été informée de cette réunion ?
- Vois ça avec notre père.
- Notre père ? Raines, cet emphysémateux n'est pas notre père ! C'est le meurtrier de notre mère, je te prie de ne pas l'oublier… Mais comment pourrais-tu comprendre, tu es pire que Raines ! protesta Mlle Parker avec une moue de dégoût qu'elle avait du mal à dissimuler.
- Ne crois pas que je sois insensible, c'était aussi ma mère, je te rappelle. Mais elle n'est plus là, notre père, si. Et il a besoin de nous, de nous deux !
- Tu n'as pas répondu à ma question, où est notre frère ? a-t-elle répété avec insistance.
- Je ne sais pas où il est !
- C'est curieux parce que vois-tu, j'ai la preuve du contraire. Tu n'es pas très futé Lyle !
- Et peut-on savoir, pourquoi tout à coup, tu t'intéresses à lui ? Écoute, petite sœur, je ne sais pas ce qui motive cette recherche exactement, mais tu devrais plutôt te concentrer sur la traque de Jarod. Tu sais Parker, des fois, j'ai du mal à comprendre…
Ce cannibale lui mentait effrontément ! Les sourcils plissés, les pupilles contractées, prête à exploser de colère, elle se leva du fauteuil pour faire face à Lyle, allongeant son bras, et d'une main, Mlle Parker l'attrapa par la gorge, tout en maintenant une forte pression, et de l'autre, lui afficha la photo sous les yeux.
- C'est ça le problème, Lyle, tu ne comprends rien. Tu vois sur cette photo, on te voit quitter le Centre avec notre frère. Alors soit tu me dis tout de suite où il est, soit…
Malgré la résistance de la jeune femme, Lyle se dégagea de l'emprise de sa sœur, il était devenu rouge et avait du mal à respirer, il commença à suffoquer.
- Tu es… Une véritable… Garce ! disait-il d'une voix à peine audible.
- Et encore, tu n'as pas tout vu !
- Parker… Peut-on en reparler plus tard… Là, je suis très occupé… Maintenant, je te prie de sortir de mon bureau et de refermer la porte derrière toi… Et à l'avenir, si tu veux me voir et que je suis absent, tu attendras mon retour, inutile de rentrer dans mon antre.
- Non Lyle, toi, tu vas m'écouter ! S'il arrive quoi que ce soit à cet enfant, je ne donne pas cher de tes neufs autres doigts ! »
La jeune femme claqua la porte sans même se retourner, partant à la recherche de ses deux acolytes. Elle retrouva Broots et Sydney en pleine conversation des moins intéressantes.
« Broots, j'ai besoin que vous fassiez quelque chose pour moi.
- De quoi s'agit-il, Mlle Parker ? Si je peux faire quoi que ce soit pour vous aider, je le ferai.
- Merci Broots. Justement, je voudrais que vous fassiez installer un micro dans le bureau de Lyle. Vous avez le droit de refuser. Je ne voudrais pas vous mettre en danger, mais ça m'aiderait si vous acceptiez de le faire.
- Mais si jamais il découvre le micro, on est cuit tous les deux.
- J'en assumerai l'entière responsabilité. Quant à vous, Sydney, tenez moi informée des faits et gestes de Lyle.
- En êtes-vous sûr de vouloir agir de cette manière ?
- Sidney, il n'y a qu'une seule manière d'agir. Et Lyle refuse de me dire quoi que ce soit, il m'a littéralement jeté hors de son bureau. Ce rat manigance quelque chose, c'est sûr ! Alors vous allez retrousser vos manches et vous mettre au boulot… Maintenant !
- Et vous qu'allez-vous faire, Mlle Parker ?
- Je vais rendre une petite visite à Raines !
- Mais Mademoiselle, cela fait plusieurs jours qu'il n'est pas venu au Centre, annonça Broots.
- Mais qu'est-ce qui se trame ici ? D'abord, le petit disparaît, ensuite Lyle et maintenant Raines…? Vous ne nierez pas Sydney, qu'il se passe quelque chose de très étrange. Et je parie que cela a tout à voir avec mon petit frère.
- Vous allez faire quoi maintenant ?
- Je vais rentrer chez moi, si vous avez du nouveau appelez-moi. »
Elle quitta la pièce.
Lyle était dans son antre, comme il savait si bien le dire. Il avait du mal à se remettre de son altercation avec sa jumelle. Par moments, elle savait se montrer aussi cruelle que lui. Sa relation avec Mlle Parker n'était pas ce qu'on pourrait appeler une relation fraternelle. Ils se toléraient tout au plus. La considérant comme son ennemi, et vice-versa. Il n'avait pas plus confiance en elle qu'elle en lui. Pendant un instant, la jeune femme avait envisagée la possibilité que son jumeau avait vraiment changé. Elle avait tort ! Se saisissant de son téléphone portable, il composa un numéro. Qui appelait-il ?
« C'est moi. Je crois que ma chère sœur se doute de quelque chose.
- Je ne veux pas qu'elle mette son nez dans nos affaires. Alors faites ce qu'il faut, mais gardez là à l'écart. Si jamais elle découvre quoi que ce soit, ça nous sera fatal.
- Je vais faire le nécessaire.
- Je vous suggère de la tenir à l'œil !
- Bien Monsieur. Vous savez que ma loyauté, vous est acquise. »
Aéroport international JFK, NY
Le caméléon s'était rendu à l'aéroport international John Fitzgerald Kennedy, situé au sud-est du Queens, à environ 26 km du centre-ville de Manhattan. Il était temps pour lui de quitter New York. Un billet d'avion à la main, il s'apprêtait à s'envoler vers une toute nouvelle destination. Il essaya désespérément de joindre Mlle Parker par téléphone, il n'obtenait aucune réponse de sa part. Soucieux, il appela Sydney, qui dans son bureau de simulation, décrocha croyant que c'était la jeune femme.
« C'est moi.
- Jarod !
- Je n'arrive pas à joindre Mlle Parker. Savez-vous si elle est dans les parages ?
- Mlle Parker est rentrée chez elle. Tu veux peut-être que je lui laisse un message de ta part ?
- Je sais qu'il se passe quelque chose avec son petit frère. Je voulais savoir comment elle gérait la situation.
- Alors tu sais que le petit Parker a disparu ?
- Non Sydney, je ne le savais pas. Je n'imaginais pas un seul instant que ce serait aussi grave. Et comment va-t-elle ?
- Mlle Parker est dans tous ses états, c'est très dur pour elle, tu sais… Jarod ? »
À l'autre bout du téléphone, on apercevait Jarod, raccrocher, regardant son billet d'avion. Ce qu'il venait d'apprendre au sujet de la disparition du petit garçon, l'avait secoué. Mais ce qui l'inquiétait davantage, c'était la réaction de Mlle Parker. Il savait que depuis leur retour, elle était devenue fragile et il avait un très mauvais pressentiment. Avait-il peur pour elle ?
Maison de Mlle Parker 431 Mountain Spring Drive, Blue Cove, Delaware, 01991, des heures plus tard.
Située dans un quartier résidentiel à Mountain Spring Drive, se trouvait une demeure. Une maison faite principalement de bois et de pierres, une maison que son père lui avait offerte pour fêter la fin de ses études, cette même maison où jadis, elle avait vécu avec sa mère, ensemble comme une vraie famille. Le foyer où elle avait été autrefois heureuse, où elle se croyait avoir été heureuse.
Mlle Parker était assise sur la banquette près de la fenêtre profitant du calme, lui apportant ainsi apaisement, douceur et quiétude, mais très vite, elle finit par sombrer dans ses pensées. Tout se bousculait dans sa tête, son petit frère, Jarod, le Centre…
La jeune femme se leva, se dirigeant vers le bar, attrapant une bouteille de son whisky préféré. Elle versa directement un liquide de couleur or à reflets ambrés dans un verre agrémenté de glaçons et qu'elle porta jusqu'à sa bouche, emplissant son nez d'arômes réglissés, vanillés, légèrement brûlés et caoutchouteux. Finalement, sans en boire une seule goutte, elle reposa le verre. Boire ne servirait à rien, elle se devait de garder l'esprit clair.
La Miss ne savait plus quoi faire, elle était désemparée, elle avait l'impression d'avoir passé sa vie à chercher la vérité, celle de la mort de sa mère et de celle de Thomas, celle de l'identité de son père, celle des prophéties, et maintenant celle de son petit frère. Et si Jarod avait raison. Et si ce petit garçon n'était pas celui qu'elle croyait. Mais qui était-il alors ? Serait-il possible que cet enfant soit réellement un caméléon ? En-tout-cas, Sydney lui, le pensait et elle avait la conviction qu'il disait vrai.
Soudain, elle se souvient alors de ce que lui avait dit son père lorsqu'il lui parlait du petit Parker. « Que ce bébé, était vital pour l'avenir du Centre, qu'il fallait qu'il reste en vie quoiqu'il arrive. » A cette époque, elle n'avait aucune raison de douter ou même de s'opposer à son père, bien que la jeune femme commencer à avoir quelques soupçons. Et dire qu'elle avait accordé sa confiance à un homme qui ne la méritait pas.
Tout à coup, elle entendit un bruit provenant de l'extérieur de la maison, la lumière sur le perron était allumée. Un intrus se préparait à pénétrer dans sa maison. Figée sur place, haussant un sourcil interrogateur, la jeune femme retira son Smith & Wesson de son étui, l'arme en main, prête à s'en servir, elle avança d'un pas décidé, vers la porte.
« Je vais compter jusqu'à 3 et ensuite, je vous tire dessus, qui que vous soyez ! cria-t-elle, elle marqua une pause, 1… 2… Attention… »
Pointant son arme en direction de l'entrée, la Miss s'avança prudemment, saisissant la poignée. Soudainement, la porte s'ouvrit…
« C'est toi ? Qu'est-ce que tu fais là ? »
