Chapitre 10 : Le retour d'Ethan 1/3
Bar Dullboy, 364 Grove St, Jersey City, NJ 07302, États-Unis
Le club Dullboy était un bar à cocktails artisanal, situé en plein cœur du centre-ville de Jersey City à 27 kilomètres du Mémorial du 11 septembre. Cet endroit était devenu le foyer des artistes et des créatifs. L'intérieur offrait une ambiance assez décontractée grâce à des lumières tamisées qui planaient au-dessus du bar, recouvert de cuivre, et des tables en miroir antiques, bordaient les banquettes de velours dans le style années 20. La décoration, elle, se voulait pour thème d'écrivain, avec des cocktails signatures nommés pour des figures littéraires féminines. Des livres et des machines à écrire vintage étaient exposés sur un mur de briques apparentées blanchies à la chaux. Quant à la nourriture du bar, elle était aussi abordable que délicieuse. Les barmans étaient fort aimables. C'était un lieu assez intimiste, chic et aussi confortable que convivial, idéal pour se détendre ou pour passer la nuit.
Assis, Ethan attendait son frère, sirotant un verre, tapotant ses doigts, regardant l'horloge accrochée au mur du bar. Il était surexcité. Le temps se faisait long, il soupira d'impatience. Un sac à dos contenant ses maigres affaires était posé au pied de la table.
C'était la première fois depuis quelques mois qu'ils se revoyaient. Il lui tardait tant de le revoir. C'était aussi la première fois également qu'il avait la sensation de compter vraiment pour quelqu'un et d'appartenir à une vraie famille. Bien des choses avaient changé pour lui depuis l'explosion du métro. En l'espace de quelques mois, il avait perdu ses parents adoptifs, retrouvé une sœur et un frère et maintenant, il se devait de se protéger, traquer et fuyant comme un fugitif. Jusque-là, il s'en sortait plutôt bien, mais aux yeux du Centre Ethan avait bien moins de valeur que Jarod. Ce qui facilitait grandement sa fuite, il arrivait à se déplacer sans se faire prendre et, évitant ainsi que le Centre ne remonte sa piste. Cependant, il avait découvert, une information capitale qu'il fallait à tout prix transmettre à son frère. Une information qui permettrait de réunir le caméléon et sa mère, une information qui changerait sa vie. Et pour ça, il était prêt à sacrifier la sienne ! Il lui devait bien ça.
Un homme de grande taille, assez bien bâti, la mine fatiguée, faisait irruption dans le bar. Soudain, Ethan se leva pour l'étreindre chaleureusement, le sourire aux lèvres. On pouvait y lire la joie sur leurs visages. Leurs pensées s'enchaînaient à vive allure.
Jarod avait une multitude de questions à lui poser !
« Ethan, comme je suis heureux de voir que tu vas bien. Mais où étais-tu passé ? Que t'est-il arrivé ? questionna le caméléon, en frottant ses yeux.
- C'est une longue histoire, Jarod.
- Pourquoi t'es-tu enfui ? Tu sais que je peux t'aider, si tu as besoin. Et Mlle Parker est morte d'inquiétude, pour toi !
Les deux frères prirent place autour de la table, Jarod fit signe au serveur et commanda deux cocktails maisons. Ethan paraissait soucieux.
- Je sais. Et je suis désolée, de m'être enfui comme un voleur. J'aurais dû la prévenir. Mais je devais prendre le large. Je n'arrivais plus à réfléchir. Depuis l'explosion du métro, tout est allé beaucoup trop vite. Du jour au lendemain, je me retrouvais avec une famille que je ne connaissais pas, et parallèlement, j'apprenais que je n'étais pas fou, que j'étais doté d'un sixième sens. Avec Raines et le Centre à mes trousses, j'ai eu peur, alors j'ai préféré partir.
- Pourquoi ne pas nous avoir prévenus, moi ou même Mlle Parker ? Ethan, nous sommes ta famille, tu n'es plus tout seul à présent.
- Je n'ai pas eu le choix, Jarod. C'est pour elle que je l'ai fait. Si j'étais resté, c'est elle qui aurait été en danger.
- Comment ça ?
- Je ne pouvais pas la mettre en position où elle devait-être obligée de choisir entre le Centre et moi. Et je sais que c'est moi qu'elle aurait choisi. Je ne pouvais pas prendre ce risque. Je sais que tu comprends.
- Je comprends, oui. J'aurais agi de la même manière. Mais pourtant, tu es là ! Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui ? demanda Jarod.
- Après mon départ de Blue Cove, j'ai appris à écouter les voix, sa voix.
- Tu parles de celle de ta mère ?
- Entre autres. »
Ethan acquiesça de la tête, il lui expliqua alors la situation. Où il était allé après avoir quitté la maison de Mlle Parker, ce qu'il avait fait pour survivre, comment il avait dû rester caché pour éviter de se faire capturer et par le Centre et par le FBI et comment il avait fini par apprendre à apprivoiser les voix qu'ils entendaient. Mais son voyage n'était pas encore terminé, il y avait tant à faire. Le front plissé, Jarod, l'écoutait avec attention, comment avait-il pu laisser Ethan se débrouiller tout seul. Lui qui avait passé près de cinq années à aider la veuve et l'orphelin, il n'avait pas été capable de prêter main forte à son frère. Il avait l'impression d'avoir échoué.
« Jarod, ne te sens pas coupable. C'était notre destin de suivre chacun une voix différente. Et c'était le mien de partir découvrir de quoi notre avenir sera fait.
- De quoi est-ce que tu parles ?
- Je veux parler de ta mère, de la prophétie, des rouleaux, de toi et de Mlle Parker. Et bien d'autres choses encore.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Jarod, nous avons très peu de temps… J'ai retrouvé la trace de ta mère. »
Il sortit de sa poche un papier, sur lequel étaient inscrit une adresse, une date et une heure de rendez-vous. Jarod prit le bout de papier entre ses doigts. Il était consterné mais heureux, il touchait enfin au but qu'il s'était fixé depuis son évasion du Centre.
Dans un moment d'excitation, il prononça le nom de Mlle Parker. Il voulait partager cette merveilleuse nouvelle avec la jeune femme, la cherchant du regard, mais elle n'était pas là ! Elle n'était pas à ses côtés. Le caméléon secoua la tête. Il fallait à tout prix, qu'elle sache qu'il était sur le point de revoir sa mère après toutes ces années. Alors, il sortit son portable d'une des poches intérieures de sa veste, et composa le numéro de la Miss. Elle ne répondait pas…
Était-elle sincère quand elle disait ne plus vouloir de contact avec lui ? Non, il se refusait de le croire. Il rappellerait plus tard !
Les larmes aux yeux, la gorge nouée et malgré son enthousiasme, il ne put s'empêcher d'être pris de remords, et d'éprouver un sentiment de grand vide intérieur. Un grand vide dont il voulait se débarrasser. Un grand vide qu'il voulait combler par la seule présence de l'amour de sa vie. Ethan lut de la déception dans son regard.
« Que passe-t-il ?
- Rien. Tout va bien, Ethan, s'exclama le petit génie, un léger tremblement de la voix, à peine perceptible, venait de le trahir, il baissa les yeux, touchant sa bouche.
- Jarod, tu n'es pas très doué pour le mensonge.
- Merci petit frère pour ce que tu as fait. Mais dis-moi, comment as-tu réussi ce tour de force ? demanda-t-il en chargeant de sujets.
- Je savais que tu recherchais ta mère et ce maintenant, depuis très longtemps. J'ai voulu contribuer à vos retrouvailles. Ce sont les voix qui m'ont guidée jusqu'à elle. Par la suite, je l'ai contactée. Elle t'attendra à cette adresse, et n'oublie pas ni l'heure ni la date de votre rencontre, c'est important. C'est elle qui te donnera les réponses que tu cherches depuis tant d'années. J'espère seulement que j'ai été assez prudent et que tu ne tomberas pas dans un piège.
- J'en prends le risque ! Mais Ethan, je ne sais pas quoi dire.
- Inutile de me dire quoi que ce soit. Je n'ai pas oublié qu'il y a quelques mois, c'est toi et ma sœur qui m'aviez sauvé la vie. J'ai autre chose à te dire, Jarod, mais cela concerne Mlle Parker.
- Je t'écoute. De quoi s'agit-il ?
- Il s'agit d'un bébé, de son petit frère, je crois. Je ne suis pas sûr. Les voix ne sont pas très claires à ce sujet.
- On n'est pas certain qu'il s'agisse de son petit frère. Il a été enlevé par le Centre. Sais-tu où il est retenu ? S'il est en danger ? C'est important, Ethan, si tu sais quelque chose à ce sujet, il faut me le dire !
- Non, Jarod, je n'ai aucune information à te donner pour le moment, mais je crois que ce bébé est la clé de tout. J'en ai conclu que cela pouvait avoir un lien avec la prophétie. J'ignore encore exactement ce que ça peut signifier pour vous deux. Mais il est important que vous le retrouviez. Et je serai là pour vous y aider, toi et Mlle Parker.
- Ça pourrait expliquer beaucoup de choses. Il faudrait que tu m'en dises davantage, ça pourrait nous être utile.
- Je n'en sais pas plus, Jarod. Mais je ferai tout mon possible pour vous venir en aide. Tu peux compter sur moi.
- Et pour les prophéties ?
- Tu survolais le Maroc au moment du crash, c'est bien ça ? Alors c'est par là qu'il faudra commencer nos recherches. Je vais me renseigner et je te tiendrai au courant.
- Comment puis-je un jour te remercier ?
- Tu n'as pas à me remercier, nous sommes quittes désormais. En revanche, tu peux me dire ce qui te préoccupe, nous sommes frères. Tu peux te confier à moi, je suis de ta famille. N'est-ce pas ce que tu m'as dit, il y a un instant, Jarod ? »
Comment pouvait-il lui dire ce qu'il le tracassait ? Comment pouvait-il comprendre le lien qui pouvait l'unir à Mlle Parker ? Lui-même avait du mal à comprendre. Jarod était dans un tel état. Ses yeux s'étaient humidifiés, son cœur s'accélérait, ses membres se crispaient. À cet instant, le caméléon ressentit un mélange de joie, de peur, de colère et de tristesse, il aurait donné n'importe quoi pour ne plus ressentir ce cocktail d'émotion ! Il inspira profondément, soupira et sortit quelques billets qu'il jeta sur la table. Et suivi d'Ethan, ils prirent le chemin de la sortie.
Se baladant dans L'État-Jardin, les deux frères poursuivaient leur conversation.
« Je sais que tu ne veux pas en parler, et d'ailleurs, tu n'as pas à me dire quoi que ce soit. Parce que je sais que tu penses à elle.
- C'est indéniable, tu as un avantage sur moi !
- Non, j'ai seulement vu l'expression de ton visage, tout à l'heure.
- C'est vrai, je pense à elle. Elle a le don de m'exaspérer. Tu sais, ta sœur n'est vraiment pas une femme ordinaire.
- Effectivement, j'ai remarqué qu'elle avait un sacré tempérament. Mais il n'y a pas que ça, n'est-ce pas ?
- Ethan, la relation que j'entretiens avec Mlle Parker est beaucoup trop complexe, et ce, depuis de nombreuses années…
- Et tu crois que je ne pourrais pas comprendre ?
- Je dois avouer que moi-même, j'ai parfois du mal comprendre.
- Raconte-moi !
- On passe notre temps à jouer, à se chercher, à se disputer, à se méfier l'un de l'autre… Je ne sais plus quoi faire avec elle. Par moments, j'ai l'impression qu'on avance, qu'on fait des progrès tous les deux et par d'autres, c'est tout le contraire qui se produit… Je ne sais plus dans quelle direction aller avec elle.
- Vous êtes ensemble ?
- Je ne sais pas. Lors de notre dernière rencontre, je le pensais, et puis la soirée à virée au désastre. Depuis, je n'ai plus aucune nouvelle de ta sœur. Je sais qu'elle finira par se calmer, à ce moment-là, je reprendrai contact avec elle.
- Oui, je vois, vous vivez l'amour vache ! Mes parents adoptifs aussi se disputaient souvent, mais cela ne les a jamais empêchés de s'aimer. Je crois, je ne suis plus très sûr…
- Non, c'est beaucoup plus que ça. Elle est tellement en colère, triste qu'on dirait qu'elle s'interdit le droit d'être heureuse alors qu'elle a le bonheur à portée de main. J'aimerais vraiment qu'elle ouvre les yeux et qu'elle voit ce que la vie peut lui offrir.
- Tu tiens à elle ?
- On vient à peine de se retrouver, enfin, c'était ce que je croyais. Je refuse de la perdre à nouveau !
- Peut-être que tu devrais laisser faire les choses naturellement.
- Comment ça ?
- Jarod, je ne suis pas un expert en relation humaine, mais je sais une chose, c'est qu'elle tient à toi, et qu'elle t'aime autant que tu l'aimes. Je n'ai aucun doute sur vos sentiments l'un pour l'autre, je peux le sentir. Mais peut-être que vous devriez ralentir les choses. Ne lui mets pas la pression, laisse-la revenir vers toi. Et si votre destin est celui d'être ensemble, alors peu importe, ce qui vous sépare, vous finirez toujours par vous retrouver. »
Ethan n'avait pas tout à fait tort. C'était en quelque sorte l'amour vache entre eux et il n'avait pas peur d'entrer en désaccord avec elle parce qu'il savait que ça ne durait jamais très longtemps. Avec Mlle Parker, ils étaient différents, opposés, complémentaires, complices et trop entiers. Chacun savait défendre ses propres convictions, mais toujours dans le respect mutuel. Elle savait lui tenir tête, c'était une force de la nature, avec tous deux de fortes personnalités, et aux opinions bien arrêtées. Il adorait passer du temps avec la Miss, il ne s'ennuyait jamais, elle élargissait son horizon de savoir, et de connaissances. C'était ce qui faisait de leur relation quelque chose d'unique et rare.
Mais les disputes ne sont-elles pas l'expression de la passion ? Une passion endiablée, fougueuse, réelle.
Mais alors pourquoi devrait-il être le seul à se battre pour maintenir un semblant de relation qui jusqu'ici n'avait l'apparence que d'une illusion ? Étaient-ils vraiment prêts tous les deux à assumer leur sentiment ? En-tout-cas, Jarod le pensait, et ce n'était pas dans ses habitudes de rester là assis, les bras croisés, attendant patiemment que les choses se passent.
Il se devait de réagir. Mais depuis leur dispute, il ne savait plus trop quoi penser sur les sentiments de la jeune femme. Il commençait à douter. L'aimait-elle sincèrement ? Le caméléon le savait, elle lui avait clairement fait comprendre ce qu'elle éprouvait pour lui, l'autre soir à l'hôtel, du moins le croyait-il. Et ses actions n'étaient-elles pas une preuve suffisante de son amour ? Il en voulait plus, il voulait se sentir plus proche, plus fusionnel avec elle, mais jamais il ne pourrait se résigner à l'abandonner. Il consentit à se montrer plus patient, plus tolérant avec elle.
Et avant de partir retrouver sa mère, il se devait de donner à la jeune femme un signe de son engagement envers elle. Mais comment allait-il s'y prendre ? Il y réfléchira plus tard.
« Laisse faire le temps, tout finira par s'arranger. Jarod, je vais devoir m'en aller. Je ne dois pas rester au même endroit trop longtemps si je ne veux pas que le Centre me localise… J'ai été très heureux de te revoir.
- Et maintenant Ethan que comptes-tu faire ?
- Je vais essayer de me trouver une petite ville assez sympathique où je pourrais passer quelques jours sans avoir de problème. Un jour, peut-être, j'espère pouvoir trouver un vrai chez-moi… Mais ne t'inquiètes pas, je reviendrai, pour vous aider à trouver le petit.
- Tiens, prends cette enveloppe avec toi. Tu trouveras un téléphone portable à l'intérieur, avec mon numéro, de l'argent et une adresse, où tu y seras plus en sécurité. Là-bas, tu retrouveras notre père, ta sœur Emily, que tu n'as encore jamais rencontrée et ne sois pas trop surpris lorsque tu te trouveras en face de mon clone.
- Merci, Jarod. Mais toi, n'oublie pas tes retrouvailles avec ta mère. Dans quelques jours, si tout se passe bien, tu pourras enfin la serrer dans tes bras… Et je sais aujourd'hui, que si j'ai besoin de toi à nouveau, tu seras là pour moi.
- Attends ! Tu es obligé de partir tout de suite ? Je sais qu'après ce que tu viens de faire pour moi, je n'ai aucun droit de te demander quoi que ce soit mais j'ai une dernière faveur à solliciter de ta part…»
