Chapitre 11 : Le retour d'Ethan 2/3
Maison de Mlle Parker 431 Mountain Spring Drive, Blue Cove, Delaware, 01991
7 H 00 du matin. Le temps était humide sur une large partie de la ville. Le brouillard commençait à se dissiper, jusqu'à là, on voyait à peine clair et il était encore difficile d'apercevoir quoi que ce soit. Un véhicule noir s'était garé dans l'allée. La fenêtre du côté passager venait de s'ouvrir sur la vue donnant sur la sublime demeure de la jeune femme. Aucun bruit. C'était le silence absolu. Le paysage perdu dans la brume rendait le décor mystique. Ethan parcourut du regard la rue à l'afflux du moindre danger, mais sans succès.
« Tu crois qu'elle est là ?
- À cette heure-ci, oui, sauf si elle a décidé de passer la nuit au Centre. En-tout-cas, je te remercie d'avoir accepté. »
Revenir ici, c'était tout comme se jeter dans la gueule du loup. Le danger était omniprésent, peu importe l'endroit où Ethan irait, où il se cacherait, rien ne pourrait garantir sa sécurité. Les deux frères avaient passé une bonne partie de la nuit sur la route faisant le trajet du New Jersey jusqu'à Blue Cove. Cela leur avait permis de renforcer leur complicité et d'établir un vrai lien fraternel.
Ethan se remémorait sa conversation de la veille avec Jarod.
Flashback
« Attends ! Je sais qu'après ce que tu viens de faire pour moi, je n'ai aucun droit de te demander quoi que ce soit mais j'ai une dernière faveur à solliciter de ta part…
- Je t'écoute grand frère. Quelle est cette faveur ?
- Je veux que tu viennes avec moi jusqu'à Blue Cove.
- Mais enfin, Jarod, sais-tu ce que tu me demandes de faire ? Tu sais que si le Centre découvre que je suis revenu là-bas, ils feront tout pour me récupérer.
- ils n'en sauront rien. Fais-moi confiance. Et puis je ne les laisserais pas faire. Mais il y a une personne là-bas qui désespère de ne pas te voir, de ne pas avoir de tes nouvelles et à qui tu manques terriblement. C'est ta sœur, ne lui tourne pas le dos, Ethan.
- D'accord... Mettons-nous en route, alors ! »
Ethan sortit du véhicule, claquant la portière derrière lui. Les pas hésitants, il se dirigea tout droit vers la maisonnée de la Miss, redoutant leur rencontre. Il ne savait pas comment elle allait réagir. Ethan se retourna vers Jarod, qui sortit de la voiture, s'était assis sur le capot, lui faisant un hochement de la tête comme pour l'inciter à aller jusqu'au bout de sa décision.
Retenant son souffle, le jeune homme appuya sur la sonnette. De l'autre côté, Mlle Parker s'apprêtait à ouvrir la porte…
Les yeux et la bouche grands ouverts, les sourcils relevés, elle était stupéfaite de le revoir, là sur le pas de sa porte, figée et sans voix. Soudain, Ethan la prit dans ses bras. Et au loin, elle aperçut, malgré le léger brouillard, son caméléon qui l'observait. Elle souriait intérieurement. Reculant pour céder le passage au jeune homme, elle lança en direction de Jarod un long regard, son simple regard qui pouvait transmettre autant d'intention que d'émotion, sans même en dire un seul mot, pensant qu'il viendrait jusqu'à elle. Mais il n'en était rien.
« Ethan ! Quelle surprise de te revoir !
- J'espère que c'est une bonne surprise.
- Très bonne, oui. Entre !
- J'espère que je ne te dérange pas ?
- Ne dis pas n'importe quoi ! Tu es toujours le bienvenu ici.
- Jarod préfère rester à l'extérieur pour faire le gué. Mais il m'a donné quelque chose pour toi. »
Il lui remit une petite carte sur laquelle était inscrite deux mots « Pardonne-moi. »
À ce moment-là, elle n'avait qu'une envie, c'était d'aller le rejoindre, de se précipiter dans ses bras, de l'embrasser. Non, c'était trop tard. Elle referma la porte…
« Je suis heureuse de te voir. Justement, je pensais à toi.
- Comme tu peux le voir, je vais bien. Tu ne devrais pas t'inquiéter autant pour moi.
- Je suis ta grande sœur, c'est mon rôle de m'inquiéter.
- Tu partais au Centre ?
- Aujourd'hui, ils se passeront de moi. On n'a pas souvent l'occasion de se voir, alors le Centre peut attendre. »
Mlle Parker lui proposa de prendre le petit-déjeuner avec elle, il accepta volontiers. Elle aurait tellement désiré avoir la présence de Jarod à ses côtés, ensemble tous les trois comme une vraie famille. Mais leur altercation l'avait refroidie. N'était-ce pas elle qui l'avait mis à la porte de sa maison ? Elle ne pouvait pas aller à l'encontre de ses dires ou de ses actes. Sa fierté la perdra ! Assise à la table, autour d'une bonne tasse de café, la Miss interrogea Ethan sur les mois qui ont suivi l'explosion du métro. Se voulant être rassurant envers sa sœur, il lui fit grâce des détails. Elle n'insista pas. Le seul fait qu'il soit là, sain et sauf suffisait amplement.
« Je suis désolé d'être parti sans t'avoir dit au revoir. Mais ici, je n'étais plus en sécurité.
- Comment ça ?
- Hé, bien, tu sais, Raines ou plutôt ses hommes devrais-je dire, sont toujours à mes trousses ! Ils me poursuivent et me traquent sans relâche. Même si j'arrive à les semer, il est difficile voire impossible d'avoir un seul moment de répit. Comme j'aimerais que tout s'arrête, ne serait-ce que quelques minutes. Sans compter que je ne suis en sécurité nulle part.
- Ethan, tu es ici chez toi, tu es en sécurité dans cette maison et tu le seras toujours.
- Merci.
- Tu sais, c'était celle de notre mère, et ici, je me sens en sécurité, je ressens sa présence tout autour de moi, je sais qu'elle veille sur moi et qu'elle me protège.
- C'est vrai, j'ai cette impression qu'elle est là, je ressens son amour.
- Mais dis-moi, je pensais que désormais, seul Jarod comptait.
- Il est vrai que par rapport à Jarod, je ne suis qu'un second choix, mais tout de même.
- Non, Ethan. Ce n'est pas ce que je voulais dire. Étant donné que le projet de Raines avait échoué, je pensais qu'il aurait abandonné ses poursuites contre toi. Je vais m'occuper de cette affaire.
- Non ! Je ne veux pas que tu prennes le moindre risque pour moi.
- Ethan, tu es mon frère, je prendrais tous les risques pour toi.
- Parker, je peux te poser une question ?
- Quoi ?
- Pourquoi tu ne quittes pas le Centre ? Après tout le mal qu'ils nous ont fait, à toi, à Jarod, à moi… À notre mère. Comment peux-tu encore rester là-bas ?
- Un jour, peut-être, tu comprendras… »
Mlle Parker ne savait pas quoi lui répondre. Elle avait déjà envisagé à mainte reprise de quitter le Centre, mais jamais elle n'avait eu le courage ou encore la possibilité de le faire réellement. Si ! Une fois, elle avait eu cette chance. Une chance de repartir à zéro, de tout recommencer et cela avait coûté la vie du jeune charpentier. Thomas, qui lui avait demandé de le suivre jusque dans l'Oregon, après mûre réflexion, elle avait décidé de le rejoindre là-bas et de refaire sa vie, mais les circonstances en avaient décidés autrement. Le pauvre malheureux est mort assassiné d'une balle dans la tête, infligeant une peine immense dont il était difficile pour la jeune femme de se relever et d'oublier. Se levant de sa chaise, la Miss épiait Jarod par la fenêtre resté seul dans sa voiture. Non, elle ne referait pas deux fois la même erreur !
Ethan s'approcha de la jeune femme, derrière elle, il lui murmura :
« Pourquoi tu ne vas pas le voir, Parker ?
- Hein ? Quoi ? Qui ? demanda-t-elle en sursautant.
- Jarod. Tu n'arrêtes pas de le regarder depuis mon arrivée. Alors pourquoi tu ne vas pas le voir ?
- C'est compliqué.
- C'est ce que m'a dit Jarod. Mais tu devrais lui proposer de venir se joindre à nous. Il est seul, il doit se sentir exclu. Et puis c'est la première fois depuis l'explosion que je peux vous voir tous les deux réunis.
- Ethan, je sais que ça compte beaucoup pour toi d'avoir ton frère et ta sœur ensembles, à tes côtés, mais je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée. Je ne suis même pas sûre que Jarod veuille me voir après ce qu'il s'est passé entre nous.
- Je ne sais pas ce qu'il s'est passé entre vous, mais si tu veux revoir un jour, ton petit frère, il va falloir que tu apprennes à pardonner.
- Comment es-tu au courant pour le petit ?
- Les voix. N'entends-tu pas la voix de notre mère ?
- Et que sais-tu exactement ?
- Comme j'ai dit à Jarod, je n'ai aucune information concrète à te donner… Pour l'instant. Mais je crois ou plutôt je sens que ce bébé à quelque chose de très particulier, qu'il est exceptionnel, j'ignore encore en quoi mais je sais qu'il est très important que tu le retrouves. Et le moment venu, je serai là pour t'aider à le chercher, à le reprendre et à le ramener. Toi et Jarod, vous m'aviez appris une chose. C'est que tous les trois, on forme une famille qu'on le veuille ou non. On ne doit pas laisser le Centre, nous détruire une seconde fois… Et toi, Parker, que te dit ton instinct ?
- J'ai l'intuition que quelque chose va se produire, mais je n'en sais pas plus. Je ne ressens rien, c'est comme si mon sixième sens était en veille.
- Tu sais, j'ai mis du temps pour apprivoiser et écouter sa voix. Tu peux le faire toi aussi, apprends à te faire confiance et laisse-la venir jusqu'à toi. Laisse-la te guider.
- Eh bien, je n'ai ni cette capacité ni cette patience dont tu sembles faire preuve. Pour l'instant, ça marche un peu comme ça veut. Et ce que je vois ou ce que j'entends ne me plaît pas forcément.
- Et alors tu préfères les ignorer ? Les passer sous silence, faire comme si elles n'existaient pas ? Crois-moi, j'ai essayé, ça ne marche pas.
- Que dois-je faire ?
- Tu parles de Jarod ou de ton sixième sens ?
- Les deux !
- Allons chercher la réponse. Ensemble. »
Prenant sa sœur par le bras, il l'entraîna vers le salon. Il lui proposa de l'aider à maîtriser son sixième sens. Elle s'était assis sur le canapé, Ethan, lui sur le fauteuil, en face d'elle, il serait là pour l'accompagner à écouter les voix. Installés, au calme, la posture droite, les yeux clos, le menton légèrement incliné vers la poitrine, les épaules relâchées vers l'arrière, les mains posées sur leurs cuisses, l'air bien détendu, ils pouvaient à présent respirer librement.
« On va démarrer en douceur, tu vas commencer par te détendre, Parker, tu es prête ?
- Je suis prête, allons-y !
- Alors, tu as fermé les yeux ? Tu vas respirer sans effort, inspirer, souffler… On va d'abord commencer par se recentrer, et calmer notre esprit… Fais le vide, laisse partir les pensées qui parasitent ton esprit… Laisse-le s'ouvrir vers d'autres horizons…
-…
- N'oublie pas de toujours respirer, c'est très important. Et il est essentiel que tu mettes ton mental et ton ego de côté. Ouvre ton esprit. Puise à l'intérieur de toi si tu veux pouvoir tourner ta conscience vers ton être intérieur.
Ils commençaient à méditer, respirant profondément, régulièrement, relâchant leur tension musculaire, laissant ainsi échapper doucement et calmement leurs pensées pour se reconnecter à leurs corps et à leurs sens. Après avoir fait ce voyage intérieur, étendant cette perception à travers toutes les régions de leur corps, ils se laissaient aller à ressentir des réactions, des émotions, faisant ainsi un point sur leurs sentiments, et leurs ressentis.
- Tu les entends Mlle Parker ces petits signaux très faibles ? C'est comme les visions que tu as, tu dois y prêter attention et apprendre à les repérer. Tous ces signaux intérieurs sont une source d'information intuitive, tu ne dois pas chercher à les expliquer ou à les analyser. Tu dois juste les accepter et ne pas les ignorer. Imagine-les, flotter comme des nuages dans le ciel, laisse-les venir jusqu'à toi…
-…
- Est-ce que tu sens cette vague de chaleur monter en toi ?
- Oui. Je t'avoue que cette sensation est très agréable.
- Alors c'est le moment d'écouter notre mère, concentre-toi uniquement sur sa voix… Que te dit-elle, Parker ?
- De faire confiance à mon intuition et de… »
Elle s'arrêta. Petit à petit, elle ouvrit les yeux pour sortir tout doucement de l'état de pleine conscience qu'elle avait intégrée, reprenant ses esprits quelques minutes puis s'étira les bras tout en inspirant. Ethan fit de même. Elle avait cette sensation d'éveil profonde, de bien-être, de calme, et de paix intérieure. Il s'avança vers la jeune femme, tout sourire, il lui prit les deux mains.
« C'est un exercice que tu dois faire quotidiennement, assidûment et progressivement, si tu veux arriver à développer ton don, si tu veux avoir une plus grande connexion et une meilleure connaissance de toi-même. Tu dois entraîner ton sixième sens, le cultiver. Je sais que tu vois et que tu entends des choses qui ne sont pas joyeuses, qui t'effraie et qui ne te plaisent pas nécessairement, mais il faut que tu essayes de rester connecté à ta joie sinon tu risques de te refermer à ton intuition.
- Merci, Ethan, ça m'aide beaucoup ce que tu me dis. »
Elle se releva, lâchant les mains du jeune homme. Elle sortit de chez elle, se dirigeant tout droit vers la voiture. D'un geste vif, elle ouvrit la portière, prenant place sur le siège côté passager. Jarod, la tête sur le volant, sursauta, il fut étonné de la voir là. Est-ce qu'Ethan lui avait remis son mot ? Est-ce que cela voulait dire qu'elle lui pardonnait ? Il n'osait rien dire. Elle avait retrouvé son assurance et ça le perturbait, elle le perturbait, à un tel point qu'il en détourna le regard…
