Chapitre 16 : Les lettres deuxième partie
Maison de Mlle Parker 431 Mountain Spring Drive, Blue Cove, Delaware, 01991
Après avoir lu et relu la lettre de M. Parker, la jeune femme essayait désespérément de trouver des réponses à ces questions, en vain. Pourquoi avait-il fallu qu'elle aille déterrer ses sombres secrets ? Pourquoi avait-il fallu qu'il se confesse dans une lettre ? Jamais elle n'aurait cru son père capable d'autant de bassesses. Cependant, la Miss devait reconnaître que pour une fois M. Parker avait fait preuve d'honnêteté. Il avait avoué avoir joué un rôle important dans le meurtre de Thomas. Désormais, elle connaissait la vérité et bien qu'elle l'aimait son paternel, elle ne pouvait se résoudre à pardonner à son père sa trahison, son acte aussi méprisable que cruel. Elle aurait souhaité à cet instant précis, l'avoir là, devant elle, affrontant son regard, qu'il puisse s'expliquer, s'excuser. Mais c'était trop tard, il avait préféré faire le grand plongeon. Il avait été lâche encore une fois. Et cette vérité était trop douloureuse à accepter.
Mais malgré tout, une chose dont elle était sûre, c'était de sa motivation à retrouver le petit Parker, ce bébé, cet enfant qui n'était pas son frère, qui se retrouvait du jour au lendemain sans famille… En avait-il eu une, un jour ? Où avait-il été créé ? Est-ce encore un clone du caméléon ? Quoiqu'il en soit, elle était déterminée à le ramener auprès d'elle, quoiqu'il lui en coûtait. Et dès demain à la première heure, elle se rendrait au Centre, il fallait qu'elle trouve ce fameux dossier, et découvrir en quoi consistait le projet Genius… Genius ? Comme le petit Génie ? Comme Prodige ? Comme Caméléon ? Oui, car il s'agissait bien de cela, ce petit être était un caméléon ! La Miss en avait la certitude, maintenant. Et il fallait qu'elle tente tout, pour le sortir des griffes du Centre. Cependant, elle savait qu'elle ne pourrait le faire toute seule, et pour le sauver, Mlle Parker aura besoin de l'aide de la seule personne qui serait en mesure de la lui apporter : Jarod !
La jeune femme était beaucoup trop énervée pour dormir, elle n'arrivait pas à trouver le sommeil. Alors elle décida de poursuivre la lecture des lettres. Mais cette fois-ci, c'étaient celles de Jarod, il y en avait toute une flopée, assez pour en faire un roman. Toutes datées de l'époque où elle n'était encore qu'une jeune adolescente, puis une jeune femme… Cette période où son paternel l'avait envoyé étudier autour du monde, notamment en Europe, là où elle avait dû quitter Blue Cove pour un pensionnat, l'éloignant ainsi du Centre et de son ami d'enfance. Elle en prit une au hasard, et à l'ouverture de la lettre, elle sentit son cœur battre si vite qu'elle crut qu'il allait exploser, elle commença la lecture.
« Chère Mademoiselle Parker,
Depuis ton départ pour l'Europe, je n'ai eu que très peu de nouvelles de ta part. J'espère que tu vas bien et que tout va pour le mieux pour toi, dans ce pensionnat. Je n'arrive pas à croire que ça fait déjà plusieurs semaines que tu as quitté Blue Cove. Comme ces journées me paraissent longues sans toi. Tu dois être très occupée pour ne pas avoir le temps, de répondre à mes nombreuses lettres. Ce n'est pas un reproche, c'est que parfois, j'ai du mal à supporter ton absence. Je veux tout savoir de la vie que tu mènes là-bas. Que fais-tu ? Qu'apprends-tu ? Tu t'y plais ? Comment est-ce ? Tu as des amis ? Je me rappelle, qu'un jour, on avait parlé, de faire ce voyage en Europe, toi et moi, c'était un très joli rêve. Et pourtant, j'espère encore qu'un jour, tous les deux, nous pourrons partir ensemble. J'imagine Paris, nous tendant les bras. Mlle Parker, te rappelles-tu de ce cadeau que tu m'avais offert avant ton départ pour l'Europe ? Ce très joli livre. Eh bien, j'ai pris énormément de plaisir à le regarder, à le lire. Je ne connaissais pas Paris et grâce à toi, j'en apprends beaucoup sur cette merveilleuse ville. Savais-tu qu'on l'a surnommait "la ville lumière" ou encore " la ville de l'amour ?" Je ne comprends pas trop ces expressions. D'après toi, Mlle Parker, qu'est-ce que ça veut dire ? Comme tu sais, je fais preuve de beaucoup de curiosité, j'ai donc demandé à Sydney de me les expliquer, mais il refuse. Il pense que je m'éparpille, que je me laisse distraire par ces rêves qui envahissent mon esprit et qui m'empêchent de me concentrer sur mes simulations, je ne veux pas le décevoir. Sans doute, a-t-il raison ! Toutefois, je suis heureux que tu puisses en profiter, de ton côté. Ici, comme tu peux t'en douter, rien n'a vraiment changé, ce sont toujours les mêmes couloirs, la même chambre, la même nourriture, les mêmes règles, les mêmes ordres, seules les simulations changent. Seulement, je me sens solitaire… Mon amie me manque terriblement, et ne plus te voir, devient presque une torture. Je ne sais plus à qui confier mes doutes, mes craintes ou bien encore mes peurs. Je sais ce que tu vas dire, il y a Sydney. Tu as raison, mais ce n'est pas la même chose. Je suppose que toi, tu as dû te faire beaucoup d'amis. C'est normal, tu es si merveilleuse. Tu as dû m'oublier ou si tu ne l'as pas encore fait, tu le feras très vite. Je sais qu'avec le temps, tu finiras par m'oublier, peut-être pas tout de suite, mais un jour, je ne serai plus qu'un lointain souvenir pour toi. Mais j'espère encore recevoir de tes nouvelles, j'en suis impatient. J'espère aussi que mon amie reviendra très bientôt au Centre, j'aimerais entendre le son de ta voix, j'aimerais te voir. Je veux que tu saches que j'aime notre amitié, car elle est sincère et forte, et même si on ne se voit plus autant qu'avant, c'est toujours à toi que je pense. Tu es ma meilleure amie, je veux tout partager avec toi, tes joies comme tes peines. Je serai là pour toi ou que tu sois, ne l'oublie jamais. Affectueusement, ton ami, Jarod. »
Jusqu'à-là, la jeune femme, était restée silencieuse, immobile, et passive. Mais alors qu'elle tremblait de la tête aux pieds, des larmes venaient lentement rouler sur ses joues, elle se rendit compte qu'elle avait cru, une fois de plus, ce que son père lui disait alors qu'à mainte reprise, elle demandait des nouvelles du caméléon, et sous le coup de l'émotion, son estomac devenait tendu. Jarod, son ami d'enfance, ne l'avait jamais oublié, lui qui avait toujours pensé à elle, tout comme elle, qui n'avait jamais cessé de penser à lui. Mlle Parker ne put s'empêcher d'éprouver des regrets. Elle prit une autre lettre.
« Chère Mademoiselle Parker,
Cela fait quelques mois maintenant que je n'ai plus de tes nouvelles. Mes lettres sont restées sans réponse. Quotidiennement, j'essaye désespérément d'obtenir de Sydney chaque petite information de toi… Je cherche, je mendie, je reste à l'écoute de la moindre petite rumeur te concernant. Mais à chaque fois, je me heurte à un mur de mensonges. J'ai cette impression désagréable que tu m'as effacé de ta mémoire. Je ne t'en veux pas. Chaque jour qui passe, je me demande ce que tu fais, si tu vas bien, si tu es heureuse, si tu as de nouveaux amis, si tu penses encore un peu à moi. Je me souviens de la dernière fois que l'on s'est vu. Je me souviens de la robe que tu portais, de la coiffure qui révélait ton visage, ton sourire si ravageur, la vivacité de ton esprit, la malice qui emplissait ton regard… J'ai peur que la dernière image que j'ai de toi ne finisse par disparaître… J'essaye de la mémoriser autant que je peux, mais je sais qu'avec le temps, elle finira par s'effacer tout comme celle de ma mère… Et je ne veux pas que ça arrive ! J'ai l'impression de ne plus faire partie de ton monde. Mais je veux que tu saches que je suis heureux de ce que l'on a partagé, les bons comme les mauvais moments, les épreuves, les fous rires et les discussions sans fin. Si tu savais à quel point ton amitié, est si précieuse et indispensable pour moi, j'espère pouvoir la garder toute ma vie. Et toi, Mlle Parker ? J'espère que tu sais que tu peux également compter sur moi, que je serais toujours là pour toi, pour te soutenir, discuter avec toi et te consoler si tu as du chagrin. Ne l'oublie jamais. Affectueusement, ton ami, Jarod. »
La jeune femme avait le regard noir, sa mâchoire se contractait, bouleversée, elle était prise de bouffées de chaleur et d'une sensation que sa respiration devenait plus courte. Et dans un mutisme total, la Miss poursuivit la lecture avec une autre lettre. La rage qu'elle essayait de dompter et d'enfouir au plus profond d'elle-même surgissait peu à peu.
« Chère Mademoiselle Parker,
J'ai appris, par Sydney, que tu avais réussi ton diplôme universitaire. Je savais que tu y arriverais, comme je suis si fier de toi et comme j'aurais aimé être présent pour toi le jour où tu tiendras ton diplôme entre tes mains. Désormais, de nouvelles possibilités s'ouvrent à toi et j'ai hâte de découvrir ce que l'avenir te réserve ! Dis-moi, Mlle Parker, as-tu des projets d'avenir ? Sais-tu si tu vas revenir au Centre ? Comme le temps a passé. Te voilà, maintenant, une jeune femme ! Je me demande comment tu es devenu et souvent, quand je ferme les yeux, je m'imagine ton visage. Comme tu as dû changer. Te souviens-tu de notre première rencontre ? Nous n'étions alors encore que des enfants. Aujourd'hui, nos vies ont pris des tournures différentes. Moi, je resterai là, et je continuerai à rêver de liberté, d'évasion, de la vie, de mes parents et de toi. Alors que toi, tu continueras ta vie de ton côté, tu vas parcourir le monde, peut-être même que tu rencontreras de nouvelles personnes, de nouveaux amis. J'espère qu'ils sauront t'apprécier à ta juste valeur, parce qu'à mes yeux, il ne fait aucun doute que tu es une personne tout à fait exceptionnelle. Je ne sais pas pourquoi, mais à part Sydney, tu restes la personne dont je me sens le plus proche et à qui je peux tout dire… Depuis quelque temps, je ressens des choses à ton égard, et ce, malgré la distance qui nous sépare. J'ai développé un sentiment que je n'arrive pas à décrire ou même à comprendre, si seulement tu étais là, tu aurais su quoi me répondre. Sydney pense que je n'arrive pas à me détacher de toi et que je refuse le fait que tu ais préféré mettre fin à notre amitié. Je croyais qu'elle durerait et traverserait toutes les épreuves du temps. Dis-moi, Mlle Parker, a-t-il raison ? Ne suis-je plus ton ami ? Parce que pour moi, tu resteras toujours la meilleure amie que je puisse avoir et malgré tout, je garderai ce lien si fort qu'il y a entre nous, oui cette petite étincelle si particulière que nous ne ressentons qu'en présence l'un de l'autre. Je te dis à très bientôt, dans l'espoir de te revoir un jour. Affectueusement, ton ami, Jarod. »
Au fur et à mesure qu'elle lisait les lettres, Mlle Parker sentait monter une furieuse colère, en elle. Sa respiration était saccadée, ses yeux étincelaient de fureur, ses mains se crispaient. Les poings serrés, elle se leva de son lit, faisant les cent pas dans la chambre, elle bouillonnait intérieurement. Lorsque soudain elle envoya valdinguer la boîte à travers la pièce, celle-ci vint s'écraser brutalement, bruyamment contre la porte close. Elle commençait à jeter avec une telle violence, tout ce qui lui passait sous la main, verre, bougies, téléphone, livre, même la chaise située au coin de la pièce n'en fit pas exception, hurlant comme une véritable furie. Elle devenait incontrôlable…
Après avoir exprimé ses sentiments refoulés et chassées toutes frustrations accumulées depuis bien trop longtemps. Mlle Parker avait entrepris de reprendre le contrôle d'elle-même et de la situation, mais le cœur serré, la gorge nouée, elle refoula d'abord ses larmes avant d'éclater en sanglots. Puis, elle respira profondément, soufflant lentement, retrouvant peu à peu son calme. Lovée sur son lit entourée des lettres, dont elle en humait chacune d'elles, absorbant ainsi leurs parfums évanescents, elle se laissa consumer par les nombreux souvenirs qu'elle partageait avec Jarod. Elle reposa sa tête sur l'oreiller. À cet instant précis, comme elle aurait aimé remonter le temps. Si elle pouvait, elle effacerait toutes ces dernières années de son existence, comme elle aurait aimé aussi avoir avoué ses sentiments, son amour à son petit génie ou bien encore partir avec lui. Toute sa vie, gâchée, par le seul fait qu'elle avait été dupée et manipulée. Elle ne pourrait jamais pardonner à son père de lui avoir volé ce droit au bonheur alors qu'elle était convaincue, depuis le décès de sa mère, de ne pas le mériter, s'interdisant, de ce fait, d'être heureuse. Une fois, la douleur anesthésiée, ses paupières se sont fermées, et avec le sourire aux lèvres, elle avait fini par trouver le sommeil…
