Chapitre 33 : Les ennuis du caméléon
Suite 88, Le Mark Hôtel, NY
« Parker… Je…»
Tout bascula en une fraction de seconde, tout allait si vite. Alors que pour la jeune femme, la scène qui se déroulait devant elle, durée une vie entière. Mlle Parker, dans les bras de Jarod, le sentait glisser lentement le long de son corps. La pièce semblait tourner autour d'elle-même alors qu'elle le laissa tomber sans pouvoir le retenir. Elle écarquilla les yeux d'horreur quand elle le vit gisant sur le sol, inerte. Elle se précipita vers lui, complètement démunie, ne sachant pas quoi faire, réalisant toutefois la gravité de la situation, elle réagissait au quart de tour. « Jarod ? Jarod ? Jarod ! Au secours ! Je vous en prie, aidez-moi, j'ai besoin d'aide ! » cria Mlle Parker complètement affolée. Le couloir était vide, il n'y avait personne !
Le visage de Jarod figé comme une statue de marbre, était pâle, ses traits étaient crispés, ses yeux, eux-mêmes, étaient fermés. Mlle Parker s'agenouilla auprès de son amant, son cœur se brisa en mille morceaux. De ses doigts, elle frôla doucement son front, l'implorant de revenir à lui. Des sanglots jaillissaient de ses yeux. Malgré cela, le jeune homme ne bougeait pas. Mlle Parker, anéantie, prit la main de Jarod, la serrant fortement contre elle, caressant tendrement ses cheveux. Comme si cela pouvait suffire à le réveiller. Non, malheureusement, le caméléon restait là, immobile comme un pantin désarticulé. Cette vision la terrifiait. Un frisson d'angoisse la traversa alors qu'elle se rendit compte que quelque chose n'allait pas du tout. Elle avait vu Jarod s'effondrer, et maintenant, elle était là, en train de le regarder sombrer. Des larmes brûlantes embuèrent ses iris, tandis qu'elle priait pour que Jarod ouvrit un œil, qu'il lui réponde, qu'il lui dise qu'il l'adorait. Elle inspira, essayant de reprendre le contrôle d'elle-même et de la situation, malgré la naissance du nœud dans sa gorge. Elle colla son oreille sur sa poitrine. Il respirait. Elle tenta de le soulever, mais le poids de Jarod était bien trop écrasant pour elle. Ses jambes fléchirent sous l'effort, son corps se mettant à trembler sous la pression. Elle se releva rapidement, cherchant désespérément un individu assez costaud qui pourrait lui porter secours. Elle frappa à toutes les portes, sans réponse. À cette heure-ci, ils devaient être sûrement en train de dîner ! Par le plus grand des hasards, un homme traîna dans le couloir de l'hôtel, prêt à rentrer dans sa suite. Mlle Parker se dirigea vers lui, perdue et suppliante. « Aidez-moi, s'il vous plaît ! Mon ami est malade, il faut l'emmener dans sa chambre. » L'inconnu hocha la tête, compréhensif, se rua vers Jarod et le souleva. Elle le guida jusqu'à la chambre.
Une fois à l'intérieur, Mlle Parker remercia l'homme et le pria poliment de quitter les lieux. Elle se tourna ensuite vers Jarod, qui était allongé sur le lit. Il était si différent de celui qu'elle connaissait habituellement. Elle était émue de voir à quel point il était si fragile et si vulnérable. Ses pensées étaient confuses et elle ne savait pas quoi faire. Elle avait peur de le laisser seul, de l'embrasser, de le toucher, ou même encore de l'aimer. S'asseyant auprès de lui, elle prit sa main dans la sienne qu'elle effleura tendrement avec son pouce, espérant lui transmettre un peu de réconfort à travers ce simple geste, lui chuchotant doucement son nom. « Jarod... Je suis là. Tu n'es pas tout seul. » Les paupières du jeune homme bougèrent faiblement conscient de sa présence. Mlle Parker souriante, encouragea un signe de réponse de sa part. Après quelques longues minutes, il entrouvrit les yeux, son regard abattu croisait celui de la Miss.
« Parker... Qu'est-ce que je fais ici ?
- Tu t'es effondré dans le couloir de l'hôtel. Tu sembles traverser une petite crise, Jarod. Je t'ai ramené ici pour que tu puisses te reposer et récupérer.
Jarod essaya de se redresser, mais son corps très affaiblie le trahissait, l'obligeant à retomber sur le matelas. Mlle Parker posa une main sur son épaule, l'incita à se détendre.
- Repose-toi, Jarod. Tu as besoin de reprendre des forces. Je suis là, si tu as besoin de quoi que ce soit.
- Tu joues les infirmières maintenant ? Où est passée ta tenue ?
- Je vois que tu as gardé ton sens de l'humour. C'est excellent ! »
Ses paroles eurent un effet tranquillisant sur Jarod, qui finalement céda à la fatigue qui le minait. Entouré de la personne qui comprenait, ne serait-ce qu'un peu, les tourments qu'il traversait, s'assoupit. Mlle Parker resta près de lui, veillant sur son sommeil agité. Dans les heures qui suivirent, elle resta attentive à ses envies. Elle lui apporta un peu d'eau fraîche et s'assura qu'il était confortablement bien installé. Jarod avait trouver un réel soutien dans la compagnie de la jeune femme. Alors qu'elle l'observait, la Miss réalisa qu'elle avait besoin de lui autant qu'il avait besoin d'elle. En pleine nuit, Jarod ouvrit les yeux, encore ensommeillé, et fut surpris de découvrir Mlle Parker endormie à ses côtés, sa tête reposant sur son torse. Un sourire se dessina sur ses lèvres, touché par cette proximité si attendue. Il ne voulait pas la réveiller, alors il resta immobile profitant de cette quiétude. La pièce était plongée dans l'obscurité. La lune brillait dans le ciel nocturne, parsemé d'étoiles brillantes symbolisant les multiples possibilités qui s'offraient à lui. Oui, comme un phare céleste, éclairant les ténèbres de la nuit, apportant une lueur d'espoir dans la vie du caméléon. Seuls les rayons argentés filtraient à travers les rideaux, produisant des jeux d'ombres dansant sur les murs. Alors qu'il admirait la jeune femme presque sereine, il ne pouvait s'empêcher de se réjouir d'être à ses côtés. Réveillée, elle releva la tête vers lui.
« Oh, je… Je suis désolée, Jarod, je me suis endormie.
- Tu en avais besoin. Ça fait des heures que tu veilles sur moi.
- Comment tu vas ?
- À part ses fichues migraines, je crois que ça va, il attrapa le verre qui était sur la petite table d'appoint et bu quelques gorgées avant de le reposer.
- Depuis quand tu as ces migraines ?
- Je ne sais plus trop, depuis quelques jours.
- Qu'est-ce qui t'es arrivé ?
- Je n'ai pas envie d'en parler.
- Je croyais qu'on n'avait aucun secret l'un pour l'autre.
- Je n'ai aucun secret pour toi, il repoussa une mèche de ses cheveux.
- Alors parle-moi. Je comprends que ce ne soit pas facile, Jarod. Mais garder tout ça pour toi ne fera qu'accentuer ta douleur. Je suis là pour toi, prête à t'écouter.
- Je n'ai pas envie d'en parler. N'insiste pas ! Ne sois pas fâchée, je t'en prie, Parker.
- Non, je ne suis pas fâchée.
- Mais tu es déçu, je le vois bien.
- Écoute-moi, je ne suis ni fâchée ni déçue. Si tu ne te sens pas prêt à m'en parler, Jarod, j'attendrais que tu le sois, elle caressa amoureusement sa joue.
- Ah ! D'habitude, tu te montres beaucoup moins indulgente.
- C'est vrai. C'est Sydney qui m'a suggéré de faire preuve d'un peu plus de patience avec toi. J'essaye de l'écouter.
- Sydney est un homme plein de sagesse et il est souvent de très bons conseils.
- Si tu me promets que tu vas bien, je me ferai à l'idée que tu veuilles tout garder pour toi… Pour l'instant.
- Je vais bien, Parker, je te le promets. » il l'embrassa, seulement son baiser avait le goût d'un triste mensonge.
Le lendemain matin, le doux éclat du jour pénétrait timidement à travers les fenêtres de la chambre d'hôtel, où Mlle Parker s'était enfin abandonnée à un sommeil profond. Pendant ce temps, Jarod qui émergea, paraissait être en pleine forme malgré les déceptions auxquelles il avait dû faire face, ces temps-ci. D'un pas hésitant, il se leva et se dirigea vers la cuisine. L'odeur enivrante du café fraîchement moulu emplissait ses narines. Avec soin, Jarod prépara une tasse, laissant l'arôme du café éveiller ses sens engourdis. Il savoura chaque petite gorgée, laissant la chaleur de la boisson se répandre en lui, le revigorant pour affronter la journée à venir. Après avoir pris quelques minutes pour lui-même, Jarod s'approcha de la baie vitrée, la vue donnait sur la scène urbaine constamment en mouvement. La mégapole déployait son horizon infini devant lui, un vent frais et léger commençait à se lever. Chaque gratte-ciel, chaque rue, chaque existence abritaient une multitude d'histoires fascinantes. Jarod contemplait ce magnifique spectacle, alors que les contrariétés qui l'avaient assailli tantôt disparaissaient momentanément. Il se tourna vers Mlle Parker qui se tenait à quelques pas de lui. Les bras croisés, le dos appuyé contre le mur, muette, elle le regardait. Un sourire sincère illumina le joli minois de Jarod, faisant ressortir ses traits tirés et ses yeux bouffis. C'était un de ces rares moments de répit, une brève échappée de cette vie chaotique dont ils étaient les prisonniers. Elle s'apprêtait à dire quelque chose lorsqu'il l'interrompit par un baiser.
« Laissons de côté les soucis, tu veux bien ?
- Tu as des soucis, Jarod ? Je peux peut-être t'aider.
- Je n'ai aucun souci, peut-être à part celui de ne pas avoir eu de câlins. On pourrait rattraper le temps perdu. Là, tout de suite ! Enfin, ce serait une bonne manière de m'aider et de bien commencer la journée.
- Oh, il y a des choses qui ne changent pas.
- C'est la seule chose qui ne changera jamais.
- Comment vas-tu ce matin ? demanda-t-elle d'une toute petite voix.
- Je t'ai déjà dit, cette nuit que j'allais bien ! avait-il dit en élevant la voix. Elle eut un sursaut, il reprit calmement. Je suis désolé. Je n'aurai pas dû crier, mais je me sens mieux, Parker, tu n'as pas à t'en faire. Pardonne-moi, il la dévora de baisers. Il se montra de plus en plus insistant.
- Jarod, arrête… Tu n'es pas dans ton état normal. Tu… Tu devrais… Oh, bon sang… Jarod… Stop ! les doigts sur son torse, elle le repoussa doucement.
- Tu n'en as pas envie ?
- La question n'est pas là, tu le sais, Jarod. Regarde-toi ! Tu ne vas pas mieux.
- Tu as peur de moi, Parker ?
- Non. Je n'ai pas peur de toi, Jarod. J'ai peur pour toi. La situation m'effraie. Parce que je sens que je ne peux pas t'aider et ça me terrorise.
- Vraiment ? C'est pour ça que tu es venu jusqu'ici pour m'aider ? Où avais-tu autre chose en tête ? elle était toujours plaquée contre le mur alors qu'il lui maintenait les poignets fermement au-dessus d'elle. Toi aussi, Parker, toi aussi tu me rejette ?
- Jarod, non, je ne te rejette pas. Je m'inquiète.
- Tu n'as pas à t'inquiéter. Tout va bien, il lâcha les poignets de la jeune femme laissant retomber ses bras tout le long de son corps, lui prenant la main. Viens avec moi.
- Où m'emmènes-tu ?
- Dans la chambre !
- Non. Je crois qu'il vaut mieux que j'appelle Sydney. Il saura quoi faire. Il saura t'aider.
- Non ! Je n'ai pas besoin de Sydney !
- Jarod, il va falloir que tu acceptes son aide parce que moi, je refuse de continuer à te voir ainsi.
Mlle Parker glissa la main dans la poche de son peignoir de bain, saisissant son téléphone portable. Elle s'apprêtait à appeler Sydney pour obtenir de l'assistance de sa part. Cependant, avant même qu'elle puisse composer le numéro, dans un moment de rage, d'un geste violent, il lui arracha brusquement le téléphone des mains, le projetant à travers la pièce dans un mouvement fulgurant. Le portable fendit l'air avant de s'écraser avec fracas contre le mur, éclatant en plusieurs fragments. Le bruit du choc résonna dans la pièce. Mlle Parker resta clouée sur place, les yeux grands ouverts de stupéfaction et d'incompréhension face à la soudaineté de l'acte de Jarod. Les éclats de verre de l'écran jonchaient le sol, témoins de l'agressivité du caméléon. Elle le fixa, cherchant à comprendre ce qui avait pu déclencher une telle réaction en lui.
- Qu'est-ce que tu as fait ? Pourquoi ?
- Je… Je…
- Je ne savais pas que tu gardais une telle colère en toi.
- Non... Je... Je ne voulais pas...
- Ce n'est rien Jarod, ce n'est qu'un téléphone, elle s'avança vers lui.
- Je… Je ne sais pas… Ce qu'il m'a pris, articula-t-il difficilement. Il recula.
- Jarod... Il va falloir trouver un moyen de surmonter tout cela. Et je ne vois pas d'autres solutions que d'appeler Sydney.
Il resta figé sur place. Les mots se bloquèrent dans la gorge du caméléon. Il était confus et pleins remords, réalisant la gravité de ses actions. Un silence oppressant s'installa entre eux.
- Tu vas bien ?
- Je suis désolé, Parker. Je ne voulais pas... Je ne voulais pas faire ça... Il faut que je sorte d'ici, j'étouffe ! Jarod releva les yeux vers Mlle Parker, la détresse se lisant dans son regard.
- Où vas-tu ?
- Aussi loin que je puisse aller.
- Jarod, je sais que tu traverses une période difficile, mais prendre la fuite ne va pas t'aider à aller mieux.
- Parker, s'il te plaît, laisse-moi tranquille ! J'ai besoin d'être seul. »
À peine avait-il terminé sa phrase, que Jarod chancela subitement, avant qu'il puisse dire où faire quoi que ce soit, il s'écroula au beau milieu du salon. Soudainement, il fut secoué par des contractions musculaires. Ses membres s'agitaient involontairement, de manière saccadée et symétrique, ses yeux se révulsaient, il était de nouveau inconscient. Mlle Parker accourut vers lui en criant son nom. Se mettant à genoux, elle tenta de le ranimer. « Jarod ! Jarod, réponds-moi ! » Cette fois-ci, il ne répondait pas. Mlle Parker, indécise et réticente à l'idée d'appeler les secours qui mettrait le caméléon en fâcheuses postures, s'activa à la recherche d'une autre solution. Elle devait l'aider, mais comment ? Parant au plus pressé, elle attrapa le combiné, tapotant sur les touches du téléphone, priant pour que le psychiatre décroche au plus vite.
À New-York, même. Sydney était assis dans sa voiture, surveillant anxieusement dans son rétroviseur les alentours alors qu'il attendait des nouvelles de la jeune femme. L'état de santé de son petit protégé le préoccupait au plus au point. La relation entre Sydney et Jarod avait toujours été très compliquée. Depuis leur première rencontre, le psychiatre était devenu le mentor du caméléon, son guide, mais plus encore une figure paternelle pour Jarod, comblant ainsi le vide laissé par l'absence de ses véritables parents. Un rôle qui lui avait été imposé, mais qu'il n'avait jamais regretté ne serait-ce qu'une seule seconde. il l'aimait comme son fils. Une affection et une amitié authentiques s'étaient développées entre eux, partageant des instants de complicité, de rire, de chagrin et de réflexion profonde. Il n'était pas seulement un conseiller et un professeur pour Jarod, mais aussi un confident et un ami fidèle. Il était l'une des rares personnes en dehors de Mlle Parker, en qui Jarod avait pleinement confiance et avec qui il pouvait être lui-même, sans artifice ni masque. Et ne pas être à ses côtés pour le soutenir dans cette période sombre de sa vie était bien trop douloureux pour lui. Sydney avait consacré de nombreuses années de son existence au développement du projet caméléon croyant à sa légitimité jusqu'à l'évasion de Jarod remettant en cause tout son travail, la véracité des propos des dirigeants du Centre ou même encore ceux du Triumvirat. Et aujourd'hui, il comprenait les luttes acharnées du jeune homme à vouloir retrouver toute sa famille, sa quête de la vérité, ses blessures émotionnelles et son besoin ardent de trouver sa place dans ce monde. Une sonnerie le sortit de ses inquiétudes. C'est alors qu'il s'empara de son téléphone portable. Un soulagement intense s'imprégna de lui, lorsque la voix familière de Mlle Parker répondit à l'autre bout du fil.
« Sydney, c'est moi, Parker. J'ai besoin de vous. Jarod est mal en point. Il faut que veniez à New-York sans tarder.
- Je suis à New-York, en bas de l'hôtel. J'arrive tout de suite.
- Dépêchez-vous ! » ordonna-t-elle.
Quelqu'un frappa à la porte, c'était Sydney. Il insista auprès d'elle pour voir le caméléon. Il remarqua, à distance, les débris sur le sol alors qu'elle le conduisait au salon. Elle l'informa qu'il avait été pris de convulsions et qu'il avait une forte fièvre. Elle lui faisait également part de sa peur, de ses craintes, si Jarod serait capable de se relever de cette épreuve. Bien qu'il ait toujours eu confiance en la force du caractère de ce dernier, Sydney lui redoutait que son esprit et son corps aient été poussés trop loin. Beaucoup trop loin. Devant un Jarod totalement inconscient, Sydney en était troublé par l'état dans lequel il venait de le trouver. Il le ramena dans la chambre, attendrit par l'image de la Miss qui prenait place près du jeune homme, serrant fermement ses doigts. Il ressentait de la compassion pour elle. Puis observa attentivement le caméléon, dont les Ligne allongées étaient marqués par l'épuisement tout comme les cernes sous ses yeux, sa peau avait perdu de son éclat habituel. Après avoir demandé respectueusement à Mlle Parker de s'éloigner de lui, Sydney examina Jarod avec soin, cherchant des signes d'une détérioration de son état physique. À part de la faiblesse, il ne trouva rien d'inquiétant. Il recommanda chaudement du repos. Beaucoup de repos. Il sortit une boîte de comprimés, de sa trousse, qu'il posa sur la table d'appoint près du lit. Cela lui permettrait de récupérer. Cependant, Sydney savait que la guérison du caméléon nécessiterait plus que des médicaments, et il espérait que Jarod serait capable de trouver la force dont il avait besoin. Mlle Parker resta debout, les yeux rivés sur son amant, elle ne pouvait détacher son regard du malade. Elle se sentait si impuissante. Elle n'était pas habituée à le voir comme un être invincible, et cette fragilité la rendait nerveuse. Assise sur le bord du lit, elle chercha en vain un moyen d'atténuer ses maux. Il sortit doucement de la pièce entraînant la Miss avec lui, laissant Jarod se reposer.
« Il faut vraiment qu'il se repose, Parker. Venez. Allons discuter dans le salon.
- Vous croyez Sydney qu'il va s'en sortir ?
- Parker, il ne va pas mourir.
- Je sais, mais je parlais de sa raison.
- Il ne va pas devenir fou, rassurez-vous, il a juste besoin de faire un gros et long sommeil. Après quelques jours de repos, il retrouvera ses forces ainsi que toutes ses capacités intellectuelles. Ne vous inquiétez pas, tout va bien maintenant.
- Alors pourquoi ces médicaments ?
- Ça va l'aider à se détendre.
- Des anxiolytiques ? Non, je ne veux pas qu'il prenne ce genre de choses !
- Non, ce sont des comprimés à base de plantes et c'est totalement inoffensif. Est-ce que vous allez bien ? Vous devriez peut-être vous reposer vous aussi.
- Sydney, c'était horrible... Il était là, sur le sol… Il ne bougeait plus… Je criais encore et encore, mais il n'y avait personne… Personne, elle soupira.
- Parker, il va bien. Regardez-le ! Il est tombé dans un profond sommeil. Il va en avoir pour un long moment. Il ne se réveillera pas tout de suite alors allez dormir quelques heures.
- Non, je n'arriverai pas à fermer les yeux tant que lui n'aura pas ouvert les siens.
- Je sais que c'est dur pour vous. Et je suis là en cas de besoin, vous le savez. Que s'est-il passé ici ? Jarod, s'est-il montré violent ? questionna Sydney désignant du menton le téléphone cassé.
- Disons qu'il a exprimé son point de vue d'une autre manière que la mienne. Une divergence d'opinion !
- Mais avec vous, a-t-il été violent ?
- Non ! Non, il n'a jamais été violent avec moi. C'est tout le contraire. C'est pour ça, que c'est si difficile pour moi, de le voir dans cet état. En fait, il ne voulait pas que je vous appelle. Je n'ai pas eu le choix.
- Et vous avez très bien fait !
- Dites-moi, Sydney. Comment avez-vous su que j'étais là ? Quand êtes-vous arrivé à New-York ? Pourquoi avoir attendu au pied de l'hôtel ? Pourquoi avoir attendu, Sydney ?
- Parker, une seule question à la fois. Je savais que vous étiez à New-York. C'est le seul endroit où Jarod se sent bien. Je suis arrivé il y a peu de temps. Et si j'ai attendu pour monter, c'est parce que vous-même avez refusé de…
- Stop ! Je ne veux pas vous entendre me dire que vous m'aviez prévenu. Je sais. Je ne pensais pas qu'il avait atteint un point de non-retour.
- Il y a autre chose dont on doit parler. Il ne peut pas rester ici. Ça devient trop dangereux pour lui de rester là. Le Centre va finir par le localiser.
- Non, on va rester. Il est en sécurité ici. Et vous, Sydney, vous allez faire ce qu'il faut pour le remettre sur pied.
- Et pour le Centre ?
- Demander à Broots de brouiller les pistes. Il doit être capable de faire ça, non ? »
Sydney avait le sentiment que le temps était compté. Il savait que le Centre ne tarderait pas à retrouver la trace du malade et qu'il devait trouver un moyen de l'aider à se rétablir avant cela. En dépit du fait qu'il avait toujours cru en la capacité de Jarod à vaincre les épreuves et à dépasser ses limites, Sydney savait que le temps était un ennemi redoutable. Il espérait que le prodige trouverait la volonté de se relever et de se battre une fois de plus, avant qu'il ne soit trop tard. Avant qu'il ne tombe dans les mains de ses adversaires. Le psychiatre sortit de la suite, prétextant se rendre dans une pharmacie à la recherche de ce dont Jarod pourrait avoir besoin. Un traitement plus adéquat, notamment de quoi faire tomber sa fièvre et des vitamines afin d'accélérer au mieux le bon rétablissement du jeune homme. Pendant ce temps, Mlle Parker, elle, était restée auprès de lui, se remémorant des souvenirs qu'ils avaient partagés, les bons comme les mauvais. Malgré la complexité de leur rapport, elle reconnaissait l'importance de Jarod dans sa vie. Allongée à ses côtés, les yeux fermés, la paume de sa main sur la poitrine du jeune homme, elle murmura à voix basse :
« Tu sais Jarod, finalement le fait que tu sois endormi va me permettre de te dire honnêtement ce que je pense à cet instant précis. Tu vois, tu as beau être un petit génie, mais tu n'en reste pas moins un homme. Un homme avec une âme sensible. Non, mais regarde-toi dans quel état tu t'es mis. Te voilà dans de beaux draps ! À force de jouer les héros, tu vas finir par y laisser ta peau. Tu es vraiment stupide. Stupide et idiot ! Je suis très très en colère contre toi ! Je ne te parle pas, bien sûr, de mon téléphone que tu as détruit, je t'en veux de ne m'avoir rien dit. J'aurais pu te venir en aide. À quoi tu pensais ? Je croyais que toi, Jarod, tu me faisais confiance. Si tu savais à quel point, je t'en veux de me faire subir cette torture. J'ai l'impression d'être puni. Oui, tu vois, d'être puni pour ma trahison envers le Centre. Ou peut-être est-ce la malédiction des Parker... Je ne sais pas. C'est atroce. Depuis qu'on a entamé cette relation, je me rends compte, que tu n'as fait que me faire souffrir. Je t'en veux de me faire souffrir comme tu le fais. Je t'en veux de m'aimer comme tu le fais. Je te déteste ! C'est terrible de détester une personne pour qui on éprouve des sentiments très forts. Je te déteste. Je te déteste, et en même temps, je t'… Tiens, voilà Sydney, il est revenu, tu sais, lui aussi est très inquiet pour toi. Il tient beaucoup à toi. »
De retour à l'hôtel, Sydney avait été soulagé de constater que Mlle Parker était toujours auprès du jeune homme, prenant soin de lui. Il lui fit signe de venir le rejoindre. Elle se leva, retrouvant le psychiatre dans la pièce principale. Elle lui signifia qu'il n'y avait aucun changement. C'était comme s'il ne voulait pas se réveiller. Elle remarqua que le mentor du caméléon, avait sorti d'une boîte, une seringue. « Ça va aller mieux maintenant. » rassura-t-il. Après avoir administré les médicaments par voie intraveineuse de manière à ce qu'ils fassent effet rapidement, il surveilla de près les constantes de Jarod. Il n'y avait plus qu'à attendre. La journée tout comme la nuit était longue, le temps semblait s'écouler lentement, l'attente était interminable. Angoissée, Mlle Parker tourna en rond dans la chambre, regardant de façon compulsive sa montre. Sydney lui était assis dans un fauteuil, il observait la Miss se ronger les sangs. C'était la première fois qu'il la voyait aussi expressive envers Jarod. C'était comme si elle s'était dévoilée sous un nouveau jour. Il se releva, l'attrapant gentiment par le bras et l'entraîna à l'extérieur de la pièce.
« Sydney, ça fait des heures que ça dure. Il est toujours dans le même état. Il n'a pas ouvert l'œil, ne serait-ce que quelques secondes.
- Oui, ça m'inquiète moi aussi, il se servit un verre d'eau.
- C'est tout ? Je croyais que vous seriez capable de le réveiller et de faire en sorte qu'il soit de nouveau lui-même, mais c'est de pire en pire !
- Je regrette Parker, je ne suis pas faiseur de miracles. Il faut du temps.
- Non ! Ça n'a que trop duré, elle prit le combiné du téléphone posé sur la petite table.
- Qu'est-ce que vous faites ?
- Je fais le nécessaire. Je vais faire transporter immédiatement Jarod à l'hôpital. C'est ce que j'aurais dû faire depuis le début. Au moment même où il s'est effondré alors qu'il était encore dans mes bras.
- Je suis vraiment navré de ce que vous subissez, mais je vous déconseille vivement de faire ça, Parker, il lui arracha le combiné et raccrocha.
- Quoi ?
- Si vous faites ça. le Centre le retrouvera et vous le savez. Il faut vous armer de patience. Il va se réveiller.
- Patience ? Dois-je vous rappeler Sydney que tout ça, c'est de votre faute ? Regardez-le ! Non, mais regardez-le ! On dirait qu'il est…
- L'autre jour, je l'ai eu au téléphone, c'est vrai qu'il était préoccupé et anxieux. Je n'y ai pas prêté attention parce que j'étais convaincu que grâce à votre relation, il serait plus à même de gérer son stress. J'avais tort.
- Je n'ai rien vu moi non plus. Sydney, je suis désolée, je suis à bout. Je n'aurai pas dû vous accuser.
- Je sais c'est très dur de le voir comme ça, il l'a saisi par les épaules. Il va s'en sortir parce que maintenant, il n'est plus tout seul, il y a sa mère, vous, moi et tous ceux qui tiennent à lui. Il aime sa famille. Et il est vraiment amoureux de vous alors faîtes-lui confiance.
- Il vous l'a dit ?
- Non. Il n'a pas eu besoin de le faire.
- Que vous a t il dit ?
- Il m'a demandé de veiller sur vous. »
Tout à coup, le son d'une petite voix venant de la chambre les avait interrompus. C'était Jarod. Celui-ci manifesta des signes de récupération. Il revenait à lui, ses petits yeux s'ouvraient lentement, mais plus souvent, son pouls et sa respiration devenaient plus régulière et sa peau reprenait progressivement de la couleur. Le caméléon toujours aussi fatigué replongea dans un sommeil comateux. Après plusieurs heures, il était tout à fait réveillé. Il soupira légèrement. Sydney était venu vers lui pour l'examiner de nouveau et s'assurer qu'il ne rechutait pas tandis que Mlle Parker, souriait, contente de le savoir de retour parmi eux. Elle s'était rapprochée de lui. Sydney et Mlle Parker se réjouissaient de le voir sur la voie de la guérison. Toutefois, Jarod paraissait désorienté.
« Enfin, tu t'es réveillé ! s'exclama-t-elle le sourire aux lèvres.
- Eh bien, Jarod, tu peux te vanter de nous avoir fait une belle frayeur, taquina Sydney.
- Où suis-je ? Mais qu'est-ce que je fais dans ce lit ?
- De quoi te souviens-tu exactement ? Quelle est la dernière chose dont tu te souviens ? interrogea la Miss.
- Je ne sais pas trop… Je crois que j'ai vu ma mère… Ensuite, je suis venu ici à l'hôtel… C'est assez confus. Tout se mélange. Tu étais là, Parker ? il lui tendit la main.
- Oui. C'est tout ce dont tu te rappelles ? elle attrapa ses doigts.
- Ne t'inquiètes pas trop, Jarod pour ta mémoire, ça va te revenir d'ici quelques heures à quelques jours, assura Sydney.
- Je suis vraiment désolé si je vous ai fait peur.
- Comment tu te sens ?
- Bien mieux. Merci, Sydney merci à tous les deux.
- Je suis ravi de voir que tu vas bien. Voilà comment les choses vont se passer, Jarod. Tu vas rester ici quelques temps pour te reposer. Nous devons parler de ton style de vie pour éviter que tu ne retombes dans ce genre de situation.
- Je sais, Sydney et je suis prêt à faire des changements, il se redressa.
- C'est bien, Jarod. Je vais te donner quelques recommandations pour réduire ton niveau de stress et améliorer ton bien-être général. Nous devons trouver des moyens pour que tu puisses mieux gérer tes émotions. On va commencer par établir un programme que je te conseille de suivre à la lettre. Je serai là à chacune de ses étapes.
- Je suis également là pour t'aider, Jarod. On ne te lâchera pas. Fais-nous confiance ! Et si tu as besoin de quelque chose, comme par exemple des Pez ou des livres, fais-le-moi savoir.
- Merci, Parker, j'apprécie beaucoup ton soutien.
- Nous allons nous assurer que tu récupères complètement et rapidement, Jarod, n'est-ce pas Parker ?
- Oui, on va veiller à ce que la situation ne se reproduise pas une seconde fois ! Mais attention Jarod, si tu recommences, c'est moi-même qui te tuerais ! Oh oui, crois-moi, tu passeras un mauvais quart d'heure ! » avait dit la jeune femme, la voix grave et sérieuse, mais derrière cette réplique se cachait une joie immense, celle de retrouver son amant.
