Bonjour à tous et à toutes! Je ne vous ferai pas l'affront de présenter l'histoire, vous connaissez déjà nos petits personnages et vous avez sans doute - je l'espère -, hâte de les retrouver
Aux nouveaux arrivants et aux curieux, je dirai juste que vous ne pourrez pas profiter de ce livre si vous n'avez pas déjà lu, a minima, le livre 3. Et ce sera certainement bien mieux si vous commencez par le livre 1 ;)
Les chapitres seront souvent plus courts que dans les livres précédents, en moyenne une quinzaine de pages LibreOffice, contre 20 à 30 dans le livre 2 et 3, et on part pour l'instant sur une publication hebdomadaire le samedi midi/ début-d'AM...
Le site étant planté depuis presque deux semaines, je tente une publication via l'app et je remettrai en forme quand il fonctionnera à nouveau...
Sur ce, on y va tout de suite. Le chapitre suit directement la fin du livre 3: Harry et Severus viennent de refaire le rituel, Harry s'est enfui dans la salle de bains et Severus a pris ça pour un rejet pur et simple; du coup, il est parti avec Mihai en Roumanie, dans la communauté de Colibita. Et Lucius vient de pénétrer dans le pavillon chinois pour venir chercher son amant, après avoir démissionné et révélé toute la vérité à la presse...
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– Harry, murmura Lucius. Viens. Ne restons pas là. Je crois que tu as passé assez de temps enfermé entre ces murs... Il est grand temps de rentrer à la maison.
Muet, Harry se laissa entraîner par l'étreinte de son amant, le bras autour de ses épaules, la main dans ses cheveux, le baiser sur sa tempe. La sidération l'empêchait de penser, de comprendre quoi que ce soit, de savourer même la fraîcheur de l'air et le parfum de la nuit lorsque Lucius ouvrit la porte qui menait dehors. Dehors. Et il en avait pourtant tellement rêvé...
Severus était parti... Severus avait renoué le lien, il l'avait mordu, il lui avait donné un plaisir sale, mais un plaisir inouï quand même, et puis il l'avait abandonné. Harry trébucha sur un caillou sur le sentier inégal qui s'enfonçait entre les arbres et se rattrapa au bras de Lucius. Severus était parti. Il était libre, mais seul. Avec son amant mais sans son vampire...
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Le chemin ne lui laissa aucun souvenir, pas plus que les mots de Lucius s'il en prononça. Il ne se souvint que du bras autour de lui, de la main qui le guidait, de ce corps qui marchait à ses côtés. Et de la silhouette immense du Manoir qui se découpa brusquement dans la pénombre de la nuit.
Les marches du perron à monter. La porte massive qui s'ouvrit devant eux. Le sourire satisfait, presque amical de Clay dans le Hall d'Entrée. Et ces lumières crues et trop nombreuses qui l'aveuglaient après des jours de pénombre.
– Un appel de Greengrass, répondit l'elfe au regard de l'aristocrate. Mais il a dit que ce n'était pas pressé et qu'il rappellerait demain matin. De nombreux messages, en revanche, mais rien d'urgent.
Lucius acquiesça d'un signe de tête, puis se tourna vers Harry.
– Tu veux boire ou manger quelque chose ?
Il secoua la tête, écœuré par la proposition. Il était absolument incapable d'avaler quoi que ce soit dans l'immédiat.
– Alors, viens. Allons nous coucher. Il est plus que tard...
Harry fronça les sourcils et fouilla le Hall du regard à la recherche d'une pendule. Le cours normal du temps ne voulait plus dire grand chose pour lui. Il finit par apercevoir l'heure : près de deux heures du matin... avant de tomber sur les immenses yeux doux de Clay qui, pour une fois, ne ricanait pas.
– Heureux de vous revoir, Monsieur Harry..., fit l'elfe en s'inclinant légèrement tandis que Lucius le pressait vers le grand escalier.
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Le tapis vert sombre au milieu des marches de marbre clair, le long couloir vers leur chambre et cette porte, si familière, qu'il avait désespéré franchir à nouveau un jour... Une boule d'émotion se noua dans sa gorge, ridicule, absurde, et pourtant si douloureusement présente.
Lucius ouvrit la porte sans même s'apercevoir de son trouble et le prit par la main pour le tirer à l'intérieur. Est-ce qu'il avait attendu une certaine intimité pour laisser libre cours à son envie de le serrer dans ses bras ? Est-ce qu'il agissait sur une simple pulsion ? Toujours est-il que l'aristocrate l'avait attrapé, enveloppé, enlacé, il l'étreignait avec une force et une émotion étonnantes, comme il ne l'avait plus tenu dans ses bras depuis des jours. Sans même l'embrasser, sans qu'il n'y ait rien d'équivoque. Juste l'enserrer, sentir son visage tout contre le sien, et l'étouffer de sa joie à le revoir.
Et Harry s'abandonna dans l'étreinte, la rendit avec le même bonheur inespéré, le cœur crispé et engorgé d'un tumulte de sentiments. Les bras accrochés autour du torse de Lucius, dans son dos, incapable de le lâcher pendant de longues minutes. Et étonnamment, son amant semblait tout aussi incapable de s'éloigner de lui avant d'être rassasié de sa présence.
– Au lit, finit par murmurer Lucius, son front posé contre le sien. J'ai encore toute la nuit et toutes les autres nuits pour te serrer dans mes bras.
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Lucius sourit avec ravissement de ces cheveux noirs et hirsutes qui le chatouillaient, de cette respiration lourde de Harry, le nez étouffé contre la peau de son cou, de son poids sur lui, son corps immobile, pesant, avachi, mais qui lui avait tellement manqué, du contact électrique de sa magie qui luisait doucement dans la pénombre de la chambre. Se réveiller avec son amant endormi sur lui, comme cela devrait toujours être.
En soupirant de bonheur et de contentement, Lucius resserra ses bras autour du corps chaud pour savourer encore un instant sa présence, puis il caressa doucement le visage aux yeux clos.
– Harry... Mon ange... Décale-toi un peu, je dois me lever...
L'espace de quelques secondes, Harry resta parfaitement indifférent à ses mots et à ses caresses, puis il haussa un sourcil surpris avant de relever la tête, les paupières à peine entrouvertes et une moue dubitative sur les lèvres. Lucius sourit. Pas très distingué mais très attendrissant.
– Qu'est-ce t'as dit ? marmonna Harry d'une voix endormie.
– Je dois me lever pour aller au Ministère... Je sais qu'on est samedi mais j'essaierai de rentrer tôt, promit-il en l'embrassant dans les cheveux. Reste au lit, si tu veux... Profites-en pour te reposer...
Harry grogna comme si ce n'était pas la réponse qu'il attendait, puis il se redressa et s'étira en baillant, avant de finir par ouvrir les yeux avec un grand sourire.
– Rester au lit, tu plaisantes ?! Je meurs de faim !
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Lucius parti et un petit-déjeuner pantagruélique avalé, l'étrangeté se fit doucement sentir. Le Manoir vide. Si semblable à ce qu'il avait toujours été, sans aucune différence notable par rapport à toutes les journées que Harry avait passées seul ici, mais pourtant tout était différent.
La familiarité était là, mais il persistait un décalage subtil sur lequel il n'arrivait pas à mettre le doigt. Peu à peu, il se sentit obligé de parcourir toutes les pièces une à une, à la recherche d'un changement, d'une nouveauté, à la recherche du temps qui avait filé ici pendant qu'il était là-bas, à la recherche de ce sentiment dérangeant qu'il n'était pas à sa place. Que quelque chose avait changé. Que quelque chose manquait...
Les vérandas, la salle de billard, la salle de cinéma, les salles de jeux des filles... Les salons, la salle à manger, le laboratoire, rangé et immaculé... La rotonde, à l'eau si limpide et strictement immobile... La salle de duel, où il n'avait pas mis les pieds depuis si longtemps...
Tout était à sa place, au bon endroit, avec la méticulosité si parfaite des elfes. Chaque vase, chaque horloge, chaque sculpture. Chaque tableau, parfaitement droit, et chaque bibelot, exempt du moindre grain de poussière... C'était lui qui avait changé.
C'était Severus qui manquait et c'était lui qui avait changé.
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Harry avait gardé certaines pièces pour la fin; il le savait sans vouloir se l'avouer complètement. La Bibliothèque. Le bureau de Severus... Les pièces qui lui rappelaient le plus son ancien amant. Et dorénavant... son vampire ?
Et le regard plein d'incompréhension d'Axaya qui le suivait de miroir en miroir et qu'il n'arrivait pas à soutenir...
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– Tu es là ! Je me demandais où tu étais passé ! fit Lucius d'une voix où le soulagement perçait à travers le sourire.
Harry tourna la tête sur le côté, entrouvrit les yeux malgré la lumière éblouissante et sourit à son tour.
– Il fait trop beau pour rester enfermé ! Et puis j'ai besoin de refaire mon bronzage...
Brunir sa peau devenue trop pâle entre l'anémie et cette réclusion entre les murs du pavillon chinois... Ressentir l'air frais sur son corps ou la chaleur du soleil, le souffle du vent, les parfums de la nature, entendre les oiseaux, les insectes, le clapotis de l'eau, sentir l'ombre et la lumière, le passage des nuages, pouvoir plonger son regard dans le ciel, avoir une perspective immense, inépuisable, qui aille au-delà de quelques mètres, d'un mur ou d'une fenêtre voilée de tentures... Il n'avait pas pu rester à l'intérieur du Manoir.
Presque une sorte de claustrophobie et il avait dû sortir dehors...
Harry avait même fait servir son déjeuner gargantuesque dehors, et à présent il faisait une sieste dehors, au soleil, en plein vent, mais dehors.
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Mais il ne dit rien de tout cela et Lucius ne fit aucun commentaire. Ils se contentèrent de sourire tous les deux, comme si ce n'était que d'anciennes habitudes qui revenaient le plus naturellement du monde... Comme si tout était normal.
– Tu as meilleure mine que ce matin, en tout cas, gloussa Lucius. Pas beaucoup plus réveillé, mais meilleure mine !
– Il me manquait quelques heures de sommeil, sourit Harry en reposant sa joue sur ses bras croisés. Quelle heure est-il ?
– Seize heures trente. Presque l'heure du thé...
La main de Lucius parcourait son dos légèrement humide de sueur, onctueuse et caressante. Il se tenait accroupi près du transat sur lequel il était allongé, une position peu commune pour l'aristocrate qu'il était. Pour un peu, il aurait été à genoux...
– Tu as tenu ta promesse ! apprécia Harry avec un sourire.
– J'ai ramené du travail, nuança Lucius, mais au moins, je suis là. Tu veux aller faire un tour dans les jardins avant d'attaquer le thé, et moi mes dossiers ?
– Avec plaisir !
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Harry étira toute la longueur de son corps pour se réveiller complètement avant de se relever. Il plissa les yeux dans la lumière éblouissante reflétée par la blancheur de la terrasse, puis aperçut ses vêtements posés sur un fauteuil non loin. Il se pencha pour enfiler son pantalon, surpris en se redressant de trouver Lucius si près de lui... une main hésitante levée vers son torse.
– Quand... quand sont-elles réapparues ? demanda-t-il dans un souffle.
Harry baissa la tête pour voir les longs doigts fins effleurer les entrelacs sombres sur sa peau. Les marques... La dernière fois que Lucius les avait vues, c'était après la mort de Severus, et elles étaient devenues aussi pâles que les autres arabesques de son corps.
– Après le deuxième rituel d'union, répondit Harry à mi-voix.
Il attrapa sa chemise et l'enfila rapidement, mal-à-l'aise sous le regard insistant de Lucius. Regard qui dévia instinctivement vers son cou avant de remonter vers ses yeux.
Harry se mordit la lèvre puis se concentra sur les boutons de sa chemise. Il ne voulait pas parler de ça. Il ne voulait pas entendre de commentaires, il ne voulait pas donner d'explications et Lucius eut la bonne idée de se taire.
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Les jardins resplendissaient de soleil et de chaleur, des couleurs chatoyantes des massifs de fleurs et du vert croquant des pelouses. Un ciel bleu azur parsemé de tout petits nuages blancs. Une lumière extraordinaire pour lui qui n'avait connu que la pénombre ou la quasi-obscurité pendant si longtemps.
Le visage légèrement renversé en arrière pour profiter pleinement des rayons de soleil, Harry savourait cette sensation si bouleversante de se retrouver en plein air. Libre et pas enfermé entre quatre murs. Dehors. Presque en forme et pas en train de tituber pour faire trois pas. Propre et pas couvert de sang, de sperme et de sueur. Habillé...
Presque propre en y pensant bien. Il avait réussi à ne prendre qu'une seule douche depuis son réveil ce matin, mais il avait passé un long moment dans la piscine à flotter entre deux eaux, comme s'il avait besoin de changer d'élément pour se sentir bien.
Ils marchaient, côte à côte, sur les allées gravillonnées, dans le seul bruit que faisaient leurs chaussures sur les minuscules cailloux du chemin. Lucius lui avait proposé son bras, que Harry avait pris en souriant de l'attention désuète. Le besoin de se toucher mais le silence. Sans doute était-ce préférable à toutes ces questions auxquelles il ne voulait pas répondre et qui viendraient inévitablement et bien trop tôt.
Il se contentait de savourer le moment.
Malgré tout, Harry repensait au message qu'il avait laissé à Alicia avant d'aller s'enfermer dans le pavillon chinois avec son destin. Il ne savait même plus comment il avait formulé ça, mais il se souvenait l'avoir remercié de sa présence, même silencieuse... Surtout silencieuse, parce qu'elle avait su accueillir son incapacité à dire ce qu'il ressentait, ce qu'il vivait, de la même manière qu'elle avait parfois accueilli ses confidences... Lucius faisait pareil aujourd'hui, et il lui en était infiniment reconnaissant.
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Le chemin les menait loin mais tranquillement, hors des jardins de massifs, longeant le bois pour s'enfoncer à travers les prés vers les écuries. Ce chemin qu'ils avaient si souvent parcouru pour emmener les filles de Draco voir les chevaux... Il y avait une éternité.
Harry caressa machinalement le tissu précieux qui couvrait le bras de son amant. Il faisait chaud mais Lucius n'avait même pas enlevé sa veste. Toujours ce besoin de maintenir une apparence distinguée, élégante, quels que soient le temps ou la température. Même pas un besoin, plutôt une seconde nature. Qu'aurait-il dit s'il l'avait vu là-bas, nu, sale, les cheveux collés par le sang et la sueur, si affaibli, si diminué ?... Harry secoua la tête et se concentra sur les bâtiments des écuries au loin. Il ne devait plus penser à ça. C'était un temps révolu. Honteux et que personne n'avait à connaître. Un silence, encore, sur ce qu'il ne pourrait jamais confier...
Les chevaux étaient là, derrière une jolie clôture blanche, broutant une herbe tendre. Lucius claqua de la langue pour les appeler. Ils redressèrent la tête, l'œil aux aguets, l'encolure frémissante, soufflèrent par leurs naseaux tout en balançant deux ou trois fois la tête de haut en bas, puis reprirent leur repas interrompu sans même chercher à s'approcher.
– Je les ai trop négligés, murmura Lucius avec une grimace dépitée. Ils n'ont plus l'habitude de voir personne à part des elfes...
Harry ne savait pas quoi répondre à cela... Lucius n'avait pas dû monter depuis des mois. Avant d'être redevenu Ministre, avant sa captivité, avant le voyage de noces, peut-être... Une éternité.
– Viens. Rentrons, fit l'aristocrate d'un ton plus dur. J'ai encore un peu de travail, même si c'est bientôt fini.
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Harry sentait son amant tendu tandis qu'ils rebroussaient chemin vers le Manoir. L'incident était dérisoire, mais il semblait lui tenir à cœur, pas tant par son importance que par tout ce qu'il représentait comme absences, comme renoncements. Tous ces petits événements qui avaient cessé d'être, les sorties avec Daphnée, les voyages, la vie quotidienne au Manoir... Avant qu'un jour leur vie ne soit bouleversée parce qu'il avait accepté la proposition de Greengrass.
– J'ai... J'ai vu que le labo était nickel, complètement rangé... C'est Matthieu qui a tout débarrassé ?
Il ne voulait pas sentir Lucius morose ou coupable, pas aujourd'hui, alors Harry s'obligeait à faire la conversation, même s'il n'en avait pas très envie.
– Oui, fit l'aristocrate, surpris. Il a pris ta potion principale pour la porter à Sainte-Mangouste et continuer à travailler dessus avec les médicomages et ses petits apprentis. Et quand il a eu le temps, il est revenu pour ranger tout le reste...
– Il va bien ?
– Oui, je crois. Du moins, aux dernières nouvelles, c'était le cas. Il travaille d'arrache-pied, bien sûr, pour diffuser la potion le plus largement possible jusqu'aux autres grands hôpitaux européens... J'ai cru comprendre que certains de tes ingrédients lui posaient des problèmes d'approvisionnement, mais qu'il s'était débrouillé autrement... Même Charlie ne le voyait pas beaucoup...
Harry hocha la tête, le regard perdu sur le sentier qu'ils parcouraient. Si la potion fonctionnait vraiment, tout cela ne lui appartenait plus. Il avait formulé une ébauche, Matthieu, Lisbeth et James avaient concrétisé son projet et le reste serait l'histoire de la médicomagie... Il soupira avec le sentiment qu'une page se tournait. Écrite quelques minutes trop tard pour sauver Severus, mais écrite pour tous les autres après lui.
– Ils ne sont pas partis en voyage pour leurs vacances, alors ? soupira-t-il pour chasser ses pensées.
– Non. Matthieu est encore accaparé par toute cette histoire et Charlie a fini par rentrer à Poudlard. Il a passé quelques temps ici, avec moi, et puis...
– Ici ?! s'étonna Harry.
Pourquoi pas... Après tout, Charlie était venu vivre au Manoir quand Matthieu travaillait avec lui sur la potion. Mais de la façon dont Lucius le disait, il avait passé là plus de temps que son compagnon, et peut-être même sans lui, ce qui était très surprenant.
– Oui, avoua Lucius à mi-voix. Je lui avais demandé d'être là... au cas où...
Harry pinça les lèvres en détournant le regard vers un bosquet d'arbres un peu plus loin. Au cas où tout ça aurait mal tourné. Au cas où Severus serait devenu incontrôlable, et lui avec... Mais quelque part, c'était rassurant qu'il ait demandé ça à Charlie. Les gobelins avaient accepté d'aider Lucius avec le sortilège d'argent parce qu'ils lui devaient beaucoup, mais il n'avait pas pu s'adjoindre les services des Aurors pour ne pas ébruiter leur situation... Charlie, lui, faisait partie de la famille. Ce serait resté dans l'intimité de leur cercle, sans bruit, sans heurts, en toute confiance. Et puis Charlie était efficace; il aurait fait ça proprement, sans bavures et sans excès. Quitte à mourir, Harry aurait préféré que ce soit d'une main aimée que d'une main inconnue.
– Charlie est quelqu'un que j'apprécie de plus en plus, confia Lucius pour rompre le silence. On a passé quelques soirées à beaucoup discuter... De toi, entre autre, ajouta-t-il avec un sourire. Il ne se laisse pas facilement approcher, mais sous la carapace, il est attachant...
Harry acquiesça, persuadé depuis longtemps de cette vérité bien dissimulée. Charlie était bourru et taiseux, donnant parfois une impression de dureté si on ne le connaissait pas, ou au contraire de trop grande liberté quand il lui arrivait de boire, mais l'homme qui filtrait sous les apparences avait un cœur en or et une fidélité peu commune.
– Et Draco, ça va ?
– Oui, ça va. J'ai dîné avec eux cette semaine. Ils étaient revenus quelques jours à Londres pour voir la famille de Daphnée et là, ils sont repartis à Torquay, je pense, avec Sky et un ou deux elfes... Tout le monde allait très bien. Ils ont même un doute sur un accident de magie de Scorpius...
– Ah oui ?
– Oui, sourit Lucius avec un brin de fierté. Une histoire de jouet confisqué suite à une bêtise et qui se serait mystérieusement retrouvé entre ses mains... Et les filles ont assuré que ce n'était pas elles.
Harry sourit à son tour, amusé. Il se demanda fugacement à quel âge ce serait le tour d'Aria, mais il voulait absolument éviter de penser à elle...
– C'est tôt, non, pour un premier accident de magie ?
– Scorpius va avoir deux ans à la fin du mois... C'est tôt, mais ce n'est pas impossible. Iris a eu son premier accident de magie un peu après ses deux ans...
Axaya l'avait même eu plus tôt en y repensant. Lorsqu'elle le lui avait confié, sa mère avait déjà des doutes sur des événements étranges depuis quelques mois...
– Ils vont bientôt en voir de toutes les couleurs ! gloussa Harry.
– C'est pour cela qu'avoir des elfes avec eux n'est sans doute pas inutile. En l'absence de Draco, Daphnée risque de se retrouver bien embêtée devant certaines situations... Et elle ne peut pas demander l'aide de Minerva en permanence, ce n'est pas très...
Lucius s'interrompit devant un craquement sonore et l'apparition soudaine de Clay juste devant eux, puis fronça les sourcils.
– Pardonnez-moi, fit l'elfe en inclinant la tête. Un appel de cheminette de Monsieur Håkon Sørensen... Il souhaite vous parler avant la réunion extraordinaire de la Commission, demain.
Lucius grimaça puis se tourna vers Harry.
– Je suis désolé, je dois lui répondre...
– Pas de souci, fit-il avec obligeance. Je te rejoins pour le thé après... Je vais juste finir le chemin à pied, tranquillement...
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Il n'avait pas vraiment prévu d'y aller mais lorsque Harry croisa le sentier qui menait vers l'étang au fond du bois, ses pas le suivirent tout naturellement. La nature était calme et silencieuse, à peine un oiseau de temps en temps, une brindille qui craquait sous ses pieds, le bruit étouffé de ses vêtements, de sa présence.
Le pavillon chinois était toujours là, au bord de l'eau, avec son toit de pagode asiatique aux coins relevés. Une architecture légère et aérienne, élégante. Le souvenir de leur voyage au Japon l'effleura un instant, mais c'était une autre époque... À peine un an plus tôt, mais si lointain.
Harry s'approcha lentement, hésitant. Le sortilège d'argent avait disparu, mais il ne voulait pas pénétrer à l'intérieur du pavillon. Il se doutait qu'il n'y avait plus aucune trace de ce qu'il y avait vécu. Les elfes avaient dû tout ranger, récupérer les livres de Severus, leurs vêtements, faire disparaître la chambre et la salle de bains, redonner à l'endroit son aspect habituel... Et quand il fit peu à peu le tour jusqu'à se tenir devant la vaste baie vitrée, les lourds rideaux étaient grands ouverts sur l'intérieur de la pièce.
Il resta là quelques instants, figé dans ses souvenirs si différents de la quiétude actuelle, jusqu'à ce que le bruit d'éclaboussure d'une grenouille qui sautait dans l'eau ne le fasse sursauter. Il secoua la tête pour reprendre ses esprits, sans parvenir cependant à se sentir serein.
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Renouer avec Lucius était étrange, légèrement déroutant... Toute la nuit, ils avaient eu besoin de se toucher, de dormir l'un contre l'autre, et ce besoin venait autant de l'aristocrate que de lui. Mais ils ne s'étaient pas embrassés réellement, il n'y avait pas eu de désir entre eux, ils n'avaient pas fait l'amour. La nudité était restée chaste... Sur le moment, Harry en avait été soulagé, mais au fil des heures, cela lui paraissait... dérangeant. Il ne voulait pas d'une distance avec Lucius. Cependant, il se rendait bien compte qu'il avait dû se forcer pour réussir à échanger quelques mots avec lui, demander des nouvelles des uns et des autres. Il y avait tant de sujets qu'il ne voulait pas aborder, aussi... Ni sa fille, ni ce qui s'était passé en son absence, ni ce qui s'était passé là-bas... Et le nom de Severus, toujours pas prononcé entre eux et qui, pourtant, était présent partout par son absence. Il allait bien falloir crever cet abcès à un moment ou à un autre, mais Harry ne savait déjà pas quoi en penser lui-même.
Ce matin, il avait eu besoin de s'asseoir un long moment dans le bureau de Severus, pour tenter de l'y retrouver, de ressentir sa présence, la personne qu'il avait été... Les livres qu'il aimait, les objets de collection dans sa bibliothèque personnelle, ceux qui traînaient sur son bureau, les photos sur le mur autour de la porte, de vieux parchemins qui portaient son écriture... Et ce Severus-là, celui qu'il avait aimé, semblait si éloigné de ce que Harry avait vécu dans le pavillon chinois.
Mais il y avait aussi eu toutes ces fois, durant leur union, où Severus avait laissé échapper les dessous sombres de sa personnalité : sa possessivité, son intransigeance, sa presque violence à son retour d'Australie, ses colères quand il n'agissait pas dans son sens, les deux fois où il lui avait imposé sa volonté : pour l'empêcher d'aller chercher Draco après la tentative d'enlèvement de son fils, et puis le jour où il l'avait empêché de rejoindre Alicia à Sainte-Mangouste... la dispute terrible qui s'en était suivie... toutes ces promesses non tenues.
Et puis ces quelques jours dans le pavillon chinois, un abyme de noirceur, avant cette soudaine volte-face que Harry ne comprenait toujours pas. L'influence de Vladimir, si c'était bien cela qui était en cause dans ces premiers jours de caliciat, n'avait fait que mettre en lumière ce côté sombre que Severus avait toujours eu... Celui de la guerre autrefois et des horreurs qu'il avait fallu commettre, celui des punitions, des sarcasmes, des humiliations incessantes, celui de l'autodestruction... Celui qu'il avait voulu oublier.
Et Severus avait pourtant repris pied. Aujourd'hui comme hier, péniblement, douloureusement, après bien des erreurs, mais il avait semblé ouvrir les yeux et se rendre compte de ce qu'il avait fait. Seulement, il s'était enfui avant que Harry ne puisse savoir s'il s'agissait d'un simple sursaut ou d'un vrai changement.
Et tout ça était risible parce que Lucius et Severus étaient censés fonctionner ensemble, solidaires, ancrés, enracinés dans le Manoir, et c'était Harry qui avait été la pièce rapportée, celui qui avait longtemps été sur le départ, dansant sur le fil de l'incertitude et de la liberté, hésitant à s'engager réellement et à rester... Et aujourd'hui, il était là alors que Severus était parti, et il se retrouvait seul avec Lucius et avec ce sentiment étrange que les choses n'étaient pas à leur place.
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Harry frappa doucement, même si la porte était entrouverte. Il n'entendait pas de voix, ni de conversation, mais cela ne voulait pas dire que Lucius n'était pas occupé.
– Oui ?
Harry poussa la porte et s'avança d'un pas, apercevant l'aristocrate assis à son bureau, une plume à la main et relevant juste la tête pour le regarder.
– J'ai fait servir le thé sur la terrasse si ça ne te dérange pas... Et si tu as un moment.
Sinon, il mangerait facilement pour eux deux...
– Je finis ça et j'arrive, fit Lucius avec un sourire pour se faire pardonner son oubli.
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Lucius était venu quelques minutes plus tard... avec deux dossiers sous le bras. Ils avaient bu leur tasse de thé à l'ombre d'un parasol, mangé deux mignardises pour l'aristocrate et le reste pour lui, il avait souri de son appétit démesuré, et maintenant, face au silence qui régnait entre eux, Lucius lisait un rapport sans doute passionnant sur la sécurité et la cohabitation entre sorciers et moldus dans les banlieues populaires des grandes villes.
Harry observa son amant encore quelques instants, ses sourcils légèrement froncés, le pli entre ses yeux, ce sillon à peine marqué, qu'il n'osait pas appeler une ride et qui partait de l'aile du nez vers la commissure des lèvres... la blondeur d'or de ses cheveux dans la lumière. Puis il leva le regard vers le ciel pommelé, loin au-dessus des bois et des prairies, là où le soleil se coucherait dans quelques heures, dans un rougeoiement d'incendie. S'il faisait encore assez chaud ce soir, il allait insister pour manger dehors...
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– Il me manque, murmura Harry.
– Tu lui manques aussi, assura Lucius avec un sourire. Mais je ne savais pas quand tu voudrais...
Il termina sur un geste évasif pour ne pas mettre de mots sur cette étrange réadaptation après sa sortie du pavillon chinois. Ils venaient de parler de Mark, de son nouveau poste au Ministère, de son indispensable présence, partout, dans leur vie, et pourtant Mark était une des personnes auxquelles Harry refusait de penser autant qu'il le pouvait.
Peut-être parce qu'il lui manquait autant... Peut-être parce que là, tout de suite, il aurait bien voulu ses caresses tendres et ses mots rassurants, s'entendre dire que tout irait bien et qu'il était assez fort pour traverser tout ça.
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– On va rentrer à l'intérieur, non ?
– Oui, concéda Harry en souriant. Je crois que tu as assez souffert comme ça, même si je suis sûr que tu saurais rester parfaitement impassible, à prendre le thé même sous la pluie.
Ils étaient restés là, sur la terrasse, depuis le thé de l'après-midi. Lucius s'était levé à un moment pour aller chercher plume, encre et parchemin, puis il avait continué à travailler sur ses dossiers. Harry avait passé un long moment dans ses pensées, le regard perdu sur son amant ou sur les jardins, avant de se lever pour aller chercher un livre. Livre qu'il avait déjà lu, d'ailleurs, mais il avait envie d'une histoire qu'il était certain d'aimer et qui allait le captiver assez pour le sortir de ses souvenirs.
Ils avaient dîné là, également, alors que le ciel se couvrait lentement de nuages gris, occultant la lumière et jusqu'à l'idée même de ce coucher de soleil dont il avait eu tellement envie... Et à présent que la fraîcheur montait en même temps que l'humidité, que les nuages devenaient franchement menaçants et que Lucius venait de frissonner sans vouloir s'abaisser à utiliser un sortilège de chaleur... il était sans doute temps de rentrer.
– Après toi...
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– Petit Salon ou Salle de Billard ? proposa l'aristocrate.
– Comme tu veux...
Lucius le prit par le bras et l'entraîna vers le fond du couloir sans autre commentaire. Ce serait donc la Salle de Billard... sans doute parce qu'il voulait lui faire plaisir, parce qu'il savait qu'il préférait cette pièce.
– Tu veux boire un thé ? Ou un champurrado ?... Pour ma part, j'ai plutôt envie d'un digestif, avoua Lucius.
– Ça me va bien, sourit Harry avant d'hésiter un instant.
Est-ce que, maintenant qu'il était un calice, il pouvait encore boire de l'alcool ? Il se souvenait vaguement d'une conversation où Mihai lui avait dit que l'alcool pouvait être désagréable, voire douloureux, pour les vampires... Enfin, ce n'était pas comme si Severus était là et qu'il allait vouloir le mordre pour se nourrir. Ceci dit, c'était une bonne idée de levier pour faire pression sur lui s'il franchissait certaines limites ! S'il revenait un jour...
Pour l'heure, un verre de cognac faisait réellement envie à Harry, à l'instar de Lucius, qui malgré ses deux ou trois verres de vin pendant le repas, ne semblait pas encore rassasié. Est-ce qu'il avait pris de mauvaises habitudes pour tromper l'ennui pendant leur absence ? ou bien cherchait-il à se donner le courage d'une soirée en sa compagnie, d'une conversation qu'il n'avait pas envie d'avoir... ?
Harry chassa ses pensées en secouant la tête, caressa distraitement le tapis vert sombre du billard en passant à côté, puis s'assit dans un fauteuil face à la cheminée. Un elfe apporta la bouteille de cognac et des verres à pied, Lucius les servit avant de lui tendre un verre et d'avaler la moitié du sien d'un trait. Malgré la chaleur du feu, il avait visiblement besoin d'une autre forme de réconfort...
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La conversation reprit, du bout des lèvres, à tâtons. Ils avaient déjà évoqué Matthieu et Charlie, Draco et sa petite famille, Mark... ce fut le tour de Blaise. Dont il n'y avait pas grand-chose de récent à dire, mais qui servait de prétexte à mentionner Alicia, leur histoire incertaine et bien cachée, et de fil en aiguille, à évoquer de vieilles anecdotes et des souvenirs qui ne soient pas menaçants. Et le nom de Severus brillait toujours entre eux par sa superbe absence.
Ils voulaient se donner l'illusion, l'un et l'autre, que tout reprenait comme avant, les conversations devant le feu, les soirées en toute intimité en sirotant un verre, le thé de dix-sept heures et les nuits ensemble. Comme si rien n'avait changé. Mais ni l'un ni l'autre n'allait pouvoir se satisfaire bien longtemps de ces faux-semblants bien policés.
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Lucius avala d'un trait le fond de son deuxième verre de cognac, puis il se leva et vint l'embrasser du bout des lèvres.
– Je suis désolé... Attends-moi là, je reviens tout de suite.
Harry haussa les sourcils de surprise en le regardant disparaître dans le couloir. Lucius était tendu, mais il ne comprenait pas l'enjeu particulier du moment... ni pourquoi il avait semblé subitement à la fois triste et soulagé en l'embrassant, comme s'il venait de prendre une décision douloureuse.
Lucius ne fut pas long, heureusement, et il revint quelques minutes plus tard en tenant à la main un paquet rectangulaire, emballé de papier kraft.
– Pourquoi es-tu désolé ? demanda Harry tandis que l'aristocrate revenait s'asseoir.
– Parce que je vais faire voler en éclat ce silence confortable, avoua Lucius avec un sourire d'abord résigné, puis plus franc. Joyeux anniversaire, Trésor...
Après le « Mon ange » de ce matin qui n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd, Harry aurait pu savourer ce « Trésor » comme un bonbon délicieux, mais au contraire, il blêmit brusquement.
– C'était quand ?
– Il y a trois jours...
– Mais... Quel jour on est ?!
– Le trois août.
Si c'était possible, Harry devint plus pâle encore tandis que Lucius conservait cet air embarrassé qui lui ressemblait si peu.
– Mais... c'est ton anniversaire !.. Et le bal ?
– Il n'y a pas de bal cette année, dit Lucius avant d'esquisser un sourire encourageant. Ouvre...
Harry baissa lentement les yeux sur ce paquet que son amant lui avait tendu et qu'il avait machinalement posé sur ses genoux. C'était ridiculement hors de propos et consternant et irréel... Son anniversaire avait eu lieu trois jours plus tôt et il n'en avait rien su. Il avait été hors du temps, dans une réalité parallèle et sordide, et à présent, le moment de faire la fête et de réunir ses amis autour de lui était passé. Un trou noir sur une période sombre de sa vie. L'idée de ce temps perdu lui serra une nouvelle fois le ventre.
Et Lucius dont c'était l'anniversaire aujourd'hui !
– Mais je n'ai pas... pour toi...
– Ça n'a pas d'importance, fit-il avec un geste de la main pour effacer ce qu'il venait de dire. Ouvre.
Harry leva un regard hésitant vers son amant, puis un sourire tout aussi incertain, avant de défaire rapidement l'emballage. Une décharge d'adrénaline parcourut son ventre et ses reins, avant de remonter dans son dos.
– Elle est magnifique ! s'écria-t-il avec cette fois, un vrai grand sourire. Oh, merci ! Tu sais à quel point...
La photo (1) était superbe, les noirs si profonds et les blancs si purs... Une des photos qu'il préférait de son photographe préféré... ! Et il ne ferait certainement pas l'affront à Lucius de lui demander s'il s'agissait d'un tirage original, au risque de le vexer profondément !
– Merci beaucoup, fit-il en se levant pour aller l'embrasser. Elle est... magnifique ! C'est un très beau cadeau.
Pour une fois, ce n'était pas une photo de nu, mais une simple fleur. Un arum blanc, de face, sur un fond noir. Mais quelle fleur ! La corolle, formant un réceptacle délicat, et ce spadice, fièrement dressé en plein milieu... Ce n'était qu'une fleur, mais c'était aussi bien autre chose, et Harry savait déjà la photo qu'il mettrait un jour en face.
Avec un grand sourire, il se mordit les lèvres au souvenir de tout ce que cette photo avait nourri de fantasmes, de suggestions et de rêveries quand il l'avait découverte.
– Où vas-tu la mettre ? demanda Lucius, détendu de le voir si ravi.
– Je ne sais pas encore, fit Harry en parcourant la salle du regard. Elle est plus grande que les autres cadres, je ne peux pas l'insérer dans la collection... Il lui faudrait une place centrale, bien en vue...
– Sur la cheminée ? suggéra l'aristocrate.
– J'aurais peur qu'avec la chaleur, ça ne finisse par l'abîmer...
– Avec un bon sortilège de protection... Les elfes te feront ça sans problème.
Harry s'approcha du feu, écarta les deux vases précieux qui trônaient sur le manteau de la cheminée et posa le cadre au milieu. Puis il retourna s'asseoir pour juger de l'effet, affichant un grand sourire au bout de quelques secondes. C'était bien. Carrément bien !
– Merci, souffla-t-il, encore ému.
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Harry resta silencieux quelques minutes à contempler son cadeau et à profiter de l'instant, mais Lucius avait ouvert une porte sur la réalité et il avait besoin de savoir certaines choses.
– Pourquoi... le bal ? murmura-t-il mais la réponse était évidente. Tu l'as repoussé ou bien...
– Je l'ai annulé, expliqua Lucius. Il ne pouvait décemment pas se tenir après la morsure de Severus... Ce n'est pas bien grave. Quelques vieilles pies de la noblesse sorcière ont dû en faire une syncope mais ce n'est pas mon problème.
Harry avait frémi à la mention du prénom de leur amant, mais il ne voulut pas relever.
– Mais c'est important pour toi, ce bal ! Pour ta position politique, pour ta réputation, pour ta famille. C'est le bal des Malfoy et...
Lucius haussa les épaules avec un petit sourire.
– Je n'ai pas de famille à préserver, ni de réputation à défendre, et encore moins de position politique à maintenir. Les Malfoy, c'est moi et Draco. Et vous. Et Draco se fout complètement du bal des Malfoy, des traditions de la vieille noblesse et de ce que peuvent penser les bourgeoises qui viennent se gaver et se pavaner au bal chaque année. Même si tout s'arrange, je ne sais pas si je donnerai le bal l'année prochaine...
Les yeux écarquillés, Harry regardait son amant sans comprendre. Tout ça était pourtant si important pour lui, le paraître, les convenances, les traditions à préserver, l'institution que représentait ce bal, la première danse qu'il avait accordée l'année dernière et pour la première fois à Severus, le faste et l'apparat...
– Mais tu dois... Ta position...
Lucius le regardait avec un sourire très doux, comme celui que l'on adopte pour avouer une chose importante ou désagréable à un enfant.
– Harry... Il n'y a plus de position. J'ai démissionné de mes fonctions au Ministère.
Cette fois, il resta bouche bée de longues secondes avant de murmurer un seul mot.
– Pourquoi ?!
Lucius soupira et finit par détourner le regard vers les flammes qui dansaient doucement dans la cheminée.
– Parce qu'en réalité, j'aurais dû le faire dès la morsure de Severus. J'aurais dû être là, j'aurais dû être présent, rester avec lui, avec vous deux... Venir avec toi dans le pavillon chinois quand tu l'as rejoint. Ça aurait sans doute empêché bien des choses...
Harry ne voulait pas savoir exactement de quoi Lucius était au courant mais, de fait, son sentiment de culpabilité était bien réel.
– Je n'aurais pas dû continuer à travailler alors qu'il avait besoin de moi... et toi aussi. Je n'aurais même jamais dû accepter ce poste. Si je ne l'avais pas fait, Vladimir n'aurait pas essayé d'enlever Scorpius, ni toi, ni...
Lucius termina sur un geste vague qui englobait tout ce que Harry avait subi et jusqu'à la morsure de Severus.
– Ma décision, mon envie de pouvoir a...
– Tu as fait ce que tu pensais être le mieux ! protesta Harry. Tu as accepté le poste pour ne pas le laisser entre les mains d'une brute ! Tu ne pouvais pas savoir ce qui allait se passer ! Tu n'y es pour rien !... Et si tu n'avais pas été là pour gérer la situation après les attentats et pour mener à bien les traités d'alliance avec Mihai, Merlin sait ce qui se serait passé ! C'est toi qui as créé la Commission, c'est toi qui as mis sur pied la coopération européenne ! Tu ne peux pas te reprocher...
Harry se tut brusquement, à demi redressé, surpris de sa propre véhémence. Les lèvres pincées, Lucius évitait son regard.
– Même moi, je ne te reproche rien, assura Harry avec conviction. Et je suis certain que Severus ne te reproche rien non plus.
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Le silence s'installa tandis que le nom de Severus résonnait encore entre eux et continuait à rouler sur sa langue. Harry n'était plus certain de grand chose concernant Severus, mais il était certain de cette vérité-là. Severus s'en voudrait de son manque de vigilance, de n'avoir pas pu, pas su, se défendre, d'avoir été trop naïf et pas assez méfiant, mais il ne reprocherait certainement jamais à Lucius d'avoir été la cible de Vladimir parce qu'il était l'époux du Ministre.
– Peu importe, soupira Lucius. De toute façon, c'est bien trop tard pour regretter quoi que ce soit. Mais j'ai démissionné et cela, je ne le regrette pas. J'assume encore la transition jusqu'à la nomination de mon successeur, mais dans deux jours, je ne suis plus Ministre; dès demain, je ne suis plus président de la Commission Européenne... Lundi soir, j'aurai quitté toutes mes fonctions et je redeviendrai simplement Lucius Malfoy, celui que tu devras supporter tous les jours au Manoir... Si tu le souhaites encore.
Brusquement, Harry fut debout devant Lucius, puis entre ses jambes, puis il s'accroupit pour réussir à capter son regard.
– Merlin sait à quel point j'ai rêvé que tu sois plus présent, Luce... Combien j'ai regretté tes absences, les week-ends penchés sur tes dossiers ou interrompus par la faute du Ministère, les soirées de représentation et tous ces moments qu'on ne partageait plus ensemble... Mais je ne veux pas que tu prennes cette décision pour nous. Ou pour moi, se reprit-il en l'absence manifeste de Severus. Tu as toujours été un homme de pouvoir et de responsabilités; je ne veux pas que ce renoncement soit fait à contre-cœur ou par obligation morale, parce que tu te sens responsable de ce qui nous est arrivé... Tu n'es responsable de rien. Chacun a fait ses choix et nous t'avons soutenu quand tu as décidé de reprendre le poste de Ministre... Tu ne dois pas le quitter sur un coup de tête ou une impulsion dictée par les sentiments.
Harry se tut tandis que Lucius posait un doigt délicat sur ses lèvres. Mais il avait dit ce qu'il avait à dire. Il avait même, sans savoir pourquoi, parlé en leur nom commun, à Severus et lui, et pour convaincre Lucius, il irait même le chercher au fin fond de la Roumanie s'il le fallait.
– Eh bien, je crois que tu as tort, murmura l'aristocrate avec un sourire serein. Bien que ce soit dicté par les sentiments, ce n'est pas du tout une impulsion, au contraire. J'ai largement eu le temps d'y réfléchir depuis des mois, et plus encore depuis la morsure de Severus... Certaines choses ne valent pas les sacrifices que l'on fait, et le pouvoir en fait partie.
Lucius sourit encore davantage, le regard tourné vers ses pensées et ses souvenirs, mais habité d'une vraie conviction.
– Je crois que j'ai sans doute un peu trop idéalisé mon premier passage au Ministère... et que j'ai vécu celui-ci comme une espèce de revanche après avoir été évincé la première fois... Mais le fait est que je tiens à ma vie privée bien plus que je ne le pensais. Tout ce qu'on a vécu ces derniers mois m'ont fait prendre conscience de bien des choses, de mes priorités, de mes vraies envies, et de ce qui est secondaire... Draco a été bien plus sage que moi sur ce plan-là, et bien plus avisé malgré sa jeunesse... Je crois que je ne tiens plus autant qu'avant à être dans la lumière ou à tenir les rênes d'un pays. Je vais... œuvrer à autre chose, différemment, je vais me consacrer à ma famille, à vous, à mes collections et à mes œuvres de charité... Si je dois encore avoir une influence sur ce pays, ce ne sera pas en le dirigeant. Je ne veux plus avoir à cacher la vérité, à mentir ou à jouer un rôle. Je veux pouvoir exister librement, même si cela ne convient pas pour un Ministre. À mon âge, il serait temps d'arrêter les faux-semblants, non ?
– Je... J'ai du mal à te suivre, avoua Harry.
– Viens par là, murmura Lucius en lui prenant le poignet pour l'inciter à se redresser.
Sous l'impulsion de son amant, Harry se releva et vint s'asseoir sur le canapé à côté de lui, lové contre son torse, le bras de l'aristocrate autour de ses épaules comme ce n'était pas arrivé depuis si longtemps. Pouvoir se parler, avec tendresse, mais sans se regarder tout à fait, comme des confidences sur l'oreiller, dans l'obscurité de la chambre.
– Harry, murmura Lucius. Je n'ai pas fait que démissionner...
– Qu'est-ce que...
– J'espère que tu ne vas pas m'en vouloir, fit l'aristocrate en l'embrassant sur la tempe. Parce que cette fois, je ne t'ai pas demandé ton avis... Quand j'ai donné cette conférence de presse pour annoncer ma démission, j'ai aussi révélé que Severus avait été mordu, que tu étais devenu son calice et que... tu étais notre amant.
Harry resta bouche bée de longues secondes, frissonnant de froid malgré la chaleur du feu, avant de refermer sa bouche et de se serrer un peu plus contre Lucius. L'information – les informations – avaient du mal à monter jusqu'à son cerveau. Ou plutôt, il avait du mal à en envisager toutes les répercussions...
Contrairement à ce que semblait penser Lucius, que tout le monde sache qu'il était son amant et celui de Severus ne le gênait pas du tout. Il avait si souvent rêvé de pouvoir sortir avec eux sans devoir se cacher, sans devoir réfréner ses gestes ou les leurs. Étant ce qu'il était, Harry n'était pas à quelques ragots ou à quelques articles près. Et au moins, cela ferait taire une bonne partie des rumeurs qui couraient déjà sur eux ou sur sa liaison supposée avec la mère de sa fille.
En revanche, ce qui le gênait davantage, c'était que Lucius ait révélé la nature de Severus et de leur relation. Relation d'ailleurs si idyllique que Severus avait disparu sans un mot !... Harry n'était pas fier d'être un calice. Il n'en avait pas honte non plus, mais... au vu de ce qui s'était passé entre eux, ce n'en était pas loin. Il n'avait pas l'impression d'avoir sauvé Severus, ni même de lui avoir rendu service, il avait juste l'impression de s'être rabaissé, de s'être avili, de n'être devenu qu'un objet-sexuel-garde-manger et il n'aimait pas trop l'idée que tout un chacun le sache. Il n'allait rien dire pour ne pas froisser Lucius, mais l'idée que son asservissement à Severus soit étalé sur la place publique lui donnait légèrement la nausée.
Comment allait-il pouvoir regarder les gens en face alors qu'ils sauraient qu'il n'était qu'un défouloir sexuel et une réserve de sang sur pied ? Comment allait-il pouvoir regarder ses amis ?! Ceux qui savaient pour leur union avaient déjà été si réticents ! Draco l'avait regardé avec mépris... maintenant il le regarderait avec pitié et condescendance. Il était devenu la pute de Severus. Une citerne de sang que l'on observerait manger en ricanant devant les quantités qu'il avalait. On se demanderait où il était mordu, s'il avait des traces, si Severus le mordait en le baisant ou après, s'il accourait comme un chien à chaque fois que son vampire avait un peu soif... Merlin, c'était sordide! Jamais il ne pourrait profiter d'une sortie avec Lucius face à de tels regards ! Il préférait largement rester enfermé dans le Manoir !
Lucius dut sentir son trouble car il resserra son bras autour de ses épaules et l'embrassa à nouveau sur la tempe et dans les cheveux.
– Ne t'inquiète pas... Je ne laisserai personne dire du mal de nous. Je ne serai plus Ministre mais je resterai Lucius Malfoy et je ferai un procès à chaque journaliste qui osera le moindre mensonge ou la moindre insinuation déplacée.
– Tu ne feras rien du tout, déglutit péniblement Harry. On fera comme on a toujours fait : exemplaires et sans commentaires. Je n'ai jamais voulu attacher d'importance à ce que les gens disent de moi... je ne vais pas commencer aujourd'hui.
Et pourtant, l'envie était grande de se rouler en boule dans un coin du Manoir et de ne plus jamais en sortir, même pour voir ses amis. Et pourtant il faudrait bien, et il y avait tant de choses auxquelles il ne voulait pas penser...
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Harry resta un long moment lové dans l'étreinte de Lucius, plongé dans des pensées amères et chassant désespéramment celles qu'il ne voulait pas – qu'il ne pouvait pas – affronter.
– Je suis désolé, murmura Lucius. Je ne pensais pas que ça t'affecterait autant...
– Ce n'est pas... Ça va aller. Il faut juste que je me fasse à l'idée que tout le monde sache à quel point ma vie est devenue pitoyable et...
Sa voix s'étrangla dans sa gorge désagréablement gonflée. Il était ridicule. Et il avait diablement envie d'un grand verre de cognac. Ou de whisky. De boire jusqu'à l'oubli.
– Ta vie n'est pas pitoyable, déclara fermement Lucius. Harry... il faut qu'on parle de ce qui s'est passé là-bas...
– Je ne veux pas en parler !
Harry se redressa brusquement, s'éloignant de la chaleur du corps de Lucius, et posa ses coudes sur ses genoux avant de se passer les mains sur le visage.
– Il n'y a rien à en dire ! Je suis devenu son calice et c'est tout.
– Ce n'est pas tout et tu le sais très bien, fit doucement Lucius. Tout ne s'est pas passé aussi simplement, aussi facilement que cela aurait dû... Severus ne m'a sans doute pas tout dit, mais il s'est beaucoup confié. Et Mihai m'a également laissé entendre un certain nombre de choses... Je sais que tu en veux à Severus, et tu as certainement le droit, et même raison, de le faire, mais... Severus regrette tellement de n'avoir pas su mieux faire... de n'avoir pas su se contrôler, ouvrir les yeux plus tôt, de s'être laissé emporter...
– Tais-toi.
Étonné des mots qui venaient de sortir de sa bouche, Harry se leva à demi pour se servir un verre de cognac. Il n'avait même pas crié. Ni supplié d'ailleurs. Deux mots portés par un soupir de lassitude.
– Quoi qu'il regrette, Severus n'en a rien dit.
Ce n'était pas vrai en y songeant bien. Severus avait tenté de s'excuser, il avait dit qu'il était désolé, qu'il ne comprenait pas... mais ça ne suffisait pas à étouffer sa colère et sa rancœur.
– Je ne pourrai jamais lui pardonner, murmura Harry avant d'avaler son verre d'un trait. Je suis ce que je suis mais... c'est tout. Je suis désolé. Ce n'est sans doute pas ce que tu imaginais en claironnant partout à quel point notre vie à trois était magnifique et magique, mais...
– Je ne regretterai jamais d'avoir dit à quel point j'étais heureux avec vous, assura Lucius. Je n'avais pas prévu que Severus disparaisse comme il l'a fait...
Harry ricana amèrement, sans même savoir si la disparition de son vampire était quelque chose qu'il regrettait ou non.
– … mais je suis certain qu'il reviendra.
Harry ricana à nouveau, un rictus méprisant sur les lèvres, tandis que Lucius se levait pour le prendre dans ses bras.
– Il a besoin de temps, et de distance, pour comprendre ce qu'il a fait. Il ne se le pardonnera jamais, mais il reviendra, parce qu'au-delà de la question du sang, tu es toute sa vie. Et il fera tout ce qu'il peut pour que tu lui pardonnes. Il ne pourra jamais vivre en sachant ta colère et ta déception... et Severus a l'éternité à vivre avec ce fardeau sur sa conscience. Il reviendra pour te montrer inlassablement qu'il regrette.
Étouffant l'ironie qui naissait dans son cœur, Harry se défaussa des bras de Lucius et s'approcha de la cheminée pour y réchauffer ses mains. À présent, il allait être responsable de la mauvaise conscience de Severus ! Il savait bien que ce n'était pas ce que Lucius avait voulu dire, mais il ne pouvait s'empêcher de l'entendre ainsi. Il empêchait Severus de dormir sur ses deux oreilles et de passer l'éternité tranquille, à boire son sang et à le baiser quand il en aurait envie. Sa soumission à son vampire, à son état de calice, ne suffisaient pas; il fallait encore qu'il lui pardonne la violence, la douleur, la haine et les humiliations. Severus avait failli le tuer, bon sang !
Harry se passa à nouveau la main sur le visage, puis dans les cheveux. Severus avait aussi refusé de le mordre au mépris de sa faim, il avait « dormi » avec lui sans le toucher, il lui avait redonné un peu de tendresse et une jouissance aussi extraordinaire que sale. N'en déplaise à Lucius qui semblait encore avoir toute confiance en son mari, Harry ne savait plus qui était Severus et il n'était pas sûr d'avoir envie de le savoir.
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– Est-ce que tu as lu la lettre de Mihai ? demanda l'aristocrate avant de boire une gorgée de cognac. Je suppose que non, si tu ignorais que ton anniversaire était passé...
Harry haussa les épaules sans se retourner, avant de murmurer :
– Quelle lettre ?
– Dans ton secrétaire, dans la Bibliothèque... avec tous les messages que tu as reçu pour ton anniversaire.
Lucius emporta son verre et retourna s'asseoir sur le canapé, avant de croiser les jambes et de lisser machinalement son pantalon.
– Mihai... a longuement hésité. Je crois qu'il voulait absolument te parler, une fois que tu serais sorti du pavillon chinois. Il voulait t'expliquer des choses, sur Severus, sur les calices, sur... et puis se justifier, certainement. Il n'était pas à l'aise avec ce qu'il estimait être sa responsabilité... Mais il a fini par se douter que tu ne voudrais pas le voir. Je ne sais pas à quel point Severus avait prémédité son départ, mais... Mihai l'a emmené en Roumanie parce que c'est sans doute pour lui une autre façon de se racheter.
Cela, c'était une chose que Harry savait. Severus avait peut-être envisagé son départ plus tôt, mais il n'avait réellement pris sa décision qu'après le deuxième rituel d'union. Et Harry pouvait même dire précisément à quel moment : quand il s'était arraché des bras de son vampire pour se précipiter sous la douche. Dans sa fuite, il avait très bien perçu le soupir de désespoir et de renoncement de Severus.
Bien. Maintenant, il était aussi responsable de la désertion de son vampire.
Comme un automate, Harry frotta ses mains l'une contre l'autre pour se réchauffer, puis il se dirigea vers la porte de la salle de billard.
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Les lettres étaient là, il suffisait d'ouvrir l'abattant du secrétaire pour voir le tas de parchemins de différentes tailles empilés les uns sur les autres, maintenus en place par un lourd coquillage venu d'une île lointaine qui servait de presse-papier... Il n'avait pas ouvert, il n'avait pas vu.
Sans y toucher, Harry devinait déjà les écritures serrées, noires, bleues, turquoise même, l'ébauche d'un dessin d'enfant qui lui serra le cœur, tout un tas de témoignages d'amitié, de pensées, pour lui, pour l'anniversaire qu'il ne fêterait jamais et qu'il avait passé à se faire baiser et mordre en serrant les dents pour ne pas crier.
Non. Lucius avait dit trois jours. Il y a trois jours, Severus ne le mordait déjà plus, il préférait renoncer pour faire preuve de bonne volonté... Ce n'était pas une date joyeuse pour autant.
Harry tendit la main, caressa une seconde le coquillage froid et nacré, avant de l'ôter pour attraper les feuillets de papier.
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Il était revenu s'asseoir dans la Salle de Billard, pour montrer qu'il ne voulait fuir ni Lucius, ni la conversation. Mais dans son fauteuil, près du feu, pour que la chaleur l'empêche de frissonner et pour ne pas être trop proche de son amant.
Il aurait mieux fait de lire tout ça seul et à tête reposée.
Ils avaient tous envoyé un petit mot, une carte, une photo souvenir... Tous. Les proches, les moins proches, les plus lointains... Les improbables. Neville. Katie. Bill. Molly. Lisbeth et James...
Et tous ceux qui l'émouvaient particulièrement : le message d'Alicia, ses mots parcimonieux mais intenses, et dessous, en plus petit, dans un coin, l'écriture rapide de Blaise, et il entendait presque la jeune femme lui dire « Tu veux rajouter quelque chose ou je signe pour toi ? »... Les dessins d'Iris et de Scorpius, les vœux de Minerva, étranges, décalés, comme souvent avec elle, qui lui racontait qu'elle avait fait un rêve où il était professeur à Poudlard, et que comme ça, ils se verraient plus souvent quand elle vivrait au château... La carte tendre de Luna et Padma signée de leurs deux noms et d'une grosse empreinte de main de bébé qui lui mit les larmes aux yeux.
Harry gardait la tête penchée sur ses messages, l'air impassible sous le regard observateur de Lucius, mais il avait sans doute bien des efforts à faire pour atteindre le niveau de maîtrise de son amant. Rien que ses paupières qui papillonnaient un peu trop vite devaient le trahir. Mais quand il jeta un rapide coup d'œil vers lui, Lucius regardait délibérément ailleurs, tout en pudeur devant ses émotions.
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Vint enfin la lettre de Mihai. Du moins, Harry supposait qu'il y avait une lettre car pour l'heure, il n'avait qu'une enveloppe entre les mains. Du pouce, il caressa l'endroit où était écrit son prénom d'une belle écriture déliée comme celle de Lucius, mais encore plus ornementée, pleine d'arabesques et de rondeurs qui lui rappelaient les entrelacs gravés sur sa peau. Mihai venait vraiment d'une autre époque.
Le ventre noué d'une sourde appréhension, Harry décacheta l'enveloppe et en sortit plusieurs feuillets, un mince livret, ainsi qu'une médaille en or qu'il saisit entre ses doigts sans même la regarder.
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« Harry,
J'ai longuement hésité avant d'écrire cette lettre, et je ne tiens pas à ce que tu la lises si tu ne le souhaites pas. J'imagine que pour toi, ma présence dans le pavillon chinois, pendant la période où tu étais inconscient qui plus est, représente une véritable intrusion dans ton intimité et ta vie privée, et il fallait d'une façon ou d'une autre que je te présente mes excuses. Quelques mots sur le papier sont peut-être moins violents que ma présence en chair et en os.
Je regrette. Je regrette un certain nombre de choses dont nous avons tous les deux connaissance et que je ne coucherai pas par écrit, mais je regrette surtout ce que je n'ai pas su empêcher. Rien de tout cela n'aurait dû, n'aurait pu, se produire si j'avais su trouver les bons mots pour t'avertir, si j'avais su te retenir ou imposer ma présence dès les premiers jours. Avec son passé, Severus ne pouvait pas s'en sortir seul, sans garde-fou ni conseils, mais je ne le connaissais pas assez pour en juger... Quant à toi, mes sentiments ont altéré mon jugement et je n'ai pas voulu t'imposer une situation que tu m'aurais reprochée ou dans laquelle tu te serais senti trahi. J'ai préféré fermer les yeux sur les risques que tu prenais même si cela m'en coûtait d'une autre façon, j'ai préféré acquiescer à la confiance que tu avais en lui et aux sentiments que tu lui portais.
J'espère que tu me pardonneras un jour d'avoir fait passer le cœur avant la raison et de m'être trompé, comme tu pardonneras un jour à Severus, en dépit de ce qu'il a fait.
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Quoi qu'il en soit, tu trouveras ci-joint un petit livret de conseils et d'explications que nous donnons en général aux calices avant le rituel d'union. Beaucoup de choses te paraîtront sans doute obsolètes ou enjolivées, mais sache qu'un rituel d'union ne devrait jamais déboucher sur ce qui s'est passé entre toi et Severus. Tu n'en es pas responsable, même Severus n'en est pas complètement responsable, mais c'est le rôle de la communauté qui a failli et je regrette de ne pas avoir insisté pour que vous veniez faire le rituel ici.
Tu trouveras également une médaille que possède chaque calice et qui lui assure protection auprès de la communauté. Quelle que soit la situation à l'avenir, que Severus soit mort ou vivant, qu'il soit auprès de toi ou non, que je sois mort ou vivant, tu pourras toujours trouver refuge auprès de la communauté de Colibita ou de nos alliés. Tu portes l'odeur de Severus à présent, et tout le monde te reconnaîtra comme son calice, mais cette médaille est celle de ma Maison, et par conséquent, tu y es également affilié. Ici, comme tu le sais, les calices sont protégés, même de leur propre vampire s'il le faut, et la porte te sera toujours ouverte. La communauté n'abandonne pas les siens.
N'aies jamais honte de ce tu es dorénavant. Quels que soient les jalousies, les rancœurs, le mépris, ou même la violence, tu es un présent somptueux fait à la vie, tu es le symbole de la confiance et de l'amour, même si Severus n'en a pris conscience que trop tard, et ce que tu es mérite d'être honoré et remercié.
Si Severus échoue dans sa reconquête de lui-même, je lui ai promis de veiller sur toi. Je ne t'imposerai jamais rien, mais je serai là autant que tu le souhaiteras et de la façon dont tu le souhaiteras. Mais tu sais aussi quelles sont mes envies profondes et elles n'ont pas changé depuis ce jour où j'ai goûté ton sang.
Malgré tout, je souhaite que vous réussissiez, toi et Severus, à surmonter tous les obstacles qui ont jalonné et jalonneront peut-être encore votre vie. Vous vous êtes choisis et cela vaut bien des erreurs et des pardons. Ne vous laissez pas submerger par le passé, ni par la noirceur. Retrouvez ce qui vous unit, au-delà du sang et de la dépendance. Retrouvez la symbiose qui était la vôtre et qui a permis à vos magies de fusionner; celle que vous aurez en tant que vampire et calice n'en sera que plus grande.
Et même si tu restes à jamais le calice de Severus, je ne désespère pas de parcourir avec toi les jardins du Manoir, un jour de grisaille ou sous un clair de lune.
Avec tout mon respect,
Mihai. »
Le dos du dernier feuillet, d'une écriture un peu précipitée et d'une couleur d'encre différente, portait quelques mots supplémentaires.
« Pour les raisons que tu peux imaginer, Severus préfère s'éloigner quelques temps. Il a besoin, sans doute, de faire un certain travail sur lui-même, sur sa nature de vampire et d'obtenir des réponses à toutes les questions qu'il se pose et tous les doutes qui l'assaillent...
Je l'accompagne à Colibita pour l'aider à y voir plus clair, mais je ferai en sorte qu'il te revienne. Prends patience et aie confiance en lui, et surtout en toi. Ce que vous traversez n'est pas insurmontable et plus je le connais, plus je suis sûr que tout finira par s'arranger.
Prends soin de toi. Mes amitiés à Lucius,
Mihai »
Harry reposa les feuillets sur ses genoux pour parcourir rapidement le livret. Un petit carnet, ancien, aux titres de chapitres pragmatiques : Engagement et conséquences, Le rituel d'union, Morsures et intimité, La production de sang, jusqu'aux Aléas : absence, maladie, grossesse...
Un instant, il fit tourner la médaille entre ses doigts, sans même voir les inscriptions et les gravures qu'elle portait, simple morceau de métal dont il appréciait le contact froid et poli. Son esprit était étrangement vide, libéré de toute pensée construite et de tout sentiment. Contrairement à ce qu'il avait pensé, la lettre de Mihai ne l'avait pas ému, ni bouleversé, ni ne lui avait redonné espoir. Il n'en pensait rien.
Mihai se sentait coupable, comme tout le monde semblait se sentir coupable de ce qui lui était arrivé : Severus, et même Lucius. Une culpabilité qui l'étouffait... Qui l'empêchait d'exprimer sa colère et sa douleur sous des monceaux de bons sentiments sirupeux. Il était furieux et il ne voulait pas de pitié. La colère passerait peut-être au bout d'un certain temps, mais seulement quand il aurait des preuves que les choses avaient changé. Et de toute façon, pour l'instant Severus n'était pas là pour prouver quoi que ce soit.
C'était peut-être mieux, cette distance. Harry n'aurait pas supporté de voir cette culpabilité fébrile dans ses yeux, ni l'attente muette de son pardon. Au moins quand Severus reviendrait avec la faim chevillée au corps parce qu'il n'aurait pas bu depuis trop longtemps, ce serait vraiment une épreuve de vérité. S'il était capable d'attendre, ne serait-ce que dix minutes de plus au lieu de se jeter sur lui pour le mordre, s'il était capable de le respecter et de faire preuve de douceur, alors il saurait avec certitude que quelque chose avait changé. En attendant, Severus pouvait aller réfléchir autant qu'il le voulait au fin fond des Carpates, il ne voulait plus en entendre parler !
– Allons nous coucher, murmura-t-il à l'adresse de Lucius qui buvait en silence un énième verre de cognac.
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Arrivé dans la chambre, Harry fourra les lettres, le livret et la médaille pêle-mêle dans la table de nuit de Severus et se déshabilla rapidement. Il voulait se coucher et tout oublier de cette journée bizarre et dérangeante. Il voulait oublier que le deuxième rituel d'union datait de vingt-quatre heures à peine, et que la veille au soir, il aurait pu, s'il était resté dans le lit au lieu de fuir dans la douche, dormir dans les bras de Severus pour la première fois depuis si longtemps.
Mais Severus était parti, il allait dormir dans les bras de Lucius dont c'était l'anniversaire, et pourtant cet anniversaire était tout autant gâché que le sien trois jours plus tôt. Et Lucius n'avait certainement rien fait pour mériter ça.
– Je suis désolé, fit Harry en le rejoignant dans la salle de bains et en glissant ses bras autour de sa taille.
Contre son torse nu, la chemise de Lucius était aussi soyeuse que ses longs cheveux blonds, une caresse satinée qui lui aurait fait fermer les yeux de bonheur, mais dans le reflet du miroir, il ne voulait pas quitter le regard souriant de ces yeux gris.
– Ne sois pas désolé, dit Lucius en levant la main pour caresser son visage posé sur son épaule. Tu es rentré à la maison et c'est tout ce qui compte.
Le ventre noué d'émotion, Harry frotta son nez sur l'épaule de Lucius, l'embrassa dans le petit creux sous l'oreille et attrapa sa brosse à dents pour se donner une contenance qu'il n'avait pas.
Il mit du temps à rejoindre Lucius qui s'était déjà installé au chaud, sous la couette, et qui l'attendait pour l'enlacer avant de s'endormir. Une espèce de douceur rituelle, avant le sommeil, un geste de tendresse apaisant, réconfortant.
Ils avaient encore bien des sujets à discuter tous les deux, bien des écueils à aborder, mais Harry n'en voulait plus pour ce soir. Il voulait le calme et l'oubli, il voulait fuir, quelques heures, tout ce qu'il devait affronter.
Il se glissa sous les draps, se lova contre le corps de Lucius, la tête posée dans le creux de son épaule. Il glissa sa jambe entre les siennes, il sentait contre sa cuisse le sexe de son amant, un sexe mou, flaccide, sans désir et sans besoin, et c'était très bien comme ça. Il glissa dans le sommeil en songeant qu'il avait presque envie d'une présence dans son dos, d'un corps d'homme qui aurait épousé le sien et d'une odeur épicée qui l'aurait accompagné toute la nuit. Il glissa dans un monde irréel où le sang pulsait sous sa peau et dans son sexe, où le sang était la vie, la sève, la magie et où la morsure était une jouissance.
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(1) Robert Mapplethorpe, Calla Lily, 1988
Merci à tous de votre lecture. N'hésitez pas à laisser vos impressions sur ce premier chapitre ;)
La semaine prochaine, on poursuivra avec Harry qui réapprivoise sa liberté, entre rancoeur et amertume...
Au plaisir
La vieille aux chats
