Enjoy & Review!


Chapitre 2 :


La nuit avait été courte comme la plupart des nuits depuis ce soir de juin où sa vie avait pris un énième tournant dramatique. Il avait peu dormi, osant à peine se tourner dans le lit de peur de réveiller Snape avec les grincements du clic-clac et de se faire hurler dessus, luttant presque contre le sommeil parfois pour échapper aux cauchemars qui hantaient ses nuits. Il avait regretté d'avoir abandonné sa lampe torche sous la latte secrète chez les Dursley. Peut-être aurait-il pu s'en servir pour lire et passer le temps…

Toutefois, il ne devait pas être le seul insomniaque parce qu'il entendit du mouvement au rez-de-chaussée, alors que le ciel en était tout juste à s'éclaircir. La plomberie n'était pas aussi bruyante qu'il l'avait craint, la veille, mais le cottage était très visiblement vieux et, dans le silence, les bruits portaient or il était passé maître dans l'art d'évaluer à l'ouïe qui faisait quoi dans une maison. Allongé sur le dos, le regard rivé au même bout de ciel qu'il avait passé la moitié de la nuit à contempler, il suivit le trajet de Snape de sa chambre aux toilettes, puis jusqu'à la cuisine d'où provinrent des bruits étouffés.

Harry hésita.

Snape avait dit qu'il était responsable de son propre petit-déjeuner mais n'avait pas précisé d'heure. Était-il censé manger en même temps que le Professeur ? C'est ce qu'il avait dit à propos du déjeuner et du dîner. Cela impliquait-il que s'il se levait après l'homme, il n'aurait pas le droit de manger ? Ou bien, au contraire, lui dire de se débrouiller seul était-il une manière de lui faire comprendre qu'il ne voulait pas le voir au petit-déjeuner ?

Son traître d'estomac, déjà habitué à la cuisine de Molly Weasley, gargouilla.

Il n'y avait qu'une seule manière de le savoir, décida-t-il, en roulant souplement hors du clic-clac et en troquant rapidement son pyjama contre un jean et un tee-shirt, tout en évitant les lattes qui craquaient et dont il avait bien pris soin de noter la position, la veille.

Il n'y avait aucun moyen de masquer sa descente le long de l'escalier, cela dit. Le bois craquait et protestait à chaque marche comme s'il allait s'effondrer. Il traîna les pieds jusqu'à la cuisine, maudissant intérieurement Dumbledore de l'avoir mis dans cette situation.

L'abandonner avec Snape pour une durée indéterminée alors qu'il aurait pu rester et enfin vivre avec Sirius…

Il n'était pas prêt de le lui pardonner.

Qu'il l'ait laissé chez les Dursley sans nouvelles tout l'été et ne semble plus capable de le regarder en face, passe encore, mais ça

Snape leva la tête du livre qu'il lisait à la table de la cuisine, une assiette de toasts et une tasse de thé posées devant lui.

« Vous êtes matinal. » remarqua le Professeur, d'un ton atrocement neutre. « Je ne vous attendais pas si tôt. »

C'était très clairement la vérité ou Harry était prêt à parier qu'il se serait habillé avant de venir prendre son petit-déjeuner. Il n'était pas préparé à la vue d'un Snape portant un pantalon en coton à carreaux et un vieux sweatshirt marron fané. Il ne savait pas ce qui le choquait le plus : que le pantalon soit gris clair avec des carreaux verts, que le sweatshirt soit marron – de la couleur – ou que le Professeur ait des orteils.

Parce que Snape était pieds nus.

Pieds nus.

Harry parvint à s'arracher à cette vision ahurissante pour se focaliser sur ce qui était important : à savoir s'il avait ou non brisé une des règles établies la veille en le rejoignant dans la cuisine. Le ton neutre et l'expression indéchiffrable du sorcier ne lui permettaient pas de pencher dans un sens ou dans l'autre.

Il détestait être dans ce flou.

Chez les Dursley, il connaissait les règles, savait comment survivre en naviguant avec leurs écueils, et, le cas échéant, le genre de punitions auxquelles il pouvait s'attendre. Ici… Ici, c'était différent. C'était tout un monde de dangers à réapprendre.

« Je ne dors pas beaucoup. » lâcha-t-il, finalement, parce que Snape commençait à froncer les sourcils face à son mutisme.

« Cela nous fait un point commun. » répondit le Professeur, toujours de ce ton détaché qu'il peinait à interpréter. « Est-ce la lumière qui vous a dérangé ? J'ai oublié la lucarne, hier soir. Nous pouvons la bloquer avec un rideau. »

Snape était tellement bizarre.

Et pas juste parce qu'il avait des orteils.

Des orteils longs dont les deux du milieu se montaient un peu dessus.

« Non, non… » nia-t-il. « J'aime bien voir dehors. »

Il était toujours planté nerveusement sur le seuil et Snape l'observait avec la même attention qu'il prêtait généralement à la potion de Neville juste avant qu'elle n'explose. Finalement, le Professeur fit un geste vers la chaise en face de lui.

« Les tasses et les assiettes sont dans le placard au-dessus de l'évier. » déclara Snape. « Il y a du pain de mie et quelques confitures dans le réfrigérateur. Nous allons devoir aller faire des courses, je le crains. Je n'avais pas prévu de la compagnie. » Il leva les yeux vers une vieille horloge en bois qui pendait au mur. « Nous irons ce matin puisque vous êtes déjà debout. »

Un nœud se dénoua dans son estomac alors qu'il se dépêchait de saisir l'invitation à se servir. Il hésita sur le nombre de toasts, se demandant brièvement si Snape trouverait que trois c'était trop, jugea qu'il valait mieux être prudent et se restreignit à deux pour ne pas avoir à subir de remarques sur le coût de le nourrir… De même, il n'essaya même pas d'ouvrir le frigo pour prendre la confiture et se contenta timidement d'une lichette de beurre volée à la plaquette déjà sur la table et dont Snape s'était visiblement lui-même servi.

Il n'osa pas non plus remplir sa tasse plus qu'à moitié, au cas où Snape ait prévu d'utiliser ce qui restait dans la théière.

Le Professeur le regarda faire avec un air franchement agacé. « Je vous déconseille de faire la fine bouche ou vous vous retrouverez vite affamé, Potter. Je refuse de céder à tous vos caprices. Vous mangerez ce qu'il y a, même si ce n'est pas ce à quoi vous êtes habitué. »

Il tressaillit et se dépêcha de croquer dans son toast au cas où Snape déciderait de le lui retirer. « Je ne fais pas la fine bouche, c'est très bon. » À vrai dire, le pain de mie était clairement en fin de course et la margarine n'était pas ce qu'il préférait mais c'était de la nourriture et on ne crachait pas sur la nourriture. « Je n'ai juste pas très faim, Professeur. Merci. »

Ce n'était jamais superflu de remercier Tante Pétunia pour l'avoir laissé se servir, peut-être que…

Snape continuait de l'étudier comme une potion ratée puis il referma son livre, comme à regret. « Rappelez-moi quelles sont vos matières optionnelles ? »

Il avait avalé une trop grosse bouchée de toast et il la sentit descendre avec une lenteur insupportable et douloureuse le long de sa trachée. Il prit une gorgée de thé pour tenter d'accélérer le processus mais sans grand succès. Toussotant un peu, il parvint à répondre « Euh… La Divination et le Soin aux Créatures. »

Le sorcier leva les yeux au ciel. « La Divination n'est qu'une vaste arnaque, vous aurez sans mal vos B.U.S.E.s en inventant un quelconque malheur. »

Harry croisa brusquement son regard, sourcils levés et honnêtement surpris. « Est-ce que vous êtes en train de dire que je dois tricher à un examen ? »

« Pas du tout. » contra Snape. « Je dis simplement que cette matière n'a aucune utilité et, en conséquence, nous ne perdrons pas mon précieux temps à la travailler. » D'un geste du menton, il désigna les deux chaudrons empilés dans le coin. « Ce n'est pas des plus pratiques mais nous pourrons réaliser quelques potions qui n'exigent pas la fraîcheur d'un souterrain. Pour le reste, il y a toujours la théorie. La théorie est tout ce que vous aurez le loisir d'étudier, pour l'instant, de toute manière. Je vous laisserai en autonomie pour l'Histoire de la Magie et le Soin aux Créatures mais vous testerai régulièrement. Les autres matières… Nous nous organiserons sur le tas mais mettrons l'accent sur la Défense. »

« Super. » lâcha-t-il, sans aucun entrain. Face au sourcil levé du Professeur, il grimaça. « Quelle importance, de toute manière ? Je ne pourrais même pas passer les B.U.S.E.s. Je… »

« Le Professeur Dumbledore trouvera une solution. » le coupa l'homme.

Harry préféra attaquer son deuxième toast, ne se faisant pas tout à fait confiance pour répondre poliment. Snape avait été relativement correct jusque là mais il doutait qu'il partage son point de vue sur le Directeur qui devenait clairement sénile s'il pensait pouvoir abandonner Harry et le Professeur dans un endroit isolé sans qu'il n'y ait de mort avant la fin de la semaine.

« Avez-vous terminé vos devoirs d'été ? » demanda le Professeur.

« Euh… » Était-ce la voix traînante ou son regard soudain fuyant qui le trahirent ?

« Dites-moi que vous avez au moins commencé, Potter. » soupira Snape. « Il ne reste qu'une semaine avant la rentrée. Que comptiez-vous faire ? Tout copier sur Granger ? Non, ne répondez pas, j'ai un parfait souvenir de vos trois derniers devoirs de vacances. »

Harry baissa le regard vers son assiette et contracta la mâchoire. Ce n'était pas sa faute s'il n'avait pas le droit de faire ses devoirs chez les Dursley. Ou s'il avait été un peu trop préoccupé parce que tout le monde l'avait laissé dans le noir quant à ce qu'il se passait dans le monde magique.

Et le voilà désormais dans la même situation. En pire.

Parce qu'il se doutait bien que la Gazette ne viendrait pas les trouver dans ce trou perdu, pas si Dumbledore ne le voulait pas.

Là où la colère l'avait maintenu debout tout l'été, prêt à se battre, il ressentit soudain, au contraire, un grand abattement et un besoin pathologique d'aller se recoucher.

Quand est-ce que les catastrophes allaient arrêter de pleuvoir sur lui ? Quand est-ce que…

« Vous y travaillerez cet après-midi. » décréta Snape. « Et m'en donnerez au moins deux, ce soir. Si vous avez besoin de références, utilisez les bibliothèques du salon, il y a des livres sur à peu près tous les sujets. »

Visiblement, pas ce jour-là.

« Ces rêves que vous faites… » reprit le Professeur, après un léger temps d'arrêt.

Harry sursauta.

Avait-il fait du bruit, cette nuit là ? Avait-il crié ou…

« C'est juste des cauchemars. » se défendit-il, cherchant désespérément une solution qui ne lui vaudrait pas une remontrance. Oncle Vernon en avait eu tellement marre de l'entendre hurler au milieu de la nuit qu'il avait menacé de l'enfermer à nouveau dans son placard s'il ne se taisait pas. « Je suis désolé si je vous ai réveillé. Je… »

« Je parlais des rêves que vous avez mentionné, hier, concernant le Seigneur des Ténèbres. » coupa le sorcier.

« Oh… » souffla-t-il, masquant mal la panique dont il peinait à se défaire. « Ça. »

« Oui, ça. » railla le Professeur, en tapotant le bout de la table de l'index sans même sembler s'en rendre compte. « Laissons-le de côté, quelques minutes. Vos cauchemars… »

« Je… Peut-être que si on ferme la porte du salon vous n'entendrez pas et… » suggéra-t-il, à demi affolé. Rationnellement, il savait que les chances que Snape décide de l'enfermer dans le placard étaient très faibles. Mais…

« Potter, je n'ai rien entendu, vous ne m'avez pas dérangé. » l'interrompit Snape à nouveau, en partageant ce qui restait de thé dans la théière dans leurs tasses respectives. Harry s'en saisit immédiatement, heureux de toute excuse qui lui éviterait d'avoir à regarder l'homme en face, attendant les moqueries et les piques cruelles… Pourtant, le sorcier se contenta de se racler la gorge. « Il n'est pas rare d'avoir des cauchemars lorsqu'on a subi un évènement particulièrement traumatique. Ce n'est pas de votre fait et je ne vous en tiendrai pas rigueur. »

Avant d'avoir pu se retenir, Harry avait lâché un bruit moqueur. « Ce serait bien la première fois. »

Il se figea immédiatement, se traitant d'idiot pour être allé le provoquer alors qu'il semblait disposé à faire un effort d'amabilité.

Au lieu de lui arracher la tête sans chercher à discuter, Snape poussa un long soupir. « Je ne peux pas prétendre beaucoup vous apprécier, vous êtes trop prompt à enfreindre les règles à mon goût et pas assez appliqué dans votre travail. Toutefois… Le Professeur Dumbledore n'avait pas tout à fait tort lorsqu'il a dit hier qu'il était nécessaire que je vende aux enfants de Mangemorts la comédie de mes allégeances. »

C'était un peu trop facile et Harry n'y croyait pas une seconde.

« Et vous ne détestez pas mon père, Sirius et Remus non plus, peut-être ? » le défia-t-il. « Ça aussi, c'est de la comédie ? »

Le visage du sorcier se ferma immédiatement, comme si un rideau de fer était tombé derrière ses yeux.

« Non. » répondit froidement l'enseignant. « Ça, ce n'était pas de la comédie et c'est un sujet qu'il serait préférable de laisser de côté pour l'instant où notre trêve sera de courte durée. »

Il n'avait pas tort et Harry le savait alors il hocha la tête un peu brusquement.

De même, Snape sembla faire un effort pour se contenir. « Vos cauchemars, je présume qu'ils sont en rapport avec ce qu'il s'est passé en juin dernier. »

Harry tourna et retourna la tasse de thé entre ses mains, sans laisser son regard dériver du liquide qui clapotait au fond. À court de mots, il haussa les épaules.

« Il y a des méthodes qui aident à se débarrasser des cauchemars. » déclara le Professeur. « Avez-vous tenté de vider votre esprit, hier ? »

« Je ne suis pas très doué pour faire le vide dans ma tête. » railla-t-il. « C'est peut-être parce qu'il y a toujours quelqu'un en train d'essayer de me tuer ou parce que je me retrouve toujours dans des situations impossibles. » Comme coincé au milieu de rien avec le Professeur qu'il détestait le plus. « Et je ne vois pas le rapport avec mes cauchemars. »

« Voyez-vous le rapport avec ces rêves qui vous permettent prétendument d'accéder à l'esprit du Seigneur des Ténèbres ? » rétorqua le sorcier, visiblement à bout de patience.

Tout ce qu'Harry retint de cette question fut le prétendument.

Il releva la tête et planta son regard dans celui de Snape avec colère. « Je ne mens pas ! »

Il en avait assez qu'on l'accuse de mentir en permanence. Les articles dans la Gazette qui tentaient de le faire passer pour un déséquilibré au mieux, un mythomane narcissique au pire… Le Magenmagot… Il savait pertinemment à quel point son histoire de cicatrice qui le brûlait en fonction de l'humeur du mage noir était difficile à croire, à peu près autant que les visions qu'il avait parfois depuis l'été précédent, mais…

« Vous allez devoir apprendre à contrôler vos émotions. » décréta placidement le Professeur, comme s'il n'avait pas élevé la voix. « D'une part parce que c'est une étape nécessaire pour la branche de magie à laquelle je vais m'employer à vous initier, d'une autre parce que votre magie est plus susceptible de vous échapper si vos émotions sont trop fortes. »

Harry fronça les sourcils. « Quelle branche de magie ? »

« La magie de l'esprit. » répondit Snape. « Plus précisément dans votre cas, l'Occlumencie. »

« Dumble… Le Professeur Dumbledore en a parlé hier. » se rappela-t-il. « Il a dit que vous pouviez toujours la pratiquer même avec… Euh… »

Ses yeux verts dérivèrent vers le pansement qui dépassait du col de son sweatshirt.

« La magie de l'esprit est une branche de magie un peu différente des autres, un peu comme l'alchimie ou, dans une moindre mesure, la théurgie. » expliqua le Professeur, du ton docte et légèrement pédant qu'il prenait en classe. « Ce sont des écoles de magie tombées en désuétude, que l'on n'enseigne plus ou très peu et qui sont généralement réservées aux initiés. Soit on fait seul sa propre éducation, soit on trouve un Maître qui veut bien vous enseigner ce qu'il sait. » Il termina sa tasse de thé qui devait, à présent, être froide puis reprit la parole. « Si ces branches sont tombées en désuétude, c'est parce qu'elles ne sont pas accessibles à tout le monde. Il faut une certaine affinité avec elles – ou un excellent Maître. » Snape planta son regard dans le sien. « Étant donné votre tempérament, je doute que vous ayez la moindre prédisposition à la magie de l'esprit, néanmoins, et bien heureusement pour vous, je suis probablement un des meilleurs Maître Occlumens du pays à l'heure actuelle. »

Harry releva la pointe d'arrogance dans le ton mais eut du mal à en comprendre la raison parce qu'il ne savait toujours pas ce qu'était l'Occlumencie.

Comme s'il avait lu ses pensées, le Professeur leva légèrement les sourcils. « L'Occlumencie est, dans sa forme la plus basique, l'art de fermer son esprit aux intrusions. »

Le garçon pensa immédiatement à Voldemort puis comprit dans la même seconde que sa situation étant unique, cela voulait dire que cette magie avait été développée pour autre chose. Et la déduction logique… « Attendez… Vous voulez dire… Vous voulez dire qu'on peut lire dans les pensées des gens ? »

« Pas exactement. Ce n'est pas de la télépathie. » nuança Snape. « Toutefois, un Maître Legilimens pourrait vous arracher vos souvenirs les plus intimes, vos secrets les mieux enfouis et, oui, à un certain niveau, décrypter vos émotions sur l'instant, ce qui en dit souvent plus long que des bribes de pensées éparses, et le tout, s'il est doué, sans même que vous ne vous en aperceviez. C'est notamment très utile pour déterminer si quelqu'un vous ment. »

Il avait toujours le regard planté dans celui de Snape et, une sueur froide coulant le long de sa colonne vertébrale, il ancra une certitude. « Vous êtes Maître Legilimens. »

« Croyez-vous ? » ironisa l'homme.

La mâchoire d'Harry se décrocha alors que tout un tas de transgressions, entorses au règlement et autres joyeusetés de ce genre se bousculaient dans sa tête.

Snape eut un tut-tut réprobateur. « Préparer du Polynectar dans les toilettes des filles, Mr Potter ? »

Oh Merlin

Visiblement plus amusé qu'autre chose, certainement parce qu'il adorait le torturer, le Professeur se leva, rassemblant la vaisselle sale pour la porter dans l'évier.

« Détendez-vous. Il faut un contact visuel prolongé pour maintenir le sort. » se moqua l'enseignant. « Et comme je n'ai pas envie de voir des horreurs, je ne passe pas mon temps à fouiller dans l'esprit de mes élèves. J'espère néanmoins que vous aurez compris l'importance d'apprendre à protéger votre esprit. »

« Vol… Vous-Savez-Qui, c'est un Legilimens. » déduisit-il.

L'amusement de Snape fondit comme neige au soleil et, lorsqu'il répondit, il était mortellement sérieux. « Le meilleur, à l'exception peut-être d'Albus Dumbledore. L'un est brutal là où l'autre n'est que subtilité. »

« Meilleurs que vous ? » hésita Harry.

« Sont-ils meilleurs Legilimens que moi ? Sans doute. » admit le sorcier. « Mais cela importe peu car je suis meilleur Occlumens qu'ils ne sont Legilimens et c'est là toute la clef de ce genre de magie. La défense vaut mieux que l'attaque. » Il agita la main d'un geste négligeant. « Laissons la Legilimencie de côté, c'est l'Occlumencie qui nous préoccupe et que vous allez étudier. Il est impératif de vous apprendre à vous protéger du lien entre vous et le Seigneur des Ténèbres au plus vite. »

« Mais… Ça peut être un avantage. » insista-t-il. « Si vous m'apprenez la Legilimencie à la place et que j'arrive à contrôler mes visions… »

« Non, Potter. » coupa Snape, en croisant les bras. Comme la veille, il s'était adossé au comptoir de la cuisine pour mieux l'observer. « Si nous avons de la chance, le Seigneur des Ténèbres ne s'est pas encore aperçu de vos incursions. »

« Mais, Professeur… » pressa-t-il.

« Potter, si vous pouvez voir dans son esprit, que pensez-vous qu'il arrivera s'il vient visiter le vôtre ? » lâcha l'enseignant.

Et soudain, Harry comprit pourquoi Dumbledore n'avait pas voulu le laisser au Square Grimmaurd.

Et, avec un temps de retard, pourquoi il ne voulait plus croiser son regard.

Puis toutes les autres implications qui en découlaient s'imposèrent à lui et, sans y réfléchir, il chercha le regard de Snape.

« Je ne devrais pas être ici. » s'inquiéta-t-il. « Vous êtes sans défense et moi aussi… S'il découvre où on est… À quoi pensait Dumbledore ?! »

Au lieu de le reprendre sur le titre et le respect dû à ses aînés, l'homme émit un bruit amèrement amusé. « Ça, c'est une question que j'ai cessé de me poser. » Il poussa un soupir. « Je présume qu'il ne pense pas que ce soit un danger pour l'instant. Après tout, ces visions… Elles sont sporadiques, n'est-ce pas ? »

« Oui, plutôt… » répondit-il, en frottant machinalement son front. « C'est ma cicatrice qui me fait mal plus régulièrement. »

Snape fronça les sourcils. « Développez. »

« Quand il est très heureux ou très en colère, elle brûle. » expliqua-t-il. « Parfois je sais ce qu'il ressent, parfois je vois ce qu'il voit… Ou ce que voit le serpent. Nagini. »

« L'Occlumencie devrait y remédier ou, du moins, en atténuer les effets. » décréta le sorcier. « C'est également une bonne manière de diminuer les cauchemars et les terreurs nocturnes. » Le Professeur avait soudain l'air un peu mal à l'aise et baissa la tête, laissant ses cheveux gras voiler son visage. « Ainsi qu'un moyen efficace de gérer certaines émotions parasites. »

Comme le fait qu'il le détestait ?, se demanda Harry. Était-ce comme ça que Snape parvenait à être aussi aimable ? En usant d'Occlumencie ?

Ça devait faire des miracles, alors.

« Comme je vous l'ai dit, ce n'est pas une discipline facile à apprendre ou à assimiler. » reprit le Professeur, après une longue minute. « Moins il y aura d'hostilité entre nous, mieux cela se passera. »

« C'est pas gagné, alors. » marmonna-t-il, oubliant momentanément que Snape avait une ouïe de chauve-souris.

« Non. » confirma l'homme. « Ce n'est pas gagné. Mais… je suis prêt à essayer. »

Harry accueillit son offre de paix avec un scepticisme égal à la force de leur inimitié jusque-là. « Comme ça ? Sans raison ? »

« Non. » répéta Snape, en cessant de fixer le sol. « Non, pas sans raison. » Il ne développa pas. « Rien de tout ça ne vous empêche de me témoigner le respect que vous me devez, Potter. »

Non, décida Harry, ce n'était pas vraiment pas gagné du tout.

« Oui, Monsieur. » répondit-il, débordant d'ironie.

Snape claqua la langue avec agacement mais se repoussa du comptoir. « Je vais me préparer, nous partirons pour le village juste après. »

Il le regarda quitter la cuisine avec son pantalon à carreaux, son sweatshirt marron et ses orteils puis secoua la tête derrière lui. S'il n'avait pas su avec certitude que c'était Snape, il aurait juré qu'on lui montait un canular au Polynectar.

La plomberie du cottage était visiblement vieille mais n'était pas aussi bruyante qu'il l'aurait cru. Il prit toutefois un malin plaisir à faire la vaisselle pendant que Snape prenait sa douche, devinant que dans ses vieilles maisons l'eau chaude de sa la salle de bain avait tendance à devenir froide si quelqu'un tirait de l'eau à la cuisine. Laver deux assiettes, deux tasses, un couteau et une théière ne lui prit pas longtemps et le Professeur était toujours dans la salle de bain lorsqu'il explora la buanderie.

Le modèle de la machine à laver serait facile à utiliser. Il y avait un panier de linge sale prêt à y être enfourné. Harry hésita puis décida que, puisqu'il le faisait chez les Dursley et qu'il n'avait rien de mieux à faire, il pouvait aussi bien se rendre utile et jeta le tout dans le tambour en y touchant le moins possible, avant de mettre la machine en route. Ensuite, il s'intéressa aux produits ménagers rangés sur une étagère dans le fond. Il reconnaissait là l'organisation presque maniaque de la réserve à ingrédients de Snape… Les produits étaient alignés par fonction et couleurs.

Armé d'une bombe dépoussiérante, d'un balai, d'une pelle et d'un dégraissant qui lui avait semblé prometteur, il remonta sur sa mezzanine, se battit un peu avec le canapé pour le replier et se lança dans le ménage dont la demi-pièce avait grandement besoin. Il était si déterminé à ôter une tache du parquet – et à repasser en boucle la conversation qu'ils venaient d'avoir – qu'il manqua complètement l'arrivée de Snape – alors que l'escalier avait pourtant bien dû grincer.

« Êtes-vous sourd ? » le rabroua le Professeur. « Cela fait trois fois que je vous appelle. »

Il portait le même jean noir que la veille et un col roulé à manches longues qui dissimulait à peu près le pansement sur son cou. Ce n'était pas moins étrange mais c'était toujours mieux que le pyjama. Au moins c'était noir. Et plus… Snape.

Harry grimaça. « Désolé. J'étais perdu dans mes pensées. »

Snape leva les yeux au ciel. « Tentez plutôt d'y faire le vide. Avez-vous bientôt terminé ? »

S'étant attendu à se voir ordonner de tout laisser en plan, il se dépêcha d'acquiescer. « Juste un coup de chiffon sur la rambarde. »

Les yeux noirs parcoururent la pièce avec un léger étonnement. « Vous pouvez faire le ménage. Qui l'eut cru ? Mais nous ne sommes pas à Poudlard, Potter, vous n'obtiendrez pas de points pour fayotage. À l'avenir, occupez-vous de votre linge et laissez le mien tranquille. »

Harry rougit et marmonna un assentiment, attendant que le Professeur soit retourné au rez-de-chaussée pour grommeler une insulte. Il l'y rejoignit quelques minutes plus tard.

« Comment est-ce qu'on va faire les courses, Professeur ? » demanda-t-il, alors que Snape ouvrait et fermait les placards de la cuisine, notant parfois quelque chose sur une liste. Avec une plume et un encrier sur un bout de parchemin. Harry apprécia ce petit retour à la norme sorcière.

« Avez-vous raté la voiture sur le chemin ? » se moqua l'homme. Et, comme pour enfoncer le clou, il referma le placard qu'il avait été en train d'étudier, empocha la liste, attrapa des clefs qui traînaient dans un recoin du comptoir et les secoua en l'air. « Ne vous inquiétez pas, j'ai un permis. Enfin… Un faux, bien évidemment, mais ça, les Moldus n'ont pas de raisons de le savoir. Prenez une veste, je n'ai pas envie d'expliquer à Albus pourquoi vous êtes tombé malade après moins de vingt-quatre heures sous ma garde. »

Harry n'avait pas de veste, il avait une cape qu'il avait laissée au Q.G. avec le reste de ses affaires de sorciers. Sachant qu'il était inutile de discuter, toutefois, il passa un des sweaters quatre fois trop larges et informes qu'il avait hérités de Dudley. Celui-ci était, en plus, d'un patchwork de couleurs criardes qui rendait l'effet général encore plus frappant. Il se doutait bien que Snape n'allait pas approuver mais lorsque le Professeur l'aperçut, ses lèvres se pincèrent non avec désapprobation mais comme s'il devait se retenir de rire.

« Ce n'est pas drôle. » l'avertit le garçon.

Mais il fallait reconnaître que ça l'était probablement. Le sweat lui tombait pratiquement aux genoux et le jean qu'il portait en dessous était déjà, lui-même, beaucoup trop grand et ne tenait que par la grâce de la ceinture de son uniforme. Harry devait ressembler à une tente de cirque.

« Pourquoi refusez-vous de porter des vêtements à votre taille en dehors de votre uniforme ? » s'enquit Snape. « C'est une question que je me suis souvent posé. »

Il faillit, faillit rétorquer que c'était parce qu'il n'en avait pas.

Mais il refusait de donner au Professeur davantage de munitions pour mieux l'abattre plus tard devant ses Serpentards. « J'aime être à l'aise. »

« Un éléphant serait à l'aise là-dedans. » rétorqua l'homme. « Ce n'est pas une tenue correcte pour sortir en public. Surtout en sachant que notre but est tout de même de passer inaperçu. »

« Je n'ai rien de mieux. » contra-t-il.

Snape leva les yeux au ciel. « Allez passer quelque chose dans lequel vous serez un peu moins à l'aise, Potter, et dépêchez-vous. Je n'apprécie pas de perdre mon temps. »

Harry remonta, vida rageusement le tiroir où il avait enfourné les vêtements plus épais et se demanda lequel des vêtements trop usés de Dudley ferait le moins sourciller le Professeur. Au final, il enfila le pull que Mrs Weasley lui avait tricoté, le Noël précédent. Il faisait trop chaud pour la laine épaisse mais c'était encore le choix le plus sûr.

Snape leva les yeux au ciel lorsqu'il le vit mais ne fit pas de commentaire, se contentant d'enfiler un blouson noir et de les mener jusqu'à la Ford Fiesta garée sur le chemin. La voiture avait eu l'air mal en point en pleine nuit, ce n'était pas beaucoup mieux en plein jour.

« Vous êtes sûr qu'elle marche ? » osa-t-il demander.

« Parfois. » répondit Snape, d'un ton tellement détaché qu'il était incapable de dire s'il plaisantait ou non. Probablement pas, l'homme n'avait pas d'humour, c'était bien connu. « Montez à l'avant, je ne suis pas votre chauffeur. »

Harry, qui ne savait pas il était censé s'asseoir, s'empressa d'obéir. Oncle Vernon n'aimait pas le laisser s'asseoir devant. Il le préférait à l'arrière. Hors de vue.

L'intérieur de la voiture n'était pas exactement… net. Des cassettes audios s'empilaient sur le siège passager, d'autres étaient tombées au sol… « Euh… »

« Jetez les à l'arrière. » ordonna Snape, en se glissant derrière le volant. D'une manière machinale, il vérifia le rétroviseur.

Harry déplaça les cassettes sans les jeter, notant au passage qu'elles étaient principalement de groupes de rock Moldu.

Du rock Moldu.

La voiture était-elle au Professeur ou…

Snape écoutant du rock… Était-ce plus ou moins bizarre que de se rendre compte qu'il avait des orteils ?

« Le village est petit et tout s'y sait. » déclara l'homme, en mettant la clef de contact en place mais sans la tourner. « En ce qui les concerne, je suis enseignant dans un pensionnat dans le nord et je me remets actuellement d'une lourde opération. Ne m'appelez pas Professeur devant eux, j'aurais dû mal à expliquer ce qu'un élève fait chez moi. »

« D'accord. » acquiesça-t-il. « Comment est-ce que je dois… Euh… »

« Je vous ai connu plus habile de vos mots que ce matin, Potter. » railla Snape. « Évitez de m'appeler, tout court. Mais, s'il le faut absolument, Severus fera l'affaire. Uniquement le temps de cette sortie. » Parce qu'il ne se voyait vraiment pas en train de l'appeler par son prénom, Harry résolut de ne pas l'appeler du tout. « Et je suppose qu'il me faut m'habituer à t'appeler Harry. Cela sera moins suspect. »

Il ne savait pas ce qui était pire : entendre son prénom dans la bouche de Snape ou le tutoiement soudain et sans avertissement préalable.

Sa seule consolation était que le Professeur paraissait aussi mal à l'aise que lui.

« Ou on peut aussi ne pas se parler du tout devant les gens. » proposa-t-il.

Snape fit un bruit.

Harry refusa de penser que c'était un rire.

« Ou nous pouvons faire ça. » lui accorda l'homme, en tournant finalement la clef pour mettre le contact. Mais avant de mettre la voiture en route, il fit une chose qui fit écarquiller les yeux d'Harry. Il pêcha une paire de lunettes de soleil dans le vide-poche et se les mit sur le nez. « Ceinture, Potter. »

Parce que cela valait mieux que de rester assis là à le regarder la bouche ouverte, Harry attacha sa ceinture.

Les lunettes de soleil.

Les lunettes de soleil, c'était définitivement plus étrange que les orteils ou le rock que le radiocassette qui se mit immédiatement à hurler à plein volume.

Mais peut-être pas plus que de voir Snape s'arrêter dans une station essence microscopique et décrépie, et, après avoir salué le propriétaire qui semblait le connaître, utiliser la pompe pour remplir le réservoir.

Snape faisant de l'essence.

Harry décida qu'il était probablement en train de devenir fou.

« Qu'avez-vous à ricaner bêtement tout seul ? » demanda le Professeur, en remontant dans la voiture, ses lunettes de soleil toujours perchées sur son nez.

Sérieusement.

Personne ne le croirait s'il le leur racontait, pas même Ron et Hermione.

« Vous vivez ici depuis longtemps ? » demanda-t-il au lieu de répondre, incapable de contrôler sa curiosité.

« Et cela vous regarde parce que… » rétorqua Snape, en laissant sa voix en suspens pour mieux souligner le sarcasme.

Harry fit l'effort suprême de ne pas lever les yeux au ciel. Il l'avait vu en pyjama, il l'avait vu pieds nus et avec des lunettes de soleil… Rien à faire, le Professeur de Potions avait pris une autre dimension qui le rendait un poil moins terrifiant.

« C'est juste que vous n'avez pas d'accent écossais. » commenta-t-il, alors que Snape ramenait la voiture sur la route – celle-là même qui paraissait encore plus étroite lorsqu'on était à l'intérieur d'un véhicule au lieu de marcher au bord. Il apprécia que l'homme baisse la musique pour qu'il n'ait plus à s'égosiller par-dessus. Il apprécia aussi que, malgré ses sous-entendus de plus tôt, le Professeur sache tenir un volant et, sans surprise, soit plutôt rigoureux avec sa conduite.

« Les accents se gomment, Potter. » répondit l'homme.

Sans trop savoir pourquoi, peut-être parce que sa voix avait pris une dureté un peu plus particulière, il eut la sensation qu'il avait mis le doigt sur quelque chose. Snape avait eu un accent et s'en était débarrassé. C'était totalement le genre de choses que le Professeur aurait été capable de faire.

« Pas celui du Professeur McGonagall. » plaisanta-t-il, avec une légère hésitation.

Au lieu de lui reprocher de se moquer d'une de ses collègues, Snape émit un bruit amusé. « En règle générale, demander à un Écossais de renier ses origines est une très mauvaise idée. »

« Donc vous aviez un accent mais vous n'êtes pas Écossais. » déduisit-il, avec un brin de triomphe.

Le Professeur ne tourna pas la tête vers lui, gardant les yeux sur la route. Ils avaient quitté la végétation pure et dure, venaient de passer un cottage sur le bas-côté de la route… Il n'avait pas l'air contrarié d'en avoir trop dit. Si possible, il avait l'air amusé. Mais c'était difficile à dire parce qu'il y avait les lunettes de soleil et parce que ce Snape version Moldu était étrange.

« Le cottage appartenait à la famille du mari du Professeur McGonagall. » répondit finalement le Professeur. « Elle en a hérité à sa mort. »

Sa mâchoire menaça une nouvelle fois de se décrocher et il fut forcé de se tourner un peu sur son siège pour mieux le dévisager, simplement pour être sûr qu'il n'était pas en train de se moquer de lui. Mais Snape, une main sur le volant, l'autre bras accoudé à la fenêtre ouverte, semblait sérieux.

« Le Professeur McGonagall était mariée ? » murmura-t-il.

« Ce n'est pas un secret d'état mais tâchez de ne pas en faire un sujet de ragots. » l'avertit le Professeur, avec une touche d'accusation, comme s'il avait l'habitude de répandre des rumeurs.

« Bien sûr que non ! » protesta-t-il, un peu offensé. Et en oubliant consciencieusement qu'il s'était promis de raconter à Ron et Hermione que Snape portait des lunettes de soleil et possédait des vêtements avec de la couleur, à la première occasion.

Il tint sa langue suffisamment longtemps pour qu'ils atteignent le village en lui-même, précédé d'une large étendue bleuté qui s'étirait à perte de vue… La vue était saisissante, tout autant que les odeurs d'embruns qui le heurtèrent par la vitre ouverte et le bruit du ressac… Snape s'engagea dans la rue principale et l'eau disparut momentanément, cachée par les premières maisons en pierres similaires au cottage, et, plus aussi distrait, Harry se mit à considérer ces nouveaux éléments. Il ne devait pas être aussi subtil qu'il voulait le croire parce que le Professeur soupira.

« Durant la première guerre, lorsque j'ai commencé à espionner, nous avions besoin d'un endroit neutre où je puisse rencontrer le Professeur Dumbledore en toute discrétion. » expliqua l'homme, avec une réticence évidente. « Je ne travaillais pas encore à Poudlard, à ce moment là. Le Professeur McGonagall n'avait aucune utilité du cottage et l'avait mis à sa disposition, c'était donc notre point de rendez-vous. Plus tard, c'est devenu un endroit… sûr où récupérer de certains… malentendus avec le Seigneur des Ténèbres. »

De sessions de torture, devina-t-il, sachant comment il traitait ses serviteurs.

Quelques jours plus tôt encore, il aurait dit que Snape l'avait cherché, mais assis dans la même voiture, après avoir partagé un petit-déjeuner… Ce n'était plus aussi facile d'en penser autant.

« Le Professeur McGonagall me loue le cottage l'été, de temps en temps. » termina Snape. « Si je n'y viens pas, il reste clos. Les habitants du coin se sont habitués à moi. Je suis le vacancier, comme ils disent. »

Le vacancier.

C'était à peu près le dernier nom qu'il aurait utilisé pour qualifier Snape.

Et c'était beaucoup d'informations que l'homme n'était pas obligé de lui fournir.

« Si elle n'en veut pas et que vous passez vos été ici… Pourquoi vous ne le lui achetez pas ? » s'enquit-il, puisque le Professeur semblait disposé à répondre à ses questions.

Ils avaient atteint le centre du village, semblait-il, les maisons, ici, étaient collées les unes aux autres et blanchies à la chaud, bien que, de temps en temps, au hasard d'une rue, d'autres cottages de pierres plus anciens avec leur petits jardins venaient border la chaussée.

Snape quitta la rue principale et l'étendue d'eau ne tarda pas à apparaître. Il y avait un petit port avec plusieurs barques amarrées… Sans doute le village était-il principalement constitué de pêcheurs… Le sorcier gara la voiture sur un petit parking qui surplombait la bande de plage rocailleuse en contrebas.

Il était resté silencieux si longtemps qu'Harry n'attendait plus de réponse et était occupé à regarder autour de lui, intrigué.

« Parce qu'un homme en sursis ne fait aucun projet et ne s'attache à rien, ni à personne. » murmura finalement Snape, avant de sortir de la voiture.

Il ne prit pas la peine de la verrouiller, pas même une fois qu'Harry eut quitté le véhicule et l'eut rattrapé au pas de course. Pour un homme convalescent, il marchait vite. Son expression n'était pas engageante, l'adolescent décida qu'il valait mieux le laisser tranquille.

Il y avait, de toute manière, plus désagréable que de marcher dans les rues de ce petit village qui semblait à peu près aussi ancien que Pré-au-Lard. Un petit muret séparait la route de la bande rocailleuse qui servait de rive et tous les bâtiments sur le front de mer accusaient le coup d'être ainsi exposés à l'humidité : la peinture était passée, les façades étaient tachées… Mais ça donnait au tout un certain cachet.

Ils ne croisèrent pas beaucoup de gens alors qu'ils s'enfonçaient vers le cœur du village mais plusieurs d'entre eux saluèrent Snape d'un signe de tête que le Professeur leur rendit sobrement.

Le vacancier.

Ça ne faisait pas vingt-quatre heures et tout ce qu'il avait cru savoir sur Snape avait été chamboulé. Allait-il survivre à une cohabitation plus prolongée ?

Ils atteignirent une place avec une vieille statue en bronze qui avait vécu des jours meilleurs. Harry n'eut pas le temps de lire la plaque, Snape avait déjà pénétré à l'intérieur d'un des magasins qui s'avéra être une quincaillerie et dont ils ressortirent rapidement avec un paquet d'ampoules. L'arrêt suivant fut une superette qui, il le comprit vite, était la seule du village. C'était le genre d'endroit où il n'y avait qu'un seul exemplaire de chaque type de magasins.

Il s'empressa d'attraper un des gros paniers en plastique avant que Snape n'ait pu le faire, simplement parce que son teint blafard n'était pas amélioré par les néons de la superette et qu'Harry ne voulait pas qu'il s'écroule entre les rayons sous le poids de leurs provisions.

C'était très visiblement un magasin familial, comme tout devait l'être par ici. La femme derrière le comptoir de la caisse était plus occupée à discuter qu'à encaisser les achats de sa cliente.

Le Professeur sortit sa liste de course et entreprit de passer méthodiquement dans chaque rayon. C'était efficace, parce qu'il savait précisément ce qu'il voulait. Harry se contentait de porter le panier, s'amusant parfois à tenter de déchiffrer une des marques locales aux consonances à rallonge…

« Va choisir des céréales. » exigea Snape.

Le tutoiement le fit sursauter à nouveau. Devant le sourcil impérieusement levé, Harry fit la grimace. « Vous n'êtes pas obligé. Les toasts, ça me va très bien, vraiment. »

« Oui, j'ai vu ça, ce matin. » se moqua l'homme. « Ne m'oblige pas à me répéter. »

Mal à l'aise et ne voulant pas ralentir la routine visiblement bien carrée du Professeur, il s'éloigna légèrement pour mieux contempler l'étalage de paquets de céréales. Il n'y avait pas un choix faramineux mais c'était déjà trop pour lui et il resta planté là, indécis.

Snape avait l'air contrarié lorsqu'il le rejoignit quelques minutes plus tard et ajouta un paquet de papier toilette ainsi qu'une bombe de mousse à raser au panier. Les deux articles seuls auraient pu rejoindre sa liste des choses trop normales pour la chauve-souris des cachots. Ou, du moins, ils l'auraient rejointe si Harry n'avait pas été sur le point de paniquer face à un stupide rayon de paquets de céréales.

« Est-ce une tâche si compliquée ? » grinça le Professeur. « Prends celles que tu aimes et finissons-en. »

Il ne savait pas ce qu'il aimait.

Il y avait des flocons d'avoine à Poudlard, le matin, mais Harry n'y avait jamais touché, préférant la nourriture plus riche dont il avait été privé des années durant.

Et chez les Dursley…

« Po… Harry. » pressa Snape, dans un sifflement.

Harry attrapa le paquet rouge avec un perroquet qui contenait des anneaux colorés simplement parce que Dudley ne jurait que par les Froot Loops et que, quelques fois, quand son cousin avait jugé que le lait les avait trop ramollies, il laissait Harry terminer son bol. Elles avaient un goût sucré, même molles, et ce n'était pas mauvais.

Mais c'étaient les céréales préférées de Dudley, pas les siennes.

L'endroit était sans doute mal choisi pour avoir une telle prise de conscience. Pourtant, Harry fut soudain frappé par ce constat simple : il était tellement habitué à terminer ce dont Dudley ne voulait plus ou à choisir ce que son cousin détestait, simplement pour être certain d'en avoir, qu'il n'était pas certain de ce qu'il aimait, lui.

« As-tu besoin de quelque chose ? » demanda le Professeur, parvenant à rendre naturel un tutoiement qui, décidément, choquait Harry à chaque fois. « Dentifrice ? Un autre produit de toilette ? Réfléchis-bien, je compte bien faire durer ces provisions au moins quinze jours. Nous ne reviendrons pas d'ici là. »

Son tube de dentifrice, il l'avait récupéré dans la poubelle de la salle de bain parce que Ron ne le roulait jamais jusqu'à la fin et qu'il ne supportait pas le gaspillage. Il pouvait encore le faire tenir une bonne semaine. Et il lui restait l'autre tube, à moitié terminé, que Tante Pétunia avait daigné lui laisser parce que Dudley avait décrété qu'il piquait ses gencives.

La perspective de se retrouver à devoir choisir une marque de dentifrice après la crise existentielle qu'avaient fait naître les céréales le poussa à secouer très rapidement la tête et à refuser tout net, quoi que poliment. Snape lui jeta un regard mi-agacé, mi-curieux comme si Harry était un spécimen étrange alors que c'était lui qui agissait comme un être humain après avoir passé des années à prétendre être une goule.

Avec un soupir et un dernier regard perçant, Snape se dirigea vers la caisse où la cliente précédente avait fini par partir.

« Severus ! » s'exclama la femme d'un âge certain, avec un plaisir qui semblait sincère – clairement, elle n'avait plus toute sa tête ou elle n'aurait pas été contente de voir Snape. « Je commençais à m'inquiéter, cela fait presque trois semaines depuis que vous êtes venu vous réapprovisionner… Et dans votre état… Je disais justement à Miles qu'il faudrait que quelqu'un passe chez vous vérifier que tout allait bien. »

« Je vous ai déjà dit que c'était inutile de vous inquiéter, Mrs Reid. » répondit Snape, posément. « Je suis pratiquement remis. »

Le mensonge était éhonté et la femme ne s'y trompa pas. Son accent à couper au couteau s'aiguisa encore un peu alors qu'elle le grondait sans vergogne, ce qui fit sourire Harry sans qu'il ait le bon sens de le cacher. Cela lui valut un regard réprobateur de la part du Professeur.

« Et qui avons-nous là ? » demanda-t-elle curieusement, une fois qu'elle eut terminé sa diatribe sur les jeunes gens trop indépendants qui refusaient l'aide de leurs aînés et sur les voisins qui devaient s'entre-aider. « Severus ! Vous ne nous aviez jamais dit que vous aviez un fils ! Comme il vous ressemble ! »

Harry, dont le sourire s'était fait un peu moins amusé et qui s'était avancé pour se présenter à la femme au demeurant sympathique, se figea d'horreur.

« Non, non ! » s'empressa de la corriger Snape, avec une horreur qui lui était propre. « Ce n'est pas mon fils. Je n'ai pas d'enfants. C'est… mon filleul. »

Le garçon avait envie de dire que c'était presque pire comme mensonge.

Quelque part à Londres, Sirius devait soudain avoir les oreilles qui sifflent.

« Oh… Un neveu ? Ou un cousin, peut-être ? » s'entêta Mrs Reid, qu'Harry trouvait de moins en moins sympathique, finalement. « Il y a une ressemblance… »

« Aucune, je vous le promets. » grinça Snape. « Sa mère est une amie d'enfance. Harry a eu quelques ennuis dans son école, il va vivre avec moi un moment. »

« Ah. » lâcha-t-elle, d'un ton qui en disait long.

Harry était trop choqué que le Professeur ose se servir de Lily ainsi pour s'offusquer de se faire prendre pour un délinquant. Ça, il avait l'habitude. Tout Privet Drive croyait la version des Dursley selon laquelle il était un fauteur de troubles…

Mais n'aurait-il pas pu inventer une autre excuse au lieu de traîner ses parents dans ce mensonge ? Certes, il lui aurait sans doute été difficile de prétendre que James était un ami… Cependant, il aurait pu dire… Harry aurait encore préféré être un neveu factice.

La conversation continua sans lui. Presque invasive, quoi que bien intentionnée, de la part de l'Écossaise et sur la retenue, avec une politesse forcée, de la part du Professeur.

Harry n'était toujours pas passé outre la facilité avec laquelle Snape avait mentionné sa mère, lorsqu'ils sortirent du magasin et portèrent les nombreux sacs en plastique jusqu'à la voiture. Il y avait une tension entre eux qui, pour toute son appréhension depuis la veille, n'avait pas été là avant. Et les coups d'œil que lui jetaient le Professeur n'étaient pas aussi discrets qu'il le pensait.

« Puisque nous sommes ici… Autant déjeuner. » proposa soudain l'homme, en refermant le coffre. « Il y a un kiosque de fish and chips, sur la jetée. »

Le garçon suivit docilement, les mains dans les poches de son jean trop grand, à continuer de ressasser sans pouvoir vraiment mettre le doigt sur ce qui le dérangeait. Peut-être était-ce la nonchalance avec laquelle il avait fait référence à Lily alors qu'il était toujours si véhément lorsqu'il parlait de James. En un sens, ça conférait à James de l'importance alors que là… C'était comme si Lily n'en avait aucune.

Il n'avait même pas prononcé son nom, au demeurant, le mensonge avait été complètement neutre. Sa mère aurait pu être n'importe qui.

Peut-être qu'Harry lisait trop de choses dans une explication somme toute cohérente pour justifier sa présence.

« Je n'ai que de l'argent sorcier. » se rendit-il compte, alors qu'ils approchaient du vendeur de fish and chips dont l'enseigne fanée témoignait des longues années passées à cette même place. « Je peux vous donner l'équivalent… »

Snape le regarda comme s'il était complètement stupide.

« Je pensais que la situation était claire. » répondit l'homme, en fronçant les sourcils. « Le Professeur Dumbledore vous a laissé sous ma responsabilité, ce qui signifie que, jusqu'à nouvel ordre, je suis l'équivalent de vos tuteurs. Offrez-vous de rembourser votre oncle et votre tante lorsqu'ils vous nourrissent ? »

Éclater de rire aurait sans doute fait mauvais effet et il aurait eu du mal à l'expliquer.

« C'est différent. » contra-t-il, au lieu de laisser ses pensées dériver vers les Dursley. « Vous ne devriez pas avoir à dépenser votre argent. »

Snape agita la main, balayant l'argument. « Vu ce que vous mangez, pour l'instant, cela ne va pas me ruiner. Et je peux toujours présenter une note de frais au Directeur, si cela vous tracasse tant. Dans tous les cas, ce n'est pas à vous de me rembourser. »

L'argument était clos, Harry l'entendit à son ton vexé, comme s'il avait sous-entendu que le Professeur n'avait pas les moyens de s'occuper de lui.

Il aurait dû s'en tenir là mais il n'aimait pas l'air pincé du sorcier.

« Je ne veux juste pas… Je ne veux pas… » s'empêtra-t-il dans ses explications. « Je ne veux pas être un poids. »

C'était l'argument favori de Vernon.

Expliquer à quel point Harry pesait sur les finances, expliquer que son entretien pesait sur le budget familial comme s'il avait été un chien particulièrement coûteux ou une voiture que l'on devait porter chez le garagiste tous les quatre matins, expliquer qu'il prenait de la nourriture de la bouche de ce pauvre Diddy, expliquer que…

Ce mot, il l'avait pris en pleine face tellement de fois…

On ne pouvait pas être accepté dans une maison lorsqu'on était Un Poids.

« Si vous devenez un poids, ce ne sera pas pour l'aspect financier, Potter. » se moqua Snape.

Harry pensait que c'était une plaisanterie – ou ce qui passait pour une plaisanterie chez le Directeur de Serpentard – mais ça n'empêcha pas de faire un peu mal. Sans qu'il ne comprenne vraiment pourquoi. Après tout, qu'en avait-il à faire de l'opinion du Professeur Snape ? L'homme avait peut-être été relativement aimable – et bizarrement humain – depuis la veille mais ce n'était pas pour ça qu'ils étaient amis ou proches ou quoi que ce soit du même genre. Il était prêt à parier que tôt ou tard – sûrement plus tôt que tard, d'ailleurs – la situation deviendrait impossible et que Snape essaierait à nouveau de lui arracher la tête, n'en déplaise à Dumbledore et ses convictions étranges que le sorcier était la personne la plus sûre au monde à qui le confier.

Il bouda un peu, le temps que Snape fasse la conversation à l'homme au visage buriné dans son kiosque, qu'il connaissait visiblement un peu, puis paye leur déjeuner. Cela lui passa lorsque le Professeur suggéra qu'ils aillent s'installer un peu plus haut où des tables de pique-nique surplombaient la rive.

L'air sentait bon le marin, le cadre était joli et la nourriture chaude et grasse lui brûlait les doigts à travers le cornet de papier journal dans lequel le poisson et les frites étaient traditionnellement emballés.

« Est-ce que c'est la mer ou un lac ? » demanda-t-il curieusement, en plissant les yeux pour tenter de mieux apercevoir l'horizon. Il y avait plusieurs voiles, au loin. Des bateaux de pêcheurs, sans doute.

« Loch. » corrigea l'homme. « S'ils vous entendent appeler ça un lac, ils nous raccompagneront à la frontière à coups de fourche. »

Harry laissa échapper un bruit amusé avant d'avoir pu s'en empêcher. Il écouta les explications du Professeur selon quoi il s'agissait d'un Loch mais que l'étendue d'eau rejoignait la mer plusieurs kilomètres plus loin. Ils étaient arrivés en vue d'une petite esplanade qui devait sans doute servir de lieu de rassemblement pour les fêtes de village, avec plusieurs tables de pique-nique et un petit escalier qui descendait vers la rive en contrebas.

Loin du petit port, l'eau semblait beaucoup moins profonde et, sur la droite, la même végétation sèche qui semblait peupler le reste de la région reprenait ses droits. Malgré les constructions et les maisons, ou peut-être grâce au fait qu'elles soient pour la majorité en pierres, l'endroit avait quelque chose de sauvage qui séduisait le garçon.

C'était cent fois mieux que Privet Drive et beaucoup plus tranquille que Londres. Il comprenait comment quelqu'un pouvait débarquer ici et ne plus jamais vouloir en partir.

« Il n'y a pas beaucoup de monde. » remarqua-t-il, en essuyant l'humidité sur le banc d'une des tables d'un revers de bras avant de s'asseoir. Il ne regrettait plus autant d'avoir mis un pull. Près de l'eau, la température était fraîche.

« La moyenne d'âge est de quatre-vingt ans. » répondit Snape. « Mrs Reid fait office de jeunette dans le coin. »

Harry tourna le dos au Loch pour détailler les commerces défraîchis et les maisons d'un œil neuf. « Est-ce que le village ne va pas finir par mourir s'ils ne le redynamisent pas ? »

« Tout finit par mourir, Potter. » lâcha Snape, avec beaucoup trop de morbidité.

La conversation avait dérivé de manière brutale sans qu'il ne le souhaite, Harry se concentra donc sur son repas, défaisant le cornet juste assez pour pouvoir verser les sachets de sauce que lui avait donné le vendeur sur un coin du papier journal. Snape n'avait pas pris la peine d'accepter de sauces et le regarda s'installer avec un amusement certain, probablement parce qu'il se contentait de picorer dans son propre cornet, ce qui limitait les risques de tout renverser.

Un nouvel élément à ajouter à la liste des choses si normales que ça en était bizarre : Snape mangeait parfois avec les doigts.

L'amusement de l'homme sembla mourir dès qu'Harry eut terminé de verser son ketchup et s'empara du sachet de mayonnaise qu'il dut déchirer d'un coup de dents parce qu'il résistait. Le Professeur le regarda verser la mayonnaise par-dessus le ketchup puis touiller avec une frite jusqu'à obtenir un mélange homogène.

La frite en question était parfaitement salée, chaude, et fondait sous la langue. Soudain affamé, Harry se jeta sur sa nourriture, un peu perturbé, toutefois, par l'expression indéchiffrable du sorcier.

« Qui t'a appris à faire ça ? » demanda finalement Snape, alors qu'il trempait une nouvelle frite dans la sauce.

Alarmé par le retour au tutoiement, le garçon jeta un coup d'œil alentour mais ils étaient seuls.

« Personne. » répondit-il, dans un haussement d'épaules. « Je sais que ça a l'air répugnant mais c'est bon. Vous en voulez ? »

Il s'attendait à ce que Snape fasse une grimace dégoûtée et l'envoie paître – ce qui lui serait très bien allé parce qu'il n'aimait pas partager sa nourriture. Mais après un bref moment d'hésitation, le Professeur trempa le bout d'une de ses frites dans la sauce et la porta à sa bouche, avant de fermer les yeux.

D'horreur ? De dégoût ? Parce qu'Harry venait de lui révéler le secret de la meilleure sauce au monde ?

Lorsqu'il rouvrit les paupières, le Professeur se concentra sur sa nourriture sans plus toucher à la mixture du garçon. Il avait l'air distrait, presque triste, et gardait le regard rivé sur le Loch.

L'atmosphère avait à nouveau viré mais Harry aurait été incapable d'expliquer pourquoi. Ce n'était que du ketchup et de la mayonnaise…

« Ma meilleure amie avait l'habitude de mélanger ketchup et mayonnaise quand nous étions enfants. » déclara finalement le sorcier, sans aucun avertissement. Comme s'il n'avait pas lâché plusieurs bombes successives : déjà le fait qu'il ait eu une amie, ce qui semblait plus qu'improbable parce que Snape était… Snape, ensuite le fait qu'il ait été enfant. Certes, c'était logique, il n'était certainement pas né adulte avec des capes noires qui claquaient pour mieux terroriser ses élèves mais… Imaginer Snape enfant était tout aussi impossible que de l'imaginer adolescent ou… Sans sembler se rendre compte qu'Harry était perdu dans ses réflexions ridicules, l'homme poursuivit. « Principalement parce qu'elle savait que cela me répugnait et que c'était un moyen certain de m'empêcher de voler ses frites. Elle mettait toujours un temps impossible à manger. C'était insupportable. »

Étant donné la nostalgie évidente dans sa voix, Harry doutait que Snape ait vraiment trouvé ça insupportable.

« C'est drôle. » commenta-t-il, tentant de ramener un peu de gaité dans tout ça parce que l'ambiance semblait tourner au vinaigre et, s'il ne savait pas trop sur quel pied danser avec ce Snape étrange, il le préférait de beaucoup à la Terreur des Cachots. Et il gardait toujours en tête que l'homme avait les pleins pouvoirs sur lui, pour l'instant. Conserver le privilège des trois repas par jour était sa priorité absolue. « J'ai commencé à faire ça pour que Dudley ne me vole pas ma part. »

Quand il avait une part.

Pour quelqu'un qui aimait autant manger, Dudley pouvait être très pénible avec sa nourriture. Il ne voulait plus des céréales trop molles, détestait lorsque certains ingrédients se touchaient, ne supportait pas que les sauces se mélangent… Harry avait découvert la parade très tôt pour l'empêcher de lui voler ses frites, lorsque Tante Pétunia daignait lui en donner ou que le serveur la prenait de vitesse en demandant à Harry ce qu'il voulait et qu'elle ne pouvait pas refuser de lui commander à manger sans passer pour une tortionnaire, ce dont le petit garçon qu'il était alors était passé maître dans l'art d'exploiter.

Cela lui avait toujours valu une punition exemplaire : comme des heures et des heures enfermé dans son placard, mais cela valait le coup juste pour le goût des frites, l'occasionnel hamburger ou même un petit pot de glace.

« Drôle. » répéta Snape, comme s'il ne connaissait pas le mot ou en avait oublié la définition – encore que… « Oui, je suppose. »

L'homme avait l'air sombre, d'un coup. Et beaucoup plus fatigué qu'il ne l'avait déjà été plus tôt.

Harry avait presque terminé sa portion mais le Professeur avait arrêté de manger et il restait la moitié du cornet. Face à son regard insistant, le sorcier poussa le tout vers lui sans un mot. Il aurait voulu protester qu'il avait davantage besoin de reprendre des forces que lui mais il ne savait pas comment le formuler sans l'énerver. Alors il accepta les restes. Cela valait mieux que de les jeter à la poubelle. Il ne supportait pas le gâchis.

« Vous la voyez toujours ? » hésita-t-il, après un moment. « Votre amie ? »

C'était peut-être franchir la ligne entre une conversation anodine et sa vie privée, Harry n'était pas sûr. Mais il ne voulait pas du silence étrangement pesant, non plus.

« Elle n'a pas survécu au Seigneur des Ténèbres. » déclara Snape, avec une légère incertitude.

« Oh. » lâcha le garçon.

Harry était un crétin.

Il avait parlé d'elle au passé.

Elle mettait toujours un temps impossible à manger. Pas elle met mais elle mettait.

« Je suis désolé. » offrit-il sincèrement, alors que le voile autour de Snape se soulevait un peu plus.

Il ne pouvait pas, ne voulait pas, imaginer perdre Hermione ou Ron. Si cela arrivait… Peut-être qu'il finirait comme Snape. Seul et aigri et prenant du plaisir à réduire des enfants en larmes.

Le Professeur détourna les yeux comme si ses condoléances étaient physiquement douloureuses.

Il aurait dû laisser tomber, changer le sujet, mais…

« C'est… C'est sa baguette que vous m'avez donnée ? » demanda-t-il prudemment, prêt à battre en retraite si Snape se souvenait qu'il avait un caractère exécrable.

Mais Snape paraissait trop épuisé, trop las, pour faire autre chose que de regarder le Loch.

« Sa baguette, oui. » lâcha l'homme, au bout d'un long moment. « Je l'ai ramassée le soir où… Je n'aurais pas dû, sans doute. Elle aurait dû être enterrée avec, c'est la tradition. »

Il y avait une petite voix dans sa tête qui l'avertissait de changer de sujet et vite mais Harry était trop curieux de cette femme dont il possédait désormais la baguette. La veille, lorsqu'il l'avait touchée… La chaleur qu'il avait ressenti, le… Il était incapable de l'expliquer mais il sentait un lien entre la baguette et lui qui datait d'avant le moment où Snape la lui avait donnée.

« Elle était à Serpentard aussi ? » s'enquit-il.

Il ne pouvait pas demander tout net si elle avait fait, elle aussi, partie des Mangemorts et si c'était comme ça qu'elle était morte – ce qui semblait le plus probable et aurait expliqué pourquoi Snape avait retourné sa veste…

« Gryffondor. » contra le Professeur, du bout des lèvres.

Harry prit soin de manger ses frites pour ne pas trahir son choc. Comment un Serpentard et une Gryffondor pouvaient être amis ? C'était contre-nature, presque une trahison envers leurs Maisons respectives. Il était rare, déjà, pour un lion de vraiment se lier d'amitié avec des gens chez Poufsouffle ou Serdaigle, mais Serpentard ?

Puis autre chose le frappa. « Elle avait votre âge ? Elle était dans la même année que mes parents, alors ? »

Ce qui signifiait qu'elle avait partagé un dortoir avec sa mère, qu'elles avaient peut-être été amies…

Il en savait si peu sur eux, au final.

Sirius et Remus aimaient répéter que ses parents étaient les plus courageux, qu'ils étaient un exemple… Son parrain lui avait raconté une ou deux anecdotes de ses années à Poudlard avec James… Remus lui avait dit qu'ils étaient des gens biens… Mais ce n'était que des miettes. Des miettes qui ne lui permettaient pas de les connaître vraiment.

« Nous étions tous dans la même année, oui. » répondit Snape, avant de sembler se reprendre. « Nous devrions rentrer. »

Harry aurait voulu continuer à poser des question, notamment si cette fameuse amie avait été proche de Lily et si, par ce biais, Snape se souvenait de quelque chose, n'importe quoi, mais il était évident que la discussion l'avait ébranlé et il était impossible d'ignorer qu'il était malade à le voir ainsi. Il alla donc jeter leurs détritus sans discuter et le suivit lorsqu'il les guida d'abord chez le poissonnier puis chez le boucher – un homme d'un âge plus que certain, qui insista pour que Snape accepte que son apprenti les aide à porter leurs achats jusqu'à sa voiture pour que l'homme n'ait rien à porter.

Le Professeur ne refusa pas longtemps son aide, ce qui convainquit l'adolescent qu'il ne se sentait vraiment pas bien.

À tous ceux qui posaient la question, Snape répondit qu'il était le fils d'une amie d'enfance et Harry finit par conclure qu'il avait eu tort de mal le prendre, plus tôt. Peut-être que le sorcier faisait semblant qu'Harry était vraiment le fils de cette fameuse amie, peut-être que c'était pour ça qu'il le traitait bien.

Ce n'était pas si improbable que ça.

Les jours où sa tante et son oncle étaient vraiment atroces et où l'idée de parents aimants lui manquait au point de le faire suffoquer, Harry avait eu l'habitude, enfant, de prétendre que la gentille dame de la bibliothèque, qui lui glissait toujours des bonbons en douce et qui lui lisait parfois des histoires s'il était seul dans son coin, était sa mère. Ça avait duré jusqu'à ce que Tante Pétunia ne ramène des livres déchirés et coloriés sur toutes les pages et n'affirme qu'Harry était le coupable au lieu de Dudley. Il n'y avait jamais plus eu de bonbons ou d'histoires, après ça.

Certes, Snape était un adulte et pas un enfant mais…

Harry avait honte d'avouer qu'il lui arrivait toujours de faire semblant, parfois. Quand il était au Terrier, notamment, et que Mrs et Mr Weasley le traitaient comme un membre de la tribu. Ou quand Sirius lui ébouriffait les cheveux, en riant.

Peut-être qu'il y avait des chagrins suffisamment gros pour qu'on se perde toute la vie dans des rêves qui n'avaient aucune chance de se réaliser.

« Vous êtes sûr que vous pouvez conduire, Professeur ? » demanda tout de même Harry, lorsque les courses furent chargées et que Snape se glissa derrière le volant.

« Je suis certain que je ne vais pas te laisser le volant. » rétorqua le Professeur, en mettant ses lunettes de soleil, avant de claquer la portière.

Il semblait que le tutoiement allait rester.

Harry ne savait pas quoi penser de ce développement.

Il ne savait pas quoi penser tout court, alors il boucla sa ceinture et ne fit pas de remarque lorsque Snape monta le son de la radio jusqu'à ce que les haut-parleurs crachotent du rock à plein volume. Il n'identifia pas le groupe. C'était loin des goûts musicaux des Dursley.

La voiture allait moins vite qu'à l'aller, comme si le Professeur était conscient que ses réflexes n'étaient pas aussi affûtés. Était-ce à cause du venin de Nagini ou des souvenirs qu'ils avaient remués ?

Harry avait la sensation d'avoir découvert une pièce du puzzle complexe qu'était Snape. Une toute petite pièce.

« Je peux décharger et ranger si vous voulez vous reposer. » osa-t-il proposer, une fois que Snape eut jeté plus que garé la voiture au bout du chemin de terre et eut coupé le contact.

« N'oublie pas tes devoirs. » marmonna le Professeur. « J'en veux deux, ce soir. Mais, oui… Je vais aller m'allonger. Ne provoquez pas de catastrophes, Potter. »

Il dut se faire violence pour ne pas offrir de l'aider à rejoindre le cottage, devinant que sa fierté en aurait pris un coup. Déjà, la veille, il n'avait pas apprécié qu'Harry le soutienne jusqu'au banc sur le porche, alors…

Le sorcier mit un temps infini à disparaître au coin du cottage. Harry en profita pour trier ce qui était périssable et devait être mis au frais en priorité, se chargeant les bras de sacs comme une mule. Le temps qu'il rejoigne la cuisine, il entendit la porte de la chambre de Snape se refermer au bout du couloir.

Tante Pétunia avait une organisation précise pour le frigo et, visiblement, Snape aussi. Sauf que ce n'était pas la même et qu'Harry n'avait aucun espoir de déterminer où allait quoi étant donné que le réfrigérateur était plutôt vide.

Il fit au mieux, profitant pleinement de l'excuse de devoir ranger pour jeter un œil dans tous les placards et tiroirs – il y en avait un clairement fourre-tout où se mêlaient un tire-bouchon, des clefs solitaires, des papiers jaunis et un paquet de cigarettes avec un briquet en plastique.

Snape fumait ?

Cela ne l'étonnait pas tant que ça. Sirius aussi fumait. Et Tante Pétunia lorsqu'elle pensait qu'on ne la voyait pas – c'était dans sa réserve semi-secrète que Dudley volait ses cigarettes pour mieux frimer devant sa bande. Mais, tout de même, il avait du mal à imaginer son Professeur de Potions une cigarette aux lèvres. C'était trop… banal pour Snape.

À peu près autant que de se balader pieds nus, mettre des lunettes de soleil, conduire une voiture, écouter du rock, acheter du papier-toilette ou même avoir eu une meilleure amie qui était morte par la suite.

Ça le rendait beaucoup, beaucoup trop humain.

Harry était toujours en train d'étudier la question lorsqu'il traîna son manuel de Botanique, un parchemin et une plume à l'extérieur. Il hésita sur les marches du porche mais Snape n'avait jamais dit qu'il n'avait pas le droit de sortir et le petit lac – Loch – sur lequel donnait le cottage l'appelait. Il s'installa donc sur la rive rocailleuse, à quelques mètres de l'eau à peine, et tenta de se concentrer sur son devoir.

Peine perdue.

Il était assailli de pensées parasites.

Il finit par tirer de sa poche la baguette en saule pour mieux l'examiner, attentif à ne surtout pas accidentellement jeter un quelconque sort. Elle avait clairement vécu. Le bois était éraflé par endroit, la hampe était plus lisse que le reste, patinée par l'usage…

Il tenta d'imaginer la femme à laquelle elle avait appartenu sans vraiment y arriver. Quel genre d'amie pouvait avoir Snape ? Quelqu'un comme Hermione ? De calme et de studieux ? Quelqu'un qui avait extrêmement bon goût en matière de ketchup-mayonnaise…

Quelqu'un qui, comme ses parents, était mort trop jeune…

Avec un soupir, il rangea la baguette et se replongea dans sa Botanique.

Il lui fallut presque deux heures pour terminer le devoir. Le temps avait tourné, le ciel avait viré au gris et le vent avait forci, passant d'une brise fraîche à un courant d'air glacé. À l'intérieur, il faisait à peine meilleur, le vent s'engouffrant dans les vieilles fenêtres et faisant siffler la bâtisse, mais Snape n'était pas réapparu et Harry se rendit compte, avec consternation, que, sans magie, il était incapable d'allumer un feu. Il n'osa pas essayer de peur de brûler la maison.

Il battit en retraite sur sa mezzanine et s'installa à son bureau pour attraper le devoir de Métamorphose qu'il avait à moitié fini au Square Grimmaurd – à moitié copié sur Hermione, à vrai dire. Snape avait dit qu'il avait le droit de se servir de sa bibliothèque alors, au bout d'un moment, il osa aller en parcourir les titres, en nota plusieurs sur la Défense qui avaient l'air très intéressants, et finit par emprunter l'un des rares au sujet de la Métamorphose. Visiblement, ce n'était pas sa matière de prédilection.

Snape n'était toujours pas sorti de sa chambre en début de soirée et Harry ne savait pas quoi faire. Il ne voulait pas le réveiller – parce qu'il était évident que l'homme avait besoin de repos autant que parce qu'il n'était pas suicidaire – mais il ne voulait pas non plus prendre l'initiative de préparer le dîner parce que le Professeur avait été très clair sur le fait que c'était lui qui se chargerait des repas du midi et du soir et que l'adolescent n'était pas censé se servir seul.

Il n'y avait pas tant de règles que ça, au demeurant, et aucune d'elles n'était déraisonnable.

Harry ne voulait pas désobéir.

Et puis… Il avait eu un petit-déjeuner, avait presque trop mangé à midi… Ce n'était pas comme s'il avait vraiment besoin de dîner. Il n'avait même pas si faim que ça.

Le froid était plus gênant.

À l'extérieur, une fine pluie s'était mise à tomber et il en sentait l'humidité jusque dans la cuisine. Il resta un moment à la fenêtre, à contempler l'averse puis décida que Snape ne pouvait pas lui reprocher de prendre une tasse de thé. C'était risqué, bien sûr, mais… L'eau venait du robinet et il ne prendrait qu'une seule feuille du pot sur le comptoir de la cuisine… Juste assez pour aromatiser.

Le fourneau n'était pas difficile à allumer une fois qu'Harry eut analysé les différents boutons. Il était à gaz mais les Dursley en avaient eu un similaire avant de passer à l'électrique – les premiers du quartier, une fierté – et, très vite, il avait mis la bouilloire sur le feu et attendait qu'elle chauffe, le cœur battant, l'oreille tendue au cas où les bruits de pas feutrés de Snape se rapprocheraient…

Que ferait-il si le Professeur montrait finalement le bout de son nez crochu ? Éteindre le fourneau et remettre la bouilloire en place en espérant qu'il ne s'aperçoive de rien ? Faire comme si de rien n'était ? Arguer que Snape n'avait jamais dit qu'il n'avait pas le droit de se faire une boisson chaude ?

Comment le punirait le sorcier ?

Les chaudrons avaient déjà l'air propres et Harry avait déjà fait la vaisselle. Lui ferait-il récurer le reste de la maison ou… Ses pensées se dirigèrent vers le placard derrière l'escalier et son cœur s'emballa d'autant plus. Le placard serait le moindre mal, cependant. Vernon était trop paresseux pour être brutal mais il lui était arrivé de prendre une claque qui avait manqué de lui dévisser la tête ou un coup de la canne de Dudley, opportunément abandonnée dans un coin… Et c'était sans mentionner la poile à frire de Tante Pétunia qu'il ne parvenait pas toujours à esquiver.

Il avait réussi à se donner la nausée d'angoisse lorsque la bouilloire commença à faire de la vapeur. Il la retira du feu avant qu'elle ne siffle et ne le trahisse, versant l'eau chaude dans une tasse et renonçant à voler une feuille de thé.

Juste au cas où Snape les comptait.

C'était le genre de gens qui comptaient tout, il était prêt à le parier.

Il se brûla la langue et la bouche en se dépêchant d'avaler son eau chaude, aux aguets, et se hâta de rincer la tasse, de l'essuyer et de la remettre exactement là où il l'avait trouvée avant de souffler de soulagement de ne pas s'être fait prendre.

Vers neuf heures, lorsqu'il fut évident que Snape ne se relèverait pas, Harry plaça ses deux devoirs sur la table de la cuisine – refusant d'être pris en faute – éteignit toutes les lumières et, après un passage express dans la salle de bain qu'il nettoya rigoureusement derrière lui, monta se coucher. Il était encore tôt mais il aurait menti s'il avait affirmé ne pas avoir sommeil, c'était le problème lorsqu'on ne dormait qu'une poignée d'heures par nuit.

Il n'avait pas osé prendre l'ampoule pour la lampe parce que Snape n'en avait pas donné l'autorisation expresse et le clic-clac lui donna du fil à retordre mais la mezzanine était déjà plus confortable que la veille. Propre, pour commencer. Par contre, la couverture que l'homme lui avait donné était un peu légère vu l'absence de feu dans la cheminée mais il n'allait certainement pas aller s'en plaindre. Ce n'était rien par rapport à la simple couverture rapiécée qu'il avait eue dans son placard. Il enfila le sweatshirt multicolore de Dudley par-dessus son tee-shirt et, suffisamment réchauffé, se glissa entre les draps.

Il lui fallait souvent des heures pour s'endormir mais que ce soit à cause de la balade en voiture ou du temps passé au grand air, il tomba comme une masse.

Il n'était jamais conscient du moment où il basculait dans le cauchemar, était à peine conscient, à un certain niveau, que ça devait être un cauchemar… Et pourtant c'était tellement réel… La terreur qui le prenait à la gorge, l'éclat de la lune sur la lame du couteau, le trophée qui avait roulé au pied d'une pierre tombale, le hurlement de sa mère, la lumière verte et…

Quelqu'un était penché sur lui.