JE SUIS DE RETOUR !

Ca me fait trop plaisir de reprendre, si vous saviez ! Les vacances ça fait un bien fou. Et ça valait le coup de faire une pause, vous allez voir. J'essaye de revenir en fanfare pour me faire pardonner de vous avoir fait attendre si longtemps.

C'est la rentrée et c'est nul, je sais. Alors je me devais de vous remonter un peu le moral.

Ce chapitre c'est mon préféré. J'espère que ce sera votre préféré aussi.


— Très bien Katakuri, tu as gagné. Tu es satisfait ?

— Absolument.

Comme prévu, Katakuri avait retrouvé l'assemblée de ses frères et sœurs au bout d'une semaine, impatient de connaître leur décision au sujet de sa grève. Il n'était pas inquiet outre mesure puisque son escargophone n'avait pas cessé de sonner une seule minute depuis qu'il avait interrompu le travail. Il voulait simplement les entendre reconnaître qu'ils avaient besoin de lui.

Évidemment, ils ne s'étaient pas épanchés sur la question et ne lui avaient pas présenté d'excuses mais les voir baisser les yeux et admettre qu'ils ne pouvaient pas se passer de son soutien, c'était suffisant pour lui. Il préférait commencer le travail immédiatement plutôt que de perdre du temps à chercher le repentir de sa famille. Là encore, comme il l'avait prédit, ils avaient été incapables de s'entendre sur quoi que ce soit pour restaurer Whole Cake et l'absence de Brûlée avait considérablement ralenti les opérations. Mais les choses se présentaient mieux que ce à quoi il s'était attendu.

Il n'avait pas besoin de changer ses plans et ils avaient eu la chance de ne pas subir de grosse attaque ennemie. La Marine était trop occupée par les révoltes populaires, Totto Land n'était pas leur priorité. Seuls d'autres pirates et chasseurs de primes s'étaient senti pousser des ailes à l'annonce de la mort de Mama. Et aucun d'entre eux n'avaient réussi à percer leurs défenses, même amoindries comme elles l'étaient. Mais les survivants allaient parler et il ne faudrait pas longtemps avant que des adversaires plus doués ne parviennent à s'infiltrer sur leur territoire. Il ne fallait pas oublier qu'il n'avait suffit que de quelques membres de l'équipage de Chapeau de Paille pour retourner le pays tout entier. Seulement, maintenant que Katakuri pouvait gérer les opérations en personne, cela ne risquait pas de se reproduire.

— Ne te vante pas trop, l'avertit Compote avant qu'il ne dise quoi que ce soit. Le pays ne s'est pas effondré en ton absence non plus.

— Parce que je vous ai laissé seulement une semaine. J'aurais pu vous couper les vivres plus longtemps. Mais inutile de perdre du temps à imaginer ce qui aurait pu se passer, il est l'heure de mettre un coup de collier. Il y a un ordre de priorité à définir.

— La priorité c'est la reconstruction du château, on a besoin de Brûlée pour...

— Brûlée a déjà repris du service. Et maintenant que je peux mettre mon grain de sel dans les décisions, je vais le dire franchement : on s'en fout du château.

Sa remarque jeta un froid mais contrairement à d'habitude, personne n'éleva la voix pour s'insurger. Ils attendaient sagement avant de prendre la parole. Ça aussi c'était un effet extraordinairement positif de sa grève.

— C'est tout sauf urgent. Le plus important pour le moment c'est qu'on a aucune nouvelle de notre mère ou du Chanter. Ce n'est pas normal.

— Qu'est-ce que tu suggères ?

— Envoyer quelqu'un les chercher. Cracker, ta flotte est opérationnelle ?

Il ne s'attendait pas à ce que son nom soit prononcé, il se redressa sur son siège d'un seul coup.

— Euh, oui. Tu veux que je ... ?

— Dès que tu peux appareiller, fonce vers Wano avec tes meilleurs vaisseaux et retrouve le Chanter. Et méfie toi, des bruits courent sur la flotte de Barbe Noire. Ils traînent dans les parages, essaye de ne pas déclencher d'hostilité avec qui que ce soit si ça n'a pas de rapport avec la famille.

Il acquiesça sans discuter et Katakuri s'en étonna. Il devait attendre qu'on lui confie une tâche de ce genre depuis longtemps.

— Ce n'est pas une bonne idée, protesta Amande d'une voix calme. On a besoin de toutes nos forces ici, une flotte en moins risque de nous mettre en difficulté.

— Sans doute, mais n'avoir aucune nouvelle du Chanter alors que Smoothie et Daifuku sont à bord nécessite qu'on déploie les grands moyens pour les retrouver. Ce n'est pas bon signe qu'on soit toujours sans nouvelles. Et avec Oven, toi, moi, ma flotte et celle de Smoothie sur place, ça devrait faire l'affaire pour nous défendre en cas de siège important. En attendant, on va travailler pour renforcer notre réseau de surveillance. La trahison de l'équipage du Soleil nous a privé du soutien des hommes poisson et d'un atout précieux. Au lieu de dépenser tous nos matériaux pour reconstruire le château de Mama, utilisons les pour créer de nouveaux bateaux de patrouille.

Ses propositions récoltaient des hochements de têtes approbateurs et encourageants. Tout se présentait bien.

— Mais il faut tout de même qu'on se charge de reconstruire Whole Cake, insista Compote. Sans ça, c'est notre prestige, notre réputation d'équipage tout entier qui en prend un coup et on ne peut pas se permettre d'avoir l'air aussi facile à atteindre, souleva Compote. Judge Vinsmoke ne va pas se priver pour nous faire une mauvaise publicité et décourager certains de nos partenaires de traiter avec nous. Pourtant dieu sait qu'on a besoin d'argent.

— C'est vrai, admit Katakuri.

— Il y a une chose qu'on peut faire pour renflouer les caisses, proposa Oven.

Katakuri devina la suite.

— On ne peut pas faire se le permettre pour l'instant.

— Pourquoi pas ? Dit-il en haussant les épaules. Faisons une autre Tea Party.

Leurs sœurs se tournèrent vers lui, intriguées mais pas convaincues.

— Sans Mama ?

— Bah... Ouais. Si on veut rassurer nos alliés, prouver qu'on est encore puissants et ramasser du pognon au passage, c'est l'occasion idéale.

— Sauf qu'une Tea Party risque de coûter plus cher qu'elle ne rapporte, protesta Katakuri. Ce n'est pas le moment de gaspiller de l'argent là-dedans...

— Tu dis ça parce que tu détestes y aller, mais écoute un peu.

Il se pencha en avant pour capter l'attention de tout le monde.

— On a, juste sous la main, un moyen d'attirer de nouveaux alliés et les convaincre qu'on est devenus encore plus puissants.

— On peut savoir lequel ? soupira Compote en levant les yeux au ciel.

— On a le second de Kaido.

Katakuri se sentit pâlir mais Oven était catégorique.

— Techniquement, l'alliance de nos deux équipages est toujours valide et on en a la preuve : il est chez nous. Mieux ! Il est à nos ordres. On a réussi à soumettre le bras droit de l'homme le plus puissant du monde. On le ramène à la Tea Party et il va en mettre plein les yeux à tout le monde, avec ça on va...

— Non ! Le coupa Katakuri. Oublie ça, il voudra jamais.

Oven fit la moue.

— Tu vas bien réussir à le convaincre. Vous êtes copains tous les deux.

— Non, laisse tomber, c'est une mauvaise idée. En plus, Kaido est tombé. Wano est libre. Je ne sais pas si le prestige d'un empereur déchu nous sera utile. King est un personnage important mais ça ne suffira pour s'attirer les faveurs de qui que ce soit.

— T'es de mauvaise foi là. C'est un lunaria, avec une belle gueule en plus, dans le genre prestigieux...

Toute cette histoire mettait Katakuri extrêmement mal à l'aise. Il jeta un regard à ses sœurs en espérant qu'elles seraient aussi sceptiques que lui mais elles ne semblaient pas hostiles à l'idée.

— On a besoin de soutien, confirma Compote. Si on reste isolés, on risque d'accroître nos difficultés. Ce serait une bonne occasion de prouver que le nom de Charlotte est toujours aussi important et qu'on a rien perdu de notre influence. On parle déjà de nouveaux empereurs mais nous sommes toujours là ! On ne perd rien à faire une petite piqûre de rappel.

— Mais la dernière Tea Party est un désastre encore trop récent, personne ne sera dupe sur nos intentions.

— Trop attendre ne nous mettrait pas dans une meilleure situation.

Katakuri n'aimait pas ça mais il savait que ce plan n'était pas nécessairement mauvais. Il proposa d'attendre encore un peu avant de décider quoi que ce soit et tous acceptèrent. Après tout, ce genre de réception réclamait du temps et une organisation pointue. Même si l'absence de Mama leur faciliterait grandement les choses, s'ils en venaient à lancer leur propre Tea Party, ils avaient besoin de temps. Et Katakuri espérait qu'une meilleure option se présenterait d'ici là.

/

Jamais une réunion ne s'était aussi bien passé. Katakuri était fier de lui, il savait que c'était grâce à ce qu'il avait fait. Des années à entendre tout le monde dire qu'il était le plus fort, le bras armé de l'équipage, il était temps qu'on lui montre le respect qu'il était censé recevoir depuis si longtemps. Si ça avait été son genre, il se serait pavané comme un paon dans tout le pays. Mais il n'était pas aussi puéril. Il avait beaucoup de choses à faire. A commencer par organiser le départ de Cracker. Ce qui le préoccupait le plus dans cette histoire — plus que la prétendue mort de sa mère — c'était le silence de Smoothie. Et de Daifuku. Il n'avait plus de nouvelles depuis qu'ils avaient rapatrié King. Ce qui les retenait était forcément grave.

Le nom de King le poussa immédiatement à se rappeler une autre chose urgente dont il devait s'occuper. Il devait dissiper le malentendu de leur dernière rencontre. Ça paraissait ridicule en comparaison du reste mais c'était tout de même une priorité. Lui et King ne s'étaient pas recroisés depuis leur duel. Il n'était même pas sûr que King avait remarqué son érection sur le moment, mais il avait vraisemblablement cherché à l'éviter par la suite. Il l'avait à peine aperçu dans les couloirs de son château et plus le temps passait plus il était gêné à l'idée de lui refaire face. Ça devenait insoutenable.

Il n'avait aucune envie de s'humilier devant lui en lui présentant des excuses pour son... écart de conduite. Mais c'était encore pire de laisser les choses s'envenimer. Si en plus Oven et les autres attendaient de lui qu'il maintienne un semblant d'alliance avec Kaido, il n'avait pas le choix. Il allait devoir ramper. Il valait mieux arracher le pansement tout de suite avant que la situation ne soit encore plus inconfortable.

On ne l'y reprendrait plus.

Machinalement, il prit la direction de ses quartiers. Il n'avait aucune certitude de l'y trouver mais il ne se sentait pas d'envoyer des domestiques le chercher à sa place. Il préférait le voir directement, face à face et en toute discrétion. Il n'avait pas pu aller bien loin.

Il cogitait sur ce qu'il allait bien pouvoir dire. Rien ne l'avait jamais préparé à cette situation. D'ordinaire il se contentait de voir l'avenir pour appréhender les conversations difficiles mais il doutait que ce soit suffisant cette fois. Un faux pas serait impossible à rattraper. Il espérait que King se montrerait indulgent mais pour ce qu'il savait de son mauvais caractère, il en doutait.

Alors qu'il s'approchait de plus en plus de sa chambre, des éclats de voix se firent entendre. C'était inhabituel.

Il pressa le pas et la dispute lui parvint plus distinctement. Il n'était toujours pas en mesure de comprendre ce qui se tramait mais il reconnut King et son inquiétude grandit aussitôt. La situation n'avait pas l'air trop grave, il se contentait d'élever la voix et d'être ferme, mais l'idée que quoi que ce soit puisse le déranger ou le mettre en colère mettait Katakuri au supplice. S'il n'était pas dans de bonnes dispositions, il allait avoir beaucoup de mal à aborder le sujet. Une fois dans le couloir, il distingua une autre voix, féminine, qui n'avait pas l'air intimidée par l'autorité de King. Qui pouvait bien être assez folle pour lui tenir tête ?

Pudding sortit de la chambre, les poings serrés et la patience à bout. Elle aperçut Katakuri grâce à son troisième œil et poussa un soupir de soulagement.

— Dieu merci te voilà, tu vas m'aider à le raisonner !

Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle pouvait bien faire dans cette partie du château. Il était tellement surpris de la trouver devant la porte de King qu'il ignora ce qu'elle venait de lui dire.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

— Peu importe ! Il faut que tu interviennes, il refuse de voir un médecin.

Elle rentra dans la chambre et ne laissa pas le temps à Katakuri de la questionner plus longtemps. Son angoisse de lui parler se transforma en sollicitude. Pourquoi aurait-il dû voir un médecin ?

La voix de l'intéressé se fit entendre dans tout le couloir après que Pudding soit revenue dans la chambre.

— Je t'ai dit de dégager. Fous moi la paix !

— Mais c'est ridicule enfin ! S'écria Pudding sans comprendre.

— Bon, qu'est-ce qui se passe là dedans ? Craqua Katakuri en entrant dans la chambre.

Il trouva Pudding les mains sur les hanches, face au lit occupé par King. Il était allongé sur le dos, les ailes étrangement froissées sous son poids. Il avait les bras croisés sur la poitrine, l'air indifférent à ce qu'il se tramait sous son nez, mais son expression ne mentait pas ; il avait les lèvres pincées et le visage en sueur. Il n'allait pas bien du tout. Il posa un regard affolé sur Katakuri quand il apparut dans l'encadrement de la porte et grommela dans sa barbe. On pouvait presque l'entendre grincer des dents.

— Il manquait plus que ça !

Pudding frappa du poing la cuisse de Katakuri alors qu'il la rejoignait à son chevet.

— Fais quelque chose toi !

— Est-ce que tu peux m'expliquer ce que tu lui veux ? Dit-il, un peu surpris par la soudaine attitude protectrice de sa sœur à l'égard de King.

— Elle m'emmerde, fais la sortir, grogna-t-il.

— Mais tu vois bien qu'il souffre ! S'indigna Pudding en s'adressant toujours à Katakuri. Il reste comme ça parce qu'il ne peut pas se lever. Il faut qu'un docteur vienne le voir mais...

— J'AI DIT NON !

Il s'enflamma, couvrant ses draps de suie, et la lumière qu'il dégagea les aveugla pendant deux secondes. Katakuri comprit que Pudding avait raison, il y avait un problème.

— Tu es blessé ? Demanda-t-il le plus calmement du monde.

Le regard de King était à la fois apeuré et très agressif. Il cillait plus que d'habitude et n'osait pas regarder Katakuri dans les yeux.

— Je vais bien, ça va passer.

— On dirait pas, pesta Pudding.

Katakuri observa la chambre plus attentivement et remarqua la tâche de sang frais sur le montant de la fenêtre. Il comprit aussitôt où était le problème.

— Va chercher quelqu'un, demanda-t-il calmement à Pudding.

Elle n'eut pas le temps de faire un pas, King s'énerva à nouveau. Il se redressa partiellement sur son lit, la voix tremblante de colère.

— Je veux pas de médecin, c'est pas assez clair ?! Je préfère crever comme un chien que de laisser un connard charcuter le lunaria qu'il a sous la main !

Son état de panique rappela à Katakuri ce qu'il lui avait dit quelques jours plus tôt :

"Aucune blouse blanche se s'approchera de moi."

A ce moment-là, par pudeur, il avait évité de lui poser plus de questions mais maintenant il avait la confirmation que son aversion des médecins était pire que ce qu'il avait imaginé en premier lieu. Il était prêt à mettre le feu à la pièce pour les empêcher d'en appeler un à la rescousse. Un comportement pareil n'avait rien de raisonnable. Il fallait qu'il réfléchisse et vite.

— Finalement, laisse nous, dit-il à Pudding. N'appelle personne, je vais me débrouiller.

Elle voulut protester mais garda la bouche close. Elle fixa Katakuri pendant que son troisième œil était tourné vers King. Elle les observa quelques secondes avant de soupirer et de prendre la porte.

— Comme tu veux, je serai pas loin si tu as besoin de moi. J'espère que tu sais ce que tu fais.

Elle disparut en prenant soin de fermer derrière elle. Son départ soulagea King.

— C'est pas trop tôt ! Ça fait une heure qu'elle me casse les pieds.

— Tu devrais t'en réjouir, s'amusa Katakuri. Si elle est désagréable avec toi, c'est qu'elle t'aime bien. Elle veut sûrement de remercier de l'avoir sauvée, à sa façon.

— J'aurais mieux fait de la regarder plonger.

Il était toujours aussi agité malgré sa posture figée, ce n'était pas le moment de faire de l'humour. Il était incapable de l'entendre.

— Qu'est-ce qui t'arrive ? Demanda-t-il. Elle t'a cassé les pieds mais je vois bien qu'elle a raison.

— Je vais bien je te dis.

— Non, c'est faux. Pourquoi est-ce que tu refuses qu'on t'examine, ça n'a pas l'air trop grave, ça prendra seulement...

Il s'emporta sans le laisser finir.

— Parce que la dernière fois qu'on m'a examiné je me suis réveillé avec une aile morte, recousue n'importe comment ! Maintenant, non seulement je peux à peine voler, mais en plus ça me fait atrocement mal toute la journée ! Il n'est pas question que je donne le feu vert aux bouchers qui vous servent de médecins pour qu'ils me tripotent encore et en profitent pour m'ouvrir le bide pour voir comment je suis fait à l'intérieur ! Je préfère qu'ils s'abstiennent, compris ?

Katakuri fut incapable de trouver quelque chose de censé à lui répondre.

Les médecins qui lui avaient recousu l'aile l'avait fait sur son ordre. Il n'avait pas réfléchi, sur le moment il avait pensé qu'il fallait le remettre en état avant le retour de Mama et n'avait pas supervisé quoi que ce soit. Il n'avait pas pensé au mystère que pouvait représenter la physiologie des lunarias pour des soignants lambdas, ni aux répercussions sur le corps ou le mental de King. Il avait voulu faire son travail et rendre présentable le "cadeau" de Mama. A ce moment là, King n'avait été qu'un problème de plus dans ses pattes et la négligence avec laquelle il l'avait traité lui sautait aux yeux aujourd'hui.

Il avait d'autant plus honte qu'il aurait dû être le mieux placé pour savoir ce que ça faisait d'être "réparé" par des gens qui n'avaient aucune idée de comment fonctionne un corps hors des standards humains. Il porta la main à sa bouche et caressa distraitement ses cicatrices du bout du doigt.

— Je suis désolé, dit-il doucement, sans cacher la sincérité dans sa voix.

King, qui donnait toujours l'impression de vouloir le mordre, se radoucit après quelques secondes. Il était penaud.

— Non, c'est moi qui suis désolé. J'ai mal, ça me met de mauvaise humeur.

— Explique moi.

Katakuri s'approcha de lui, prêt à l'aider de n'importe quelle façon, même s'il sentait bien que King était très gêné par sa situation.

— C'est mon aile, avoua-t-il. Je pensais qu'elle allait mieux mais...

Une grimace de douleur suffit à faire comprendre à Katakuri à quel point il avait mal. Ses yeux s'affolaient, il ne faudrait pas beaucoup de temps avant qu'il se fasse une crise de panique. Cette attitude éveilla son instinct protecteur, qu'il réservait d'habitude aux enfants. Il avait maintenant un besoin irrépressible de trouver une solution.

— Tu devrais te coucher sur le ventre, ton poids dessus doit empirer les choses.

— J'aimerai bien, mais je ne peux pas. Dès que je bouge j'ai l'impression que je vais l'arracher.

— Je vais t'aider.

Il attrapa le fauteuil à proximité et le fit glisser jusqu'au lit pour se placer au chevet de King. Il voyait bien qu'il se sentait humilié par toute la situation mais il ne pouvait pas le laisser comme ça et s'il refusait de voir un médecin alors il n'y avait pas d'autre solution pour le moment. Il hésita une seconde avant de lui toucher l'épaule — il avait toujours leur dernier échange en tête et il espérait qu'il n'était pas en train d'aggraver leur relation en lui imposant un contact — King approuva du regard et inspira profondément.

— Prêt ?

Il opina du chef et lui agrippa le bras pour se servir de lui comme appui. Il se raidit, planta ses ongles dans son muscle et se releva tant bien que mal. Katakuri le souleva avec prudence. Un juron lui échappa alors qu'il parvenait enfin à se redresser complètement. Dévoilant à Katakuri son dos nu et les draps ensanglantés par la plaie qui s'était rouverte sur son aile, là où elle avait été tranchée.

— Ah oui quand même, l'informa Katakuri.

— C'est à dire ?

— Tu as perdu beaucoup de sang.

Il se pencha derrière lui pour avoir un meilleur point de vue sur la blessure. Elle faisait peur a voir mais n'avait rien d'irréversible. Il avait vu pire.

— Il va falloir suturer. Sinon ça va mettre des mois à guérir.

— J'ai dit non, s'énerva-t-il à nouveau, de façon un peu puérile. Je préfère qu'elle tombe.

— Arrête de dire n'importe quoi, c'est facilement soignable. Une fois recousue, il faudra éviter de solliciter ton aile à tout bout de champ et tout ira bien.

— Je m'en fous, je ne suis pas une poupée de chiffon.

Il avait peur des médecins et donc une conception très étrange de ce qu'était le soin. La curiosité de Katakuri était piquée.

— Ne me dis pas que tu as toujours laissé tes plaies se refermer toutes seules ?

Son bref silence était une confirmation suffisante mais il se défendit tout de même.

— Je ne me blesse pas souvent.

— Tout s'explique, ricana Katakuri. Pas la peine de t'en faire, c'est douloureux et impressionnant mais ce n'est pas méchant. Ce sera vite réglé.

— Je t'ai dit que je ne voulais pas de médecin, je suis sérieux ! Combien de fois je vais devoir le répéter ?

— Et si c'est moi qui le fait ?

Il ne savait pas ce qui lui avait pris de proposer ça et à la tête qu'avait fait King en se tournant vers lui, il ne l'avait pas vu venir non plus.

— Qui fait quoi ?

— Si c'est moi qui te recouds, ça te va ?

Impossible de dire lequel des deux était le plus surpris par cette proposition. Katakuri l'avait dit comme ça, sans réfléchir, il voulait simplement qu'il accepte les soins au plus vite. Il n'avait aucune garantie que ça marche et il n'était pas sûr que s'approcher davantage de King soit bon pour lui après ce qui c'était passé lors de leur duel. Maintenant qu'il y pensait, il n'y avait aucune chance pour qu'il le laisse le toucher après cet incident.

— Tu sais comment recoudre une plaie ? S'étonna-t-il.

— Et bien, oui. Un peu. Ça fait parti des compétences que j'ai acquis en tant que jumeau de deux frères casse-cou. Quand il fallait cacher les blessures provoquées par leurs propres bêtises à notre mère, c'est moi qui m'y collait. Notamment parce que je suis le seul à ne pas m'évanouir pendant le processus. Mon savoir ne va pas beaucoup plus loin mais je pense que je peux t'aider si vraiment tu refuses une aide professionnelle.

Ils se regardèrent dans le blanc des yeux un long moment. Ni l'un, ni l'autre ne savait si c'était une bonne idée mais, à la grande surprise de Katakuri, King accepta. Il devait en avoir marre de souffrir car il sentait bien qu'il obtempérait la peur au ventre. Katakuri pensa qu'il réagissait comme un gosse terrorisé pour une plaie vraiment bénigne mais il ne fit aucun commentaire. Il décida d'agir comme il le faisait toujours, calmement et avec assurance. S'il affichait ses doutes, King risquait de changer d'avis.

— Il me faut de quoi faire ça proprement, j'en ai pour une minute.

King hocha la tête, toujours grimaçant à cause de la douleur. Katakuri se leva et ouvrit brusquement la porte. Pudding manqua de se casser la figure à ses pieds. Apparemment, elle avait épié toute la conversation et n'en avait pas perdu une miette. Elle rougit en croisant le regard de son frère aîné et esquissa un petit sourire coupable.

— Puisque tu es toujours là, se moqua Katakuri, va me chercher une trousse de secours.

— Je me dépêche, dit-elle en ajoutant une révérence polie pour se faire pardonner, tout à fait dans son rôle habituel de jeune fille charmante.

Ses chaussures claquèrent dans le couloir alors qu'elle s'éloignait, en hélant les homies qui se trouvaient à sa portée afin qu'ils lui donnent un coup de main. Katakuri referma la porte et se dirigea vers la salle de bain. Il retira ses gants de cuir et se lava consciencieusement les mains avant de procéder. Il ne réalisait absolument pas ce qu'il s'apprêtait à faire. Son bon sens aurait dû lui souffler d'arrêter tant qu'il en était encore tant mais, étrangement, il n'avait aucun doute sur sa réussite. Il était plus inquiet à l'idée d'approcher King d'aussi près que d'échouer à le soigner.

Il prit des serviettes propres dans l'armoire et revint à ses côtés. Il le trouva encore plus penaud et pitoyable que toute à l'heure. Comme s'il cherchait à se faire tout petit en sa présence. Il préféra faire comme s'il n'avait rien remarqué, il ne pouvait pas le blâmer d'angoisser quant à la suite des évènements. Il ne voulait pas laisser l'atmosphère s'appesantir, il fallait que tous les deux soient assez calmes pour que les choses se passent bien. Il décida de faire avec King comme il aurait fait avec n'importe quel autre membre de sa famille ayant besoin d'être rassuré ; il se comporta comme si tout était parfaitement sous contrôle et qu'il n'y avait rien à craindre. Sa présence devait lui inspirer confiance.

— Tu me fais une place ? Ce sera plus simple si je suis derrière toi.

King s'avança d'un cran sur le lit et laissa Katakuri s'installer dans son dos. Il avait beau s'être ratatiné sur lui-même, il était toujours immense. Katakuri n'en revenait pas d'à quel point il se sentait petit en sa présence. Son dos était assez grand pour le cacher entièrement au reste du monde...

Mais ce n'était pas le moment de se perdre dans la contemplation, le pauvre était mal en point.

Son aile gauche se déployait sans problème mais la droite ; amaigrie, déplumée et sanglante, pouvait à peine bouger. Katakuri réalisa qu'il n'avait aucune idée de comment fonctionnait ce membre. La texture de la peau était différente, sans parler des plumes. Il ne savait pas s'il devait traiter sa blessure comme une plaie lambda et il espérait que les sensations ne seraient pas insupportables.

— Je n'ai jamais recousu une aile avant. Est-ce que c'est plus sensible que le reste du corps ?

— Ça dépend. Comme mes plumes sont tombées, je pense que je vais serrer les dents. Pourquoi ? Tu comptes y aller comme une brute ?

Il disait ça pour plaisanter — du moins Katakuri le pensait, il savait qu'il ne le considérait pas comme une brute et quand bien même, un membre de l'équipage des cent bêtes devait considérer ce trait comme une qualité — mais il y avait une réelle appréhension derrière cette question. Katakuri s'en tint à la ligne qu'il avait choisi de suivre et se montra rassurant.

— Bien sûr que non.

Ce fut bien insuffisant pour détendre King et sa nervosité envahit la pièce. Attendre Pudding ne faisait qu'amplifier leur malaise. Mais Katakuri ne devait pas se laisser déstabiliser, la tâche qu'il venait de se confier exigeait qu'il reste totalement maître de lui même.

— Tu permets que je regarde ? Dit-il en s'approchant de son aile.

King frémit et marmonna un "mh" farouche. Il n'avait jamais été aussi crispé, un seul faux pas de la part de Katakuri risquait de réduire à néant la confiance qui s'était installée entre eux. Il ne le permettrait pas. Il le toucha avec prudence et, délicatement, écarta les plumes qui s'étaient collées à la blessure à cause du sang. King se raidit brusquement et un grognement lui échappa.

—Désolé.

— C'est rien, c'est un réflexe.

Il était évident qu'il faisait un effort pour rester en place. Katakuri allait devoir se montrer plus délicat avec lui qu'avec n'importe qui d'autre. Il avait déjà eu à faire à des estafilades similaires mais King n'était pas Oven, ni Daifuku. Il ne pouvait pas se permettre d'aller vite, il allait devoir le traiter avec le même tact et la même douceur que ses plus jeunes frères et sœurs avant un vaccin.

King grelottait. Il avait beaucoup saigné et devait être anémié. Sa chemise humide lui laissait le dos complètement à l'air pour faciliter le mouvement des ailes mais elle ne pouvait pas lui tenir assez chaud. Il remarqua alors comme les flammes de son dos étaient minuscules par rapport à d'habitude. Il ne sentait presque pas leur chaleur. Il était plus faible qu'il ne voulait bien le montrer. Katakuri voulut lui proposer de se changer mais après ce qui lui était arrivé sur le terrain d'entraînement, il eut peur de passer pour un pervers. Il avait déjà eu du mal à le convaincre de se soigner, il ne voulait pas qu'il croit qu'il en profitait pour se rincer l'œil — ce qu'il se retenait de faire face à son dos dénudé d'ailleurs.

Il se souvint aussitôt de la raison qui l'avait amené à lui rendre visite et se demanda si le moment était bien choisi pour lui en parler. Finalement, il se dit que se ridiculiser devant lui l'aiderait peut-être à désacraliser ce qu'il s'apprêtait à faire.

— Au fait, commença-t-il, un peu gêné. Je te demande pardon pour l'autre jour.

Il voulait aller plus loin mais n'avait aucune idée de comment formuler ses excuses. Tout ça était bien trop gênant. King redressa la tête, sans le regarder.

— L'autre jour ?

— Le duel.

— Oh.

Il se passa une main dans la nuque — avant de se raviser à cause de la douleur. Katakuri se sentit encore plus honteux en constatant son embarras et songea une seconde à se jeter par la fenêtre tant il était indigne de le soigner mais il ne bougea pas. Il avait passé l'âge de réagir de façon trop dramatique.

— Attends un peu, reprit King après plusieurs secondes interminables. Pourquoi ce serait à toi de me demander pardon ?

Il pivota pour le regarder dans les yeux — il avait l'air au bord de l'évanouissement, il fallait que Pudding se dépêche.

— C'est plutôt moi qui devrait te présenter des excuses. Je ne voulais pas te vexer, je voulais juste faire le malin.

Katakuri n'avait pas la moindre idée de ce dont il parlait, quand l'avait-il vexé ?

Ça lui prit un moment pour calculer deux et deux et comprendre que King n'avait absolument pas vu son érection et n'avait donc aucune raison de lui en vouloir. Il avait sans doute pris son départ précipité du terrain pour une attitude de mauvais perdant. Différentes émotions le submergèrent alors : la honte, le soulagement, la curiosité et de nouveau la panique d'avoir à expliquer pourquoi il s'était excusé en premier lieu.

Heureusement pour eux deux, Pudding revint. Accompagnée par des homies suffisamment grands pour traîner avec eux tout le matériel médical adapté au gabarit de King. Elle les vit ensemble sur le lit et les observa une seconde mais ne fit aucun commentaire. Elle s'approcha de Katakuri, qui la remercia chaleureusement du regard de lui avoir sauvé la mise et épargné une conversation pénible.

— Je n'ai pas trouvé suffisamment d'anti-douleurs, se désola-t-elle. Ça ira ?

Katakuri se tourna vers King pour connaître sa réponse. Il sembla offensé qu'on daigne lui poser la question.

— Je suis capable d'encaisser la douleur, vous me prenez pour qui ?

— Pour quelqu'un qui a peur des aiguilles, dit Pudding en haussant les épaules.

— Et sinon, t'as pas autre chose à faire de tes journées toi ?

Elle leva les yeux au ciel, rappela son troupeau d'homies et les laissa seuls après avoir souhaité un bon courage à son frère. Il n'avait plus qu'à y aller. Il avait tout ce dont il avait besoin, du désinfectant, des ciseaux, du fil et une aiguille courbe. Il n'avait pas fait ça depuis longtemps, il espérait ne pas avoir perdu la main. Et qu'une aile n'avait rien de trop différent de ce qu'il connaissait. Mais maintenant que King comptait sur lui pour le soigner, il n'avait plus le choix. Il se mit en position.

— Est-ce que tu peux relever ton aile ?

Il essaya mais la douleur l'en empêcha.

— Non, rien à faire, râla-t-il.

— Ça ne fait rien je vais me débrouiller, essaye de ne pas bouger.

Il posa une main à plat sur son dos, là où débutait l'aile, et fit de son mieux pour ne pas se laisser troubler par le contact de sa peau sous ses doigts. Mais il ne put s'empêcher de remarquer toutes les cicatrices qui constellaient ses omoplates. Vestiges de toutes les blessures qu'il avait reçues et laissées se rétablir sans aide extérieure. La peine lui serra le cœur pendant une seconde, il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour ne pas lui en laisser une nouvelle. De l'autre main, il appuya délicatement sur l'articulation et la déplia tout doucement pour avoir un meilleur accès à la plaie, là où Roronoa l'avait tranché. King se raidit et inspira doucement mais il n'émit pas un son. Il savait qu'il lui faisait mal mais il n'avait pas le choix.

Une fois la blessure exposée, il dégagea le duvet de plumes pris dans le sang de la plaie et la nettoya. Par chance, elle était déjà propre et nette, elle ne serait pas difficile à refermer. King ne broncha pas. Il respirait vite mais restait calme. Katakuri essayait de ne pas penser à la douceur des longues rémiges noires qui frôlaient sa jambe, ni à sa nuque dégagée devant ses yeux. Il n'avait pas le droit de se laisser distraire par quoi que ce soit. Il aurait tout le temps d'y penser plus tard, quand le travail deviendrait trop difficile et qu'il aurait besoin d'une échappatoire. En attendant, il avait une mission.

Il prépara son aiguille, paré à commencer son ouvrage.

— Je vais y aller, tu es prêt ?

— Si tu pouvais faire ça vite, se plaignit-il.

— Je préfère faire ça bien, tu vas devoir tenir bon.

Il lui serra l'aile pour la maintenir en place et King sursauta. La chair était enflée et brûlante. En plus de l'appréhension, il devait avoir au moins dix fois plus mal qu'il ne voulait bien l'admettre.

— Ne bouge pas.

— Je ne me contrôle pas.

Katakuri ne lâcha pas prise mais se permit de lui caresser doucement les plumes du bout du pouce, pour le calmer. Il n'aurait pas été aussi long à se lancer avec Oven ou Daifuku, mais cette fois, l'idée même de lui infliger une telle douleur lui brisait le cœur. Il voulait lui faire savoir par des gestes simples qu'il ne lui voulait aucun mal. Il ne savait pas si ça avait le moindre effet mais il était prêt à piquer.

Maintenant qu'il tenait King suffisamment fermement pour l'empêcher de bouger, il lui enfonça l'aiguille sous la peau — il dut appuyer fort, sa peau était beaucoup plus dure que prévu — et fit passer le fil. Par réflexe, King abattit son poing sur le mur et un choc sourd retentit dans la pièce. Lui, restait muet. Katakuri patienta un instant, voyant qu'il avait la tête basse et qu'il avait besoin de se maintenir contre quelque chose pour supporter l'opération. S'il devait tomber dans les pommes, il se tenait prêt à le rattraper.

— Ça va ?

— Ouais, c'est bon, cracha-t-il. T'arrête pas en cours de route.

Il tremblait mais sa voix était ferme. Il tiendrait le choc. L'aiguille de Katakuri ressortit et il noua un premier point. Puis il transperça de nouveau.

/

King crut d'abord qu'il allait tourner de l'œil mais il parvint à se redresser. La douleur n'était pas si violente, c'était le contexte qui l'était. Il y avait très longtemps qu'il n'avait pas été piqué et la sensation ne lui avait pas manquée. Heureusement que la pièce était bien trop rose et bien trop confortable pour lui rappeler autant de mauvais souvenirs. La délicatesse de Katakuri l'avait aussi aidé à ne pas défaillir.

Il avait cru qu'il se raterait ou qu'il avait exagéré ses capacités mais depuis le temps, il aurait dû comprendre que non : Katakuri était toujours compétent. Il n'avait aucune raison de craindre pour sa santé depuis qu'il la lui avait confiée. Il était entre de bonnes mains et il le sentait un peu plus à chaque seconde.

Il avait à cœur de le recoudre correctement mais aussi de lui infliger un minimum de souffrance. Chaque geste était précis, efficace et étonnement tendre. Chaque fois qu'il exprimait sa douleur, par un spasme ou un grognement incontrôlé, il lui caressait les plumes pour atténuer la douleur. En un sens ça marchait, il avait toujours mal mais il n'avait plus envie de fuir ou de fondre en larmes. Passée la crainte, il ne restait plus que l'aiguille qui lui transperçait la peau. Et c'était supportable. Désagréable, mais supportable. Sans voir quoi que ce soit, il savait que Katakuri maîtrisait tout ce qu'il lui faisait même s'il n'était pas médecin. Peut-être même qu'il utilisait sa capacité à lire l'avenir pour le préserver au maximum de la douleur.

Comme promis, il prenait son temps. Mais King patientait. Après quelques minutes, il ne sursautait plus. Son aile vibrait encore de temps à autre mais les mains chaudes de Katakuri suffisaient à la tenir en place. Il aurait presque pu s'endormir.

Il s'étonna d'avoir encore accepté aussi facilement de le laisser le toucher. Non seulement c'était inhabituel de sa part mais c'était encore plus troublant de constater que ce contact, au delà d'être tolérable, l'apaisait. Il était en train de lui meurtrir la peau, à l'endroit de son corps où elle était la plus fine et la plus sensible, et il le laissait faire. Mieux : il lui faisait confiance.

Il aurait dû batailler, le menacer de le brûler vif pour qu'il renonce à ne serait-ce qu'effleurer ses ailes, mais il avait acquiescé sans broncher quand il lui avait offert de l'aider. Il en était le premier surpris.

Peut-être parce qu'il avait eu le bon sens de lui demander la permission ? Ou alors parce qu'il avait l'air de se foutre royalement d'avoir accès à ce que des centaines de scientifiques rêvaient de voir de leur vivant. Katakuri ne cherchait pas satisfaire une fascination malsaine pour une espèce légendaire, il était simplement contrarié de le voir refuser de se soigner. Comme il l'aurait été devant un môme capricieux qui refuse de finir son assiette. Cette pensée avait quelque chose d'hilarant et pourtant elle l'amenait au bord des larmes. C'était bien la première fois qu'on traitait son corps avec empathie. Et non comme un cobaye, une expérience intéressante ou une arme à calibrer. Il n'était pas que de la chair.

Il ferma les yeux, retenant à grand peine l'émotion qui lui serrait la gorge, et se laissa bercer par les vas et viens réguliers de l'aiguille de Katakuri. Celle-ci, en comparaison de toutes les précédentes, était presque plaisante à ressentir. A ce moment, il était même heureux de laisser sa vie entre ses mains et si reconnaissant d'éprouver un sentiment de sécurité. Et puisque son corps cherchait toutes les échappatoires possibles à la douleur, ses sens s'attardaient sur d'autres informations autrement plus plaisantes. La chaleur des mains expertes de Katakuri, qui flattaient ses plumes, sans jamais les abîmer ni les tordre, lui procurait des frissons agréables qui remontaient jusque dans sa nuque et couvraient efficacement les effets foudroyants de la peau perforée. Combinée au parfum de bonbon doux et sucré qui se dégageait toujours de lui et qui l'enveloppait dans une bulle de sérénitude, il se trouvait gâté. Comme c'était agréable qu'on s'occupe de lui.

Qu'est-ce que je raconte ? S'étonna-t-il en interrompant son flot de pensées. Il était bien content de lui tourner le dos et de pouvoir cacher son trouble. Ce n'était pas la première fois qu'il se disait que la compagnie de Katakuri lui était plaisante mais il n'avait jamais pensé comme ça auparavant. Ni ressentit quelque chose de semblable. De toute sa vie.

Son cœur s'emballa un peu, il se racla la gorge pour cacher sa soudaine agitation et pria pour que Katakuri ne se rende compte de rien.

— Je t'ai fait mal ? Demanda-t-il en stoppant sa suture.

— Non, non, je... Je m'endormais.

— Ah bon ? C'est bizarre mais je suppose que ça veut dire que je ne m'en sors pas trop mal.

— On verra ça à la cicatrice que je garderai, dit King pour plaisanter un peu afin de détourner l'attention de son arythmie cardiaque.

Katakuri accueillit la blague avec plaisir. Il devait être aussi tendu que lui même s'il était plus doué pour le cacher.

— Je fais de mon mieux pour que tu ne gardes pas de cicatrice.

— C'est possible ça ?

— J'ai toujours fait en sorte que ça ne se voit pas, comme le but de me laisser recoudre mes frères était de cacher leurs erreurs à notre mère... Alors toi, quand tes plumes repousseront, on ne verra rien du tout. Du moins, rien de plus que ta blessure précédente.

Il n'en avait pas marre d'être parfait ? C'est ce qu'il lui aurait demandé s'il avait été d'humeur taquine, mais il ne l'était pas. Il était déboussolé.

— T'es pas obligé de faire du zèle, si t'arrives à me réparer ça me suffit.

— A moi, ça ne me suffit pas.

Il perça un nouveau point sous sa peau et King le sentit légèrement hésitant mais il était lui-même trop touché pour le relever.

— C'était mon initiative de te confier à des médecins après ton arrivée, lui avoua-t-il. Tu étais gravement blessé, tu aurais pu y rester, je ne me suis pas posé de questions. Alors je n'ai pas réalisé que... Tu aurais peut-être préféré qu'on ne touche pas à ton aile. Pour ça aussi, je suis désolé.

Cet aveu aurait dû le décevoir mais ce n'était pas le cas. Il ne recevait pas d'excuses très souvent et il les acceptait avec plaisir. Il allait rétorquer qu'il n'aurait pas pu deviner ce qui allait se passer mais Katakuri le devança.

— Non seulement je pouvais le deviner mais j'aurais dû comprendre qu'on ne rafistole pas une particularité physique hors du commun comme ça, parce que ça nous arrange.

King tourna la tête pour le regarder. Il aurait voulu croiser son regard et avoir une idée de son état d'esprit mais il était profondément concentré sur sa tâche et refusait de lever le nez de son ouvrage.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Il soupira et s'arrêta une seconde. Il pointa un doigt ensanglanté sur son visage.

— Mes cicatrices. Tu veux savoir comment je les ai eues ?

— Je t'écoute.

Il fit de nouveau glisser un fil sous sa peau, plus lentement. King attendit, sans remarquer qu'il n'avait plus mal depuis longtemps.

— Je les ai depuis presque toujours. Depuis le jour où ma mâchoire s'est révélée être... comme elle est. Quand j'avais 3 ans, un jour j'ai enfourné une cinquantaine de donuts dans ma bouche et au lieu de m'étouffer, j'ai réussi à les stocker sans problèmes puis à les gober tous à la fois. Alors qu'avant ça, à part mes dents, il n'y avait rien de vraiment hors normes chez moi. On m'a dit que j'avais failli mourir étouffé et que j'avais déchiré mes joues tellement j'en avais mangé. Que ça m'avait laissé des cicatrices, mais j'ai appris la vérité beaucoup plus tard.

Il resta silencieux quelques secondes.

— Je n'ai jamais failli m'étouffer et je n'ai rien déchiré du tout. La façon dont ma bouche a réagit à ma gloutonnerie était tout à fait normale pour moi mais la découverte de ma "particularité" n'a tout simplement pas plu à ma mère. Alors elle a essayé de l'effacer, pour ainsi dire. Elle a demandé à je ne sais quel médecin barjot de me coudre les joues et une partie de mes lèvres pour que je ne puisse plus jamais m'empiffrer comme ça. Mais ça n'a pas marché. C'est ma mâchoire qui me permet d'ouvrir la bouche aussi grand, mes joues n'avaient rien à voir là-dedans. Alors ça a mal cicatrisé, parce que je n'arrêtais pas d'y toucher et que ça me faisait mal. Depuis, j'ai gardé les marques.

A chaque fois que King pensait que Big Mom n'était pas aussi terrible, la réalité lui revenait en pleine face. Elle était tellement plus terrifiante que Kaido pour faire ça à un enfant de trois ans et le convaincre de devenir son fils le plus dévoué. Yamato avait renié son père pour beaucoup moins que ça. Comment avait-il fait pour supporter la vérité ? Leurs regards se croisèrent brièvement et Katakuri baissa immédiatement les yeux, comme si c'était lui le fautif de l'histoire.

— Je me serai bien passé d'être défiguré en plus d'être difforme. Alors je ne suis pas fier d'avoir fait la même erreur et de t'avoir infligé les douleurs de ton aile.

— C'est une situation légèrement différente.

Il ne savait pas comment répondre à sa confidence. C'était très intime et il n'était pas sûr d'être digne de l'entendre.

— Moi au moins, j'étais vraiment blessé, le réconforta-t-il.

— Évite de trop bouger, je vais te rater.

King le soupçonnait de dire ça pour le forcer à se retourner et ne pas avoir à croiser son regard plus longtemps. Il ne pouvait pas l'en blâmer après avoir raconté un truc pareil.

— T'as bientôt fini ?

— J'en suis à la moitié. Comment tu te sens ?

L'atmosphère se détendait progressivement. A présent, ils pouvaient se parler normalement.

— Ça va. Ce n'est pas pire que de se faire tatouer.

— Sur le visage, c'est comment ?

— Pénible. Le mien a été piqué à la main, c'était très long et j'avais que quinze ans.

— A la main ? Et tu as peur des points de suture ? Se moqua Katakuri.

— Je n'ai peur de rien du tout, c'est ta sœur qui a inventé ça de toute pièces.

Il aurait peut-être dû lui faire une confidence en retour et lui avouer qu'il était tout bonnement terrifié à l'idée d'être opéré et allongé sur une table, que l'odeur du désinfectant pouvait le faire vomir et que ce n'était pas tant les aiguilles qu'il craignait mais qu'on lui injecte ou prenne quelque chose. Mais c'était au dessus de ses forces. Plus tard peut-être, si d'aventure il restait plus longtemps que prévu sur cette île.

— Au fait, ta grève ?

Il savait que Katakuri souriait rien qu'au son de sa voix.

— Un succès. J'ai obtenu tout ce que je voulais et je pense qu'on va pouvoir repartir du bon pied. Je vais avoir beaucoup de boulot mais je suis confiant.

— Donc là je suis en train de te faire perdre du temps sur ton nouveau départ ?

— Non, j'avais prévu de venir te voir pour m'excuser.

King avait déjà oublié ça.

Il aurait dû se douter qu'il n'avait pas débarqué dans la chambre par hasard, juste pour pour le surprendre en mauvaise position. Il avait une raison pour venir le voir, seulement les choses avaient dérapé assez vite. Et maintenant qu'il y repensait, il ne comprenait toujours pas de quoi il était censé s'excuser, Pudding les avait interrompus avant qu'il ne puisse lui donner une réponse concrète.

— Oui d'ailleurs je ne comprends toujours pas pourquoi tu tenais à t'excuser.

— Laisse tomber, c'était pas important.

Sa main glissa légèrement sur sa plaie et il le griffa. Sa soudaine maladresse arracha un grognement à King. Il y avait bel et bien quelque chose qui lui échappait dans cette histoire et il était très curieux de savoir quoi.

— Oh, pardon ! se rattrapa Katakuri.

— Je vais peut-être arrêter de te déconcentrer le temps que tu termines ?

— Bonne idée.

Il continua sa couture en multipliant sa douceur par dix, pour le plus grand plaisir de King qui appréciait vraiment le soin avec lequel il le traitait. Il aurait pu rester entre ses mains toute la journée.

— J'ai quand même une dernière question, osa Katakuri. Qu'est-ce que tu as dit juste avant que je mette fin au duel ?

King sentit son cœur tomber dans sa poitrine et le poids du ridicule lui écrasa les épaules. Il n'avait pas compris ce qu'il lui avait dit ? Alors il n'avait pas pu le blesser. C'était une chance inespérée de pouvoir prétendre que rien ne s'était passé mais c'était encore pire de devoir l'expliquer.

— Ça non plus c'était pas important, se contenta-t-il de répondre.

Heureusement, Katakuri n'insista pas. Ils étaient tous les deux d'accord pour ne pas revenir sur cet incident. Mais ils savaient pertinemment que, quoiqu'ils puissent se dire, quelque chose s'était bien passé entre eux sans que ni l'un, ni l'autre ne comprenne quoi. Une part de King mourrait d'envie de savoir ce qu'il avait bien pu manquer : pourquoi s'excuser ? Dans quel monde est-ce que ce type pouvait avoir à s'excuser de quoi que ce soit ? Depuis le premier jour, il se montrait généreux et aimable avec le bras droit du pire ennemi de sa mère alors que rien ne l'y obligeait, faisait en sorte qu'il soit à l'aise, dans un environnement confortable, il partageait ses repas et ses rares moments de paix avec lui, le traitait comme un être humain, pansait ses blessures et le faisait se sentir en bien alors même qu'il avait les mains couvertes de son sang et qu'il n'avait plus ressenti quelque chose de semblable depuis plus de trente ans ? Il n'avait pas la moindre chose à se faire pardonner !

A ce point là, c'était même effrayant. Soit il était un tentateur de génie, envoyé par sa mère pour le détourner de son capitaine et l'intégrer à leurs rangs, soit il était parfaitement inconscient de son pouvoir. Et il aurait pu croire la première option, s'il n'avait pas constaté le dégoût avec lequel Katakuri considérait son propre visage.

Il était tellement plongé dans sa réflexion qu'il ne remarqua pas le coup de ciseau final.

— C'est fait, annonça Katakuri d'un ton satisfait et soulagé.

Il saisit une serviette pour éponger ses mains et le dos de King, puis il sécha le sang qui couvrait son aile. Il termina en lui appliquant un bandage serré. King réalisa à quel point il était trempé, de sueur et de sang. Décidément, il passait son temps dans une tenue déplorable depuis qu'il était dans ce pays.

— Je peux bouger ? Demanda King, dont les muscles tendus avaient besoin de remuer.

— Tout sauf ton aile, ordonna Katakuri en fixant le bandage. Laisse la se reposer.

Il attendit d'avoir sa permission et étira longuement son dos et ses bras. Il se serait cru plus tendu que ça. En revanche, il avait tellement sué que sa propre odeur l'incommodait. Il puait le sang et l'anxiété et il n'aimait pas l'idée d'être dans cet état sous le nez de Katakuri.

— Ça a l'air d'aller mieux, sourit-il. Tu brûles.

King jeta un coup d'œil par dessus son épaule et effectivement, ses flammes avaient retrouvé leur vigueur habituelle. Il aurait préféré ne pas être aussi transparent avec ses émotions mais c'était difficile à contrôler en ces circonstances. Il dissimula sa timidité avec une question.

— Est-ce que tu peux me passer la chemise qui est sur la commode ? Que je vire cette horreur.

Il ôta son haut poisseux d'un geste vif et le lança le plus loin possible, il s'en occuperait plus tard. Quand il se tourna vers Katakuri, il lui tendait sa nouvelle chemise en détournant le regard. Rouge comme une tomate.

King ne put s'empêcher de rire. Il oubliait toujours qu'il était exagérément pudique.

— Tu viens de me recoudre à vif, t'as pas à être gêné.

— Je ne suis pas gêné je... Enfin si, mais je ne veux pas te mettre mal à l'aise.

— Si tu me mettais mal à l'aise, je ne t'aurais jamais laissé poser les mains sur moi.

Et il en était le premier surpris.

Il enfila la chemise par devant, comme il le faisait d'habitude, mais avec son aile blessée et douloureuse qu'il devait maintenir calme, il comprit qu'il aurait un peu de mal à la lasser dans son dos. Les vêtements qui laissaient ses ailes respirer étaient confortables mais handicapé comme il l'était, c'était bien moins pratique.

— J'ai besoin d'un coup de main, avoua-t-il en essayant vainement d'attraper un lacet.

— Euh, bafouilla Katakuri. Qu'est-ce que tu attends de moi ?

— Il faut que tu noues les lacets pour que ça tienne dans mon dos. Je peux pas les attraper là.

Katakuri avait déjà les joues roses mais il vira instantanément au rouge cramoisi. Au point ou King se trouva mal de lui demander son aide. Il faillit se raviser pour se débrouiller tout seul mais Katakuri attrapa les lacets et les noua lentement, les mains beaucoup plus tremblantes que lorsqu'il était en train de le suturer.

Il serrait juste assez pour que ça lui tienne au corps mais évitait soigneusement de le toucher. King le devinait aux mouvements du tissu qui effleurait à peine sa peau. Il aurait voulu lui dire de serrer plus fort mais il le sentait tellement gêné qu'il préféra ne rien dire. C'était une nouvelle petite attention qu'il accueillait avec plaisir. Personne ne s'était jamais donné autant de mal pour ne pas l'importuner. Il profita et se laissa faire sans dire un mot. Tant pis s'il se retrouvait avec un habit mal ajusté, ce n'était pas si utile qu'il se rhabille de toute façon. Il avait besoin de se laver mais il n'avait pas la moindre envie d'interrompre cet instant.

Katakuri serra un peu plus fort le dernier nœud et ne lâcha qu'après quelques secondes. Des secondes bien trop courtes.

— Merci, dit King, l'air le plus naturel possible.

Katakuri n'osa pas répondre. Ils restèrent immobiles, sans se regarder, jusqu'à ce que King décide de se mettre debout. Katakuri bondit à sa suite comme s'il avait le feu aux fesses, ravi d'avoir quelque chose à faire pour combler ce silence lourd de sens.

King contempla les dégâts de sa blessure sur le lit ; en effet il avait perdu beaucoup de sang. Katakuri avait littéralement nagé dedans même s'il n'en portait aucune trace. King lui devait une fière chandelle et se jura de lui rendre la pareille un jour où l'autre, même si leurs équipages redevenaient officiellement des ennemis un jour.

— Je t'en dois une, dit-il en guise de remerciement. Si je peux faire quelque chose pour toi, tu n'as qu'à demander.

Katakuri se plongea dans ses pensées une seconde et son regard se perdit au loin. Il venait d'avoir une idée. King se demanda s'il n'avait pas parlé un peu vite.

— J'aurais quelque chose à te demander d'ici peu mais... Remets-toi d'abord. Tu as besoin de repos et ce n'est pas urgent.

— ... C'est si terrible que ça ?

Katakuri fit la grimace en opinant du chef. Au moins, il ne lui demandait pas de gaieté de cœur, ce n'était probablement pas un piège. King soupira. De toute façon, à partir de ce jour, il ne serait plus jamais en mesure de lui refuser quoi que ce soit.

— Dis moi tout.

/

Katakuri avait regagné sa chambre vers minuit, complètement épuisé. La journée avait été riche en émotions et il avait l'impression qu'une semaine s'était écoulée depuis la réunion qui s'était tenue le matin même. Il avait fermé la porte avec un grand soupir, détendant enfin ses muscles fourbus par la tension et la fatigue. D'habitude, il passait un peu de temps à se divertir avant de se coucher. Il lisait ou s'autorisait une légère collation mais cette fois, il avait foncé directement vers son nid : une immense pile d'oreillers de toutes les couleurs, dans laquelle il adorait s'enfoncer pour passer ses nuits. Même si, il le savait, cette fois encore il s'écoulerait bien trop de temps avant qu'il ne parvienne à fermer les yeux. Il s'était laissé tombé comme une masse et, comme prévu, il n'avait pas cessé de cogiter.

Katakuri avait de grosses difficultés à s'endormir ces temps-ci. Il n'avait jamais eu le sommeil facile ; quand il se couchait, il ne s'endormait qu'après deux ou trois heures. Mais cette nuit-là, c'était encore pire. Il remuait sur ses oreillers, se tournait, se retournait, sans parvenir à se calmer.

Il avait tant de choses dans la tête. La grève, sa réussite, la réunion qui l'avait suivie et tout ce qui lui restait à faire, la disparition du Chanter, le départ de Cracker, les travaux, la possible mort de Mama, l'accident de Pudding, le mal être bien caché de celle-ci... Et King.

Toujours King.

Ça n'avait rien d'étonnant après l'après-midi qu'il avait passé mais ces derniers temps, il n'arrêtait pas de penser à lui. Il prenait de plus en plus de place dans son esprit. C'était la première chose à laquelle il pensait en se réveillant le matin et il lui réservait encore ses pensées avant de fermer les yeux. Dès le premier jour, il l'avait trouvé très agréable à regarder mais maintenant qu'il passait plus de temps en sa compagnie, c'était de pire en pire. Ce qui n'était qu'une simple attirance physique c'était peu à peu transformé en affection sincère. Il ne savait pas si c'était réciproque ; King lui donnait l'impression de l'apprécier — et son intervention du jour lui avait sûrement fait gagner des points — mais rien de plus. Tout ce qu'il savait c'était que son corps tout entier réagissait à sa présence sans qu'il puisse y faire quoi que ce soit. Et les effets procurés lui faisaient beaucoup trop de bien pour qu'il songe à lutter contre.

Quand King posait ses yeux rouge sur lui, il avait chaud au ventre, quand il lui souriait, il avait chaud au cœur. Avec lui, il ne sentait ni ignoble, ni seul. Plus étonnant encore, il se sentait libre. Il était moins enclin à faire attention à son comportement, il se laissait aller. Plusieurs fois il s'était surpris à le taquiner un peu, pour obtenir de lui une réaction quelconque.

Bien sûr, il avait une vague idée de ce que signifiaient ces sentiments. Après 40 ans à rêver d'éprouver ça pour quelqu'un, il était parfaitement en mesure de les identifier. Mais tout était si... nouveau. C'était son tout premier coup de cœur véritable. Il n'avait jamais connu ça avant. Adolescent, il avait déjà fantasmé sur des personnages de roman ou sur des pirates célèbres, éventuellement. Il s'était déjà figuré dans les bras d'un héros sorti de ses rêves mais jamais dans ceux d'une vraie personne, proche de lui et avec qui il pouvait partager ses journées. Comme c'était le cas maintenant.

Il était toujours si empressé de le voir. Ce n'était pas raisonnable, ni prudent, mais il n'y pouvait rien. Dès qu'il avait un moment pour ne penser à rien, il pensait à lui. Il se surprenait même à laisser son imagination vagabonder et créer des scénarios. Il se voyait partager des moments de joie avec King, passer encore plus de temps avec lui, répéter leurs conversations, leur duel, s'entraîner encore et encore, se rapprocher petit à petit, le toucher...

C'était toujours à ce moment là qu'il se tournait et se retournait entre ses oreillers. La culpabilité le rendait fou. Il n'arrivait pas encore à se laisser aller complètement. Chaque fois qu'il était au bord d'un océan de bien être et qu'il voulait s'y laisser tomber, il se ravisait. Une alarme sonnait dans sa tête et le rappelait à l'ordre : ce n'est pas digne de toi, souviens toi tu es censé être celui qui reste impassible, ne cède pas, n'écoute pas le chant des sirènes, tu n'as pas le droit de t'adoucir, reste dans ton rôle.

Il était fatigué. Tellement fatigué d'avoir à obéir à ces injonctions. Même quand il savait qu'il n'était plus obligé de les écouter, il savait qu'il pouvait s'affranchir de ces règles stupides qu'il s'était lui-même infligées. Pourtant, il continuait de croire que ses responsabilités familiales passaient avant tout. Même avant son intimité. C'était si agaçant ! Pourquoi fallait-il que tout cela le suive jusque dans ses rêves ? N'avait-il donc aucun moyen de se laisser aller en dehors de ses meriendas ?

Il était si prêt du but. Il avait laissé tomber son écharpe, il avait tenu tête à sa famille. Il pouvait recommencer.

Katakuri s'enfonça un peu plus dans les oreillers. Il voulait se sentir protégé, serré et caché. Loin de ses soucis et loin la culpabilité, au moins pour ce soir. Il voulait laisser son cerveau s'échapper librement et voir ce qui se passait quand il ne se retenait pas et qu'il allait au bout de sa pensée. Il expira, ferma les yeux, se détendit et appela une image plaisante.

Le visage de King lui apparut immédiatement ; ses yeux rouge pâle, son tatouage, ses longs cheveux, sa peau noire, sa bouche et son sourire insolent. Son cœur se serra et une boule de chaleur naquit dans son ventre. Un réflexe le poussa à saisir un oreiller et à le serrer contre lui comme substitut de présence humaine. Il avait affreusement besoin de contact.

Les yeux toujours clos, sa propre image se matérialisa à coté de celle de King. Une voix dans sa tête apparut aussitôt pour lui crier que ce n'était pas bien, qu'il ne devrait pas aller par là, que ce fantasme ne ferait que l'éloigner de ses responsabilités, qu'il trahissait sa famille pour un ennemi et oubliait sa place ! Mais les battements de son cœur étaient de plus en plus forts, il n'avait plus aucune envie de céder aux exigences de cette voix. Il se contentait de nager dans les souvenirs de ces dernières semaines et s'attardait sur tous les petits détails qu'il n'avait pas pris le temps de bien observer. King qui arrangeait ses longs cheveux pour récupérer les mèches rebelles qui gênaient sa vision. King qui léchait ses doigts après avoir mangé. King qui ne faisait rien d'autre que de se mouvoir dans sa chemise blanche. King qui lui parlait et le regardait droit dans les yeux sans éprouver la moindre répulsion. Puis sa voix chaude, ses plumes noires, sa peau douce parsemée de fines cicatrices, son odeur, sa proximité physique...

Il pressa son oreiller contre sa poitrine. Il avait de plus en plus chaud. Il respirait fort et son souffle était moite. Plus son cœur battait, plus sa mâchoire tremblait et plus il était remuant. Il savait parfaitement que ce qu'il ressentait était du désir. Seulement, il n'avait pas l'habitude de le laisser le submerger comme ça. Plus il y pensait et plus il avait envie que King soit près de lui. Pouvoir le toucher et sentir sa chaleur sous ses doigts, goûter encore une fois la texture de sa peau... Mieux encore, que ce soit lui qui pose ses mains sur son corps. Qu'il l'étreigne fort. Qu'il le touche partout et lui fasse découvrir ses points les plus sensibles.

Il sentit son visage rougir dans la pénombre. Il était mort de honte. Même caché sous un tas d'oreillers, dans ses appartements, à l'abri des regards, il ne pouvait s'empêcher d'avoir peur qu'on le surprenne en pleine faute. Mais il en avait assez. Pour une fois, il voulait goûter ce désir et le laisser l'envahir. Il se mit sur le dos et passa une main timide sur son ventre nu. Il effleura sa propre peau du bout des doigts, tout en rêvant des mains de King. Il se demanda comment il le toucherait, serait-il délicat, comme s'il manipulait une de ses flammes ? Ou au contraire, serait-il ferme ? Est-ce qu'il lui saisirait la taille comme un faucon serre une proie entre ses griffes ?

Sa respiration était de plus en plus précipitée. Il avait si chaud, c'était insoutenable et grisant à la fois. La douce sensation qui tourbillonnait dans son ventre se répandit dans tout son corps et fit sauter le barrage de ses inhibitions. Elle était si agréable, si enivrante. Quel bonheur c'était de la laisser filer !

Sa main poursuivit sa route jusqu'à atteindre son bas ventre. Jamais il n'avait bandé aussi vite. Ni aussi fort ! Il se sentit tout de suite atrocement à l'étroit dans ses vêtements et regretta sa passion pour le cuir. Pendant que sa main droite continuait ses caresses, la gauche descendait tout doucement vers son érection. Il déboutonna la fermeture de son pantalon et toucha timidement son sexe du bout des doigts. Il n'avait plus l'habitude, il avait si honte de son corps qu'il ne se masturbait presque jamais. La plupart du temps, il n'en ressentait pas le besoin. Mais ce soir, avec son cœur prêt à fondre et ses mains brûlantes, il en mourait d'envie. Il ouvrit légèrement les cuisses et saisit son membre ; un grognement lui échappa. Il avait l'impression de se toucher pour la toute première fois, il reconnaissait à peine son propre pénis, il était... plus gros que dans ses souvenirs. Il l'avait à peine frôlé et il le sentait déjà palpiter dans sa paume.

Son autre main remonta lentement sur sa poitrine. Il voulait sentir son cœur battre. Il avait tant besoin d'être touché, il n'avait pas mesuré à quel point.

Il laissa son fantasme se poursuivre ; il se figura encore une fois le visage de King. Il aurait tant, tant aimé pouvoir sentir son parfum et l'avoir près de lui. S'il le lui avait demandé, s'il l'avait supplié de le rejoindre là, maintenant, de le toucher et de réchauffer son corps avec le sien, aurait-il accepté ? Il choisit d'y croire, juste pour ce soir. Il l'imagina au-dessus de lui, penché sur son visage. A quelques centimètres de sa bouche. Il pouvait presque sentir ses longs cheveux tomber en cascade et lui chatouiller le cou. Pourrait-il vraiment se tenir aussi près sans être dégoûté par ses dents ?

Il resserra sa prise sur son sexe, il était déjà humide. Son désir devenait urgent. Il ne lui fallut que quelques secondes de stimulation pour se mettre à gémir. La première plainte qui lui échappa le gêna. Il fit de son mieux pour contenir sa voix mais ses crocs l'empêchaient de maintenir sa bouche totalement close. Il la couvrit, par pudeur, pour étouffer des sons si embarrassants et si vulnérables qu'il avait du mal à croire qu'ils venaient bien de lui mais il ne tint pas plus de trente secondes. Il préférait utiliser ses doigts pour autre chose. Caresser sa propre peau lui avait plu, il n'avait pas envie d'y renoncer. Cette fois, il pris le temps de s'attarder sur un mamelon. Il n'eut qu'à l'effleurer du pouce pour découvrir que ça lui plaisait d'y accorder de l'attention. Il le sentit frissonner et durcir, jusqu'à ce que son téton se dresse et devienne extrêmement sensible au moindre geste.

Les images dans son esprit allèrent de lui en plus loin. Il ne se contentait plus de visualiser King en sa présence, il le voyait actif. C'était lui qui le touchait, c'était sa main qui caressait sa poitrine, sa langue qui passait sur sa peau, son poids sur lui qui lui procurait du plaisir. Il regretta de n'avoir que des oreillers auxquels s'accrocher, il aurait souhaité pouvoir enrouler ses jambes autour de la taille de son amant imaginaire. Il était d'autant plus excité de savoir que King pouvait le dominer par sa taille. Tout ce qu'il avait cru impossible tout au long de sa vie semblait s'évanouir. Tous les verrous sautaient, les uns après les autres.

Peu à peu, son désir prenait le pas sur sa culpabilité. Très vite, il ne fit plus attention aux sons qu'il émettait. Mieux, il les appréciait. Il était trop investi dans son fantasme pour se soucier de ce dont il avait l'air. Ses gestes s'emballèrent, il serrait son sexe de plus en plus fort alors que celui-ci enflait dans sa main. Les vagues de plaisir s'intensifiaient, il allait jouir très vite. Mais il voulait en profiter plus longtemps, savourer son rêve et y croire. Depuis le premier jour, sans se l'avouer, il se demandait quel goût pouvait avoir les lèvres de King. Étaient-elles aussi douces que ce qu'il imaginait ? S'il l'embrassait, la délicatesse de sa bouche suffirait-elle à compenser la monstruosité de la sienne ? Ses pensées ne s'attardèrent pas sur cette question et se contentèrent de l'imaginer se faire dévorer le corps par King.

Il pouvait sentir sa langue inspecter chaque recoin de son corps avant de rencontrer la sienne et imagina son souffle dans son cou. Un frisson délicieux le parcourut comme une décharge électrique, il avait la chair de poule. Un réflexe le poussa à s'accrocher à l'oreiller le plus proche, il l'écrasa entre ses doigts de toutes ses forces. Son sexe se gonfla davantage, son abandon était de plus en plus exquis. Il renversa la tête en arrière alors que son corps s'arquait de plaisir. Il n'avait plus du tout envie de résister, il allait exploser et c'était plus que bienvenu. Il gémissait si fort qu'on pouvait certainement l'entendre depuis le couloir et il s'en fichait. Il n'y avait plus qu'une seule pensée qui guidait ses actes et elle hurlait dans son crâne pour qu'il la libère.

King. King. King !

Son cœur éclata dans sa poitrine. Un nouveau choc le submergea : il laissa la jouissance l'envahir. Il poussa un ultime cri et se cambra, dans une position outrageusement fragile pour le monstre qu'il était censé être. Il n'était plus capable d'articuler une pensée cohérente, il ne pouvait plus que ressentir les bienfaits de son orgasme. Son corps était raide et vibrant, sa main complètement trempée de plaisir.

Après quelques merveilleuses secondes à jouir, il se laissa retomber et reprit sa respiration. Il n'avait même pas remarqué qu'il était resté en apnée. Il inspira fort, complètement moite de sueur. Il n'avait pas été essoufflé comme ça depuis des années. Il rouvrit doucement les yeux, encore étourdi, et resta immobile et pantelant à fixer le plafond, le temps de retrouver ses esprits. Il avait la sensation d'avoir un corps tout mou et tout léger, encore chatouillé par les papillons qu'il avait dans le ventre. Il venait d'avoir le meilleur orgasme de toute sa vie. Il n'en avait pas eu beaucoup mais même si ça avait été le cas, la différence avec les autres était flagrante. Jamais il ne s'était lâché de cette façon, au point de gémir fort, sans se contrôler.

La réalité le rattrapa à ce moment là ; il espéra d'abord que personne ne l'avait entendu puis il se redressa et constata les dégâts. Il avait du sperme collant plein les doigts et le ventre. Il devint écarlate et fouina tout autour de lui de sa main libre, pour trouver de quoi éponger les preuves de son vice. Une part de lui se sentait très gêné et la voix revint lui souffler des reproches — "ça va tu t'es bien amusé ? Tu devrais avoir honte, et si King l'apprenait, et si quelqu'un t'avait surpris, que dirais Mama" — mais l'autre part était parfaitement satisfaite. Il n'avait pas été aussi bien dans son corps depuis des lustres.

Si c'était à refaire, il le referait. Il n'allait sûrement pas attendre encore vingt ans pour recommencer.


Ca va ? Vous êtes bien ?

Katakuri il est bien.

J'ai adoré l'écrire celui-là. J'ai tout mis dedans. C'est d'autant plus drôle que ça fait des semaines que ce chapitre est planifié et que, pendant mon absence, j'ai vu mes pairs fans de KataKing dire des trucs du style "Eh imaginez une scène où Katakuri soigne son aile !" Krkrkr, voilà. C'est cadeau.

Bon j'avoue j'ai aucune idée de si c'est possible de suturer une aile de cette façon et de comment ça se fait dans les détails. J'ai un peu cherché vite fait sauf que les photos étaient trop graphiques pour moi. Je suis allée à l'essentiel : Katakuri s'occupe de King et ça lui fait du bien qu'on le bichonne.

Et CA Y EST. Son cœur a officiellement flanché, il est foutu. (Moi aussi j'aurais craqué.) Maintenant, je vous ai teasé un évènement... Ca aussi je vais beaucoup m'amuser à l'écrire.

Bref, je suis de retour et on a pas fini de rigoler ! On se retrouve le 17/09 pour la suite !

Ah et avant que j'oublie, je l'avais déjà annoncé mais je le redis ici, comme Twitter est en train de se faire lentement arracher les ongles par Elon Musk, je me suis finalement recréé un compte insta où partager les sorties de chapitres (et du shitpost, principalement.) Donc si vous voulez venir cherchez lawesculape !