Chapitre 7 : La Classe 77

Naegi plissa des yeux, portant un regard critique sur l'image dans l'album photo. Puis sur la personne en face de lui. Puis de nouveau sur l'image. Il fronça les sourcils. A côté de lui sur le sol, Komaeda l'observait. Le garçon aux cheveux blancs semblait un peu nerveux. En face d'eux, Kamukura était assis contre le mur, les jambes relevées.

Naegi releva de nouveau la tête et tenta de superposer l'image qu'il venait de voir sur le Kamukura du présent. Ouaip, même expression amorphe et complètement blasée et mêmes yeux flamboyants. Un costume noir au lieu de la chemise blanche et de la cravate qu'il portait maintenant. La version du passé avait une peau pâle comme s'il n'était pas sorti à la lumière du soleil depuis longtemps. Cependant la différence la plus frappante entre le passé et le présent était évidemment les cheveux. Le Kamukura du présent possédait ces longues mèches qui rivalisaient avec celles de personnes comme Maizono. Celui du passé avait des cheveux courts et un ahoge impressionnant. Ça ...ressemblait plus ou moins à la coiffure de Naegi, pour être lugubrement honnête.

Mais il y avait une autre différence que Naegi remarqua. Il y avait quelque chose d'anormal chez l'ancien Kamukura. Il était vrai que n'importe qui regardant son visage pouvait le qualifier de « blasé » mais ce n'était pas tout. Quelque chose manquait. C'était... ce n'était tout simplement pas là. Pas réel. L'image que Naegi regardait était celle d'une ardoise vierge. La partie primitive de lui-même le sut instinctivement et prit peur.

Mais le Kamukura actuel n'était pas comme ça. Même quand il se plaignait de s'ennuyer d'un ton monotone ou regardait dans le vide, il était vivant d'une manière que son soi du passé n'avait pas été.

Mais ce n'était pas comme si Naegi pouvait le faire remarquer.

« Euh, Kamukura-kun, dit Naegi. Est-ce qu'il y a une raison pour laquelle tu as arrêté de te couper les cheveux ?

-J'ai cessé de m'en soucier, répondit Kamukura, indifférent.

-Qu'est-ce que ça peut faire ? intervint Komaeda. Il a toujours l'air incroyable, non ? Les Ultimes savent toujours comment présenter !

-Je me demandais juste...

-Allons, Naegi-kun ! Tu le connais déjà. Je suis censé te parler des Ultimes que tu ne connais pas. »

C'était une tentative transparente pour changer de sujet. Naegi ignorait pourquoi. Peut-être que Kamukura était susceptible en ce qui concernait ses cheveux ? Ils devaient bel et bien demander beaucoup de travail pour les empêcher de s'emmêler et les gens disaient toujours que les Ultimes avaient tendance à être excentriques. En parlant de quoi, alors qu'il savait que Komaeda était le Chanceux Ultime de son année, il n'avait pas la moindre idée du talent de Kamukura.

« Kamukura-kun, quel... ? »

La main de Komaeda s'agrippa à sa jambe. Ses ongles s'y enfoncèrent. D'une voix forte, sa gaieté plus appuyée que d'ordinaire, Komaeda pointa du doigt une personne et dit : « Celui-là est le Yakuza Ultime. Il n'a pas l'air très féroce, mais les apparences sont trompeuses. »

Une fois encore, les vraies intentions de Komaeda étaient claires. Naegi jeta un coup d'œil furtif vers Kamukura ; il n'avait pas l'air en colère, mais si Komaeda insistait à ce point pour changer de sujet, Naegi devait avoir touché un point sensible. Il laissa donc Komaeda rediriger son attention vers le garçon blond qui semblait beaucoup trop petit pour être un héritier criminel.

« Il s'appelle Kuzuryu Fuyuhiko, annonça fièrement Komaeda, comme s'ils regardaient un de ses enfants. Tu as peut-être entendu parler de lui. Ça a probablement fait grand bruit parmi la populace quand ils ont confirmé son admission. Quoique je n'en sache rien parce que chaque confirmation est importante pour moi !

-C'est pas un peu bizarre d'inviter quelqu'un connu pour être une personnalité importante du crime ? demanda Naegi.

-A peine, dit Kamukura. Inviter des gens comme le Yakuza Ultime ou le Motard Ultime permet d'assurer que ces groupes aient intérêt à promouvoir activement l'académie. Cela a protégé Hope's Peak d'attaques de ces mêmes organisations criminelles. »

Naegi ne comprenait pas très bien, mais Komaeda hochait la tête comme si c'était l'évidence même. Et puis, Kamukura avait l'air certain de ce qu'il disait.

« La fille à côté de lui est Pekoyama Peko, l'Epéiste Ultime. Elle n'est pas plus que sa servante et... disons... honnêtement, je ne suis pas sûr de comment le prendre. » Komaeda se passa la main dans les cheveux. « Je veux dire, c'est complètement raisonnable de la part d'un Ultime d'utiliser les gens comme des outils, mais utiliser un autre Ultime comme ça ? Ça me dérange un peu.

-Ça devrait ! s'exclama Naegi. Je ne peux pas dire que je sais exactement de quoi tu parles, mais pour l'instant je n'aime pas ça. Les gens ne sont pas des outils. Ils ont des pensées et des sentiments et... »

Les conversations précédentes qu'il avait eues avec Komaeda lui revinrent à l'esprit, tout comme les mots et les opinions que Komaeda avait sur lui-même. Avec cela en tête, Naegi changea de cap en plein milieu de sa phrase.

« … Komaeda-kun, tu le sais, n'est-ce pas ?

-Quelle importance ont les sentiments quand on parle du bien du monde ? demanda aussitôt Komaeda. Pas beaucoup, hein ? Les gens sont toujours laissés derrière quand la société avance. »

Non. C'était faux. Ce n'était pas ainsi que le monde devrait fonctionner. Naegi poussa l'album photo de côté. Komaeda soutint son regard, tranquille.

« Ils n'ont pas à l'être, dit Naegi. Nous pouvons les soutenir et les emmener aussi, non ? Cela pourrait prendre plus de temps, mais ainsi personne ne serait oublié. »

Komaeda émit ce rire. (Naegi jeta un regard vers Kamukura ; il n'avait pas l'air dérangé). « S'il te plaît ne le prends pas mal, Naegi-kun, mais tu es un peu naïf parfois. Je suppose que correspond à ta nature d'Espoir nouveau-né. »

Naegi demanda à Kamukura : « Tu n'es pas d'accord avec lui, n'est-ce pas ? »

Le menton sur les genoux, Kamukura haussa les épaules. « La société a toujours été divisée en niveaux. Les gens comme nous – les gens talentueux – sont naturellement dans les échelons supérieurs. Nous sommes ceux qui ont donné forme au futur de ce pays. C'est le devoir des non-talentueux de le comprendre, et d'accepter leur place. »

Naegi avait cru que seuls ceux complètement à l'écart des gens du commun (comme Togami) pensaient de cette manière. Il avait eu tort. Peut-être que les gens qui pensaient ainsi étaient seulement... seulement cruels. Le dégoût monta en lui. Il ne pouvait plus regarder Kamukura ou Komaeda dans les yeux.

« Donc tu penses pareil, toi aussi », murmura-t-il.

Quelque chose changea sur le visage de Kamukura. Quelque chose de léger, mais qui changea beaucoup ; changea l'air autour de lui de l'indifférence au triomphe. Même si Naegi ne le regardait pas, il pouvait toujours voir le rouge des yeux de Kamukura à la périphérie de de sa vision.

Kamukura se détacha le menton de son genou alors qu'il cherchait à croiser le regard de Naegi. « C'étaient des citations directes de mes professeurs à Hope's Peak. »

Naegi ne put s'empêcher de tourner la tête. « Ils disaient ça ?

-Ils nous enseignaient ça. » La voix de Kamukura était grave. Était-ce par ennui, par colère, approbation ou le simple besoin d'être certain que Naegi l'écoutait ? Avec ce visage stoïque, qui pourrait le dire ?

Naegi ne put que se répéter ces mots pour lui-même. Komaeda lui tapota l'épaule en disant : « Je sais que tu ne peux pas te souvenir de ton temps là-bas, mais je me rappelle que certains de mes professeurs disaient des choses similaires.

-Et vous avez cru à tout ça. »

Ce n'était pas une question, mais ils répondirent quand même. Il s'était attendu à l'enthousiasme de Komaeda. Ce qui le surprit fut que quand Kamukura acquiesça, il acquiesça doucement.

« Passons, dit Kamukura d'une voix forte, compensant largement sa faiblesse précédente. Nous sommes supposés discuter de nos camarades.

-Désolé ! » Komaeda tira l'album photo vers lui et tourna les pages jusqu'à tomber sur une photo assez grande. « C'est Soda Kazuichi, le Mécanicien Ultime. Enoshima a conçu Monokuma, mais c'est lui qui lui a donné vie. Personne d'autre au monde n'aurait pu le faire ! Tu aurais dû le voir. Il n'a même pas besoin de réfléchir. C'est si automatique pour lui et... Ah, je m'emporte encore, n'est-ce pas ?

-Il a construit Monokuma. » Naegi fixa le visage aux cheveux roses et aux dents de requin, le mémorisant. Une partie de lui voulait haïr Soda, mais il ne pouvait s'y résoudre sans l'avoir rencontré personnellement.

Hanamura Teruteru était le suivant. Apparemment, il était le Cuisinier Ultime qui avait préparé la nourriture de Naegi. Au moment où Naegi réalisa cela, il voulut vomir. Il savait déjà que le Cuisinier Ultime se chargeait de ses repas ; il savait que le Cuisinier Ultime était un membre du Désespoir Ultime. Mais maintenant, avec un nom et un visage à rattacher à ce titre, ces bribes de connaissances se chargeaient réellement de sens. Ils devenaient réels. Naegi était nourri par un meurtrier.

Nidai Nekomaru et Owari Akane vinrent ensuite. Un regard à leur physique impressionnant, et ils furent ajoutés à la liste de gens dont se méfier (rejoignant Pekoyama). Le talent de Nidai fut une surprise complète ; Naegi s'était attendu à ce que son talent soit un véritable sport. Celui d'Owari n'était pas vraiment surprenant. Bien que la similitude de son apparence avec celle d'Asahina lui avait fait considérer les sports nautiques, la gymnastique n'était pas du tout impensable.

Puis vint Tsumiki Mikan, l'Infirmière Ultime. Dans la plupart de ses photos, soit elle se détournait de l'appareil photo, soit elle portait un sourire tremblant. La façon dont elle se tenait dénotait la fragilité et la timidité. Naegi ne pensait pas qu'elle avait l'air très dangereuse.

A moins que Komaeda lui mente, c'étaient les seuls Ultimes dans ce bâtiment. Aucun de leurs talents ne paraissait pouvoir directement faire obstacle à une tentative d'évasion, mais ces trois-là sur sa liste étaient certainement dangereux. Il allait devoir faire attention, surtout s'ils allaient essayer de le tuer.

Komaeda parla ensuite des Ultimes absents. Naegi n'écouta pas aussi attentivement, mais se concentra plus sur les visages et les gens. Alors que le temps passait, une chose devint claire : tout le monde avait l'air si heureux et innocent. Même les photos qui les montraient en train de jouer des tours ou de tourmenter un camarade débordaient d'une affection innocente, comme dans ces photos de sa classe que Monokuma avait occasionnellement laissé traîner dans l'académie. Comment pourrait-on regarder ces élèves et voir le mal ? Comment chacun d'entre eux avait pu succomber au désespoir d'Enoshima ? Plus il entendait parler de ses exploits, moins elle semblait humaine.

« Et voilà pour la Classe 77 de l'Académie Hope's Peak ! termina Komaeda, levant les bras en l'air dans un geste de célébration. C'est une collection plutôt impressionnante, non ? »

… Komaeda s'était-il vraiment attendu à le duper ainsi ? Il avait regardé l'émission, n'est-ce pas ? Il aurait dû savoir que Naegi avait tendance à noter les détails – comme le fait que Komaeda avait manqué de présenter une élève qui apparaissait uniquement sur une seule photographie. Il s'était agi d'une fille petite aux cheveux violets, portant un sweat à capuche avec des oreilles d'animal. Elle n'avait pas été le sujet de la photographie, reléguée vers le fond en train de discuter avec Tsumiki.

Avant que Komaeda puisse refermer l'album, il abattit sa main au milieu des pages.

« Attends, je crois que tu as oublié quelque chose.

-Komaeda n'a manqué personne, dit Kamukura. Nous avons vu tous nos camarades. »

Naegi hésita. Ils devaient le savoir mieux que lui. Elle avait sans doute été une amie ou un membre de la famille. Mais il était curieux, et son sens du détail aiguisé par les procès de classe lui disait que cela signifiait quelque chose.

« Sur la troisième page, il y avait quelqu'un que vous n'avez pas mentionné. »

Alors que Komaeda feuilletait les pages, Kamukura dit : « Est-ce que tu parles de notre professeur ?

-Je ne pense pas, dit Naegi. Elle a l'air trop jeune.

-C'est la troisième page, dit Komaeda. Je... »

Toute couleur fut soudainement drainée de son visage.

« Komaeda-kun... ?

-Il n'y a rien là ! » L'album fut refermé avec un claquement. « J'ai vu de qui il parlait. C'était quelqu'un d'une autre classe.

-Elle parlait à Tsumiki-san.

-C'est l'Infirmière Ultime ! Tous ceux qui ont mal au ventre viennent lui parler. »

Naegi se recula. Komaeda lui avait presque crié dessus. Vu comment Komaeda avait pris des gants avec lui jusqu'ici, ce fut plus que suffisant pour faire comprendre à Naegi qu'il devait laisser tomber le sujet immédiatement. Il n'avait pas la moindre idée de la raison pour laquelle cette fille était un tel problème pour le Chanceux Ultime – elle avait l'air si frêle et inoffensive ! - mais si Komaeda, le Fanboy Ultime, ne voulait pas parler d'elle, ce ne devait pas être bon.

« Désolé, Komaeda-kun, dit Naegi. Je...

-Donne-moi ça. »

Ils se tournèrent tous les deux vers Kamukura.

« Je t'ai dit de me le donner, dit Kamukura. Je veux voir. »

Sans un mot, Komaeda poussa l'album vers lui. Kamukura s'en empara et l'ouvrit à la troisième page. Son front se plissa tandis qu'il étudiait ce qui y reposait.

L'ambiance changea. Naegi ignorait s'il était juste de dire que Komaeda et Kamukura avaient toujours été copains, mais qu'ils étaient du même côté n'avait jamais fait aucun doute. Là, c'était différent. Il n'y avait aucune amabilité maintenant. Komaeda se repliait sur lui-même, serrant ses bras et ses jambes tout contre lui, ses muscles crispés alors que son corps entrait en état d'alerte. Kamukura demeurait immobile, assis à sa place, mais ses cheveux semblaient être soulevés par une brise imperceptible.

« Je t'ai dit de ne pas jouer à tes jeux avec moi. » Ce n'était pas une voix humaine. Non. La voix résonnante de Kamukura semblait faire partie du monde lui-même.

Ils ne purent entendre qu'à peine Komaeda. « Je ne savais pas que c'était là. Je... Je l'ai trouvé sur le sol et j'ai pensé...

-Tu blâmes encore la chance ? »

Komaeda se recroquevilla encore davantage sur lui-même. Kamukura commença à se lever. Le garçon aux cheveux blancs détourna le visage et leva un bras protecteur devant lui...

Ça ne pouvait se terminer que d'une seule façon.

Quand Naegi avait-il décidé de se lever ? Il l'ignorait, mais ça n'avait pas d'importance. Kamukura s'était levé, et puis Naegi était là, s'interposant entre les eux deux. Il avait levé les mains, tentant de projeter une force physique qu'il ne possédait pas.

« K... Kamukura-kun, je ne sais pas ce qui se passe...

-Non, tu ne sais pas. »

Ses jambes tremblaient. Naegi n'était peut-être pas la cible, mais se tenir entre Komaeda et Kamukura était suffisant. La tension tentait de le jeter à terre comme une force invisible. La pièce avait-elle toujours été aussi froide ?

« Je ne pense pas qu'il l'ait fait exprès. » Il dut s'y reprendre à deux fois pour faire sortir cette phrase. « Il a essayé de le cacher quand il a vu de quoi je parlais. Il n'aurait pas fait ça s'il avait voulu que tu le vois. »

Kamukura fixa le forme recroquevillée de Komaeda par-dessus sa tête. « Est-ce que tu as oublié qu'il t'a kidnappé ? Toi et tes amis auraient été sauvés depuis des semaines s'il ne m'avait pas demandé d'intervenir. Tu es là à cause de lui. Tu ne les reverras plus jamais à cause de lui. Tu le veux autant que moi.

-Non. Je sais ce qu'il a fait et je déteste ça. Mais il... même si ce qu'il a fait était horrible, il croyait faire quelque chose de bien. Je ne... Je ne pense pas qu'il ait fait exprès de nous faire du mal. Je ne veux pas le voir blessé à cause de ça. »

Était-ce un ricanement ? Peut-être. Ou peut-être était-ce un mélange entre un ricanement et un grognement de mépris. Kamukura secoua la tête, fixant toujours Komaeda.

« Tu ne sais pas ce qu'il a fait. Ce qu'il va faire. Tu ne peux pas faire de telles affirmations.

-Je n'ai pas besoin d'en savoir beaucoup sur quelqu'un pour vouloir qu'il soit sain et sauf.

-Oui, c'est vrai. » Des ombres s'entrecroisaient sur le visage de Kamukura, l'assombrissant entièrement minus sa mâchoire inférieure. « Tu es Naegi Makoto. Tu essaies de sauver tout le monde. Même Enoshima Junko, la raison pour laquelle tu devais sauver des gens pour commencer. »

La pression bouillonnante qui régnait dans la pièce mourait. Les épaules de Kamukura, larges et évasées, commençaient à se détendre. Naegi avait attiré son attention et cela semblait suffire pour le calmer.

Kamukura le fixa pendant encore quelques instants. « Les gens comme toi ne durent pas. Ils sont dévorés.

-Je ne vais nulle part. »

Kamukura ne réagit pas. Il se détourna. « Je m'en vais. »

Peut-être en avait-il fini mais ce n'était pas le cas de Naegi. Quelque chose manquait, un point à aborder qui ne cessait de le tarauder...

« Kamukura-kun ? »

Kamukura s'arrêta net.

« Je vais les revoir. »

Kamukura était immobile.

« Tu tueras toi-même Komaeda un jour », furent ses derniers mots avant qu'il ne quitte les lieux.

Il fallut à Naegi une demi-minute pour se calmer assez pour s'adresser à la dernière personne dans la pièce.

« Komaeda-kun, ça va ? »

Il ne reçut aucune réponse. Une autre minute s'écoula et Komaeda commença enfin à déplier ses membres. Sa colonne vertébrale se redressa en premier, même quand son propriétaire ne parvint pas à compenser le changement de centre de gravité et se renversa sur le côté. Ses mains furent les suivantes, ses doigts s'étendirent, s'étirant jusqu'à ressembler à un éventail. Des yeux vides surmontant des joues creuses regardaient droit devant lui.

« Naegi-kun... tu me détestes, n'est-ce pas ? »

Naegi considéra ces mots. Chacun des mots qu'il avait dit en défense de Komaeda avait été sincère. Il détestait ce que Komaeda lui avait fait, ce qu'il faisait... Il voulait... il voulait comprendre. Il voulait comprendre Komaeda, pourquoi il faisait les choses insensées qu'il faisait, pourquoi il ressentait le besoin de les faire. Parce que s'il comprenait, il pourrait travailler avec Komaeda. Ils n'auraient pas besoin d'être ennemis, parce qu'il... il ne pensait pas que Komaeda soit une mauvaise personne.

Sa propre conclusion fut un peu un choc. Mais c'était vrai. Malgré tout le ressentiment silencieux que Naegi portait en lui, il ne pensait pas que Komaeda soit réellement une mauvaise personne au fond de lui. Seulement... troublé.

« Je ne te déteste pas », dit Naegi.

Komaeda eut un petit rire. « Tu devrais, Naegi-kun. Je suis une ordure. Je ne vaux pas plus que la crasse sur les chaussures de quelqu'un. Je suis juste un figurant oubliable destiné à mourir dès la première scène.

-S'il te plaît, ne dis pas de telles choses sur toi-même. »

La requête de Naegi fut accueillie par un éclat de rire hystérique et fragmenté.

« Komaeda-kun, si je peux te le demander, pourquoi est-ce que Kamukura-kun est si en colère contre toi ? »

Le rire s'interrompit. Les yeux hantés de Komaeda s'enfoncèrent dans leurs orbites.

« Elle... Elle m'a manipulé. Je croyais que ça arrangerait les choses. Je croyais que s'il n'avait plus à les voir... s'il oubliait... ça arrangerait tout. Il irait mieux. Mais elle m'a menti. Ça ne s'est pas arrangé. Il a empiré. Ça... ça l'a fait sombrer. Je ne savais pas. Je ne pensais pas que ça pouvait arriver à un Espoir Ultime. Je... Je l'ai fait. C'était ma faute.

-Komaeda-kun... » Naegi tendit la main vers lui...

Et Komaeda se recula comme si cette dernière était un serpent vivant. « Je... Je... »

Il sauta sur ses pieds, bousculant presque Naegi dans sa course folle vers la porte. Il avait disparu avant qu'il y ait la moindre chance de lui parler ou de le suivre.