Chapitre 5
Trois mois
Hunk était épuisé. Physiquement, émotionnellement, mentalement… Les combats n'avaient pas de fin et entraînaient Hunk dans des courants alternatifs de chagrin et d'allégresse. Lui, Shay et Yellow avaient sauvé des milliers, non, des millions, de vies depuis qu'ils avaient commencé à s'occuper de missions en solo.
Ils avaient vu aussi des milliers de gens mourir. Hunk avait creusé des tombes. Il avait parlé aux funérailles de voisinages entiers décimés par l'Empire. Il avait serré Shay contre lui quand elle était revenue en larmes d'une journée passée à apaiser les maux des blessés et des mourants.
Ce n'était jamais assez.
Ce jour-ci était un bon jour, au moins. Il avait à peine eu besoin de l'Ativan qu'il prenait par habitude avant chaque bataille. Après des semaines (des mois ? Difficile à suivre, parfois) dans ce secteur, ils avaient enfin entamé une contre-attaque coordonnée contre la présence impériale. Hunk et Shay avaient répondu à l'appel d'une station spatiale autonome et, à leur arrivée, les forces de trois différents systèmes s'étaient déjà assemblées pour défendre la station assiégée.
L'apparition de Yellow avait anéanti l'assurance des soldats de Zarkon, si bien que leur flotte avait pu être mise en déroute avec seulement quelques pertes du côté des défenseurs. Les habitants de la station spatiale n'avaient pas souffert de plus que de quelques bosses et bleus, et le reste de la journée avait servi à les amener en lieu sûr ailleurs dans la zone.
C'était une tâche tout aussi épuisante : il y avait toujours quelqu'un pour lui poser dix questions de plus dès qu'il se retournait, toujours quelqu'un qui avait besoin d'un conseil d'ingénieur, de l'autorité d'un paladin ou simplement d'une oreille sympathique pour les aider à déconstruire la terreur du jour. C'était certainement une bonne chose que Shay soit au volant, parce que Hunk s'y serait certainement endormi. Enfin, volant. Manette. Truc de contrôle. Bref.
Une sensation de sympathie et d'amusement se dégagea de Shay, et Yellow l'enveloppa d'une douce couverture qui ne fit qu'aggraver sa somnolence. Hunk ferma les yeux et perdit la notion du temps jusqu'à ce que les pattes de Yellow se posent lourdement sur le sol du hangar, lui remuant l'estomac et le réveillant en sursaut.
— Excuse-moi, dit Shay, retenant un sourire. Nous sommes arrivés.
Hunk bâilla et s'étira, faisant automatiquement écho au fredonnement satisfait de Yellow. Ils avaient essayé de faire en sorte de revenir au château-vaisseau tous les deux ou trois jours au début, mais les choses s'étaient accélérées depuis. Les mères de Hunk lui avaient fait promettre au moins un dîner de famille par semaine, et Hunk n'en avait manqué qu'un jusqu'ici.
Six jours s'étaient écoulés cette fois-ci et c'était Shiro qui leur avait dit de rentrer se reposer au moins une journée. Hunk ne savait pas ce qu'il allait faire de ces vacances si généreusement offertes.
— Allez, viens, dit-il à Shay en lui tendant la main. Je meurs de faim et Mama a dit qu'elle préparait du porc grillé ce soir. Tu sais ça fait combien de temps que je n'ai pas mangé de porc ?
Shay le regarda sans comprendre et Hunk se rappela que, pour elle, la cuisine maison de sa mère était aussi étrange que ce qu'ils mangeaient en célébration sur les planètes qu'ils venaient de libérer. (Et Hunk ne pouvait pas s'en plaindre, c'était généralement très bon, mais ce n'était pas exactement ce dont il avait envie.)
Il allait peut-être chercher un moyen de recréer les plats balmérans préférés de Shay. Elle ne s'était pas plainte une seule fois, mais cela faisait des mois qu'elle se passait de ce qu'elle aimait le plus.
Shay prit le chemin de l'ascenseur en fredonnant et Hunk joignit sa voix à la sienne en reconnaissant la non-mélodie de la chanson du Balméra. Shay sourit et, une fois dans l'ascenseur, elle reposa sa tête contre la sienne. Elle semblait prête à s'endormir comme ça, mais ils s'arrêtèrent bien vite au septième étage et elle se força à se redresser pour reprendre leur marche.
Ils passèrent devant la salle commune et Hunk jeta à œil à l'intérieur par habitude, même si la pièce était généralement vide ces temps-ci. Pidge et Ryner n'étaient revenus qu'une ou deux fois, jamais en présence de Hunk, et Nyma se montrait presque aussi rarement.
Il fut donc surpris d'y découvrir Shiro et Akira, le premier faisant les cent pas derrière le canapé tandis que le second maintenait une poche de glace contre son crâne.
— Je vais bien, grommela Akira. Arrête de paniquer.
Shiro fusilla le canapé du regard.
— Je ne panique pas.
— Si. Je le sens.
Hunk s'arrêta et s'avança d'un pas, le cœur sombrant quand Coran entra dans son champ de vision, plusieurs patchs curatifs altéens et une fiole d'un liquide épais de couleur turquoise (un antidouleur) dans les mains.
— Oh mon dieu ! souffla Hunk en serrant les mains sur le col de son armure quand Akira se redressa pour accepter l'antidouleur, lui permettant de voir son visage.
La poche de glace était pressée contre une énorme bosse sur son front. Ses pommettes étaient constellées de bleus et sa lèvre inférieure était fendue et saignait.
Akira sursauta et Shiro se tourna vers la porte.
— Hunk. Salut, dit Akira avec un sourire, grimaçant quand Coran lui prit le bras pour étaler un patch curatif sur une longue coupure bien rouge qui s'y trouvait. Comment ça se fait que vous soyez de retour ?
— C'est soirée en famille, répondit Hunk, engourdi. (Shay avait fini par faire demi-tour pour voir ce qui le retenait et elle poussa une exclamation en voyant Akira.) Est-ce que ça va ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
Akira leva les yeux au ciel et se laissa retomber sur le canapé.
— Rien.
— Il l'a échappé belle lors de sa dernière mission, dit Shiro.
Il se tenait droit comme un piquet, les bras croisés, et Hunk se demandait s'il n'allait pas finir par trouer sa manche avec la manière dont il y enfonçait les doigts.
— Les Galras ont tendu une embuscade, comme s'ils savaient exactement où se trouverait la Garde.
Le ton de sa voix était calme, mais il était impossible de manquer la tension qui s'en échappait, à l'instar des lèvres plissées de Coran. Hunk sentit son estomac se nouer et il échangea un regard avec Shay. L'espion s'était fait discret ces derniers mois, ne transmettant aucune information vitale, du moins de ce qu'ils en savaient. Hunk avait été sur le point de croire qu'Olkarion n'était qu'une fausse alerte.
C'était beaucoup plus difficile de se leurrer avec Akira qui avait l'air d'avoir été passé à tabac par le gladiateur.
— Je vais bien, répéta Akira, exaspéré. Quelques bleus, une petite bosse sur la tête. On a déjà fait un scan, je n'ai même pas de commotion cérébrale. Même passer par la case capsule n'est pas nécessaire, demande à Coran !
— Ça aurait pu être pire, dit Shiro.
Hunk baissa les yeux, le ventre alourdi par la culpabilité, lui coupant l'appétit. Il avait promis à Shiro et Coran de les aider à débusquer l'espion, mais son projet de technologie anti-surveillance avait été mis de côté avec toutes les autres missions dont il avait dû s'occuper.
Shiro posa la main sur son épaule, la serrant doucement.
— Pas besoin de t'en faire autant, dit-il, ignorant le « hypocrite » que marmonna Akira. Tu devrais rejoindre tes mères. Elles avaient hâte de te revoir.
Shiro lui offrit un sourire et Hunk s'efforça d'y répondre. Il recula vers la porte, dansant d'un pied sur l'autre tandis que Shay prenait la main d'Akira entre les siennes. Il y eut un bref éclat de lumière, à la suite duquel Shay eut l'air beaucoup moins secouée.
— Il va s'en remettre, dit-elle à Shiro.
Akira se redressa pour lancer à Shiro un regard appuyé.
— Tu vois ? Même Shay le dit.
Shiro plissa les lèvres, marqua une pause, puis lâcha l'affaire avec un petit rire.
— D'accord, d'accord. Tu ne peux pas m'en vouloir de m'inquiéter un peu.
— Un peu, qu'il dit. (Akira secoua la tête, puis sourit à Shay.) Bref. C'est soirée en famille, hein ? Je ne vous retiens pas plus longtemps.
Après un dernier regard derrière elle, Shay tourna les talons, Hunk à sa suite. Les blessures se faisaient de plus en plus fréquentes ces temps-ci. Pidge était rentré·e une fois parce qu'un laser l'avait touché·e à l'épaule et Nyma avait carrément chipé une unité de soin portable qui servait pour les blessures modérées, comme des entorses ou des brûlures au second degré (le genre de plaies assez douloureuses ou incommodantes pour nécessiter des soins sans pour autant passer par une capsule).
C'est la guerre, pensa Hunk. Il y aura forcément des blessés.
Cela ne l'apaisa en rien et il se traîna jusque dans la cuisine. Sa mère riait de quelque chose que Mama avait dit, ce qui lui fit monter des larmes aux yeux. Laissant tomber son casque sur le comptoir, il s'avança et enlaça sa mère si fort qu'elle en eut le souffle coupé. Il n'eut pas le temps de s'en vouloir, parce qu'elle lui rendit son étreinte avec autant de force la seconde d'après.
— Tout va bien ? demanda-t-elle, lui frottant le dos.
Hunk inspira, ravalant ses larmes et faisant de son mieux pour afficher un air heureux.
— Je suis juste fatigué. Content d'être rentré.
De l'autre côté du comptoir, Mama éteignit le four d'un geste sec, puis tendit les bras pour passer les doigts dans ses cheveux.
— Eh bien, tu tombes à pic. Tu as juste le temps de retirer ton armure avant que le repas soit servi.
— Et après manger, dit Maman, on peut aller dans mon labo. Je veux te montrer avec quoi je me suis amusée, ces temps-ci. Tu savais que certaines pièces du château peuvent changer l'orientation de leur force gravitationnelle ?
Hunk sourit contre son épaule, fermant les yeux pour éloigner le sang, la mort et les doigts de l'anxiété qui lui serraient la gorge.
— Cool, dit-il. J'ai hâte de voir ça.
