CHAPITRE 18 : Confusion
Une épaisse brume vaporeuse flottait dans l'air moite, à la chaleur suffocante, tellement dense qu'on ne voyait presque plus les contours de la salle de bain ainsi que ses murs. Au milieu de ce brouillard, un long soupir grave résonna.
- Aaah ! Qu'est-ce que ça fait du bien ! Ça m'avait tellement manqué !
En se rapprochant de la baignoire, une masse verte, semblable à une boule de mousse, paraissait être en suspens dans les airs, puis elle glissa soudainement, pour se poser sur le rebord en faïence. Ce corps était plus grand que le sien, et plus large aussi, ce qui donnait l'impression à Nami que la baignoire avait rétrécie, mais elle arrivait tout de même à la contenir en entier. La jeune femme ferma les yeux et laissa l'eau brulante la porter, comme si cette carcasse ne pesait presque rien. Voilà bien longtemps qu'elle ne s'était pas sentie aussi détendue ! En plus elle faisait une pierre deux coups car le corps de l'épéiste n'avait jamais été aussi propre ! En effet, il avait eu le droit à la totale, douche, savon, shampooing, gel exfoliant, gommage de la peau, masque… bref un bon rituel beauté pour avoir une peau aussi douce que celle d'un bébé. Et désormais, Nami le faisait flotter dans un bain avec des sels parfumés aux huiles essentiels et fleurs de mandariniers, gracieusement concoctés par Chopper, pour un effet relaxation maximal.
La chaleur de l'eau lui picotait la peau, un mélange entre douleur et plaisir, dont elle se délectait pleinement. Elle pourrait y rester des heures ! Et tant pis si elle ressemblait à un pruneau desséché en sortant… de toute façon, elle avait l'apparence de Zoro, alors elle s'en fichait.
Tout à coup, on toqua à la porte et le bruit la força à ouvrir l'œil. Elle avait une petite idée de la personne qui se trouvait derrière, mais celle-ci jugea bon de la prévenir de sa présence.
- Nami-chérie ! Je t'ai apporté ce que tu m'as demandé. Je te le laisse devant la porte ?
- Entre Sanji-kun !
Contrairement à ce qu'il se serait produit si elle était encore une femme, Sanji ne se jeta pas, tête baissée dans la salle de bain, à la suite de son ordre. Il marqua une longue pause, qu'elle assimila à de l'hésitation, et elle ne put s'empêcher de trouver ce changement de comportement, plutôt déstabilisant.
Finalement, la poignée de la porte s'enclencha doucement, et le cuisinier fit un pas dans la salle de bain avant de marquer une pause. Pas d'avalanche de compliments, pas de mots doux, pas de litanie sur sa gentillesse et sa bonté, pas de courbettes exagérées… rien. Le blond était d'un silence morne, auquel la jeune femme n'était clairement pas habituée. Elle se redressa dans son bain et jeta un regard par-dessus son épaule ridiculement musclée, alors qu'elle drapait le bord la baignoire de ses bras.
Sanji se tenait dans l'encadrure, droit comme un i avec un plateau en argent en équilibre sur ses cinq doigts, et son autre main repliée dans son dos. Un vrai majordome.
- Où veux-tu que je le pose ? demanda-t-il de manière très professionnelle, sans fioritures ni artifices.
Il n'y avait pas à dire, c'était vraiment étrange comme sensation. Il la traitait… normalement.
- Euh… apporte-le à côté de moi.
Elle tapota la surface plane qui jouxtait le mur et la baignoire. Tel un automate, il se mit en marche et Nami l'observa attentivement, intriguée comme si elle découvrait un nouveau Sanji. Il le déposa en silence, sans même lui accorder un regard. Les sushis étaient magnifiques, colorés avec des tranches de poisson bien brillante, et un grand verre à pied les surplombait, rempli d'un liquide translucide. Rien qu'à les voir, elle en avait l'eau à la bouche, mais l'attitude de son nakama la perturbait.
- Merci Sanji-kun.
Son sourcil en spiral tressauta faiblement entre ses mèches blondes, toutefois, il garda les lèvres closes, comme s'il s'était fait violence pour ne pas rétorquer une de ses vacheries habituelles envers Zoro. Sanji se redressa et leur regard se croisèrent enfin. Par habitude, Nami s'attendit à une mimique grotesque, une œillade langoureuse, mais il resta de marbre.
- Autre chose ?
Même sa voix avait perdu ce timbre enjoué et caressant. Il s'adressait à elle comme… à un homme. Certes, sans la hargne qui le caractérisait à chaque fois qu'il parlait avec Zoro, et c'était peut-être ça qui sonnait faux dans sa façon de s'exprimer, mais cette constatation était aussi évidente que décevante. Bien qu'elle en ait l'apparence, elle n'était pas un homme à l'intérieur, elle restait elle-même !
- Tu ne veux pas rester avec moi ? On pourrait discuter ?
Sanji se crispa un peu plus à cette question.
- Ce serait avec plaisir Nami, mais Luffy vient de souiller le pont avec des tentacules de poulpes géants, et il ne me lâchera pas tant que je n'aurais pas fait ses takoyakis.
Alors là, elle tombait des nues. Nami. Pas Nami-chérie, non, juste Nami. Et pour couronner le tout, il préférait obtempérer à un caprice de Luffy plutôt que de rester en sa compagnie ! Sa déception était de plus en plus amère.
- Oh… d'accord, répondit-elle sans prendre la peine de cacher sa déconvenue.
- Bon appétit alors, et profite bien de ton bain ! déclara-t-il poliment.
Elle le regarda s'en aller, ou « fuir » serait sans doute plus exacte, emportant dans son sillage, la bonne humeur qu'elle avait durement acquise.
…
Impossible de trouver le sommeil. Ses yeux étaient pourtant clos, et son esprit calme, mais il n'arrivait pas à s'endormir. Et la frustration le gagnait. De temps à autre, ses oreilles captaient le bruissement léger du papier, au moment où Robin tournait une page de son livre. Cela n'aurait pas dû le déranger, car ce n'était pas la première fois qu'elle lisait à côté de lui pendant qu'il somnolait, mais aujourd'hui, ce son l'irritait grandement. Chaque crissement lui rappelait de façon indéniable qu'il était toujours éveillé, et plus le nombre de pages croissait, plus le son semblait strident. En plus de cela, Zoro ressentait une étrange gêne dans la poitrine, qui l'opprimait et rendait sa respiration laborieuse. Pour parer à cela, il pratiquait ses exercices de respirations en toute discrétion, mais rien à faire. Finalement, l'agacement eut raison de sa patience, et l'épéiste se tourna sur le côté, offrant son dos à l'archéologue, avec l'espoir d'une amélioration. Ce qui fut le cas ! Pour deux malheureuses minutes, avant qu'il ne ressente une nouvelle gêne au niveau du ventre cette fois-ci.
Dans un grognement, Zoro se retourna de l'autre côté. Là où avec son corps habituel, il lui suffisait d'une légère contraction des abdos et d'un bref mouvement coordonné des épaules et des jambes, pour qu'en un clin d'œil, il soit allongé comme il le souhaitait, ici, l'opération aussi banale soit-elle, prenait des proportions démesurées avec sa condition physique ! Le bretteur avait soudain l'impression d'être aussi agile qu'une tortue sur le dos. Dans un coin de son esprit, il se souvint de s'être amusé de ces fois où la jeune femme galérait, avec son manque de souplesse, lorsqu'elle remuait dans le lit, mais aussi du regard noir qu'elle lui lançait quand elle captait son petit rictus…
Le même petit sourire narquois qui s'animait sur les lèvres de l'archéologue tandis que ses yeux bleus dérivaient discrètement vers lui. Aujourd'hui, Zoro comprenait.
Mais plutôt que de râler et de se plaindre (il ne leur ferait pas ce plaisir), le jeune homme se contenta de se renfrogner comme il en avait l'habitude, et s'empressa de fermer les paupières.
Plus les minutes s'écoulaient, et plus il avait le sentiment que peu importait la position qu'il adopterait, une nouvelle douleur s'éveillerait à un endroit différent de son corps (en l'occurrence dans le bas de son dos), pour l'empêcher de trouver le repos. Est-ce que c'était ce que vivait constamment Nami ? Ou bien est-ce que ça venait de lui ?
La frustration commençait à le gagner, surtout qu'il luttait pour rester parfaitement immobile afin de faire croire à sa voisine qu'il avait réussi à s'endormir, alors qu'il mourrait d'envie de tortiller pour trouver un peu de soulagement, quand des pas qui gravissaient l'échelle, se firent entendre. Raison de plus pour faire semblant que tout allait bien.
Nul besoin d'ouvrir l'œil pour connaitre l'identité du nouveau venu. La sonorité de cette démarche souple et familière était aussi distincte que la senteur du tabac consumé qui s'échappait de son bâtonnet blanc. Autant dire que son humeur ne risquait pas de s'améliorer.
- Rooobin d'amour ! Je t' ai apporté un petit rafraichissement ! roucoula le cuisinier de sa voix haut-perchée.
- Merci Sanji, fit-elle en prenant le verre entre ses doigts graciles.
Puis, contre toute attention, Sanji s'adressa à lui, d'un ton plus sec :
- J'en ai un pour toi aussi Mari… mar…ma…m…
Surpris par ce bégaiement dont l'intonation manquait étrangement de mordant pour finalement devenir aphone, Zoro ouvrit un œil. Chose qu'il n'aurait peut-être pas dû faire en fin de compte. Le blond était entre Robin et lui, avec un plateau dans la main sur lequel reposait un verre de jus de fruit, mais ce n'était pas ce qui le dérangeait. Non, il s'agissait plutôt de la tête qu'il faisait en lorgnant sur lui de sa hauteur, qui provoqua un frisson désagréable sur toute sa peau. La cigarette penchait dangereusement vers l'avant, dans un équilibre précaire sur sa lèvre inférieur à cause de relâchement de sa mâchoire. Une teinte vermeille s'épanouissait progressivement sur ses joues tandis que son sourcil ridicule tressautait spasmodiquement. Mais le pire, c'était le regard qui suscitait chez l'épéiste, un profond malaise. Pas de dédain, pas de mépris, pas fermeté, pas d'agacement… aucune émotion qui le caractérisait lorsqu'il posait les yeux sur lui, ne transparaissait en cet instant. Son regard était fixe, tinté de confusion, avec un léger pétillement, puis c'est avec horreur que le bretteur le vit se métamorphoser en adoration lubrique. D'ailleurs il lui était impossible de se méprendre sur les pensées du blond, lorsqu'un filet de sang s'écoula de ses narines.
La nausée s'empara du jeune homme qui se redressa aussitôt sur son transat, rouge de colère.
- NE ME REGARDE PAS AVEC CET AIR DE DEPRAVE !
Sanji savait pourtant qu'il s'agissait bien de lui et non pas de Nami ! Alors pourquoi il bavait comme un chien devant un os ?! Derrière le cuisinier, Robin essaya de cacher son rire derrière sa main de façon discrète, mais Zoro le capta sans mal. Il lui lança une œillade courroucée, chargée d'incompréhension, auquel elle répondit par un discret signe en direction de sa poitrine. L'épéiste fronça les sourcils, ne voyant pas où elle voulait en venir, puis il baissa les yeux vers son propre décolleté, pour constater que ses seins débordaient un peu trop de son débardeur. Nami allait le tuer si elle le voyait exposer ses formes à la vue de tous !
Aussitôt, ses deux bras se refermèrent devant sa poitrine, d'un geste qui n'avait rien de masculin, pour la protéger du regard libidineux de son nakama. Son visage et la pointe de ses oreilles étaient en feu, alors que Zoro réalisait qu'il était devenu l'objet des fantasmes du blond.
- DEGAGE DE LA, ERO-COOK ! s'écria-t-il d'une voix bien plus aigüe.
- OUI NAM… MARIM… ZORO-CHAN !
Le jeune homme au corps de femme se sentit devenir livide à l'entente du ton mielleux ainsi que du surnom. Il bondit sur ses pieds, tout en maintenant ses bras croisés autour de ses épaules.
- NE M'APPELLE PAS COMME CA !
- Ou.. oui Zoro-ch…eu Marim…
D'ailleurs, le cuisinier fit une drôle de tête après avoir prononcé cela. Les expressions se bousculèrent sur son visage, passant de l'adoration au dégoût, dans une succession de grimaces grotesques, comme s'il était pris de convulsions. Il déposa le verre de jus de fruit maladroitement, entre deux spasmes, puis s'empressa de s'éclipser dans une démarche saccadée. Est-ce qu'il venait de faire buguer le pervers de cuisto ? Ça en avait tout l'air. Mais Zoro n'en tira aucune satisfaction, car l'expérience avait été des plus déplaisante.
Lui ce qu'il aimait, c'était se fritter avec cet abrutit, se lancer des insultes, se bagarrer ! C'était leur façon à eux de se montrer qu'ils s'appréciaient ! Mais pas ça ! Là c'était carrément flippant ! Sanji n'avait même plus de répartie ! Il se contentait bêtement de faire ce qu'il lui ordonnait. Et dire que Nami vivait cela tous les jours ! Comment faisait-elle pour trouver cela agréable ?! C'était une chose de le voir faire, c'en était une autre de le vivre !
- Voilà qui est très intéressant, commenta l'archéologue avec un demi-sourire énigmatique alors qu'elle observait le cuisinier s'éloigner.
Son commentaire attira l'attention de Zoro qui lui lança une œillade remettant en question sa santé mentale.
…
La tête renversée sur le bord de la baignoire, des rondelles de concombre sur les yeux, Nami fredonnait tranquillement la mélodie d'une des chansons de Uta. Le plateau de sushis à côté d'elle, était vide depuis longtemps (chaque bouchée avait été un délice à l'état pur, un petit morceau de paradis) tout comme le verre de saké (dont les notes fruitées dansaient encore sur sa langue). Si le départ précipité de Sanji, l'avait préoccupé, ces petits mets exquis avaient su lui redonner le sourire et l'eau chaude avait calmé ses tourments. Elle serait bien incapable de dire depuis combien de temps elle macérait dans ce bain, mais tant que la chaleur persistait, Nami n'avait nullement envie de s'en extraire.
Des coups frappèrent à la porte avec insistance, brisant ainsi sa petite bulle relaxante. Tout d'abord, la jeune femme ne répondit pas, et espéra que la personne renoncerait à la déranger. Bien évidemment, c'était sans compter sur ses chers nakamas, car qui d'autres pour venir perturber le seul moment de détente auquel elle s'accordait ?
- Est-ce que je peux avoir la place ? J'ai vraiment besoin de prendre une douche !
L'urgence dans la voix d'Ussop ne semblait pas feinte, mais Nami n'avait envie de lâcher son précieux bain à la première exigence de qui-que-ce-soit.
- C'est occupé ! Reviens un peu plus tard ! lança-t-elle sans bouger d'un poil.
Le silence se prolongea derrière la porte et elle crut que la grosse voix de Zoro avait réussi à le dissuader d'insister. Elle s'enfonça un peu plus dans l'eau en soupirant d'aise, mais à sa grande surprise, elle entendit la poignée de la porte s'actionner, puis s'ouvrir.
- Oh Zoro ! C'est toi ! J'ai cru que c'était encore Nami qui monopolisait la salle de bain ! fit-il avec un soulagement évident.
Elle était en train de rêvé, ou bien Ussop était entrée dans la salle de bain ? Il y eut un bruissement caractéristique des vêtements qui tombent au sol. S'en suivit d'une forte odeur très désagréable, pareille à celle de l'ammoniaque avec un mélange poissonneux, qui lui agressa les narines.
- Désolé, mais c'est une urgence ! Je suis couvert d'un truc gluant et ça me pique les yeux tellement ça pue !
Le robinet de la douche couina, précédant le chant de la pluie qui martela le sol. N'en revenant pas, Nami leva la rondelle de concombre qui obstruait son bon œil, pour tomber sur une vue dégagée de tout l'arrière train de leur artilleur. Elle l'observa, stupéfaite, se frotter énergiquement les cheveux avec le shampooing, qui commençait à former une boule afro de mousse blanche au-dessus de sa tête.
- Sanji m'a dit de ne pas venir car Nami prenait un bain et qu'il ne fallait surtout pas la déranger, mais je ne tenais vraiment plus ! D'ailleurs je ne sais pas pourquoi il m'a dit ça, vu que c'est toi qui es là et pas elle…
L'odeur s'estompa petit à petit, mais elle empiétait encore sur celle qui régnait dans la pièce avant qu'il n'entre. Toute l'atmosphère apaisante qui nimbait la pièce se faisait piétinée sauvagement par cet ignorant sans scrupules, et ruinait les efforts de la jeune femme pour se détendre. La colère se mit à bouillonner au fond d'elle, tel un geyser sur le point de jaillir du sol.
- A moins que…, murmura le jeune homme pour lui-même en tournant lentement la tête vers la baignoire.
Apparemment, l'idée que Zoro ne puisse pas être seul, fit son apparition seulement maintenant dans son esprit. Cela aurait pu être effectivement le cas, qu'il serait entré de la même façon ! L'inquiétude noyait son regard lorsqu'il le posa sur elle, et son visage se décomposa un peu plus. L'épaisse main de Zoro se crispa sur le rebord de la baignoire, l'étreignant avec force, alors que la jeune femme fusillait son nakama de son seul œil valide. Un ange passa, pendant ce lapse de temps où ils restèrent figés à s'observer en chien de faïence, elle toujours assise dans son bain, et lui, à demi tourné vers elle (heureusement car il lui épargnait la vue de son machin !).
La rondelle de concombre qui restait, se décolla lentement de sa paupière et tomba dans son bain avec un petit « plouf ». Ce détail minime attira l'attention du jeune artilleur et atténua sa peur grandissante, au profit d'une légère confusion. Puis celle-ci se mua en surprise lorsqu'il prit en compte la serviette enturbannée autour de la tête de Zoro, ainsi que le visage maculé d'un masque blanc. L'incongruité de sa vision arriva au cerveau, et soudain, le sniper partit dans un éclat de rire incontrôlable. L'expression de Nami s'assombrit un peu plus alors que ses lèvres se retroussaient au-dessus d'une rangée de dents acérées avec un grondement, qu'Ussop n'entendit pas, trop accaparé par son fou rire. A genoux sur le carrelage de la douche, plié en deux en se tenant les côtes, il paraissait incapable de s'arrêter, et ce qu'il ignorait, c'était que chaque hoquet de sa part, ne faisait que gonfler la colère sourde de la jeune femme.
- J'peux savoir ce qui te fait rire ? Alors que tu viens me déranger pendant le seul moment de répit que je peux avoir sur ce maudit navire ? grommela la navigatrice en forçant sa voix de bariton à descendre dangereusement bas dans les octaves.
Malgré cela, il peina à reprendre son souffle pour pouvoir lui répondre :
- Dé…dé… désolé… mais… c'est que… je ne pensais pas… enfin… je ne t'imaginais pas…
Il leva les yeux vers elle, et se figea un instant. La jeune femme crut que son air meurtrier avait fait son effet, mais elle vit les joues de son comparse se gonfler et ses yeux se plisser, puis la seconde d'après, Ussop repartit dans son fou-rire. Excédée par la situation, elle attrapa son peignoir qui se trouvait suspendu juste à côté, et l'enfila à la hâte avant de nouer la ceinture à sa taille d'un geste sec. Le vêtement l'étreignait beaucoup plus que dans son souvenir, mais ce détail fut vite relégué au second plan. Elle allait faire frire ce gros crétin ! Nami chercha à tâtons dans son décolleté, à la recherche de son climat-tact, pour se rendre compte qu'elle la surface de sa poitrine était plus plane que ce à quoi elle s'attendait. C'est vrai ! fais chier ! Ce n'était pas son corps et son arme n'était pas avec elle ! Tant pis, il lui restait toujours la bonne vieille méthode, et avec la force de Zoro, ce cher sniper allait faire un sacré vol.
Ce dernier se calma enfin, assis sur ses talons et une main posée au sol, il essuya une larme qui perlait au coin de son œil. Deux pieds, scarifiés au niveau des chevilles, entrèrent dans son champ de vision, à quelques centimètres de lui, ce qui lui fit relever la tête, avec encore les vestiges de son hilarité sur ses lèvres. Ses yeux remontèrent le long de ces longues jambes musclées, où s'arrêtait de justesse un peignoir rose bonbon, et il retint difficilement son rire à la vue de cet accoutrement, car au-delà du ridicule de la scène, il avait un mauvais pressentiment. Qui fut confirmé lorsque son regard remonta plus haut. Tout à coup, Ussop perdit tout envie de rire et en une seconde, il fut saisi par un frisson glacé malgré l'eau chaude qui lui ruisselait dessus. Une prunelle incandescence rougeoyait au milieu du visage sombre de Zoro, tandis qu'il voyait le poing du bretteur se lever lentement à côté de lui. Même avec un peignoir de fille qui contenait difficilement sa pudeur, une serviette sur la tête et un masque de beauté sur la figure, l'ancien chasseur de pirate n'en paraissait pas moins terrifiant. Et Ussop regretta instantanément d'avoir osé rire de lui.
- Hey-hey ! Je suis désolé Zoro ! Mais-mais… j'ai été surpris par… enfin… t'as tout à fais le droit de te détendre comme tu veux…, bégaya-t-il en levant les mains en signe d'apaisement.
Le poing prit du recul et le jeune homme sut que parler ne lui sauverait pas la vie, mieux valait faire ce qu'il faisait le mieux, battre en retraite ! Il rampa rapidement vers la sortie, attrapant ses vêtements au passage et s'empressa de claquer la porte derrière lui avant de sauter par la trappe qui menait à l'étage inférieur.
- Promis, je ne dirais rien aux autres ! lança-t-il dans sa fuite avec l'espoir que cela apaisait un tant soit peu la colère de l'épéiste.
…
Sur le pont à l'avant du navire, Jinbe manœuvrait tranquillement le gouvernail, le regard rivé sur la mer était calme, avec un sourire paisible sur le visage. Le vent soufflait une légère brise qui faisait gonfler les voiles et poussait le Sunny vers leur prochaine aventure. A ses côtés se tenait Franky, assis sur la petite banquette, les bras étalés en croix sur le dossier, un verre de cola dans une main, et les jambes croisés l'une sur l'autre. Il sifflotait joyeusement et balançait son pied suspendu dans les airs au rythme de la petite ballade que Brook jouait au violon, près d'eux. Même s'il était parfois nostalgique de son ancien équipage, le Paladin des mers ne pouvait qu'apprécier l'ambiance bon enfant qui régnait sur ce navire. Ses nouveaux nakamas étaient délurés, mais cela ne rendait leur compagnie que plus agréable. Tous l'avaient accepté sans problème, comme s'il avait toujours fait partie de leur étrange famille, et l'homme-poisson n'avait pas tardé à trouver sa place au sein de cet écosystème un peu fou. Être sous les ordres du Chapeau de paille était l'une des meilleures décisions qu'il ait prises au cours de ces dernières années. Il se sentait plus libre que jamais et cette sensation se lisait ouvertement sur ses traits sereins.
- Oi Zoro ! Tu viens te joindre à notre petit cercle de mâles pour te détendre ? Lança Franky plein d'enthousiasme. Ici pas d'hormones de femme enceinte en folie, que de la testostérone pure ! Je suis sûr que t'en as besoin. Profites-en tant que la frangine est occupée à bronzer avec Robin.
Le cyborg baissa légèrement ses lunettes de soleil et lui adressa un clin d'œil complice. Cependant, l'attitude avenante de celui-ci n'eut pas l'effet escompté sur le bretteur, dont l'expression s'assombrit soudainement. Les trois camarades s'échangèrent des œillades soucieuses et Brook cessa de faire chanter les cordes de son violon.
- Zoro-san, souhaites-tu que je te joue quelque chose en particulier ?
- Ça ira Brook, merci.
Tout le monde était habitué à rudesse de leur ami épéiste, car bien souvent elle n'avait rien de méchante, mais en cet instant, ils pouvaient aisément discerner que quelque chose (ou quelqu'un en l'occurrence) l'avait mis de mauvais poil. Zoro observa froidement le ciel et la mer, dans un profond mutisme. Par expérience, musicien savait que la musique avait le formidable pouvoir d'adoucir les mœurs, et bien qu'il ait rejeté son offre de lui jouer une mélodie, Brook entama un nouvel air. Mais la voix de bariton de l'ancien chasseur de pirates ne tarda pas à dissoner avec son rythme jovial.
- Jinbe, pourrais-tu redresser la barre à tribord ? on a dévié légèrement de notre cap. Et Franky, il faudrait ferler les voiles, le vent commence à se lever…
Un horrible crissement fit grimacer les trois hommes alors que le squelette venait de louper son accord. Trois paires d'yeux exorbitées se posèrent sur l'épéiste aux cheveux verts, qui fronça les sourcils devant leurs expressions choquées.
- Quoi ? gronda Zoro.
Tout à coup, Franky éclata d'un rire bruyant et se plia en deux, manquant de renverser son précieux cola. Il avait beau être arrivé il y a peu de temps, Jinbe n'avait pas mis longtemps à comprendre que Zoro était la dernière personne sur terre à qui il fallait demander son chemin. (C'était l'une des premières choses que Nami lui avait dites lorsqu'ils avaient quitté Wano Kuni). Aussi fort soit-il, cet homme avait un sens de l'orientation déplorable, voire catastrophique, et comme cela n'était pas suffisant, il souffrait d'un profond déni. Alors qu'il donne des ordres pour modifier leur façon de naviguer, oui cela avait de quoi faire sourire.
En revanche, l'hilarité n'était pas partagée par le principal concerné, qui commençait à grincer des dents.
- Ne le prend pas mal, Zoro, mais il serait préférable que ce soit Nami qui prenne cette décision, c'est elle la navigatrice.
Jinbe se voulait plus diplomate que ses confrères, mais Franky ruinait ses efforts avec son rire sonore. L'épéiste se rembrunit un peu plus, semblant prêt à exploser.
- C'est clair, mon frère ! Ahaha ! C'est peut-être ton kiff de te faire cogner, mais on n'a pas envie de se mettre la frangine à dos ! Ahaha !
Le bretteur lui envoya un regard incendiaire alors qu'il resserrait les poings.
- Ecoutes-moi bien cyborg dépravé, je suis…
C'est à ce moment que le musicien nota un détail.
- Où sont tes katanas ? Est-ce que tout va bien Zoro-san ? le coupa-t-il la parole, soucieux pour la santé de son ami.
A cette remarque, Franky cessa de ricaner et observa le jeune homme, tout comme Jinbe. Zoro marqua un temps d'arrêt, avant de baisser la tête pour constater qu'il manquait effectivement quelque chose à sa ceinture.
- Merde ! J'ai dû les oublier dans la salle de bain..., jura le bretteur entre ses dents.
- Eh bah alors ? On a sifflé toute la réserve de saké en cachette ? se moqua le cyborg aux cheveux bleus.
Le bretteur tourna les talons et commença à s'éloigner pour s'arrêter deux pas plus loin.
- Et pour votre information, je suis Nami ! Bande de crétins ! Law a échangé nos corps avec Zoro. Donc, faites ce que je vous dis, ou sinon je demande à Zeus de vous griller sur place !
Après un dernier avertissement lancer d'un regard assassin, Zoro, ou plutôt Nami, quitta le pont supérieur, laissant les trois compagnons, stupéfaits par la nouvelle. Toutefois, Brook fut le premier à se remettre du choc et parut soulagé.
- Oh… voilà qui explique beaucoup de choses, commenta-t-il d'un air songeur.
A suivre...
