« Je suis arrivé. »
Théo lut et relut le message, qu'il avait demandé à Stiles de lui envoyer une fois que celui-ci serait au loft, prêt à assister à la réunion organisée par sa meute. Evidemment, l'hyperactif avait obéi. Il se soumettait à la moindre de ses demandes, tel l'esclave qu'il était devenu en un temps record. Un être humain qui avait tout perdu, jusqu'à sa dignité. Théo se rappela de son caractère, de cette ténacité qui, chez lui, l'avait toujours impressionnée. Il ne restait plus rien à Stiles… Sauf l'amour. Celui qu'il portait à son père et qui rendait toute cette machination morbide possible. S'il n'avait pas décidé d'inclure Noah dans l'équation, nul doute que l'hyperactif n'aurait jamais cédé. Il n'aurait jamais été à lui.
Ce fait, au lieu de provoquer un sentiment de satisfaction chez Théo, lui donna la nausée. Parce qu'il ne voulait pas… Il était allé trop loin. Le pire, c'est qu'il le savait. Il en avait putain de conscience. Mais la peur le paralysait, l'empêchait de faire autrement. L'habitude, aussi. Celle d'être un connard de la pire espèce, celui qui répandait le mal autour de lui depuis sa naissance. Celui dont Stiles s'était toujours méfié – à raison. Au final, l'hyperactif avait très vite vu qui il était et… S'il était devenu son allié par la force des choses, il restait son pire ennemi. Celui qui pouvait le faire tomber à la moindre confession.
Alors oui, il se persuadait qu'il faisait tout ça pour le maintenir en sa possession. L'obliger à garder le silence. S'il le brisait, encore et encore, Stiles ne dirait rien. D'un autre côté, il savait que l'hyperactif était un jeune homme de parole. En fait, Théo savait… Que simplement menacer d'attenter la vie de Noah aurait suffi. C'était le seul parent qu'il restait au châtain, l'être qui lui était le plus précieux au monde. Il le savait, alors… Pourquoi continuait-il ? Pourquoi était-il en train de réfléchir à ce qu'il pourrait faire lorsqu'il rentrerait pour le maintenir dans cette soumission morbide ? Il était en train de vriller. Parce qu'il était terrifié. Que si Stiles parlait, tout était foutu. Tout le monde en subirait les conséquences. Lui, et celui qu'il protégeait.
Comment les choses se passeraient-elles actuellement si Théo, au lieu de le briser à répétition, lui avait tout expliqué ? S'il lui avait montré du doigt celui pour qui il faisait tout ça ? Stiles ne lui aurait pas obéi. Même s'il était du genre à vouloir aider tout le monde, il n'aurait pas… Sacrifié la meute pour Liam. Pour un jeune homme transformé il y a peu, pour quelqu'un qu'il connaissait, au final, beaucoup moins que les autres. Quelqu'un qui n'avait pas d'importance pour lui.
Mais qui en avait une, aux yeux de Théo.
Parce que si Stiles était prêt à tout pour sauver son père, Théo pouvait être capable de soulever des montagnes pour protéger Liam.
Bien sûr, Théo était égoïste. Il en avait conscience, tout comme il savait être en train de faire n'importe quoi, de… Foutre la vie d'un humain en l'air. Pour sauver quelqu'un qu'il aimait, lui. C'était tordu. Malsain.
Mais Théo ne savait pas faire autrement. Était-ce de sa faute si on l'avait éduqué de cette façon ? Si tout, dans sa vie, n'avait été que violence et manipulation ? La chimère savait pertinemment que rien de ce qu'il faisait n'était justifiable ou excusable. Sauf qu'il n'arrivait pas à s'arrêter, à redresser la barre. Comment faisait-on ? Lui épargner la sortie en forêt avait été difficile, d'autant plus… Que Théo avait déjà tout prévu. Tout prévu pour lui faire mal. Mais… Stiles avait su le convaincre. Et si Théo ne se dégoûtait pas lui-même de lui faire subir tout cela, la détresse de l'hyperactif ne l'aurait pas atteint. Or, elle l'avait fait. Stiles avait été prêt à s'effondrer, à vriller à son tour. Alors, son bourreau avait trouvé une alternative. Moins dure physiquement. Plus cynique. Peut-être plus horrible sur le plan mental. Une alternative qui, si elle restait atrocement morbide, lui permettait de se dire, que, peut-être… Il pourrait ralentir la cadence. Ne pas sans arrêt augmenter d'un cran dans la torture qu'il lui faisait vivre jour et nuit.
Qu'on le croie ou non, Théo ne voulait pas lui faire de mal à proprement parler. En tout cas, l'idée faisait naître en lui un dégoût de plus en plus fort. Ce qui lui permit de se freiner dans ses réflexions quant au prochain traitement qu'il pourrait lui infliger ? Le fait que la santé mentale de Stiles ne tenait qu'à un fil. Si Théo avait peur que l'hyperactif vende la mèche, il était clair que celui-ci ne serait pas capable d'assurer son rôle s'il le brisait trop. Par ses mots, par cette façon qu'il avait eu de le convaincre de ne pas l'emmener dans la forêt, Stiles lui avait montré qu'il était à bout. Qu'il était à deux doigts de s'effondrer. Peut-être était-ce déjà le cas, au fond. Mais de ce que Théo avait constaté avant qu'il s'en aille au loft après avoir pris trois douches, Stiles tenait encore debout. Pour son père. Uniquement pour lui.
L'amour, sous quelque forme ou de quelque nature que ce soit, donnait une force incroyable. Une force aussi extraordinaire que destructrice.
Stiles protégeait. Théo détruisait.
Restait à voir lequel tomberait en premier.
xxx
Entrer.
- Salut Stiles ! S'exclama Lydia, aussi pimpante que d'habitude. Ça va ?
Sourire.
- Et toi ? Fit-il d'un ton jovial.
Des oreilles lupines traînaient ici et là, tout autour de lui : Stiles devait donc faire au mieux pour éviter le mensonge… Et donc d'éviter de répondre. Déjà, Lydia arborait un air tout à fait normal, ce qui signifiait qu'elle ne remarquait rien de sa comédie à lui.
Tenir.
C'était ça, le plus gros défi que représentait cette réunion : Stiles pouvait faire semblant… Restait maintenant à savoir combien de temps. Et juste à cet instant, il espéra que la réunion ne dure pas plus de temps que nécessaire. Qu'elle soit tout simplement courte. De son côté, l'hyperactif devait tout faire pour ne pas attirer l'attention sur lui. La discrétion était donc de mise. Quoique techniquement, il devait agir comme il avait coutume de le faire. Parler, embêter les uns et les autres. Sauf qu'il n'avait pas l'énergie pour.
Sur le coup, il leur en voulut. Il en voulut à ses amis du lycée de n'avoir rien vu, de ne lui avoir posé aucune question lors de son retour au lycée. Leur indifférence l'avait muselé. L'émotion, pourtant brève et bien contenue, fit hausser un sourcil à Derek Hale, qui, comme à son habitude, restait en retrait.
L'ancien alpha avait finalement l'occasion de le voir. Ces derniers temps, il n'avait pas réellement pu s'occuper de son cas, mais il avait gardé à l'esprit les paroles d'Isaac à son égard. Il y pensait souvent. Et là, il regardait l'hyperactif, dont le sourire assurément factice ne montait pas jusqu'aux yeux. Il gardait ses mains dans ses poches, le dos légèrement voûté. Répondait uniquement lorsque l'on s'adressait à lui. Et rien de tout ça ne lui paraissait habituel. En fait, si on demandait à Derek de décrire Stiles à cet instant, il aurait juste dit que celui-ci… Paraissait n'être qu'une pâle copie de lui-même. N'importe qui pourrait attribuer cela à une forme de fatigue. Mais pas Derek. Parce que si la colère qu'il avait senti dans son odeur avait été aussi discrète que brève… Oui, sa « disparition » subite était trop étrange pour qu'il la passe sous silence. Que ressentait-il d'autre ? Pour le coup, Derek aurait sans doute besoin de se rapprocher pour le savoir, car Stiles… Ne dégageait pas grand-chose. Isaac, qui lui jetait quelques regards de temps à autres, avait bien raison. C'était comme si son odeur était vide de toute émotion – ou presque. C'était extrêmement discret et Derek ne voyait que la proximité pour essayer d'en savoir plus. Stiles n'était pas quelqu'un de fade, bien au contraire. Le jeune homme était une palette de couleurs et d'émotions à lui tout seul, on lisait en lui comme dans un livre ouvert ! Alors le fait qu'il ne soit pas transparent pour un sou était trop étrange pour que Derek n'y fasse pas attention.
Isaac avait peut-être eu bel et bien raison de s'inquiéter.
Parce que Derek n'aimait pas la manière crispée dont Stiles souriait. Il zieuta les autres membres de la meute : à part Isaac et lui, personne ne semblait y faire attention, personne n'avait l'air d'avoir remarqué quoi que ce soit de louche concernant l'hyperactif. Et de ce que son ouïe percevait, on ne lui demandait rien de spécifique, rien concernant cette espèce de comédie qu'il jouait… Et qu'on n'imaginait certainement pas.
Mais il y avait une chose que pouvait noter Derek, au-delà de cette étrange économie de parole de la part du jeune homme.
Stiles évitait de répondre ou détournait le sujet lorsque cela le concernait.
Derek n'eut toutefois pas l'occasion d'en entendre davantage et de confirmer cette impression : Scott venait de taper dans ses mains pour attirer l'attention de l'entièreté de la meute.
La réunion était sur le point de commencer.
Et lorsqu'il entendit cela, Derek ne cessa de fixer Stiles. Avait-il rêvé, ou son regard s'était-il assombri ?
