Chères lectrices, chers lecteurs, voici "Our Eternity", un "two-shot" dont la première partie fait 24 000 mots ! (Cela devient de pire en pire, bientôt je vais vous publier des chapitres de la taille d'un roman X).
Alors, qu'est-ce que "Our Eternity" ? Tout d'abord, c'est un HP/TJ (TR ou LV) que j'ai écrit durant les vacances d'été. Les 3000 premiers mots s'inspirent assez de la fanfiction "Quand Eros rencontre Thanatos" (une fanfic Harry/Lucius (HP/LM) que je vous invite à lire !) de Jelly-Jelly17. Ensuite, après ces fameux 3000 mots, l'histoire prend un tout autre chemin. C'est parfait pour la rentrée si vous voulez mon avis, une lecture sans prise de tête. Le but est de suivre Harry et Tom qui apprennent à vivre ensemble (dans un premier temps) puis à s'aimer.
J'espère que ces presque 25 000 mots de la rentrée vous plairont (c'est mon cadeau pour vous souhaiter une bonne reprise). Et je vous en prie, même si fanfiction(.)net bug à mort, laissez-moi des reviews. J'ai besoin de savoir si vous êtes toujours présents ou si les bugs ont fini par tuer le site !
Our Eternity
- Première partie -
Je somnole, épuisé par près de quatre heures passées à arpenter sans relâche le salon du 12 Square Grimmaurd. Je m'assois finalement dans le fauteuil près de la fenêtre et sombre dans un sommeil agité, le visage enfoui entre mes bras.
Un son strident et répétitif me tire brusquement des affres du sommeil. Je relève la tête avec une grimace, sentant mes muscles endoloris. Le bruit persiste, et je suis contraint de me lever. Je sais d'où provient cette alarme et ce qu'elle signifie.
Amelia Bones se trouve certainement devant ma maison, à m'attendre. Je suis tenté d'ignorer l'alarme, qui me prévient qu'une personne s'approche des protections que j'ai installées autour de chez moi.
Cependant, je sais que rester caché derrière les barrières de ma demeure, en attendant que la directrice du Département de la justice magique change d'avis, ne m'aidera en rien. Cela ne fera aucune différence.
Le procès de Tom Elvis Jedusor, connu sous le nom de Lord Voldemort, a eu lieu la veille, et le verdict rendu par l'assemblée et le monde magique est sans appel. Le Seigneur des Ténèbres mérite la peine de mort pour ses crimes.
Cependant, Voldemort ne peut pas mourir, et cela n'a rien à voir avec les Horcruxes. C'est autre chose. Quelque chose que Voldemort a fait à son âme, le rendant immortel. Quelque chose qui lui a également redonné un corps à l'apparence humaine.
Le Seigneur des Ténèbres est prisonnier depuis la bataille de Poudlard, soit depuis plus de deux ans. J'ai arrêté Voldemort, puis j'ai poursuivi et capturé ses partisans un par un, avec l'aide du Ministère.
Au cours de ces deux sombres années, j'ai vécu comme un fugitif moi-même, regardant constamment par-dessus mon épaule. Lorsque Lucius Malefoy a été condamné au Baiser du Détraqueur, tout comme beaucoup d'autres avant lui, j'ai naïvement pensé que j'étais enfin libre, que plus personne ne me menacerait.
Cela fait deux semaines que je me suis installé dans la vieille maison de mon parrain, la rénovant pour la rendre chaleureuse et confortable.
Je commençais seulement à me sentir un peu chez moi lorsque le Ministère a annoncé que le procès de Voldemort serait public et que j'y étais convié.
Je ne voulais pas y aller.
Je n'ai aucune envie de revoir le meurtrier de mes parents.
Pourtant, Hermione et même Ron m'ont dit que me rendre là-bas serait un moyen de tourner la page, de mettre un point final à ce chapitre de notre vie.
J'y suis allé. Voldemort n'était pas présent. Le Ministère a révélé avoir passé les deux dernières années à essayer, avec l'aide des Aurors et des Langues-de-Plomb, de tuer le Seigneur des Ténèbres. Fatigués de leurs échecs pour mettre fin à sa vie, ils ont décidé de le torturer jusqu'à ce qu'il avoue ce qu'il a fait pour se rendre immortel.
Tom Elvis Jedusor n'a rien avoué. Même sous la torture d'hommes qui le haïssent et se délectent de ses souffrances pour venger leurs pairs tombés au combat... La façon dont le Ministère a traité Voldemort est inhumaine à bien des égards.
Inhumaine et inutile.
Voldemort n'a consenti à dire qu'une seule chose. En échange de la garde et de la protection de Harry Potter, il acceptera de révéler pourquoi il ne peut pas être tué.
Qu'ai-je fait pour mériter cela ?
Le Ministère se doute qu'il s'agit d'un plan du Seigneur des Ténèbres pour se venger ou recouvrer sa liberté, mais Voldemort a prêté serment. S'il est sorti de sa cellule par le Ministère de la magie pour être placé sous ma garde, il révélera pourquoi il ne peut être tué et n'essaiera ni de s'échapper ni de fomenter sa vengeance contre les sorciers qui l'ont blessé.
Si le mage noir ne tient pas son serment, il est condamné à mourir et à ressusciter en boucle, sans un instant de répit. Même un homme fou ne souhaiterait pas une telle chose... Par conséquent, la sentence du Seigneur des Ténèbres a été modifiée.
Il est privé de ses pouvoirs et condamné à rester sous ma garde jusqu'à la mort de l'un d'entre nous.
Ou en tout cas, c'est ce que souhaite le Ministère. Pour rassurer la population sorcière, celui-ci n'a pas publiquement dévoilé la finalité du procès. Il a préféré expliquer que je suis le seul capable de surveiller le mage noir et que ce rôle, si je l'accepte, serait le plus grand service que je puisse rendre à la communauté magique.
On m'a déjà décerné l'Ordre de Merlin première classe et de nombreuses autres récompenses pour l'arrestation de Voldemort et de ses Mangemorts. Je considère avoir suffisamment donné pour le monde sorcier. Si le Ministère tient tant à ce que Jedusor meure, qu'il se débrouille sans moi.
Ron et Hermione étaient aussi de cet avis.
Je voulais refuser. C'est la décision que j'avais prise. Seulement, Amelia Bones est venue me voir le lendemain du procès et elle m'a révélé l'accord passé entre le Ministère et le Seigneur des Ténèbres, tout en me décrivant la façon dont mon ennemi est actuellement traité.
Si l'enfer existe, alors Tom Jedusor y a été jeté.
J'ai dit à Bones que j'avais besoin de réfléchir à la situation, que je ne pouvais pas prendre une telle décision sans l'étudier sérieusement. La directrice du Département de la justice magique m'a alors proposé un temps d'essai. Une semaine.
Voldemort sera amené chez moi, entravé et incapable d'utiliser ses pouvoirs, pour une période d'essai de sept jours. Si le mage noir tient parole et qu'aucun incident ne se produit pendant cette période, peut-être que j'accepterai.
Peut-être.
Le Ministère souhaite que j'enquête sur la façon dont Voldemort est devenu immortel, afin de pouvoir exécuter sa sentence. Cependant, accomplir cela en sept jours semble peu réalisable, car même les agents du Ministère n'y sont pas parvenus en deux ans. Si aucune solution n'est trouvée, il me faudra le surveiller jusqu'à la fin de mes jours.
Je vis un cauchemar éveillé.
Amelia Bones m'avait laissé exprimer ma colère, jusqu'à ce que mes sentiments se transforment en résignation, en peine et en supplications muettes. Quand j'ai finalement capitulé, elle est partie, en indiquant qu'elle m'attendrait ce soir à minuit devant les protections de ma maison.
Pendant son absence, j'ai passé un certain temps à renforcer les barrières du 12 Square Grimmaurd, même si je savais que je me fatiguais pour rien. Voldemort ne serait pas capable de lever le petit doigt contre moi ou de me fausser compagnie à cause de ses restrictions.
En plus de cela, selon Amelia, Jedusor est dans un état déplorable : ses tortionnaires se sont acharnés sur lui, le faisant souffrir, le privant de nourriture et l'humiliant de toutes les manières possibles. Je n'aurais souhaité cela à personne, pas même à mon pire ennemi.
Je ne comprends pas pourquoi le Seigneur des Ténèbres insiste autant pour que je devienne son geôlier. Après tout, nous nous haïssons mutuellement et rien ne garantit que je ne souhaite pas lui faire payer les horreurs qu'il m'a infligées.
Cependant, en ouvrant ma porte et en découvrant Amelia Bones sur le seuil, accompagnée d'une douzaine d'Aurors, trois d'entre eux maintenant enchaîné une forme décharnée et ensanglantée, une bouffée de compassion me submerge.
Cette forme relève brusquement la tête vers moi et je reste muet de surprise, tournant la tête instinctivement pour ne pas croiser son regard.
La directrice du Département de la justice magique me salue d'un signe de tête, son expression est sombre et je vois dans ses yeux que cette situation la déstabilise autant que moi.
— Monsieur Potter, dit-elle. Je suis heureuse qu'on ait pu trouver un terrain d'entente.
Je me sens obligé de répliquer :
— Je n'ai encore pris aucune décision.
En prononçant ces mots, je sens le regard du prisonnier, que j'évitais jusqu'alors, me brûler la peau. Mon courage me pousse à me tourner vers lui, et pendant un instant, le monde semble s'arrêter.
Tom Jedusor. C'est le visage de Tom Jedusor, un homme d'à peine une trentaine d'années, le teint pâle et les traits émaciés, son corps si amaigri et affaibli qu'il flotte dans son uniforme de prisonnier, taché de sang plus ou moins séché.
Malgré son état, les yeux de Jedusor sont clairs, vifs, acérés, parfaitement alertes et fixés sur moi. Je ne détourne pas le regard, et le silence s'installe lourdement devant le 12 Square Grimmaurd.
La juge se racle la gorge, jugeant que c'est le bon moment pour intervenir :
— Peut-être serions-nous mieux à l'intérieur pour discuter ?
Je fronce les sourcils et détourne le regard du mage noir. La vue de mon ancien ennemi dans un tel état m'emplit de colère, sans que je puisse l'expliquer. Aucun être humain ne devrait subir de telles atrocités, et Voldemort ne fait pas exception, peu importe ce qu'il a fait. Il reste un être capable de ressentir, de souffrir.
En quoi est-ce différent d'être du bon côté ou du mauvais, si tous se battent en torturant ceux avec qui ils sont en désaccord ? Est-ce là la justice du monde sorcier ?
— Vous et Voldemort à l'intérieur. Les autres n'entrent pas, déclarai-je d'un ton ferme, refusant que les Aurors responsables de ces actes odieux pénètrent chez moi.
Amelia Bones n'argumente pas, et les Aurors, qui semblent trembler à la simple mention du nom de Voldemort, n'osent même pas me regarder.
Les trois individus qui maintiennent le prisonnier le font entrer dans la maison sans franchir le seuil, puis ils s'éloignent sans un mot.
Je me retrouve dans l'entrée avec Amelia Bones et Lord Voldemort. Ce dernier semble à peine capable de se tenir debout. Lorsque la porte se referme derrière lui, il se redresse autant que ses entraves le lui permettent et observe attentivement les lieux.
Il semble mémoriser l'emplacement de chaque objet qui l'entoure. Une fois son inspection terminée, ses yeux se posent de nouveau sur moi, et je ne peux m'empêcher de me sentir fébrile sous son regard intense.
Je fais signe à Amelia de me suivre jusqu'au salon, où Voldemort s'effondre dans le fauteuil. Je reste debout et me prépare mentalement à entendre une série de mises en garde qui me semblent inévitables.
Je ne me trompe pas, pendant que je surveille mon nouveau colocataire forcé du coin de l'œil, la directrice du Département de la justice magique me donne des recommandations, m'assure son soutien et m'explique comment les restrictions imposées à Jedusor fonctionnent. Je sais déjà tout ça alors je l'écoute seulement pour apaiser ses craintes à me laisser seul avec l'homme qui a détruit mon existence.
Mon regard s'attarde sur les chaînes autour des poignets et des chevilles de Voldemort et je grimace ; elles ne servent à rien. Ses restrictions sont apposées par des sortilèges et des malédictions ; ces chaînes lui ont été mises uniquement pour le rendre plus misérable face à moi.
Peut-être que les Langues-de-Plomb aiment torturer à outrance un homme incapable de mourir mais ce n'est pas mon cas. Si Voldemort est incapable de s'attaquer physiquement à moi et que sa magie est bloquée alors pourquoi l'ont-ils enchaîné comme une bête ?
La directrice du Département de la justice magique finit par m'abandonner en précisant que je peux l'appeler par cheminette à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, si j'en ai besoin. Je ne dis rien qui puisse l'apaiser, je me sens las et en colère et ces deux émotions se débattent pour dominer dans ma poitrine.
Lorsque le silence s'installe à nouveau et que je me retrouve seul avec Lord Voldemort affalé sur mon fauteuil, dans une position probablement très inconfortable, la lassitude gagne la bataille. Ma colère s'est éteinte quelque part entre la porte qui s'est refermée après le départ précipité de Amelia Bones et le fauteuil près de la fenêtre où le Seigneur des Ténèbres semble lutter pour rester conscient.
Mon ennemi mortel semble si faible qu'il pourrait perdre connaissance à tout moment, et je n'ai pas l'énergie nécessaire pour haïr quelqu'un qui ne sera pas en mesure de répondre à cette haine. Je soupire et me frotte le visage, attirant une fois de plus les iris rougeâtres de Voldemort vers moi. Le silence est oppressant, alors je me force à prendre la parole :
— Je ne comprends pas pourquoi vous avez insisté pour que ce soit moi qui prenne la responsabilité de vous surveiller, mais puisque je n'ai pas le choix, autant que cela se passe bien. Je vous propose un marché : je vous retire ces chaînes inutiles, je vous donne de quoi vous soigner, vous habiller, manger et dormir, et en échange, vous tenez votre promesse de me révéler comment et pourquoi vous ne pouvez plus mourir.
Voldemort redresse légèrement le dos dans mon fauteuil, ses mouvements m'évoquent ceux d'un félin. Pas un chat domestique, mais plutôt une panthère blessée qui demeure imposante et majestueuse en toutes circonstances. Ses yeux ne se détachent jamais des miens, comme s'ils étaient aimantés. Après un moment, il ouvre la bouche, et bien qu'il ne sourie pas, je discerne une lueur d'amusement cynique en lui.
— Comme c'est ironique. D'innombrables hommes et femmes, que je ne me souviens même pas avoir blessés, ont profité de ma vulnérabilité pour assouvir leurs fantasmes cruels. Et vous, le seul à pouvoir réclamer justice, vous allez me traiter comme un être humain ?
Je retiens une réplique cinglante et me contente d'une grimace. Je n'ai pas envie de me laisser entraîner dans son jeu. Il ne semble plus être le Voldemort que j'ai connu pendant la guerre. Il ressemble davantage à la version de Tom Jedusor que j'ai pu découvrir à travers son journal intime. Et si ma deuxième année à Poudlard m'a appris quelque chose, c'est qu'il ne faut pas se laisser prendre dans les machinations et les intrigues de Jedusor.
Il était autrefois un homme intelligent et charismatique avant de devenir un monstre. C'est pourquoi j'ignore sa remarque et lève une main sans m'approcher de lui. Murmurant un sortilège, je défais ses liens. Les chaînes qui le retiennent s'écrasent sur mon parquet dans un tintement sinistre, et je peux voir la surprise, l'appréciation et le soulagement se mêler sur son visage.
Voldemort frotte ses poignets un instant, et je remarque du sang frais s'étaler sur ses mains déjà bien abîmées. Il est tard, et je n'ai pas envie de jouer les médicomages, mais je n'ai guère d'autre choix. Le soigner moi-même serait au-delà de mes capacités, alors je conjure tout ce dont il pourrait avoir besoin et le fais flotter dans sa direction.
Il l'attrape, m'observe attentivement, puis prononce ces mots :
— Vous maîtrisez la magie sans baguette et les sortilèges informulés.
Cette remarque me fait froncer les sourcils, et je réplique du tac au tac :
— Vous aussi, cela ne devrait pas vous étonner.
Il ne rit pas, mais son sourire, presque imperceptible, me donne cette impression.
— Je suis le Seigneur des Ténèbres.
Je comprends alors le sens de sa remarque. Il est le Seigneur des Ténèbres, et il est normal qu'un homme portant ce titre soit capable d'accomplir des prouesses magiques. Les sorciers ordinaires doivent s'entraîner pendant des décennies pour maîtriser la magie sans baguette, et encore plus rares sont ceux capables de combiner cette technique avec des sortilèges informulés. Ce qui est mon cas.
Je hausse les épaules pour lui répondre et finis par souffler :
— J'imagine que cela fait de moi un sorcier capable d'arrêter le Seigneur des Ténèbres.
Une lueur dangereuse brille un instant dans ses yeux, et je regrette immédiatement ma provocation. Je n'arrive pas à déterminer s'il est en colère ou non. Il me fixe avec insistance à intervalles réguliers tout en déballant les fournitures médicales que je lui ai confiées. C'est à ce moment-là que je décide de me retirer.
Il semble assez alerte pour se débrouiller seul.
Sa présence est oppressante, je suis épuisé et j'ai besoin d'un moment seul pour réfléchir. Je le laisse dans le salon sans lui indiquer de chambre où dormir. Dans son état, il est peu probable qu'il parvienne à monter l'escalier menant aux chambres.
Par souci du devoir, je lui précise :
— Vous pouvez dormir sur le canapé, il y a des couvertures dans le placard juste derrière vous. Vous pouvez également vous servir dans la cuisine si vous avez faim. Je n'ai pas d'elfes de maison, donc vous devrez vous débrouiller pour la nourriture. Les toilettes et la salle d'eau se trouvent à l'étage. Demain, vous pourrez choisir une chambre. Ne fouillez pas dans mes affaires.
Puis je m'enfuis vers ma propre chambre et ferme la porte à l'aide de quelques sortilèges et d'une clé avant de me coucher. Plongé dans l'obscurité, mes pensées deviennent floues, et pendant un instant, je souhaite ardemment qu'à mon réveil Lord Voldemort ait disparu. Je ne veux pas qu'il parte semer la terreur ailleurs, je souhaite simplement vivre en paix.
Je suis si fatigué.
Pitié, permettez-moi de vivre en paix. Ne l'ai-je pas mérité ?
Six-cent-quatre-mille-huit-cents secondes. Une semaine avec le Seigneur des Ténèbres... qui commence aujourd'hui. Ce sont les premières pensées cohérentes qui émergent dans mon esprit au petit matin. Alors que les rayons du soleil d'été percent à travers les épais rideaux de ma chambre, je prends la décision de me lever.
La nuit a été agitée. Un cauchemar persiste et refuse de s'effacer de ma mémoire. Dans ce rêve, les rôles sont inversés. Je suis enchaîné et pris au piège des Mangemorts, tandis qu'ils triomphent de la guerre. Incapable de mourir pour une raison obscure, je subis leurs tortures. Lord Voldemort, las de ne pouvoir mettre fin à mes jours, me relègue dans un endroit sombre où je ne peux distinguer le jour de la nuit, ni bouger, ni apaiser ma faim et ma soif.
Une vision d'horreur.
Encore troublé par ce cauchemar, je me secoue pour éclaircir mes pensées. Il serait peut-être judicieux de vérifier l'état de mon prisonnier et ce qu'il trame, afin de m'assurer qu'il ne prépare pas une évasion ou ma mort. Mais au lieu de me précipiter en bas, je prends le temps de prendre une douche et de me changer. Un luxe dont j'ai rarement pu profiter ces dernières années.
J'ai fait le serment de mener une vie plus paisible et équilibrée après la guerre, et je m'efforce désespérément de le faire. Hermione envisage de poursuivre ses études et d'obtenir un poste au Ministère, tandis que Ron se forme depuis un certain temps déjà auprès des Aurors. Ils forment un beau couple. De mon côté, j'ai été trop absorbé par la traque des Mangemorts et ma propre fuite pour me préoccuper de mon avenir. Et maintenant que j'ai enfin l'opportunité d'y réfléchir, me voilà coincé avec le Seigneur des Ténèbres.
— Ce n'est qu'une semaine, après quoi je le renverrai d'où il vient, me répétais-je pour me rassurer.
Je compte profiter de ces sept jours pour réfléchir à mon futur. J'ai assez d'argent pour subvenir à mes besoins sans travailler pendant au moins un siècle, mais l'idée de ne rien faire après tant d'années passées à courir me rend fou.
Je ne m'imagine pas reprendre des études, encore moins embrasser une carrière liée au Ministère. Je souhaite un travail tranquille, me sentir utile sans devoir accomplir des actes héroïques. J'aspire à une vie ordinaire, fonder une famille, élever des enfants, adopter un chien, peut-être même un chat. Partir en vacances de temps en temps. Je désire ardemment cette vie de famille à laquelle j'ai toujours aspiré, mais qui m'a toujours échappé.
Une vie que je ne pourrai jamais atteindre si je dois passer les prochaines décennies à surveiller Tom Jedusor et à chercher un moyen de l'éliminer.
C'est pourquoi je m'assurerai qu'il me révèle ce qu'il a fait à son âme, et une fois que je le saurai, il retournera au Ministère pour recevoir le Baiser du Détraqueur. Son âme mérite de trouver le repos après tout ce qu'elle a enduré.
Réconforté par cette perspective, je descends les marches qui mènent au salon. Une vague de panique m'envahit lorsque je ne vois Voldemort nulle part, mais j'entends le bruit de la bouilloire sur le feu et je me hâte de traverser le salon pour rejoindre la cuisine.
Je reste figé dans l'encadrement de la porte, observant Voldemort, ou plutôt devrais-je dire Tom Jedusor, car il ne partage plus rien avec l'homme à tête de serpent que j'ai combattu. Il se tient presque nu dans ma cuisine, une tasse de thé à la main. Il a abandonné son uniforme de prisonnier et a soigné ses blessures à la manière d'un moldu. Ses cheveux mi-longs sont humides, il est propre et semble bien moins mal en point que la veille.
Pourtant, lorsque mon regard se pose sur son corps maigre et ses multiples cicatrices, je réalise que les apparences sont trompeuses. Mon observation hébétée est interrompue par sa voix doucereuse, rauque et éraillée que je reconnais immédiatement.
— Vous vous rincez l'œil ?
Cette remarque me plonge dans une confusion brutale et, pendant un moment, je suis incapable de dire ou de faire quoi que ce soit. Je reste là, ouvrant et fermant la bouche comme un poisson hors de l'eau, ce qui semble infiniment amuser l'homme en face de moi.
Finalement, lorsque je reprends suffisamment mes esprits, je siffle entre mes dents :
— C'est vous qui vous baladez à moitié nu dans ma cuisine.
Il me dévisage puis se retourne. La bouilloire se met à siffler, il l'attrape et verse son contenu dans une tasse à thé, qu'il boit immédiatement. Est-il insensible à la chaleur ? L'eau brûlante ne le fait même pas grimacer. Il répète le processus et avale une autre tasse pendant que je m'interroge sur sa santé mentale.
Peut-être qu'il n'arrive pas à étancher sa soif après tant de temps passé en prison. Je m'efforce de ne pas y penser. Ses yeux se posent à nouveau sur moi et je me détourne brusquement de lui.
— Je vais vous chercher des vêtements.
Je me dirige d'abord vers le salon et jette à la poubelle ses affaires ensanglantées ainsi que les chaînes abandonnées au pied du fauteuil. Puis je me rends dans ma chambre et attrape la première robe de sorcier qui me passe sous la main. Elle est blanche et trop petite. Cette constatation ne me vient à l'esprit que lorsque Voldemort l'enfile et qu'elle lui arrive à peine aux genoux. Je me sens tout à coup ridiculement petit à côté de lui.
Pour me consoler, je me répète que ce n'est pas moi qui suis trop petit, mais cet homme qui est inutilement grand. Parfois, je repense à mon enfance et je me dis que grandir dans le placard à balais n'a pas favorisé ma croissance. Après tout, selon les dires de ses amis, mon père était un homme plutôt grand avec une carrure assez robuste. Alors pourquoi suis-je plus petit que la moyenne ? Malgré toutes ces années de combat, pourquoi mon corps ne s'est-il pas plus musclé ?
C'est frustrant, surtout face à un homme qui a été affamé pendant deux ans. J'ai l'impression de ne pas être beaucoup plus épais que lui. Voldemort est certainement capable de lire dans mes pensées, même sans ses pouvoirs, car il déclare une fois que les vêtements couvrent sa forme amaigrie :
— Vos vêtements sont à la taille de ceux que je portais lorsque j'étais adolescent.
Je ne peux m'empêcher d'être vexé par cette remarque. Je plisse les yeux et grogne :
— Si cela ne vous convient pas, vous pouvez toujours remettre les haillons avec lesquels le Ministère vous a ramené ici.
Il me dévisage un instant et murmure comme s'il enregistrait cette information dans son esprit trop complexe :
— Votre taille est un sujet qu'il faut éviter.
Je ne réponds rien et décide de faire du café. La cuisine, pourtant spacieuse, me semble trop petite pour nous deux et j'ai envie de fuir. Toutefois, je sais que si je commence à l'éviter, je ne parviendrai à rien et cette semaine se transformera en cauchemar pour moi. Alors, je me fais violence et j'utilise quelques sortilèges pour faciliter ma tâche.
Il me regarde faire avec une fascination évidente qui me dérange. J'essaie de l'ignorer et je lui propose :
— Je vais préparer un petit-déjeuner. Je peux vous préparer quelque chose en même temps si vous avez faim, ou vous pouvez aller à l'étage trouver une chambre si vous le souhaitez.
Son visage est encore marqué par l'épuisement et je me fais la réflexion qu'il sera plus apte à m'expliquer comment il en est arrivé à ne plus pouvoir mourir s'il ne s'écroule pas de fatigue entre-temps.
— J'accepte votre proposition de petit-déjeuner. Cependant, je ne pourrai pas monter à l'étage. Ou du moins, je ne pourrai pas le faire avant quelques jours.
Je fronce les sourcils et m'apprête à lui demander pourquoi, tandis que les œufs se cassent au-dessus de la poêle et que les assiettes sortent du placard pour se poser sur la table de la salle à manger attenante.
Mais en lui jetant un coup d'œil, je remarque qu'il désigne sa jambe droite. Celle-ci est quasiment violette tant les bleus sont nombreux. Je ne l'avais pas remarqué jusqu'à présent, mais sa posture est raide et il se tient uniquement sur sa jambe gauche. Rien dans les fournitures médicales que je lui ai données hier soir ne peut soigner des os fracturés. Je suis capable de reconnaître une fracture lorsque j'en vois une, en ayant moi-même subi un certain nombre. Sa cheville, son tibia et peut-être même d'autres os doivent être en pièces.
Voilà pourquoi il avait tant de difficulté à se tenir debout hier. J'essaie de ne pas imaginer qui aurait pu utiliser une malédiction brisant les os sur lui. Peut-être qu'il y a quelques années, pendant la guerre, j'aurais moi-même envisagé de le faire. Après mon expérience désastreuse avec le sortilège Sectumsempra sur Drago Malefoy, je n'ai jamais utilisé de malédiction dans le but de causer de la souffrance et je ne prévois pas de changer cela. Cependant, il y avait un moment, en particulier après la mort de Sirius, où j'aurais été prêt à tout pour voir Lord Voldemort et ses partisans souffrir.
Je termine de préparer la table et m'installe, suivi par Jedusor qui demeure silencieux. Je décide de briser ce silence qui persiste entre nous.
— Je n'ai pas de potions pour guérir des os cassés et mes compétences en médicomagie sont médiocres. J'irai voir ce que je peux trouver à la pharmacie moldue, elle est juste au bout de la rue.
Le 12 Square Grimmaurd est situé dans le quartier moldu de Londres, ce qui est pratique pour moi, car cela limite le nombre de sorciers que je peux croiser dans les rues. Depuis la fin de la guerre, ma célébrité est devenue insupportable, et je me sens bien plus à l'aise dans un monde où les gens que je croise ne me dévisagent pas, ne me demandent pas d'autographe et ne chuchotent pas sur les derniers ragots à mon sujet.
Le Seigneur des Ténèbres détourne son regard de l'assiette devant lui qu'il n'a pas touchée et me dévisage. Il attrape son couteau et sa fourchette d'un air pensif, puis ouvre la bouche pour parler :
— Je ne vous comprends pas. Votre némésis est amené chez vous, prisonnier et affaibli, et au lieu de profiter de cette occasion, vous faites tout ce que vous pouvez pour me soigner, me nourrir et me permettre de me reposer. Souffrez-vous d'une forme particulièrement grave du syndrome du sauveur ?
Je grimace profondément en réaction à cette pique sarcastique et je grince des dents.
— Préférez-vous que je vous enferme dans ma cave jusqu'à ce que j'oublie votre existence ?
Il lève un sourcil face à cette proposition et esquisse un sourire, de ce sourire imperceptible qui m'exaspère.
— Je m'attendais à quelque chose dans ce genre, je dois bien l'admettre. C'est certainement ce que j'aurais fait à votre place.
Je soupire et entame mon repas. Une fois que j'ai terminé et que ma tasse de café repose enfin entre mes mains, je me décide à lui répondre :
— Heureusement, vous et moi sommes très différents.
Cette remarque semble l'amuser. Pour briser sa bonne humeur, je lui demande - alors qu'il mange ce que je lui ai préparé avec une satisfaction évidente.
— Si vous étiez si certain que je ne vous traiterais pas mieux que le Ministère, pourquoi avez-vous insisté pour être placé sous ma garde ?
Ma question l'interpelle et il cesse de manger. Il essuie sa bouche avec une élégance qui me fait me demander dans quelle vie il a appris les bonnes manières, puis me répond de manière trop directe :
— Je voulais apprendre à vous connaître.
Mon expression doit parfaitement refléter mon incrédulité face à sa réponse, alors qu'il ajoute d'une voix de plus en plus sifflante, au point que je me demande s'il me parle en anglais ou en fourchelang. Les deux langages se confondent pour moi.
— Vous pensez certainement que je vous hais parce que vous m'avez arrêté, détruit mes ambitions et jeté en prison, mais ce n'est pas le cas. En réalité, je ressens à votre égard de la reconnaissance et une grande curiosité. J'ai peu de souvenirs de l'homme que j'étais lorsque mon âme était encore fragmentée. Par conséquent, vous êtes un inconnu à mes yeux, et étant donné notre histoire, cela me déplaît de ne pas vous connaître davantage.
— Vous vous moquez de moi ?
Je me lève et je sens ma propre colère irradier dans l'air, alors que l'homme en face de moi reste parfaitement stoïque. Il contemple un instant la manifestation physique de ma magie avec admiration, puis tout aussi calmement, il ajoute sans bouger de sa position.
— Pourquoi ferais-je une telle chose ? Vous ne semblez pas être le genre d'homme dont on peut se moquer.
Sa propre répartie semble lui plaire, car il se renfonce dans sa chaise et attend que je me calme avant de reprendre la parole.
— Vous avez raison sur un point, reprit-il, votre caractère et le mien sont opposés. Je ne crois pas avoir été un jour confronté à quelqu'un d'aussi franc, émotif et altruiste au cours de mon existence. C'est troublant, et cela m'empêche de prévoir vos réactions à l'avance.
J'ai la vague impression qu'il est en train de m'insulter, et je n'ai pas envie de l'entendre davantage. Je ne sais pas ce qu'il prépare, j'ignore quels sont ses objectifs et pourquoi il agit comme il le fait, et cela me rend fébrile.
Ma patience ayant atteint ses limites, je débarrasse mon assiette d'un sortilège informulé et sans baguette, puis je me lève de table. Je suis à peine arrivé devant la cuisine que j'entends sa voix s'élever.
— J'en conclus que vous n'êtes pas intéressé par la raison qui m'a poussé à vouloir vous rencontrer.
Je me fige et ne me retourne pas, mais je lui siffle :
— Vous venez de dire que vous vouliez apprendre à me connaître, mais je crois que c'est un mensonge. Puisque vous n'êtes pas disposé à me dire la vérité, je me permets d'écourter cette conversation.
Je ne peux pas le voir, mais j'entends le grincement de sa chaise alors qu'il pivote pour me fixer avec intensité, comme si ses yeux pouvaient brûler un trou dans mon dos.
— Je ne vous mens pas, mais je comprends que vous puissiez le penser. Après tout, vous ignorez tout de notre situation actuelle.
Sentant que je suis contraint de me retourner, je fais face à son regard. Son visage est émacié, ses cheveux plus longs que dans mon souvenir, mais son apparence rappelle tellement le Tom Jedusor des souvenirs d'Albus Dumbledore que je ne peux pas le considérer de la même manière que si son visage était celui de Lord Voldemort.
— À quoi faites-vous référence ?
Il prend une profonde inspiration avant de répondre, le ton de sa voix chargé de gravité :
— À notre immortalité, ou devrais-je dire, à votre immortalité.
Croyant avoir mal entendu, je le fais répéter :
— Pardon ?
Il fixe intensément mes yeux et sa posture se détend légèrement. Puis il me demande :
— Ne préférez-vous pas vous asseoir pour écouter ce que j'ai à vous dire ? J'ai envisagé d'attendre le bon moment pour vous révéler cela, mais je réalise que peu importe le moment ou la manière dont je vous le dirai, votre réaction sera démesurée. Vous vous laissez submerger par vos émotions, c'est dans votre nature. Je ne peux rien faire pour vous aider à ce sujet.
Je suis complètement perdu quant à ce qu'il essaie de me dire, et je ne le cache pas. Je réplique sur la défensive :
— Je ne sais pas où vous voulez en venir.
Il attend patiemment, et cette attente me rend fou. Je retourne vers lui et m'assois à nouveau sur la chaise que j'avais quittée. Il semble satisfait.
— Pouvez-vous à nouveau parler anglais, ou devons-nous poursuivre cette conversation en fourchelang ?
Je fronce les sourcils.
— Je parle anglais.
Il lève un sourcil incrédule et réfute mes propos.
— Vous ne le faites pas. Vous avez cessé de le faire après avoir déclaré que nous étions différents et, influencé par vous, j'ai commencé à vous répondre dans cette langue moi aussi.
Cette révélation me perturbe, et j'essaie de me souvenir du moment où j'ai arrêté de communiquer en anglais. Depuis quand est-ce que je parle en fourchelang sans m'en rendre compte, et qui plus est, avec un être humain ? Je panique un peu en réalisant que je ne sais pas du tout comment revenir à l'anglais, car je ne peux pas le distinguer du fourchelang.
Voldemort observe mon embarras un instant avant de parler d'une voix forte qui m'oblige à le considérer à nouveau.
— Plus vous maîtriserez vos émotions, moins vous manquerez de discernement. Respirez calmement et essayez de dire quelque chose sans y insuffler autant de vous-même. Le fourchelang est un pouvoir comme un autre, vous n'avez pas été suffisamment en contact avec lui pour le maîtriser, mais vous en avez la capacité.
Je lui lance un regard noir. Ses explications sont incompréhensibles. J'essaie néanmoins de prendre une grande inspiration avant de déclarer avec incertitude :
— Est-ce mieux maintenant ?
Il sourit franchement cette fois-ci et semble se retenir de rire.
— Pas du tout. Mais si cela peut vous consoler, votre accent est irréprochable. Je n'ai pas entendu un fourchelang aussi élaboré depuis bien longtemps.
Vexé, j'essaie désespérément de suivre les conseils qu'il me donne pour réussir à parler à nouveau anglais, mais rien n'y fait. Au bout de quelques minutes, j'abandonne et il me souffle :
— Cela m'a pris quelques jours pour pouvoir alterner entre les deux sans difficulté lorsque j'étais enfant. À cette époque, j'étais intéressé par cette capacité et je désirais la maîtriser. J'imagine que personne ne vous a encouragé à le faire et qu'au contraire, on vous a demandé de cacher ce don depuis que vous l'avez découvert.
J'acquiesce sans prononcer le moindre mot. Jedusor finit par me dire :
— Je pense pouvoir remédier à cela. Pendant nos conversations, je vais alterner entre le fourchelang et l'anglais. À vous de déterminer dans quelle langue je vous parle et d'y répondre dans celle qui correspond. Si vous y parvenez, vous maîtriserez le fourchelang en un rien de temps et serez capable de lancer des sorts dans cette langue.
Je siffle avec mauvaise humeur :
— Je ne suis pas sûr de vouloir posséder ce pouvoir.
Ce à quoi Voldemort répond :
— Préférez-vous parler en fourchelang sans prévenir dès que vous perdez vos moyens ? J'imagine que ce serait du plus bel effet lorsque vous vous promènerez sur le Chemin de Traverse.
Je grimace en imaginant les titres des journaux si je me mettais soudainement à répondre en fourchelang à un autre sorcier en public. Des événements similaires s'étaient déjà produits à Poudlard, et une fois avait été suffisante.
— C'est d'accord, je vais apprendre le fourchelang, finis-je par accepter.
Jedusor semble satisfait d'avoir obtenu mon accord. Il attend encore un instant avant de reprendre là où nous nous étions arrêtés.
— Vous semblez un peu plus calme maintenant. Comme j'ai tenté de vous l'expliquer précédemment, je souhaitais vous rencontrer et avoir une conversation avec vous au sujet de notre immortalité commune.
L'absurdité de ses paroles me laisse bouche bée et je tente de le contredire, mais il ne me laisse pas faire et me coupe immédiatement la parole.
— Écoutez-moi avant de vous énerver. Vous aurez tout le temps d'être furieux après avoir compris la situation.
Je reste interdit, et il commence à expliquer. Il me dit que, contrairement aux vampires qui peuvent vivre éternellement sans être immortels, notre condition est très différente. Il affirme que nous sommes les premiers êtres véritablement immortels. Puis, il précise qu'en réalité, je suis le seul de nous deux à avoir obtenu l'immortalité, et que lui-même est devenu immortel par accident, comme un dommage collatéral.
Je refuse de le croire et commence même à m'énerver, ce qui le pousse à recommencer son récit depuis le début.
Lorsque son âme était déchirée, il a créé accidentellement un Horcruxe humain, en l'occurrence, moi.
Les Horcruxes humains sont considérés comme la pire abomination possible, car tout comme les objets, ils ne peuvent être détruits que par le venin du Basilic ou le sortilège de l'Avada Kedavra. Cela confère à l'être humain en question une immunité à la mort déjà très impressionnante, mais ce n'est pas tout.
Il m'explique qu'au cours de ma deuxième année à Poudlard, j'aurais dû succomber au venin du Basilic, mais Fumseck, le phénix de Dumbledore, m'a sauvé et, grâce à ses larmes, a immunisé mon sang au venin. Cela a supprimé une faiblesse de l'Horcruxe que je suis. Plus tard, j'ai acquis les Reliques de la Mort et suis devenu leur Maître, ce qui m'a rendu insensible à l'Avada Kedavra et m'a privé de la capacité de vieillir. Plus rien ne pouvait me tuer.
Je suis devenu immortel. Non seulement suis-je le Maître de la Mort, mais je le suis également en tant qu'Horcruxe, et c'est cette succession particulière d'événements qui a engendré cette situation improbable.
Je suis le Horcruxe de Voldemort. Et comme une partie de son âme vit à travers la mienne, j'ai fait de lui mon égal. Un second immortel.
À la fin des explications de Lord Voldemort, mon cœur s'emballe et bat comme si des centaines de masses le frappaient en rythme. Je suis pris de panique, je réfute ses paroles.
— Vous dites n'importe quoi ! Je ne suis plus votre Horcruxe, j'ai... je suis mort dans la forêt interdite et je suis revenu à la vie parce que c'est cette partie de votre âme qui est morte à ma place ! Je suis peut-être le Maître de la mort parce que j'ai gagné les trois Reliques en même temps, mais rien ne prouve que ces Reliques confèrent une immunité à la mort. Ce ne sont que des contes pour enfants !
Pendant que je m'emporte, je perçois une certaine compassion dans les yeux de l'homme qui fut autrefois mon ennemi. Ma détresse se reflète dans ses yeux rougeoyants, et je m'épuise à essayer de me convaincre qu'il a tort et qu'il me ment.
Lorsque je ne suis plus capable de m'agiter dans tous les sens et que des larmes d'impuissance montent à mes yeux, j'entends sa voix.
— La plupart des êtres humains sont terrifiés à l'idée de leur mort et donneraient n'importe quoi pour l'éviter. Mais je me doutais que cela serait différent pour vous. Votre immortalité vous sera bien plus difficile à accepter que je ne le pensais. Je comprends que découvrir que ni vous ni moi ne sommes capables de mourir est un choc pour vous. Bien que je le vive d'une manière différente. En devenant le Maître de la mort, vous avez en grande partie restauré mon âme, et mon souhait le plus cher s'est réalisé grâce à vous. Je vous en suis reconnaissant. Je n'aurais pu imaginer meilleur Horcruxe que vous.
Ces quelques paroles ont eu raison de ce qui me restait de self-contrôle. Les larmes coulent sur mon visage tandis que les fenêtres de la bâtisse volent en éclats.
Je me jette sur Voldemort, nous projetant sur le parquet de la salle à manger. Je veux le frapper pour les mensonges qu'il vient de proférer.
C'est forcément une manipulation de sa part, forcément un plan pour me rallier à sa cause et m'empêcher de le faire exécuter ou de le ramener au Ministère. C'est forcément un tissu de mensonges.
Je répète ces phrases en boucle alors que mon poing demeure figé au-dessus de son corps. Il reste prostré au sol, sans se défendre. Il ne peut pas lever la main sur moi, me rappelle une partie de ma conscience, et je ne parviens pas à le frapper. Je ne peux pas. Parce que tout ce qu'il a dit est certainement la vérité.
Depuis la bataille de Poudlard, il y a plus de deux ans maintenant, mon corps a cessé de vieillir. Il semble fonctionner normalement, mais il ne vieillit plus. Les jours passent et je conserve l'apparence d'un jeune adulte. Mes blessures guérissent anormalement vite, et l'Avada Kedavra ne me fait rien. Lucius Malefoy m'en a lancé autant que possible pendant sa traque, et les sorts impardonnables sont restés inefficaces.
Je pensais que c'était parce que Malefoy était épuisé et n'avait plus la puissance de lancer des sorts aussi dévastateurs, mais au fond de moi, je pressentais que quelque chose n'allait pas chez moi.
Je ne voulais pas y penser, alors je me suis battu, je me suis enfui, et finalement, voilà où j'en suis arrivé.
Je relâche faiblement Voldemort, incapable de frapper un homme qui ne peut riposter, et m'écroule non loin de lui pour pleurer. Mon cœur continue de battre de façon effrénée, et ma panique m'empêche de respirer convenablement. Mes hoquets m'étouffent, et la pensée que, de toute façon, je ne risque pas d'en mourir, me rend malade.
L'idée de vivre pour l'éternité, de voir mes amis vieillir et mourir sans moi, de ne jamais avoir la vie de famille dont je rêve, piétine mon âme plus fort que n'importe quel coup. Qui voudrait fonder une famille et voir son partenaire et ses enfants mourir avant lui ? Je n'aurai pas le droit au bonheur. Je survivrais une éternité sans jamais obtenir ce que je désire le plus au monde.
Ce désespoir m'aurait peut-être rendu fou si je n'avais pas senti la main maladroite de Voldemort sur mon épaule. Je veux le repousser, mais j'en suis incapable. Des morceaux de verre écorchent mes mains alors que je les serre convulsivement contre le parquet. Sa voix parvient à mes oreilles malgré ma torpeur.
— Je n'ai jamais eu à réconforter ou consoler quelqu'un, et je ne sais pas quoi vous dire dans cette situation. Cependant, je tiens à vous présenter mes excuses. Je comprends que vous ressentez de la colère envers moi, et je suis conscient que l'idée de vivre comme mon Horcruxe pour l'éternité est difficile à accepter pour vous. Malgré cela, il était important pour moi de vous dire la vérité et de chercher à établir un contact avec vous. Nos destins sont liés, et même si j'ai réussi à étouffer ce lien entre nous pendant les deux dernières années où j'étais retenu au Ministère... Je suis à bout de forces, et je reconnais que je ne peux plus vous protéger de cela. Si je devais retourner là-bas, ils finiraient par me détruire psychologiquement, ce qui vous affecterait également d'une manière ou d'une autre.
Je veux qu'il se taise, pitié, faites que cet homme se taise et ne prononce plus jamais le moindre mot. Mais il achève son discours sans considération pour mes suppliques.
— Je ne vais pas vous mentir et vous dire que je ne suis plus l'homme que vous avez combattu. C'est faux à bien des égards. Je désire toujours changer les lois sorcières, et je pense que la seule manière de bouleverser le fonctionnement de cette société est d'en prendre le pouvoir par la force. Toutefois, j'ai retrouvé… une certaine stabilité mentale grâce à votre âme, et je souhaite la conserver. Je ne désire plus tuer ni torturer, et si vous préférez notre monde tel qu'il est aujourd'hui, je peux attendre. Je souhaite simplement vous avoir de mon côté.
La pièce est plongée dans un silence oppressant, seulement interrompu par mes hoquets de chagrin. Ma respiration saccadée se calme peu à peu, et mes larmes cessent de couler. Je me redresse, cherchant son regard dans la pénombre. Les éclats de verre éparpillés sur le sol reflètent à mes yeux la violence et la vulnérabilité de notre condition d'immortels.
Les tremblements de mes mains s'apaisent, et mes pensées se clarifient dans un tourbillon d'émotions contradictoires : tristesse, confusion, résolution. Dans un élan de désespoir, je lui révèle le fond de ma pensée, mes yeux plongés dans les siens.
— J'ai toujours aspiré... j'ai toujours rêvé... d'une vie ordinaire. Un travail, un foyer... une famille. Je…
Mes larmes reprennent de plus belle, mais je refuse de baisser la tête. D'un murmure entrecoupé, je continue :
— Je ne veux pas être condamné à vivre éternellement ainsi.
Les mots jaillissent de ma bouche, inarrêtables, et je suis étonné de voir dans les yeux de Voldemort un mélange étrange de pitié et de compréhension. Une partie de lui me comprend. Peut-être a-t-il fait ses adieux à une vie ordinaire il y a bien longtemps. Peut-être voit-il en moi une image de ce qu'il aurait pu devenir. Et je réalise que je ne sais finalement que très peu de choses sur lui.
Nous sommes des inconnus l'un pour l'autre.
Je dois me faire violence pour me relever et me déplacer, je titube, et mon ennemi, toujours assis sur le sol, se sent obligé de préciser :
— Vous êtes sous le choc, peut-être devriez-vous rester tranquille ?
Je le dévisage avec fureur, je suis malheureux et en colère, et c'est de sa faute. Tout est de sa faute.
— C'est à cause de vous. Tout... tout ce qui ne va pas dans ma vie est de votre faute !
Je le fusille du regard un instant avant de sentir à nouveau mon cœur se déchirer de tristesse dans ma poitrine. Je retiens mes larmes, j'ai déjà assez pleuré devant lui.
Il m'observe silencieusement. Il amorce un geste dans ma direction, retient son bras, s'arrête et renonce.
— Si me haïr vous aide à vivre avec ce que vous considérez comme une malédiction, je ne m'y opposerai pas. Je suis prêt à reconnaître et à assumer la responsabilité de mes actes envers vous.
Son expression s'adoucit considérablement, comme s'il tentait de rendre ses prochaines paroles moins douloureuses à mon égard.
— Je reconnais avoir interféré dans ce que votre vie aurait pu être. Cependant, ce serait mentir que de vous dire que vous auriez pu avoir une vie ordinaire si votre destin n'avait pas croisé le mien. Vous êtes aussi ordinaire que je le suis.
C'est-à-dire pas du tout.
Je ne veux plus le voir, je ne veux plus l'entendre. Je me détourne de lui, sors ma baguette de ma poche et utilise ma magie pour me changer avant de m'enfuir dans les rues du Londres moldu.
Dehors, je me mets à courir, et je ne m'arrête que lorsque mes poumons me brûlent et que mes jambes me font mal. C'est à ce moment-là que je réalise qu'un violent orage s'est déclaré, il pleut à torrents. Je suis trempé de la tête aux pieds. Le froid engourdit mon corps, et je décide de ralentir mon rythme pour marcher. Les rues de Londres me semblent encore plus grisâtres et tristes que d'habitude.
Presque instinctivement, je me retrouve à revenir vers mon quartier, et en passant devant la pharmacie, j'hésite. Les portes battantes sont ouvertes. Je suis frigorifié et misérable, toujours en colère, mais l'image de la jambe droite de Voldemort me revient en mémoire, presque malgré moi. Avant même que je puisse me mettre d'accord avec moi-même, je franchis les portes.
Je dois avoir l'air encore plus mal en point que je ne l'imaginais, car la pharmacienne, une femme assez âgée, se précipite presque vers moi. Elle me demande si je viens pour récupérer des médicaments sur ordonnance, et je lui explique que je n'en ai pas. Elle me regarde avec sympathie et me dit que si je ne vais pas chez le médecin, les médicaments ne seront pas remboursés, et qu'il faut que je consulte un docteur.
Ai-je vraiment l'air aussi mal en point ? Je lui rétorque que ce n'est pas pour moi que je suis là, mais elle semble avoir du mal à me croire.
Exaspéré, je lui demande s'ils vendent des attelles et des béquilles, et je remarque qu'elle observe soudainement mes jambes de manière plus attentive. Je soupire.
— Ce n'est pas pour moi. J'en ai besoin pour quelqu'un qui ne peut pas se déplacer.
Elle semble toujours dubitative, mais elle me sourit et me demande :
— Ce sont vos parents qui vous envoient, mon garçon ?
Je gronde :
— Je suis adulte, j'ai vingt ans.
Je viens tout juste de les avoir, mais cela ne sert à rien de le préciser. Je n'ai rien sur moi qui puisse prouver mon âge ou mon identité, je commence à envisager de créer de faux papiers lorsqu'un homme plus jeune sort d'une porte qui doit mener à la réserve.
Il s'arrête dans son travail et jette un œil curieux vers nous. Il comprend que quelque chose ne va pas et demande :
— Puis-je faire quelque chose pour vous aider ?
Je m'éloigne de la pharmacienne et demande précipitamment :
— Je suis venu acheter une attelle et des béquilles, s'il vous plaît.
L'homme me dévisage, puis jette un regard à sa collègue, une conversation silencieuse semblant avoir lieu entre eux.
Lassé de ce petit jeu, je me retourne et déclare :
— Ce n'est pas grave, je vais aller demander ailleurs.
L'homme, se raclant la gorge, se dépêche de me dire :
— Attendez. Dites-moi quel type d'attelle et de béquilles vous avez besoin, et ma collègue ira les chercher pour vous.
Je me retourne et remarque que l'homme n'est pas pharmacien, mais infirmier. Il porte un badge plastifié, avec son nom sur sa poitrine : Jake Walsh.
Je lui explique qu'il me faut quelque chose qui immobilise la jambe du genou à la cheville, au minimum, et il semble comprendre que la blessure dont je parle est sérieuse. Il me tend un modèle d'attelle et me demande quelle taille fait la personne qui va l'utiliser.
— Il doit mesurer environ un mètre quatre-vingt-dix, dis-je en me souvenant de la scène de la robe trop courte.
L'infirmier me tend une paire de béquilles axillaires et une attelle de la bonne taille. Je sors précipitamment l'argent moldu que je garde dans mon portefeuille, inquiet à l'idée qu'il puisse changer d'avis.
Il prend l'argent sans me demander d'ordonnance ou de carte d'identité, ce qui me convient. Mais au moment où je m'apprête à partir, il ajoute :
— Il arrive que les os ne se ressoudent pas correctement si une blessure n'est pas traitée comme il se doit. Je ne suis pas médecin, mais je devrais être en mesure de diagnostiquer une fracture et d'aider à sa guérison. Vous pouvez amener le destinataire de cette attelle ici si vous n'avez pas d'autres alternatives.
Amener Lord Voldemort dans une pharmacie moldue me paraît être une hérésie d'une dangerosité proche du ridicule.
Je quitte la pharmacie en exprimant mes remerciements à l'infirmier, sans répondre à sa proposition bienveillante, bien qu'irréaliste.
Je rentre chez moi en traînant les pieds, sans même prendre la peine de sécher mes vêtements avant de pénétrer dans l'entrée. Je me sens vidé de toute mon énergie, lourd de désespoir.
En traversant le salon qui jouxte l'entrée, je remarque des flaques d'eau un peu partout, qui ont trempé le canapé, mon fauteuil et les tapis. Je grimace en constatant que je n'ai pas réparé les fenêtres que j'ai brisées avant de partir.
C'est dans une scène de chaos similaire que je retrouve Voldemort devant les fenêtres dépourvues de vitre de la salle à manger. Il est assis sur le sol, observant la pluie tomber avec une expression d'une neutralité inquiétante. Il est presque aussi trempé que je le suis, et je me demande encore une fois s'il est capable de ressentir le chaud ou le froid.
Les morceaux de verre, les chaises renversées, sa tenue trop blanche, ses cheveux noirs, son visage grave et l'eau qui ruisselle sur son corps font de lui une apparition surnaturelle. Belle et effrayante à la fois.
Je reste immobile à le regarder, comme figé, pendant ce qui me semble être une éternité, avant que sa voix profonde mais ébranlée ne résonne, m'écrasant comme un raz-de-marée.
— Vous êtes revenu.
— J'étais parti prendre l'air.
— J'ai pensé que vous ne reviendriez jamais.
— Cela n'a même pas duré une heure.
— Le temps n'a pas de sens pour moi.
Je ne sais pas quoi lui répondre, alors je me tais. Je devrais réparer les fenêtres, nettoyer, faire en sorte que cette maison ne ressemble plus à un champ de bataille, mais au lieu de cela, je m'approche de lui suffisamment pour lui tendre mes achats de la pharmacie.
Lorsqu'il les aperçoit, il m'examine avec incrédulité de ses yeux d'une couleur improbable, un rouge proche du marron qui semble changer de nuance en fonction de ses humeurs.
Sa voix remplit l'espace entre nos âmes.
— Vous ne me haïssez pas ?
Je fronce les sourcils.
— Si je devais haïr toutes les personnes qui m'ont fait pleurer, le monde sorcier n'aurait jamais pu compter sur mon aide.
Il semble tellement certain de ma haine envers lui que je me sens obligé de préciser :
— N'inversez pas les rôles. C'est vous qui m'avez poursuivi, qui avez tué mes parents et essayé de me tuer. Je ne cherchais pas à vous détruire par haine ou pour satisfaire un désir de vengeance, mais parce que je n'avais pas le choix. Ce sont vos actes qui font que je vous hais. Cependant, vous n'êtes plus en capacité de les perpétrer, alors à quoi bon vous haïr ? Cela ne changerait rien.
La façon dont il me regarde s'intensifie encore, et j'ai l'impression qu'il scrute l'intérieur de mon être.
Après un moment, il déclare comme s'il s'agissait d'une sentence :
— Vous êtes d'une pureté invraisemblable.
En réponse, je parviens à lui siffler :
— Et vous, d'une noirceur effroyable.
Ce commentaire semble l'amuser. Il accepte les béquilles et l'attelle, et pendant qu'il lutte pour se dépêtrer avec, je répare et nettoie mon foyer. Je n'ai pas encore accepté l'idée d'être son Horcruxe, et encore moins celle d'être incapable de mourir, mais je sais qu'il m'a dit la vérité sur la raison pour laquelle le Ministère ne parvient pas à le tuer.
Il ne peut pas mourir, et je ne peux pas dire à Amelia Bones que c'est à cause de moi. Par conséquent, je ne pourrai pas le remettre au Ministère. Ni dans une semaine, ni jamais. S'il parle, si les Langues-de-Plomb ou les Aurors comprennent de quoi il retourne, lui et moi sommes condamnés. Je suis suffisamment lucide pour comprendre que le gouvernement actuel ne me laissera pas en liberté s'il me voit comme l'Horcruxe du Seigneur des Ténèbres, la chose qui le rend immortel.
Ils m'arrêteraient pour complicité, et Tom Jedusor et moi finirions à croupir au fond d'une cellule, sans voir la lumière du jour, pour les siècles à venir.
Cette pensée me fait frémir d'effroi.
À y réfléchir, je suis surpris qu'il n'ait pas choisi d'utiliser cette information contre moi. Pourquoi ne m'a-t-il pas menacé ? Il aurait pu se servir du fait que je suis son Horcruxe, la raison même de son immortalité, comme moyen de pression pour me forcer à lui obéir, en me menaçant de révéler ce secret. C'est son mode opératoire, c'est ainsi qu'il fonctionne. Ou du moins, c'est ainsi que fonctionnait le Seigneur des Ténèbres que j'ai connu.
Lorsque je lui pose la question, alors qu'il semble apprivoiser ses béquilles avec une facilité déconcertante, il me répond :
— Vous ne semblez pas tout à fait avoir compris ce que je vous ai explicité tout à l'heure. Le lien psychique que nous avons existe toujours, je le bloque afin que vous n'ayez pas à souffrir de mes blessures actuelles. Mais si je venais à le rouvrir, vous ressentiriez ce que je ressens. Tout comme vous ressentiez mes émotions les plus intenses pendant la guerre. Cela fonctionne dans les deux sens, vous ne bloquez pas le lien, par conséquent, je perçois vos ressentis. Si je vous menace ou vous blesse, cela équivaut à me nuire à moi-même. Vous êtes une partie de moi, et je fais partie de vous.
Les mots « Vous êtes une partie de moi, et je fais partie de vous » résonnent en moi, provoquant une nausée que je réprime. Je n'ai pas le luxe de m'attarder sur cette pensée, car soudainement, l'alarme se déclenche, annonçant l'approche de quelqu'un vers la maison.
Voldemort, peu habitué à de tels bruits, semble perturbé, et il m'ordonne, au-dessus du vacarme :
— Faites cesser cette horreur.
Je remarque que malgré son insensibilité à la pluie froide et à l'eau bouillante de son thé, il est étrangement sensible aux sons. Il abandonne ses béquilles et ses mains se pressent contre ses oreilles, cherchant à atténuer la douleur que le bruit lui cause.
Pour faire taire l'alarme, je dois décider si le visiteur a le droit d'entrer ou non. La signature magique particulière de Hermione m'est familière, et je décide d'abaisser temporairement les protections. Je n'ai aucune envie de voir qui que ce soit en ce moment, mais Hermione est ma meilleure amie, et si je lui refuse l'accès, elle s'inquiétera et préviendra le Ministère. Ce qui entraînerait aussitôt l'arrivée d'une armée d'Aurors devant ma porte, et ce n'est certainement pas ce que je souhaite.
Les protections permettent à Hermione de frapper à la porte, et je jette un dernier coup d'œil à ma "charge" avant de me diriger vers le couloir. Malheureusement, Voldemort ne semble pas comprendre ma mise en garde. Au lieu de rester sagement dans la salle à manger, loin des yeux de ma meilleure amie, il me suit de près, son imposante silhouette flottant comme une ombre derrière la mienne.
Lorsque j'ouvre la porte, Hermione le remarque immédiatement et sa salutation se bloque dans sa gorge, son visage pâlissant instantanément. Je me retire dans l'entrée, lançant un regard noir à Voldemort qui, immunisé à toute réaction, continue de me fixer.
Il ignore complètement Hermione, qui le dévisage bouche bée sur le pas de la porte. Pour rompre le silence pesant et la gêne que je ressens, je me racle la gorge.
— Bonjour, Hermione.
Reprenant ses esprits, Hermione tente de retrouver une attitude normale malgré la présence perturbante de Voldemort. Son regard oscille entre moi et l'homme aux yeux étrangement plus sombres qu'auparavant, qui se tient à mes côtés.
— Je suis venue… voir comment tu t'en sors, dit-elle en toussotant pour camoufler sa gêne.
Je ne peux pas lui en vouloir, si les rôles avaient été inversés, ma réaction aurait été pire que la sienne.
Je la conduis dans le salon où elle s'assoit à côté de moi. Le Seigneur des Ténèbres semble avoir revendiqué mon fauteuil comme son territoire, et je le lui laisse sans broncher. Je préfère cela à l'idée qu'il prenne place à côté de Hermione, ou pire, qu'il reste debout, appuyé sur ses béquilles, à nous toiser.
Malgré mes efforts pour apaiser la tension ambiante et animer la conversation, Hermione ne parvient pas à se détendre. Elle sait que je suis contraint de supporter la présence du Seigneur des Ténèbres. Ron, en tant qu'Auror, était au courant du plan de la Directrice du Département de la Justice Magique.
Hermione exprime son désaccord envers les choix du gouvernement, et elle entame un discours passionné sur nos lois, soulignant leur facilité d'interprétation par rapport à celles moldues. Elle critique le manque de moyens légaux pour destituer les membres du Magenmagot en cas d'abus de pouvoir.
Le discours d'Hermione provoque une réaction de mon colocataire forcé. Voldemort fronce les sourcils et je vois à son expression qu'il est prêt à lancer un commentaire certainement sarcastique et cruel, et je l'en empêche.
— Je vous l'interdis.
Il plisse les yeux et me répond d'un ton froid :
— Votre amie a tort. Tout ce qu'elle dit depuis tout à l'heure est faux. Je ne supporte plus d'entendre ces absurdités. Si le Ministère agit ainsi, c'est précisément parce qu'il suit des lois désuètes, et non parce que ces lois sont trop permissives. De plus, il est possible, dans certaines conditions, de destituer les membres du Magenmagot.
— Ne parlez pas d'elle comme si elle ne pouvait pas vous entendre, répliqué-je, agacé par son ton méprisant.
— Elle m'entend peut-être, mais elle n'est pas capable de comprendre les mots que nous échangeons, rétorque-t-il avec arrogance.
Un instant de confusion m'envahit alors que je me tourne vers Hermione et que je remarque son visage pâle et horrifié. C'est à cet instant précis que je réalise... Voldemort m'a adressé la parole en fourchelang et j'ai répondu de la même manière.
Pris de panique, j'essaie d'expliquer à Hermione que je croyais avoir perdu cette capacité après la guerre, mais j'entends rapidement le rire amusé du Seigneur des Ténèbres.
— Vous vous exprimez encore en fourchelang. Essayez de revenir à l'anglais avant de lui parler.
Furieux et désemparé, je me lève pour lui rétorquer le fond de ma pensée, mais Hermione me retient fermement par l'épaule, visiblement inquiète.
— Tout va bien ? Harry, réponds-moi ! Je ne comprends pas le fourchelang, mais je peux clairement voir que quelque chose ne va pas.
— Ne vous inquiétez pas, Mademoiselle Granger. Monsieur Potter va bien. Il a juste un peu de mal à maîtriser le fourchelang, déclare Voldemort d'un ton moqueur. Ce n'est guère surprenant lorsque l'on voit comment son entourage réagit lorsqu'il essaie de l'utiliser.
— Vous... comment osez-vous ! s'étrangle Hermione, furieuse.
Déterminé à éviter que leur conversation ne dégénère davantage, je décide de mettre fin à cette confrontation.
— Assez !
Peu importe si j'ai crié en anglais ou en fourchelang, la magie qui imprègne ma voix est suffisamment puissante pour qu'ils me comprennent tous les deux.
Ils me regardent et j'inspire profondément pour me calmer. Je me concentre, me rapproche d'Hermione et tente de dissiper ses craintes concernant la scène à laquelle elle vient d'assister.
— J'ai du mal à distinguer le fourchelang de l'anglais. Je ne savais pas qu'il me parlait dans cette langue. Je suppose que Ron t'a expliqué, mais il ne peut pas utiliser ses pouvoirs contre moi, ni me faire du mal physiquement. Tu n'as pas à t'inquiéter, lui dis-je, essayant de la rassurer.
Elle serre les lèvres et semble dubitative. J'ajoute alors :
— Nous ne nous insultions pas. Il a simplement fait un commentaire désobligeant sur tes connaissances en droit sorcier, et cela m'a mis en colère. Rien de plus.
J'espère que mes paroles pourront apaiser ses préoccupations. Je veux qu'Hermione comprenne que malgré la présence de Voldemort, je suis capable de me défendre et de veiller à ma sécurité.
Elle garde une expression soucieuse et évite le regard de Lord Voldemort, mais finit par se relaxer suffisamment pour me parler de sa journée. Finalement, elle s'en va une bonne demie-heure plus tard en me promettant de revenir avec Ron demain et de m'apporter les petits plats préparés par Molly Weasley.
Avant de partir, elle me chuchote :
— Je sais qu'il ne peut pas te faire de mal, mais... je n'aime pas l'idée que tu sois seul avec lui. Il est… dangereux.
Son inquiétude se reflète dans ses yeux. Je lui prends la main, cherchant à la rassurer.
— Je te promets d'être prudent.
Elle acquiesce, mais je peux voir que ses inquiétudes persistent. Nous échangeons un dernier regard avant qu'elle ne quitte la pièce, et j'ai la douloureuse impression qu'elle a déjà deviné que je lui cache quelque chose. La culpabilité s'empare de moi et je me laisse glisser contre la porte, tel un pantin désarticulé
J'aperçois alors le regard vigilant de Voldemort de l'autre côté du couloir, il semble surveiller le moindre de mes faits et gestes. Je reste prostré, mes forces m'ont quitté. Voldemort s'approche, j'ouvre la bouche pour lui demander de me laisser en paix, mais aucun son n'en sort. À quoi bon le renvoyer ? Il peut me poursuivre pendant l'éternité.
Il s'arrête à moins d'un mètre de moi, et je suis obligé de lever la tête dans une position inconfortable pour voir son visage. Ses traits ne dégagent plus l'agressivité qu'il manifestait envers ma meilleure amie. Après un moment, il me demande :
— Pourquoi ne pas lui avoir dit ?
Mon cœur se serre inexplicablement dans ma poitrine. C'est vrai. Pourquoi n'ai-je rien dit à Hermione ? J'aurais pu tout lui expliquer : l'immortalité, le Horcruxe, ma peine, mes peurs. Ce n'est pas elle qui m'aurait dénoncé au Ministère. Alors pourquoi ?
La réponse se forme d'abord dans mon esprit, mais sort de sa bouche.
— Vous avez peur.
Jedusor se penche en avant, comme s'il voulait intensifier notre proximité, puis me siffle :
— Vous êtes terrifié. Vous tenez à elle et vous êtes effrayé à l'idée qu'elle ne veuille plus avoir affaire à vous une fois qu'elle connaîtra la vérité. Vous traitez votre condition d'immortel comme une maladie taboue que personne ne doit connaître. C'est ridicule. Je peux vous assurer que des milliers de sorcières donneraient tout ce qu'elles ont pour être avec vous. Si vous êtes si sûr que Mademoiselle Granger vous rejettera une fois qu'elle saura, c'est qu'elle ne vous mérite pas.
Abasourdi, je cligne des yeux avec perplexité. Oui, j'ai peur qu'Hermione découvre mon immortalité et qu'elle prenne ses distances avec moi, mais pas de cette manière !
— Vous vous trompez, je ne suis pas amoureux d'Hermione.
Mon interlocuteur semble surpris par cette déclaration.
— Alors pourquoi êtes-vous si bouleversé à l'idée de devoir lui mentir ?
Je réalise seulement maintenant que cet homme est capable de percevoir mes émotions. Je me sens obligé de clarifier la situation.
— C'est ma meilleure amie et bien sûr que je suis attristé à l'idée qu'elle puisse me craindre ou s'éloigner de moi en apprenant la vérité, mais je ne la vois pas du tout... comme vous l'avez imaginé. Hermione est comme une sœur pour moi, et elle est fiancée à Ron.
Voldemort prend un instant pour examiner mes paroles, comme s'il souhaitait vérifier leur véracité à travers moi. Puis, il paraît confus, se redresse et me répond d'une voix plus mesurée.
— Je me suis trompé. Vous avez déclaré plus tôt dans la journée vouloir fonder une famille, et cela m'a conduit à des conclusions erronées.
Mortifié par l'idée d'avoir des enfants avec Hermione, je réplique sans réfléchir à ce que je dis.
— Cela ne risque pas d'arriver, je ne suis même pas attiré par les femmes !
Ma déclaration spontanée fige instantanément mon interlocuteur, et je réalise l'ampleur de mes mots. L'homosexualité est encore moins acceptée dans le monde sorcier que dans le monde moldu... et Voldemort a prouvé à de multiples reprises être un homme particulièrement étroit d'esprit.
Sous le choc, il me demande :
— Pardon ?
J'hésite un instant à lui répéter, puis je décide que je n'ai aucune raison d'avoir honte. C'est parfaitement sain, normal, et même si cela le contrarie, cela ne change rien.
— Je suis homosexuel.
Je regrette de ne pas avoir d'appareil photo moldu à ce moment précis, car l'expression de pure incrédulité sur le visage de Jedusor mériterait d'être immortalisée et revue encore et encore.
Il reste silencieux un moment, comme s'il lui fallait un effort pour me poser sa question, perplexe.
— Si vous n'êtes pas attiré par les femmes, comment comptiez-vous fonder une famille ?
— Je peux adopter. Il y a certainement de nombreux orphelins sorciers, voire même des enfants moldus, peu importe.
Voldemort me dévisage comme si j'avais perdu l'esprit, puis s'éloigne et finit par me demander d'une voix sombre :
— Savez-vous ce que dit la loi sorcière au sujet des relations homosexuelles ?
Je secoue la tête négativement, et je le vois grincer des dents. Il me demande, très sérieusement :
— Avez-vous parlé à quelqu'un d'autre de votre préférence ?
Je fronce les sourcils.
— Hermione et Ron sont au courant.
Il grimace et gronde :
— À partir de maintenant, vous garderez cela pour vous. Vous ne pouvez pas imaginer ce que le Ministère vous ferait si cela venait à être découvert. Je ne sais pas dans quelle mesure les moldus actuels sont tolérants à ce sujet, mais dans les lois sorcières ; une relation homosexuelle est considérée comme une renonciation à la possibilité de transmettre sa lignée, et cela est puni par la loi. Pourquoi croyez-vous que Albus Dumbledore le cachait ? S'il l'avait révélé de son vivant, on lui aurait retiré tous ses titres et lui aurait interdit l'accès au monde magique.
Le Seigneur des Ténèbres me lance un regard pensif, et sa colère s'évanouit. Il y renonce finalement et me dit :
— Vous êtes imprudent, cependant, j'admire votre honnêteté.
Puis, il abandonne l'une de ses béquilles pour me tendre la main en me sifflant :
— Relevez-vous.
J'accepte sa main tendue, mais au moment où nos paumes se touchent, une sensation étrange, comme un courant électrique mais plus doux et chaud, remonte le long de mon bras. Surpris, je le lâche et me relève sans son aide. Après tout, c'est lui qui porte les séquelles de diverses tortures, et je n'ai pas besoin d'aide pour me lever.
J'ignorais à quel point les relations homosexuelles étaient mal perçues par les cercles dirigeants de la sorcellerie, et qu'une loi aussi sévère les réprimandait. Ni Ron ni Hermione ne semblaient le savoir non plus. Je savais que les sorciers évitaient le sujet mais j'étais loin d'imaginer ce que cela cachait.
Cette réalité ne fait qu'assombrir davantage mon humeur. En tant que Horcruxe du Seigneur des Ténèbres, je suis condamné à l'immortalité et privé du droit d'aimer librement la personne de mon choix.
Quelle journée merdique.
L'après-midi est déjà bien avancé lorsque je remarque que Voldemort semble de moins en moins alerte.
Nous sommes retournés dans le salon et je feuillette un livre sur les êtres fantastiques, mes yeux figés sur le chapitre concernant les vampires.
Le 12 Square Grimmaurd ne comporte pas vraiment de bibliothèque à proprement parler, mais des livres sont présents un peu partout dans la maison et j'ai remarqué celui-là il y a un moment déjà. J'ai d'autant plus de raisons de vouloir le lire maintenant que je suis moi-même une sorte d'être surnaturel... si les sorciers ne le sont pas déjà.
Je survole plus que je ne lis l'ouvrage, mes yeux revenant constamment vers le Seigneur des Ténèbres. S'il semblait réfléchir, ou rêvasser, en regardant l'extérieur plus tôt, il me semble maintenant presque endormi.
Il somnole, les yeux mi-clos, sa tête oscille et il semble lutter pour rester conscient le plus longtemps possible. Je le vois rouvrir les yeux et se redresser pour la millième fois en moins d'une heure et je me sens obligé de lui adresser ces quelques mots :
— Vous pouvez dormir une heure ou deux, je vous réveillerai pour le dîner.
Son visage pivote vivement vers le mien, ses yeux rougeoient une seconde ou deux et il semble vouloir contredire le fait qu'il dort à moitié, puis quelque chose lui revient à l'esprit et, finalement, il acquiesce avec cet avertissement.
— Ne disparaissez pas dans la nature pendant ce temps.
Il semble encore mécontent de ma précédente fuite en ville. Mais il se trompe s'il pense que je souhaite fuir sa présence et ma condition en partant à l'autre bout du monde. À quoi cela me servirait ? Fuir ne mène jamais bien loin.
— Je n'ai nulle part où aller.
Cette remarque le frappe et il me dévisage. Il semble dans un état de conscience modifié, presque comme s'il me parlait en dormant.
— Moi non plus.
Je hoche la tête.
— Alors restons ici.
Cela semble le rassurer et le satisfaire car il se retourne dans son fauteuil, se blottit contre le dossier et s'endort presque immédiatement. Je reste un long moment à observer son dos et je réalise que par moments, il semble affecté par les horreurs qu'on lui a fait subir, et dans ces instants fugitifs, je ne peux m'empêcher de penser que son sort est injuste.
Tom Elvis Jedusor mène une existence solitaire et incomprise. Certes, ce n'est pas quelqu'un de bien, mais sa solitude et le manque criant d'amour dans son existence font souffrir mon âme.
Vivre éternellement seul et sans amour, est-ce vraiment ce qu'il désire ? Ne voit-il son avenir que sous le prisme du pouvoir et de sa peur de mourir ? Ne subsiste-t-il que pour satisfaire sa volonté de voir le monde se conformer à ses désirs ?
Sa vie et les souffrances qu'elle contient m'apparaissent tout à coup encore plus injustes que les miennes. Au moins, je suis aimé et ma vie est remplie de moments de joie. Qu'a-t-il obtenu de la sienne ?
Rien. Tout ce qu'il a entrepris semble s'être retourné contre lui, et sa seule réussite, d'après ses propres dires, est un accident. Ma création, ou plutôt celle du Horcruxe qui demeure à l'intérieur de moi.
Cette version de lui-même est vulnérable, plus humaine qu'aucune autre et c'est peut-être pour cela que je m'identifie à lui.
Le calme qui suit me permet de souffler un peu, et avant même que je m'en rende compte, le sommeil m'emporte de la même façon qu'il a emporté mon ennemi juré.
Je me réveille avec la sensation de m'être assoupi à peine une minute, mais lorsque je regarde autour de moi, il fait nuit noire dehors et l'heure du dîner est passée depuis longtemps.
Le Seigneur des Ténèbres n'a pas bougé d'un cheveu. Je décide alors de me lever et de préparer quelque chose à manger. Je n'ai pas faim, et mes capacités en magie culinaire se limitent aux plats simples, alors je me contente de préparer du poisson et des pommes de terre, accompagnés d'une crème au caramel pour le dessert.
Une vingtaine de sortilèges me suffisent pour préparer le repas, et une fois que tout est prêt, j'hésite à réveiller Voldemort.
Une fois revenu dans le salon, je m'approche de lui sans savoir comment m'y prendre. L'idée de le secouer me paraît déplacée, et je ne vais tout de même pas lui crier que le repas est prêt.
Je tente de lui adresser la parole :
— Réveillez-vous, le dîner est prêt.
Aucune réaction. Il dort profondément. J'imagine que le sommeil est un luxe dont il n'a pas beaucoup profité ces deux dernières années. Toutefois, il pourra en bénéficier après le repas et dans un vrai lit, s'il a la force de monter les escaliers. Cette pensée me vient à l'esprit lorsque je choisis la magie pour le réveiller.
Je lance une variante moins puissante d'Enervatum, un sortilège qui réveille les personnes affaiblies en leur prêtant la force qu'ils n'ont plus, et il ouvre subitement les yeux. Il a un léger sursaut, puis ses yeux rencontrent les miens.
S'il semble confus un court instant, il se reprend assez rapidement pour me siffler dans ce que je pense être du fourchelang.
— Il est tard. Ai-je été difficile à réveiller ?
Je secoue la tête et essaie de lui répondre dans la même langue :
— C'est moi qui me suis endormi peu de temps après vous. Je viens de me lever.
Il acquiesce, et je repars vers la salle à manger. Il me suit, et le repas se déroule dans le silence. Lorsque je lui propose de choisir une chambre, il accepte, et je surveille attentivement sa progression dans les escaliers. Il ne manquerait plus qu'il tombe et aggrave son état. Une fois arrivé à l'étage, il jette un œil autour de lui et me demande.
— Laquelle est votre chambre ?
Je lui désigne la porte correspondante, et sans la moindre hésitation, il s'enfonce dans celle voisine. Je ne fais aucun commentaire et me couche dans ma propre chambre pour terminer ma nuit.
*
Depuis que j'ai fermé les yeux le premier soir, sept jours se sont envolés. Jour et nuit, Voldemort et moi sommes restés confinés dans la maison londonienne de mon parrain.
Au début, l'atmosphère est tendue. Sa présence est comme un poids constant que je traîne partout où je pose les pieds. Il passe la plupart de son temps à m'observer, sans discrétion. Ce ne sont pas de simples coups d'œil, mais de longs regards appuyés qui semblent toujours me parler.
Peu à peu, ses blessures ont commencé à s'effacer, et il a retrouvé une apparence parfaite, celle qu'il aurait eue s'il n'avait pas mutilé son âme.
Il est beau.
Parfois, ces trois mots me viennent à l'esprit lorsque, après avoir lutté un moment pour les ignorer, mes yeux retrouvent les siens. C'est comme si nous étions deux danseurs dans une boîte à musique, condamnés à nous retrouver dans les bras l'un de l'autre à chaque fois que celle-ci prend fin. Quelqu'un tourne la manivelle de la boîte, et nous dansons encore et encore sur cette mélodie aux paroles inaudibles.
Sept jours, c'est à la fois peu et trop.
Assez pour que j'apprenne à parler fourchelang et que je puisse le reconnaître et l'utiliser sans peine. Assez pour que je m'habitue à son ombre derrière mon dos. Assez pour qu'il devienne le centre de mon minuscule univers. Pas assez pour que je m'habitue à l'idée de l'éternité. Pas assez pour accepter que je sois encore son Horcruxe. Pas assez pour accepter que nous formions un tout indissociable. Pas assez pour imaginer que cette semaine pourrait s'étendre à l'infini.
Le Seigneur des Ténèbres semble vouloir résoudre l'énigme que j'incarne à ses yeux, et j'essaie de décrypter la sienne.
J'ai tenté d'imaginer les activités professionnelles que je pourrais mener en le gardant à mes côtés, mais aucune ne me paraît épanouissante. Bien avant la fin de la semaine, je sens que je ne pourrai pas rester dans cette maison. Enfermé avec lui jusqu'à ce que la Mort ait pitié de nous.
Cette inactivité me rend fou. Mon impatience croissante l'amuse, il semble attendre que je prenne une décision concernant notre avenir commun. Comme si j'étais le seul concerné.
Il faut que je puisse sortir, et je ne peux le faire en le laissant ici. Si je ne peux pas le rendre au Ministère aujourd'hui, je dois obtenir l'autorisation de l'emmener ailleurs.
Je ne peux pas le relâcher et le laisser faire ce qui lui plaît au risque de le voir détruire l'humanité… pour laquelle il semble avoir peu, voire pas la moindre compassion.
Bien qu'il se montre aussi irréprochable que possible lorsque nous sommes seuls, il ne fait pas les mêmes efforts envers mes amis ou toutes les personnes qui envahissent fréquemment cette maison pour vérifier que nous ne sommes pas en train de nous entretuer.
Avec le reste du monde, il se montre provocateur, cruel, irascible, colérique…
Il agit souvent comme un enfant jaloux qui ne veut pas qu'on accapare son seul ami le jour de son anniversaire. Il a fait fuir pas mal de nos visiteurs. Son mode opératoire est toujours le même : au début, il se tait et observe, gardant un air renfrogné, puis, dès qu'il a pu déduire assez d'éléments sur sa cible, il ouvre la bouche et utilise toutes les faiblesses qu'il a repérées contre le visiteur en question.
Lorsque celui-ci, outragé, finit par partir, il s'efforce de se montrer irréprochable de politesse et de gentillesse jusqu'à ce que ma colère s'efface. C'est un manipulateur né avec un esprit vif et un caractère bien marqué.
La seule qu'il tolère si elle ne s'attarde pas trop est Hermione. Oh, il critique ouvertement ses idées politiques avec lesquelles il est en désaccord, mais il semble apprécier son intelligence. En revanche, il suffit de le laisser une minute de trop en présence de Ron pour le transformer en un monstre d'arrogance et de méchanceté.
Il semble avoir pris la décision irrévocable que je suis le seul être humain dont il veut gagner l'amitié ; ce pourquoi il se montre extrêmement maladroit. C'est, de toute évidence, la première fois qu'il essaye de se faire un ami.
Cette maladresse évidente contraste avec son charisme écrasant.
Ce matin encore, je suis témoin et acteur de sa tentative étonnante de nous lier d'amitié.
En entrant dans la cuisine, je trouve mon café préparé et laissé sur la table de la salle à manger, un exemplaire de la Gazette du sorcier plié à côté de ma tasse, déjà lu et gribouillé de notes prises à la volée par mon colocataire forcé.
Voldemort aime savoir ce qu'il se passe dans le monde sorcier et laisse son avis noir sur blanc sur les articles du journal. Parfois, il souligne certaines demandes dans la rubrique des offres d'emplois et laisse des commentaires décourageants.
Hier, Florian Fortarôme proposait d'ouvrir une succursale à Pré-au-Lard et cherchait un associé pour gérer cette deuxième boutique. J'ai trouvé cette annonce soulignée avec l'inscription manuscrite : "Être glacier ne vous conviendrait pas, vous vous ennuierez dès le troisième jour."
Il fait de même avec chaque annonce qu'il pense pouvoir m'intéresser. Souvent, je trouve des remerciements, des mots que Jedusor n'a pas osé me dire, inscrits à côté de la Une.
Peut-être essaie-t-il de me faire oublier que je l'ai haï, lui et toutes les horreurs qu'il a commises. Ou peut-être est-il vraiment reconnaissant maintenant que son âme est saine et qu'il a obtenu ce pour quoi il s'est si longtemps battu : l'immortalité, pas le contrôle du pays.
Je suis en train de boire mon café, presque froid, lorsqu'il apparaît dans la cuisine.
Il porte un t-shirt trop large pour moi et trop étroit pour lui. Je lui ai donné tous les vêtements de mon armoire qui me paraissent un peu trop grands ou trop larges, mais rien ne lui va vraiment. C'est le genre d'homme que même le sur-mesure paraît dénaturer.
Depuis que ses blessures sont guéries et qu'il a retrouvé un poids décent, ses nuits se raccourcissent. Il dort entre cinq et six heures par nuit sans paraître fatigué le lendemain. Que fait-il de ses journées ?
Il écrit. Quasiment tout le temps.
Lorsque je lui ai demandé ce qu'il pouvait bien écrire, il m'a confié être en train de rédiger ses mémoires. "Pourquoi ?" lui ai-je demandé. "Car l'éternité est longue et que je veux pouvoir archiver et relire les événements importants de ma vie," m'a-t-il répondu.
J'étais sceptique, surtout à l'idée qu'il noircisse des pages et des pages sur la constitution des Mangemorts ou l'organisation du meurtre de mes parents. Mais il m'a lu une partie de ce qu'il a écrit et cela parle de son enfance. De l'orphelinat. De ses questionnements lorsqu'il n'était encore qu'un petit garçon dans les années trente. Rien de machiavélique. Juste l'histoire triste d'un enfant laissé pour compte.
— À quoi êtes-vous en train de penser ? me demande-t-il en s'avançant dans la salle à manger.
Je lui jette un coup d'œil puis retourne à ma tasse. Mon manque de réponse ne le décourage pas, il me souffle :
— Madame Bones ne devrait pas tarder, vous êtes inquiet à l'idée de lui mentir ?
— Je ne vais pas lui mentir. Je vais lui dire que vous êtes immortel car vous êtes devenu le Maître de la mort, ce qui est vrai. Seulement, je vais omettre le fait que c'est à cause de moi.
— Grâce à vous.
Je lui lance un regard noir, sans lui répondre, et il me sourit. Il prend place en face de moi et s'adonne à son deuxième passe-temps préféré : me fixer.
Son regard est trop intense, je ne m'habitue pas à ses yeux et je n'arrive jamais à les ignorer. Je lui rends son observation et nous restons un instant ainsi. Mes yeux dérivent malencontreusement vers ses lèvres et il sourit plus franchement en me sifflant.
— Vous avez un beau visage. Les yeux verts sont rares même chez les sorciers.
— Que voulez-vous ?
— Je vous fais un compliment. Je ne veux rien d'autre.
Je soupire. Un sourire menace de naître sur mon visage à cette énième tentative de gagner ma sympathie. Je pose ma tête sur la paume de ma main pour le cacher et je marmonne :
— Cessez ce petit jeu. Vous n'avez rien à craindre. Je ne vais pas demander à Madame Bones de vous emmener. Vous restez avec moi. De toute façon, je n'ai pas vraiment le choix.
Il penche la tête pour suivre le mouvement de la mienne.
— Vous l'avez. Vous avez le choix entre être enfermé ou libre avec moi.
Je fronce les sourcils à cette remarque, ce n'est pas un choix.
— Je suis libre.
Son regard s'adoucit, ses yeux rougeoient d'amusement.
— Vous l'êtes et je le suis. Où irons-nous ?
— Qu'est-ce qui vous fait penser que nous allons partir ?
— Vous rongez votre frein depuis quelques jours déjà, vous avez passé votre vie à courir, rester ici vous rend malade.
Je grogne pour la forme mais finis par dire :
— Je cherche du travail. Ce qui est difficile, je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de sorciers qui accepteraient que j'aille travailler tout en gardant un œil sur vous.
Il acquiesce et me désigne le journal que je n'ai pas encore ouvert.
— Il y a un article au sujet de Durmstrang. L'école a un nouveau directeur : Mikhaïl Somov. Vous devriez lui proposer votre candidature.
Je plisse les yeux, méfiant.
— Vous le connaissez ? Était-il l'un de vos partisans ?
Il relève un sourcil condescendant.
— Je ne sais rien de cet homme. Je ne vous incite pas à candidater pour me rapprocher d'un inconnu, mais parce que le poste de professeur vous conviendrait.
Je reste muet, surpris par sa remarque. Je ne me pense pas capable d'enseigner quoi que ce soit d'utile à d'autres sorciers, et encore moins à l'autre bout du monde. Durmstrang. Être professeur dans une école de magie ? Je ne suis moi-même pas un très bon élève. Oui, j'ai aidé quelques camarades de Poudlard à apprendre des sortilèges et des malédictions durant la guerre et ce n'était pas désagréable, mais de là à devenir professeur…
Mon incertitude doit se lire clairement sur mon visage car Voldemort renchérit :
— Vous avez les connaissances et la pratique nécessaires pour pouvoir enseigner le Duel. À Durmstrang, on enseigne cette matière comme un équivalent à la Défense contre les forces du mal et ce poste est à pourvoir. Mikhaïl Somov a besoin de quelqu'un de confiance, puissant et qui a une bonne réputation. Il vous prendra s'il n'est pas idiot.
— Même si je dois vous emmener avec moi ?
— Votre candidature est la meilleure qu'il puisse recevoir, il ne vous refusera pas même si vous êtes accompagné d'un Seigneur des Ténèbres.
Durmstrang. C'est loin d'ici. Loin de Londres, de mes amis, de mes années à Poudlard, de ma vie.
Une vie qui m'échappe. Je ne suis plus étudiant à Poudlard. Mes amis ont des projets dont je ne fais pas partie. Qu'ai-je à perdre si je m'en vais ?
Est-ce une bonne idée d'emmener Lord Voldemort en dehors des frontières ?
Je n'ai que des questions sans réponses.
Mon vis-à-vis, visiblement fasciné par mes mains qu'il fixe depuis que j'ai relâché ma tasse, attrape le journal, l'ouvre et étale l'article sur Durmstrang sous mes yeux.
— Envoyer un hibou ne vous coûte rien, vous pourrez vous rétracter.
Je grimace et le détaille du regard. Il ne s'en rend peut-être pas compte, mais sa simple présence est comme une arme sur ma tempe. J'éprouve des difficultés à lui dire non.
— Vous semblez y tenir.
Il me lance un regard franc et acquiesce.
— Je souhaitais être professeur à Poudlard peu de temps après la défaite de Gellert Grindelwald, mais Dumbledore me l'a refusé et… mon ego ne m'a pas permis de proposer ma candidature à une autre école.
Je connais cette anecdote, mais l'entendre de sa bouche est différent.
— Vous ne pourrez pas enseigner. Si le Département de la justice magique y consent et que Durmstrang est d'accord, je pourrais vous emmener, mais on ne vous laissera pas enseigner à la jeunesse.
Imaginer cette version du Seigneur des Ténèbres ; belle, charismatique, brillante, manipulatrice, colérique et possessive, face à de jeunes sorciers influençables me donne des frissons d'appréhension.
En moins de trente ans, il pourrait se créer une armée de sorciers dévouée à sa cause et à ses idées, prête à partir en guerre en son nom.
Il joint ses mains sous son menton et me murmure :
— Je sais à quoi vous pensez, mais je vous l'ai déjà dit et je le répète ; nous avons l'éternité et je souhaite que nous restions en bons termes. Je n'ai pas d'autre projet.
Je lui souris avec ironie.
— La conquête du monde attendra ?
Il me sourit en retour, mais son sourire semble si brutal et sincère qu'il efface le mien.
— Elle attendra le temps qu'il faudra.
Je grogne.
— Je ne vous laisserai pas blesser ou tuer qui que ce soit, même indirectement.
Il perd son sourire et prend une expression sérieuse.
— Les hommes blessent et tuent même par accident. Même si vous le voulez de toutes vos forces, vous ne pourrez pas l'empêcher. Vous et moi sommes peut-être immortels, mais nous ne sommes pas différents.
Le silence règne un instant. Jedusor se lève et il se penche en avant au-dessus de la table. Assez pour pouvoir me murmurer.
— Rien n'est bon ni mauvais en soi, tout dépend de ce que l'on en pense.
Hamlet, William Shakespeare, acte 2 scène 2…
Je soupire et grince des dents. C'est dans sa nature de penser ainsi. Je relève la tête pour être confronté à sa haute stature et lui murmure à mon tour.
— Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n'en rêve votre philosophie.
Son sourire renaît de ses cendres.
— Vous avez lu Hamlet.
— Survolé, les tragédies n'ont pas ma préférence.
Il rit, un rire clair et rare, qui agite mon âme d'un soubresaut de joie que je ne reconnais pas. Une joie qui semble être la sienne avant d'avoir été la mienne. Il s'éloigne et s'assoit à nouveau face à moi.
— J'imagine que celles-ci doivent vous paraître fades face à votre propre récit.
Je ne lui réponds pas. Ses doigts s'égarent vers le journal et il insiste.
— Écrivez un mot au directeur. Vous serez professeur et je resterai sagement derrière vous.
— Qu'est-ce que vous y gagnerez ?
— Vous voir vous amuser me suffira.
Je capitule, j'ignore ce qu'il a en tête, mais l'idée n'est pas mauvaise, et il faut bien que j'avance. Même si je dois le faire avec lui.
À peine ai-je terminé de rédiger une courte missive destinée au directeur de Durmstrang que les alarmes de sécurité du 12 Square Grimmaurd sonnent, et avant d'avoir pu souffler, je me retrouve face à Amelia Bones, directrice du Département de la justice magique.
Elle semble satisfaite lorsque je lui révèle savoir ce qui rend Voldemort immortel. Elle est effrayée d'apprendre qu'il est le Maître de la mort. Elle est rassurée d'entendre que j'accepte de le garder sous ma garde jusqu'à ce que la mort nous sépare (ce qui ne se produira probablement jamais). Elle est surprise lorsque je lui évoque avoir postulé pour être professeur à Durmstrang. Elle accepte que j'y emmène le Seigneur des Ténèbres à condition que le directeur de l'école soit pleinement conscient de la situation. Elle s'enfuit sans demander son reste.
C'est comme si, après avoir confié un chat sauvage à un chenil, elle repassait pour annoncer qu'elle ne reviendrait plus jamais le chercher.
Je décide que c'est ainsi. Parfois, on se retrouve coincé avec quelqu'un sans le vouloir, et comme Shakespeare (ou Voldemort) l'a dit : rien n'est bon ni mauvais en soi.
Peut-être que l'éternité nous donnera tort. Peut-être qu'essayer de s'entendre est un tort. Peut-être qu'il ne changera jamais malgré mes efforts. Peut-être que l'histoire ne fait que se répéter encore et encore.
Peut-être.
Peut-être que ces deux mots joints suffisent à mon sort.
Après avoir envoyé la missive au directeur de Durmstrang, j'attends une réponse. Deux jours passent, mais aucune lettre ne vient, et je ne peux m'empêcher de remarquer que malgré son assurance, le Seigneur des Ténèbres semble nerveux quant à l'issue de cette démarche.
Son souhait d'aller à Durmstrang est sincère, et il me le communique peu à peu. Ses intérêts deviennent les miens comme par magie, et cela m'effraie même si l'effet est réciproque. Nous exerçons une influence de plus en plus forte l'un sur l'autre.
Si bien que je remarque que notre langage corporel a changé. Une forme de synchronicité habite nos gestes et nos mouvements lorsque nous sommes dans la même pièce, et chaque fois que je la remarque, j'essaie de la briser avant de m'y plier.
Il semble l'apprécier. Comme il aime voler ma tasse de mes mains et en boire le contenu sous mes yeux. Comme il aime lire par-dessus mon épaule tout ce que mes yeux décryptent. Comme il aime complimenter ma cuisine et critiquer mes goûts vestimentaires. Comme il aime la fréquence de nos conversations qui ne cesse de croître.
Un jour, alors que nous sommes installés dans le salon, il me tend un livre qu'il a trouvé dans une étagère poussiéreuse à l'étage.
"Légendes passées et présentes de Durmstrang."
Je commence à le lire par curiosité. Les pages décrivent l'école, de sa création à ses traditions, en passant par les matières qui y sont enseignées. Durmstrang est réputée pour être une école de magie noire, mais il semble qu'elle tente de changer cette image (apportée par la montée au pouvoir de Gellert Grindelwald).
Je me perds dans les histoires des directeurs et étudiants célèbres qui ont fréquenté l'établissement. Rien de bien passionnant, si ce n'est quelques anecdotes amusantes, mais c'est suffisant pour me donner envie de voir à quoi elle ressemble, cette école que je n'ai jamais vu.
Quelques petites choses semblent différer de ce que j'ai connu à Poudlard. Les élèves de Durmstrang, contrairement à ceux de Poudlard, ne commencent pas en première année pour terminer en septième année, et ils ne sont pas répartis par maison non plus. Ils sont répartis par niveaux, de 1 à 10.
Il est écrit que Gellert Grindelwald est entré directement au niveau 8 lorsqu'il était enfant, puis a rapidement été transféré au niveau 10 avant d'être finalement renvoyé. Il n'est donc pas rare d'avoir des classes avec des élèves d'âges disparates. S'ils sont dans la même classe, ce n'est pas parce qu'ils ont le même âge, mais parce qu'ils en sont arrivés au même niveau d'apprentissage. Certains élèves commencent leurs études au niveau 1 et les terminent au niveau 10, mais ce n'est pas la généralité.
Au fil des jours, je commence à m'intéresser de plus en plus à l'idée d'enseigner le Duel. J'essaie de m'imaginer enseigner, et les souvenirs des professeurs qui ont marqué mon existence me reviennent. Aucun n'était parfait, et cette pensée me rassure. Je n'ai pas à être irréprochable.
Jedusor, quant à lui, poursuit l'écriture de ses mémoires. Il me lit parfois de courts passages, et je suis surpris de la vulnérabilité qui se dégage de ces quelques morceaux de sa biographie.
Les jours se transforment en semaine, et enfin, une lettre arrive de Mikhaïl Somov, le directeur de Durmstrang. Une fois la missive entre mes mains, la nervosité me gagne, et le regard trop attentif du Seigneur des Ténèbres n'arrange rien.
J'ouvre la lettre, et mes yeux se posent sur les mots du directeur, exprimant à la fois sa surprise et son vif intérêt face à ma candidature. Il mentionne qu'il est intrigué par mon parcours et ma maîtrise du Duel. Il évoque également les dangers qu'il y a à amener un homme comme Lord Voldemort à Durmstrang. Tout comme m'accueillir moi-même ne sera pas sans conséquences. Enfin, il me propose une rencontre en personne pour discuter des détails. Le lieu, la date et l'heure, je dois les définir, et il s'y conformera.
Je partage la nouvelle avec mon colocataire forcé, qui semble satisfait de la tournure des événements. Il se sent victorieux et je partage son sentiment. Postuler pour un premier emploi, c'est exaltant.
C'est à ce moment précis que je réalise que je n'ai pas encore annoncé à Ron et Hermione que je convoite le poste de professeur de Duel à Durmstrang. Jusqu'à présent, je gardais cela pour moi, craignant que le poste ne me soit refusé, et que cette histoire les inquiète pour rien. Mais maintenant que les choses semblent aller dans la bonne direction, je sais qu'il est temps de les informer de ma décision.
Pourtant, je ne peux m'empêcher d'être un peu inquiet de leur réaction. Ron et Hermione sont mes meilleurs amis depuis l'enfance, et c'est précisément pour cela que j'appréhende leur jugement sur mon choix. Peut-être ne comprendront-ils pas ce qui me pousse à envisager de partir pour Durmstrang.
Je prends la décision de fixer deux rendez-vous. Le premier avec le directeur de Durmstrang, Mikhaïl Somov, pour discuter des détails du poste. Et le second avec mes amis, Ron et Hermione, quelques heures plus tard, au même endroit : la Tête de Sanglier.
Ce pub est le seul établissement sorcier anglais qui acceptera que j'y traîne le Seigneur des Ténèbres avec moi. Abelforth Dumbledore, le propriétaire, nous a beaucoup aidés pendant l'occupation de Poudlard, et même s'il peut être parfois maussade voire hargneux, je suis sûr qu'il ne refusera pas ma demande.
Abelforth Dumbledore m'accorde son autorisation, et quelques nuits passent avant que le jour de la rencontre ne se présente à moi.
Le matin même, je tourne en rond comme un animal en cage dans ma chambre. L'idée de rencontrer le directeur de Durmstrang me rend anxieux, et j'ignore quels vêtements je suis censé porter. Plus je pense à cette rencontre, plus je trouve que c'est une mauvaise idée.
Des coups frappés à la porte de ma chambre interrompent mes pensées, et lorsque j'arrête de tourner en rond, j'entends une voix dont je connais toutes les inflexions s'élever derrière ma porte.
— Je vous entends faire les cent pas depuis le rez-de-chaussée. Je sais que vous êtes inquiet.
Voldemort ne dit plus rien, attendant probablement une réponse ou un geste de ma part. Sa patience étant de courte durée, il finit par ajouter :
— Voulez-vous bien sortir de cette chambre, ou vais-je devoir continuer à parler à travers votre porte ?
J'ai très envie de lui dire que je ne sortirai pas et qu'il n'a qu'à parler avec la porte si ça l'amuse, mais je me retiens. Ce comportement serait puéril et ne ferait qu'empirer la situation. D'un mouvement vif de la baguette que je manipule nerveusement depuis tout à l'heure, je déverrouille la porte et fais disparaître la clé.
Voldemort l'ouvre et entre sans la moindre gêne. Lorsqu'il remarque ma tenue, il se fige de stupeur, et fait volte-face sans pour autant quitter la chambre. Dans un fourchelang scandalisé, il siffle :
— Vous pourriez avoir la décence de mettre des vêtements avant d'ouvrir votre porte à quelqu'un.
Étonné par sa réaction, je précise :
— Je porte un caleçon.
Ce qui ne semble pas l'apaiser. Il siffle à nouveau.
— Vous n'avez donc aucune pudeur ?
Agacé, je me sens obligé de répliquer :
— C'est ma chambre, et c'est vous qui y êtes entré ! Et vous êtes mal placé pour me faire ce genre de remarques. Je me souviens encore de votre premier jour ici, vous n'étiez pas beaucoup plus habillé dans ma cuisine !
— La situation était complètement différente, et je n'avais rien à me mettre.
— Je ne vois pas la différence. Je ne sais pas quels vêtements mettre pour rencontrer le directeur de Durmstrang.
— C'est la raison pour laquelle vous tournez en rond depuis plus d'une heure ?
— Ça et d'autres choses.
Il soupire, me lance un coup d'œil rapide, se détourne vivement et me souffle :
— Mettez n'importe quoi pour le moment, et je vous aiderai à choisir quelque chose de mieux lorsque vous serez couvert.
— Je ne vous pensais pas aussi prude.
Il gronde.
— Je ne le suis pas.
Je remarque son dos raide et je ne peux que trouver la situation particulièrement amusante. Le Seigneur des Ténèbres faisant preuve de pudeur ?
— Bien sûr, vous ne l'êtes pas, et vous me faites une scène sans raison particulière.
— C'est vous qui faites preuve d'indécence face à moi.
Je retiens un rire de dérision.
— Lorsque c'est de vous qu'il s'agit, c'est une situation normale, mais lorsque c'est moi, je fais preuve d'indécence ?
Il grince des dents et dans un élan de mauvaise foi évidente, il déclare :
— Parfaitement. Alors couvrez-vous.
Je secoue la tête mais m'exécute quand même. Cet homme passe le plus clair de son temps à me fixer, porte des vêtements trop étroits et me colle en permanence, et de nous deux, je suis celui qui fait preuve d'indécence ?
Une fois que j'ai enfilé une robe de sorcier, je lui souffle :
— C'est bon, vous pouvez vous retourner.
Il me lance un coup d'œil, semble vérifier mon apparence de la tête aux pieds puis se retourne complètement. Il porte un pantalon trop court pour lui ainsi qu'une de mes rares chemises à manches longues qui paraissent être à sa taille mais qui ne convient pas tout à fait à la température extérieure.
Nous sommes en été et même à Londres, il fait trop chaud pour porter ce genre de vêtements. Ses cheveux sont longs et il les a attachés, j'ai l'impression qu'ils le gênent, mais qu'il n'ose pas les couper lui-même. Sans magie, ce n'est pas quelque chose de facile à faire.
Alors qu'il scrute ma penderie d'un air critique, je le lui fais remarquer.
— Je pense que nous allons devoir acheter de nouveaux vêtements. Mes vêtements ne sont pas adaptés à votre taille et…
— Même sur vous, ils sont horribles.
Je dévisage son dos alors qu'il élimine les uns après les autres mes t-shirts en commentant chacun d'entre eux : informe, troué, démodé, chiffon, mauvaise qualité du tissu, mauvaise qualité des coutures, mauvaise qualité générale, matière désagréable, etc…
— Vous exagérez, ce n'est pas si mal.
— Je n'exagère pas. Vous êtes riche, beau et influent. Vous pouvez vous permettre du sur-mesure. Vous vivez bien en-deçà de vos moyens.
Je hausse maladroitement les épaules, bien qu'il ne puisse pas me voir le faire. Je ne me reconnais pas dans ces qualificatifs. Riche, peut-être, influent… je suppose que j'ai de l'influence ou plutôt que je pourrais en avoir si j'utilisais mieux mes contacts, et beau… la beauté est subjective. Mais si je me compare à Jedusor, je me trouve très ordinaire.
Voldemort déniche mon seul costume, celui que j'ai porté au mariage de Fleur et Bill, lorsque je me faisais passer pour l'un des cousins de la famille. C'est un costume moldu de bonne qualité que je n'ai porté qu'une seule fois.
Il me le montre et ne semble pas tout à fait convaincu lorsqu'il me dit :
— J'ai peur de ne pas trouver mieux. Vous êtes un sorcier, vous devriez pouvoir améliorer ce costume en utilisant la métamorphose.
Je secoue la tête négativement.
— Je ne suis pas très à l'aise avec la métamorphose. Je vais simplement oter la veste et retrousser les manches de la chemise, et ça fera l'affaire. Vous devriez faire pareil.
Il plisse les yeux avec mécontentement et répète d'un ton dangereux :
— Retrousser vos manches ? C'est un entretien d'embauche, ni vous ni moi n'allons retrousser quoi que ce soit.
— Vous ferez comme vous voulez, et moi aussi.
Sur ce, j'attrape le costume et commence à me dévêtir, faisant fuir efficacement mon colocataire. Pas très loin puisqu'une fois la porte fermée, il reste derrière celle-ci à m'attendre.
Lorsque je sors, il m'examine, grimace en voyant que j'ai relevé mes manches jusqu'au coude et se penche pour ajuster mon col. Je le laisse faire, car il est du genre à prêter beaucoup d'attention aux détails. Sa main dans mon cou me fait frissonner inopinément, et il la retire en le remarquant, souriant lorsqu'il déclare :
— Ce n'est pas parfait, mais c'est de loin la tenue la plus seyante que je vous ai vue porter.
De sa part, c'est un éloge. Il rectifie une mèche de ses cheveux, et je lui demande :
— Vous les préférez courts ?
— Oui, je les préfère courts, mais ce n'est pas la priorité.
— Je peux peut-être vous les couper ? Pas avec des ciseaux, Hermione m'a appris un sortilège pour ça.
Il semble surpris par ma proposition mais l'accepte avec reconnaissance.
C'est ainsi que je me retrouve avec lui dans la salle de bains, devant le miroir à pied. Il est assis sur un tabouret et semble amusé par la situation, il m'observe par l'intermédiaire du miroir et me siffle.
— Vous avez déjà essayé ce sortilège sur quelqu'un d'autre que vous-même ?
Je secoue la tête, ce qui le fait sourire davantage.
— Qu'est-ce qui vous amuse tellement ?
— C'est la première fois que quelqu'un me coupe les cheveux depuis que j'ai quitté l'orphelinat.
Sa remarque me laisse sans voix. Sa franchise et son enthousiasme ont quelque chose de touchant. Je lui réplique, à moitié sérieux.
— J'espère que le résultat vous plaira.
— Vous ne pourrez pas faire pire que Mme Cole, elle me rasait la tête une fois par mois, c'était plutôt traumatisant.
Avant même de penser, je lui réponds :
— Ma tante faisait la même chose, elle ne laissait qu'une frange pour cacher ma cicatrice.
Il me dévisage, semble contempler un instant notre reflet dans le miroir puis siffle en fourchelang.
— Votre enfance n'était pas beaucoup mieux que la mienne, n'est-ce pas ?
Je grimace.
— Qu'est-ce qui vous fait penser ça ?
— C'est évident. Albus Dumbledore a fait une erreur en pensant que parce que vous étiez lié par le sang à vos parents moldus, ils finiraient par vous aimer. Cet imbécile a cru toute sa vie en la bonté du cœur humain. Il avait tort. Un cœur humain est bien plus prompt à haïr qu'à aimer.
Je fronce les sourcils.
— C'est faux. Vous avez raison, ma tante et mon oncle m'ont négligé et je ne m'entendais pas avec mon cousin, mais ce n'est pas pour cela que je les hais. Ils sont ma famille et même s'ils ne m'aiment pas… je tiens à eux.
Ses yeux rougeoient et son reflet me regarde avec un émerveillement sidéré, il siffle avec taquinerie.
— Votre cœur ne compte pas. Vous êtes absurdement plus prompt à aimer qu'autre chose.
— Je vais prendre cela comme un compliment.
— Je ne vous fais que des éloges.
— Taisez-vous pour que je puisse me concentrer.
Il rit.
— Vous lancez des sortilèges sans baguettes ni formules à longueur de journée et vous avez besoin de concentration pour me couper les cheveux ?
— Bien sûr, vous ne voudriez pas que je fasse tomber votre tête par accident.
— Je n'en mourrais pas.
— Peut-être, mais ce serait traumatisant.
Il se tait mais semble toujours de bonne humeur lorsque je lance le sortilège. Pour le réussir, j'essaye de me souvenir de ce à quoi ses cheveux ressemblaient lorsqu'il était étudiant à Poudlard.
Je ferme les yeux et lorsque je les rouvre, c'est le visage plus âgé du Tom Jedusor du journal qui me regarde à travers le miroir. Ses cheveux sont identiques à mes souvenirs, bruns courts et légèrement ondulés, quelques mèches sont retombées contre son front. Il passe une main dedans et semble monstrueusement satisfait lorsqu'il me dit :
— L'apparence de mon premier Horcruxe a dû beaucoup vous marquer pour que vous puissiez parvenir à ce résultat.
Je balbutie.
— Il a essayé de me tuer, bien sûr que je me souviens de lui.
— Ce n'était qu'un morceau de mon âme à l'époque où j'étais trop arrogant et sûr de moi. Excusez-moi pour lui, s'il avait été plus malin, il aurait remarqué que vous étiez, tout comme lui, une part de moi.
Je ne suis pas à l'aise avec ce sujet, et il le sait. Être son Horcruxe ne me plaît pas. Il remarque ma réaction à sa déclaration et change de sujet.
— Il est encore tôt, mais nous pouvons nous rendre à Pré-au-Lard, ainsi vous pourrez tourner en rond à la Tête de Sanglier plutôt que dans votre chambre.
J'acquiesce, et nous partons prendre la poudre de cheminette.
Dès notre arrivée, Abelforth Dumbledore nous installe dans un coin de la Tête de Sanglier, protégé par tout un tas de sortilèges qui empêchent ses clients habituels de distinguer la présence de Voldemort.
Ce qui est une précaution inutile, car bien peu de personnes savent à quoi ressemblait Tom Jedusor avant de prendre les traits du Seigneur des Ténèbres. Mais j'apprécie l'attention, et une part de moi est rassurée à l'idée d'être à l'abri des regards curieux. Contrairement à Jedusor, je suis reconnu partout où je mets les pieds et je n'apprécie pas la célébrité.
Je suis assis en face de Voldemort. Abelforth m'a servi une bièraubeurre, comme il le faisait lorsque j'étais encore étudiant à Poudlard, et j'ai parfois l'impression d'être encore un élève à ses yeux. Il est évident que le frère du professeur Dumbledore me voit davantage comme un gamin avec des problèmes plutôt que comme le héros du monde sorcier, et c'est peut-être pour cela que j'ai choisi cet endroit.
Abelforth a superbement ignoré Voldemort. Ce doit être la première fois que je vois quelqu'un réussir à nier la présence du Seigneur des Ténèbres de manière aussi franche. Cela démontre une grande force de caractère. Quant à lui, mon vis-à-vis ne semble pas particulièrement touché par le fait d'avoir été ignoré. Comme je m'y attendais, son attitude s'est progressivement métamorphosée depuis que nous ne sommes plus dans le cadre privé.
Il semble ouvertement hostile au monde extérieur, comme s'il se sentait agressé par le moindre bruit, couleur, odeur. Nous sommes dans une partie isolée du pub, et bien que nous puissions voir tout ce qui se passe autour de nous, nous ne sommes pas vus en retour. J'espérais que ce fait le rassurerait, mais cela ne semble pas l'aider. Il paraît dorénavant plus tendu que moi, et j'ignore ce que je peux lui dire pour détourner son attention.
Je garde le silence, et plus les minutes passent, plus son visage s'assombrit. Je crains que son humeur soit terrible quand le directeur de Durmstrang nous rejoindra enfin, alors je m'exprime.
— Vous avez l'air contrarié et mal à l'aise. Je suis désolé de vous faire subir cette sortie. Je n'avais pas réalisé que ce serait difficile pour vous d'être confronté au monde extérieur après plus de deux ans en prison.
Il me jette d'abord un regard noir étrangement troublé, puis ses yeux se fixent sur les miens et prennent peu à peu la rougeur qui leur est habituelle. Il me siffle dans ce que je sais être du fourchelang.
— Mon état n'a pas à voir avec mon emprisonnement… Je n'ai jamais apprécié l'agitation. Tout comme je ne suis jamais parvenu à apprécier mes congénères.
— Les sorciers ?
Ma question lui fait hausser un sourcil, et il me siffle, dans une confession qui ne devrait pas me choquer venant de lui.
— Les êtres humains.
Cet homme est un psychopathe clinique. Je le sais, et je sais aussi que j'oublie trop souvent cette réalité. Il s'efforce d'être correct avec moi pour ne pas me froisser et faire de nous des ennemis comme par le passé, mais cela ne change rien à ce qu'il est.
Je rétorque par réflexe :
— Vous parvenez à me tolérer, vous pourriez y arriver avec les autres aussi.
Ses yeux se posent sur moi, et je comprends que c'est une erreur de ma part de penser qu'il me considère comme les autres êtres humains.
— Vous n'êtes pas comme eux. Vous et moi ne sommes pas comme eux. Ils…
Je le vois grimacer de douleur en entendant un ivrogne faire violemment claquer sa pinte en verre contre celle de son voisin.
— Ils ne méritent pas d'être considérés de la même espèce.
Je soupire, essayer de tempérer ses propos en ce moment est inutile. Il souffre visiblement de l'environnement dans lequel nous sommes, et je n'ai pas le cœur à défendre une bande d'ivrognes ce matin. Pour préserver sa patience, que je sais faible, je décide de sortir ma baguette et de lancer plusieurs sortilèges qui viennent s'ajouter à ceux de Abelforth.
Des sortilèges pour insonoriser l'espace et rendre l'environnement au-delà de notre table flou et indistinct, pour camoufler l'odeur de l'alcool et empêcher les couleurs criardes des capes vertes et mauves des clients du pub d'atteindre les yeux du Seigneur des Ténèbres.
Une fois ma tâche terminée, je range ma baguette et lui demande :
— Est-ce moins désagréable ?
Il me dévisage, ses yeux sont incandescents, et je me rends soudainement compte de l'intensité avec laquelle il me regarde. Il semble hésiter un instant, ouvre la bouche, la referme, détourne son regard de moi, puis finit par me souffler à voix basse.
— Je vous remercie.
Puis il relève la tête et m'observe à nouveau sans la moindre gêne. Son corps tout entier semble s'être détendu, et il m'adresse même un sourire discret. Il me souffle alors que j'essaie de boire ma bièraubeurre.
— Votre prévenance ne cesse de me surprendre.
Je ne lui réponds pas, me concentrant sur ma boisson qu'il finit par observer avec un air critique.
— Je me suis habitué à vous voir boire du café, mais il semblerait que ce genre de boisson pour enfants vous plaise aussi.
Voldemort ne boit que du thé, sans sucre, parfois avec du lait, mais bien souvent sans. Il en boit plusieurs tasses bouillantes par jour. Pas qu'il y ait de l'alcool chez moi de toute façon, je n'en bois pas, sauf quand Ron en apporte pour trinquer avec moi. Même ainsi, je dois avouer ne pas être très attiré par le goût.
— Je ne bois pas d'alcool, ou rarement. Je préfère la bièraubeurre et le jus de citrouille lors des événements.
Il pose son menton contre ses mains, ses coudes sur la table, et me siffle.
— Au moins je suis certain que vous ne deviendrez pas un alcoolique bruyant et désagréable.
— Vous n'aimez pas l'alcool ?
— Mme Cole était alcoolique. Elle buvait à la moindre contrariété et devenait violente. J'ai été très tôt dégoûté par l'odeur.
J'acquiesce, regarde mon verre où il reste un peu moins de la moitié, et lui propose :
— Vous en voulez ?
Il me dévisage, observe mon verre, puis finit par me le prendre. Une fois celui-ci dans les mains, il me dit :
— Je n'aime pas les boissons sucrées.
Je lève les sourcils. Il ne boit pas ma bièraubeurre, et se contente de la garder entre ses mains. Il a l'air satisfait. Je comprends qu'il ne compte pas la boire.
— Qu'allez-vous en faire ?
— Vous me l'avez offerte, elle est à moi.
Je fronce les sourcils.
— Vous ne pourrez pas la garder. Cet après-midi, nous rentrerons par cheminée. Elle va se renverser.
Il me fixe avec insistance. Son comportement est puéril et il est évident qu'il ne boira jamais ce demi-verre de bièraubeurre, mais il semble y tenir. Je la lui laisse et il manipule mon verre entre ses mains et regarde le liquide doré pétiller à l'intérieur.
Soudainement, l'expression de son visage change du tout au tout et je me retrouve à nouveau face au dangereux criminel qui a terrorisé l'Angleterre sorcière. Il repose mon verre et me murmure.
— Il approche.
Je comprends qu'il parle du directeur de Durmstrang, et je me redresse sur ma chaise, soudain tendu et angoissé. Mon cœur se met à battre de façon incohérente tandis qu'un homme d'âge moyen pénètre à l'intérieur de la toile de sortilèges que j'ai placée autour de notre table.
Mikhaïl Somov dégage une autorité naturelle. Ses cheveux sont bruns et grisonnants, sa barbe est courte et entretenue, et il porte des robes de sorcier où le blason de Durmstrang est fièrement épinglé. Lorsque nos regards se croisent, je remarque que ses yeux sont d'un bleu profond, son visage est anguleux et je distingue une cicatrice le long de sa gorge.
Je souhaite me lever pour le saluer, mais cela m'est impossible. Avant même que je puisse faire le moindre mouvement, je me retrouve avec le Seigneur des Ténèbres debout dans mon dos, sa main droite fermement posée sur mon épaule. Il me siffle en fourchelang.
— Son statut social est inférieur au vôtre. C'est à lui de vous saluer en premier. Je ne permettrai pas qu'il vous manque de respect.
Hostile et menaçant, Voldemort est méconnaissable. Sa présence est si dominatrice et effrayante que je m'attends à ce que le directeur de Durmstrang fasse demi-tour sans demander son reste. Je suis habitué à ses sautes d'humeur lorsque des invités visitent le 12 Square Grimmaurd et je suis immunisé face à ce genre de démonstrations, cela ne m'intimide pas le moins du monde, mais je sais que ce n'est pas le cas de mon entourage.
Le directeur de Durmstrang semble confus un instant, il a même un mouvement de recul avant de se reprendre. Il quitte des yeux le Seigneur des Ténèbres intimidant derrière moi et me salue d'une révérence brève suivie de quelques mots.
— Lord Potter, je suis enchanté de faire votre connaissance. Mon nom est Mikhaïl Somov et je suis l'actuel directeur de l'école de magie Durmstrang.
Son salut semble assez poli pour convenir aux exigences de mon Seigneur des Ténèbres personnel, car celui-ci retire sa main de mon épaule. Je me lève pour serrer la main de Somov et lui réponds :
— Le plaisir est pour moi, monsieur le directeur.
Je tourne la tête vers Voldemort et décide de le présenter en relâchant la main du directeur.
— J'imagine que des présentations sont superflues, mais je vais tout de même les faire. Je suis Harry Potter et voici Tom Jedusor, qui est actuellement sous ma garde.
Somov lance un regard appuyé vers Jedusor, incline la tête et parle à voix basse.
— Pardonnez ma surprise précédente. Bien que vous l'ayez mentionné dans votre lettre, je ne m'attendais pas à être accueilli par le Seigneur des Ténèbres.
J'acquiesce. À sa place, j'aurais certainement choisi de fuir plutôt que de subir cet entretien, mais puisque Mikhaïl Somov ne semble pas prendre ses jambes à son cou, je l'invite à s'asseoir et prends place en face de lui.
Je fais apparaître une chaise supplémentaire pour Voldemort, qui s'installe à mes côtés. Je refuse qu'il reste debout à intimider le directeur derrière mon dos. Il semble comprendre mon irritation car il s'assoit sagement et cesse d'observer Mikhaïl Somov comme si celui-ci était de la boue sur ses chaussures, pour se consacrer à son passe-temps favori.
Me fixer.
J'ignore son regard brûlant sur mon visage et entame la conversation avec le directeur. L'entretien se passe bien, je lui décris mon parcours scolaire, ainsi que ce qui m'a mené à vouloir me tourner vers l'enseignement, et il me parle de Durmstrang. Il semble vraiment aimer l'école dont il est le directeur, et ma candidature l'intéresse.
Il me vante ses élèves ainsi que les installations et le matériel disponibles à Durmstrang, me parle des salles réservées à l'enseignement du duel, et semble vouloir me convaincre de venir y travailler. Mais très vite, deux problèmes se posent. Le premier est évident et c'est moi qui le mentionne.
— Je suis heureux de voir que ma candidature a retenu votre attention, mais je sais que ma présence ainsi que celle du Seigneur des Ténèbres à Durmstrang pourraient engendrer des problèmes. J'aimerais être sûr que vous êtes d'accord avec cela.
Il me regarde de ses yeux bleu et semble parfaitement sûr de sa réponse lorsqu'il me dit :
— J'ai étudié la question sérieusement, et si je n'étais pas d'accord avec cela, je ne vous aurais pas demandé cette rencontre. Lord Potter, si vous me permettez d'être honnête avec vous, Durmstrang a connu des moments difficiles et nous avons de moins en moins d'élèves. Vous n'en êtes peut-être pas conscient, mais votre simple nom, sans parler de votre réputation et de vos capacités, suffira à faire doubler le nombre d'inscriptions à Durmstrang cette année. Je peux vous affirmer que votre candidature est une bénédiction pour l'école.
Surpris par cette déclaration, je reste muet tandis que le directeur lance un coup d'œil à Voldemort. Le Seigneur des Ténèbres l'ignore et Somov déclare.
— Quant au Seigneur des Ténèbres, je suis entré en contact avec le Ministère de la Magie de votre pays, et il m'a assuré que vous aviez le contrôle de la situation. Je ne suis pas mort, ni même blessé, ce qui, considérant ma naissance de basse extraction, est un exploit qui me prouve que vous êtes tout à fait capable de veiller sur cet individu. Grindelwald n'a pas causé de problème après son emprisonnement, et je pense que ce ne sera pas différent avec le Seigneur des Ténèbres actuel, tant qu'il est sous bonne garde.
Je ne fais que hocher la tête, ce qui fait sourire le directeur de Durmstrang. Somov finit par me dire :
— Nous avons néanmoins un autre problème avant de conclure cet entretien. Je suis certain de vos talents pour le duel, et là n'est pas la question, mais la loi veut que pour enseigner, il vous faille une maîtrise en duel, ce dont vous ne disposez pas.
Effectivement. Je sais que c'est ainsi que l'on devient professeur dans le monde sorcier : on passe une maîtrise dans la matière concernée, et si on l'obtient, on est considéré comme apte à enseigner cette matière à d'autres sorciers. On devient Maître dans une discipline. Ce n'est pas mon cas. Gagner une maîtrise signifie rester plusieurs années comme apprenti auprès d'un Maître déjà qualifié, et je n'ai pas le temps pour faire une telle chose.
C'est ce que j'explique à Mikhaïl Somov, qui approuve puis reprend la parole.
— C'est le parcours classique permettant d'obtenir une maîtrise, mais il y a une autre façon de gagner ce titre. Du moins, concernant celui de Maître duelliste.
Voldemort semble réagir à cela. Il se détourne de moi pour lancer un regard noir à mon interlocuteur, regard qui fait frémir celui-ci. Le Seigneur des Ténèbres gronde dans un anglais terriblement sifflant.
— Vous osez ?
Le directeur de Durmstrang perd toutes ses couleurs, et je me sens obligé de réfréner la colère de mon partenaire. Je lui chuchote :
— Pourquoi vous en prendre à lui tout à coup ?
Voldemort retourne son attention vers moi. Son visage perd de son agressivité, mais il me siffle avec mécontentement.
— Cet homme est en train de vous provoquer. La seule façon de gagner le titre de Maître duelliste, autre que par l'apprentissage auprès d'un Maître, est de vaincre l'un d'entre eux, ce qui transfère automatiquement le titre. Or Mikhaïl Somov était lui-même professeur de duels avant de prendre la place de directeur. C'est une provocation en duel.
Voldemort semble furieux, et je tente de l'apaiser avec ces quelques mots :
— Je suis sûr qu'il ne fait pas cela pour se moquer de moi. La loi dit qu'il faut un titre de Maître pour devenir professeur, et s'il n'y a que ces deux méthodes pour y parvenir, alors il est évident que je dois passer par la deuxième. Ce n'est pas une insulte.
— Si ce né-moldu ose vous provoquer, c'est parce qu'il se pense capable de vous combattre, il vous considère comme d'un niveau équivalent au sien. Il vous sous-estime et n'a aucun respect pour vos faits de guerre.
Je décide de couper court à cette conversation à sens unique et je déclare en anglais, face à Somov :
— Le Seigneur des Ténèbres semble penser que vos paroles sont une provocation en duel, est-ce le cas ?
Le directeur de Durmstrang semble hésiter un instant avant de reprendre son assurance et de hocher la tête.
— Effectivement, je pense que vous et moi devrions partager un duel. À l'issue de celui-ci, en cas de victoire, vous gagnerez à la fois le titre de Maître duelliste et le poste de professeur à Durmstrang.
Je dois paraître surpris car il ajoute plus modestement mais toujours avec assurance.
— N'y voyez aucune insulte de ma part. Je ne doute pas de vos capacités ni de vos accomplissements durant la guerre. C'est une façon pour moi de m'assurer de vos qualifications. Pour tout vous avouer, j'avais hâte de faire votre connaissance et j'espérais qu'on puisse se mesurer l'un à l'autre.
Voldemort ne me permet pas de répondre.
— Votre arrogance est presque admirable, Somov. Il est risible de penser que vous pourriez le défier à armes égales. Cependant, si vous persistez sur cette voie et, par un coup de chance extrême, parvenez à égratigner mon gardien, sachez que je trouverai personnellement le moyen de m'occuper de vous. Croyez-moi, mes pouvoirs magiques ne sont pas nécessaires pour cela.
Ce que je redoutais le plus est arrivé : Voldemort vient de menacer le directeur de Durmstrang... le directeur qui, bien qu'effrayé, parvient tout de même à répondre.
— Il est surprenant pour moi de constater que le Seigneur des Ténèbres protège l'homme qui l'a vaincu. Est-ce par ego, ou bien aimez-vous tant le pouvoir que vous êtes tombé sous le charme de votre antagoniste ?
Les yeux de Jedusor s'assombrissent et je sens les restrictions magiques qui le brident s'agiter désespérément pour le contenir.
Somov regrette instantanément sa provocation et se recule maladroitement. Il me lance un regard effrayé et, l'espace d'un instant, je suis tenté de ne pas intervenir. Puis, conscient que laisser la situation dégénérer n'est pas une bonne idée, je me lève.
Ce qui attire le regard du Seigneur des Ténèbres. Je déclare :
— J'accepte votre duel. Néanmoins, nous ne pouvons pas nous battre ici… que diriez-vous de le faire à l'extérieur ? En marge de Pré-au-Lard, il y a plusieurs endroits tranquilles qui pourraient convenir.
Le directeur de Durmstrang accepte et je préviens Abelforth. C'est lui qui me désigne le terrain adéquat ; il semble désapprouver l'idée que je me batte en duel contre qui que ce soit, mais lorsque je lui explique la situation, il bougonne et me précise qu'il n'appellera pas Sainte Mangouste si l'un d'entre nous finit en deux morceaux.
Je le remercie presque en souriant et je nous guide, couverts par des sortilèges de discrétion, jusqu'au terrain indiqué par le frère du professeur Dumbledore.
Sous un soleil de midi éclatant, la chaleur embrase notre terrain d'entraînement improvisé, accentuant le poids de l'anticipation qui flotte dans l'air.
Mikhaïl Somov et moi nous figeons, nos baguettes comme des épées prêtes à être brandies. Une lueur de détermination brille dans les yeux bleus de Somov, signe qu'il est ravi de l'opportunité de me défier en duel. Derrière moi, Jedusor se tient en retrait, observant la scène d'un regard qui oscille entre la curiosité et le mépris. Il bouillonne de rage mais n'interviendra pas, sauf si je suis blessé, j'imagine.
Soudain, une brise légère s'élève, agitant les feuilles des arbres alentour.
La tension est palpable, et sans hésitation, Somov déclenche le premier sort, un Bombarda. Avec agilité, je me déplace latéralement, évitant de justesse l'éclair rouge qui fend l'air là où je me tenais auparavant. Le sol explose à quelques pas de moi et, du coin de l'œil, je vois l'humeur de Jedusor s'assombrir.
Profitant de l'ouverture momentanée dans la garde de mon ennemi, je contre-attaque avec un sort de désarmement d'une précision chirurgicale. Mes Expelliarmus ne manquent jamais leur cible. Sa baguette est arrachée de sa main, effectuant une volte aérienne avant de retomber violemment à mes pieds.
L'expression perplexe sur le visage de Somov en dit long. Sa main doit être en proie à une douleur lancinante, mais sa détermination reste farouche. Pourtant, je n'ai nul désir de le blesser. J'espérais qu'une fois désarmé, il reconnaîtrait sa défaite, mais il persiste.
Sans baguette, il tente de me maudire, et c'est ainsi que le duel s'intensifie, prenant la forme d'un échange où je prend l'initiative. Chacun de mes sortilèges frappe Somov avec une force déconcertante. Les éclairs de magie jaillissent, saturant l'air d'une énergie électrisante.
Malgré sa vaillance, Somov peine à parer mes attaques, lançant en retour des sorts de protection et de contournement. Ses réflexes aiguisés manquent de rapidité. C'est un duelliste compétent, mais j'ai affronté des sorciers bien plus redoutables.
Sa frustration grandissante le conduit à commettre des erreurs. Soudain, il érige un bouclier pour se protéger, mais je le perce aisément avec un sort de découpe. L'attaque le frappe de plein fouet, déchirant ses robes et le projetant en arrière. Je grimace.
Le souffle court, blessé et épuisé, il se redresse et je me dis qu'il est temps de mettre fin à ce duel. D'un geste vif, j'invoque Petrificus Totalus, immobilisant ses membres et le laissant à genoux, luttant pour reprendre le contrôle de son corps.
Pourtant, sa résolution ne vacille pas et il parvient à murmurer un sort de glace. Les cristaux givrés s'éparpillent en éclats scintillants autour de moi, mais ne me blessent pas. Face à un autre adversaire, il aurait réussi à retourner la situation avec un sort comme celui-ci, mais ça n'a aucun effet sur mon Protego.
Je m'approche, ma baguette en position de défense. Voldemort observe le dénouement en silence, ses yeux rougeoyants émettent une lueur de satisfaction inquiétante. À mesure que je m'approche, Somov s'effondre, épuisé et vaincu.
Je m'arrête à quelques pas de lui, reprenant mon souffle tout en maintenant ma posture défensive, prêt à agir en cas de besoin. Ces quelques mots s'échappent de ma bouche :
— C'est terminé. Vous avez perdu.
Son sourire est tendu, mêlant acceptation et déception. Son torse porte les stigmates de mon sort de découpe, et je soupçonne que sa main droite a été gravement touchée par mon sort de désarmement. Couvert de poussière, hors d'haleine maintenant que l'adrénaline a quitté son corps, il se met à trembler, tétanisé par l'atmosphère magique ambiante.
Il parvient à articuler d'une voix éraillée :
— Vous êtes-vous battu sérieusement ?
Le vent se lève, agitant mes cheveux tandis que je murmure d'une voix ferme :
— Accio baguette.
Sa baguette abandonnée glisse dans ma main tendue, et je la lui tends. Je lui adresse un sourire crispé et réponds :
— Je n'avais aucune raison de vous vouloir du mal.
Un sourire épuisé naît sur les lèvres du directeur.
— Je pense que je comprends un peu mieux qui vous êtes. Durmstrang a besoin de quelqu'un comme vous.
Il saisit sa baguette, et j'attrape son bras pour l'aider à se relever. Un instant plus tard, Jedusor est à nos côtés. Il nous sépare et se place devant moi, examine mon état du regard pendant un long moment, puis me siffle.
— Vous n'avez rien.
Je lui souris.
— Pas la moindre égratignure.
Il soupire de soulagement, et je siffle à nouveau.
— Je me débrouille bien avec une baguette, vous devriez le savoir.
Voldemort me lance un regard incandescent.
— Je le sais. Cependant, votre extrême gentillesse m'inquiétait. Je craignais que cela ne vous pousse à le laisser vous blesser.
Je secoue la tête, consterné par ce que mon ancien ennemi peut penser de moi. Je fais un pas de côté pour jeter un coup d'œil à Somov et lui dire en anglais :
— Suivez-nous, je suis sûr qu'Abelforth aura quelques potions et pansements de secours à la Tête de Sanglier. Nous prendrons soin de vos blessures.
Le directeur de Durmstrang secoue la tête négativement.
— Mon orgueil ne me le permettra pas. Vous êtes engagé, Lord Potter. Quant à moi, je vais retourner à Durmstrang et méditer sur cette défaite. Félicitations, vous êtes officiellement Maître duelliste, et je ne m'égare pas en disant que vous êtes le meilleur que j'aie affronté.
J'acquiesce, subitement conscient de ma victoire et de ce qu'elle implique.
— Je suis ravi de pouvoir enseigner à la rentrée.
Le directeur hoche la tête une dernière fois, me fait une révérence, et juste avant de disparaître, il me lance une clé en or attachée à un cordon de cuivre, que j'attrape avec facilité, en précisant :
— Ce sera un honneur pour moi de vous compter parmi nous le premier septembre. Ce Portoloin est réservé aux professeurs de Durmstrang. Il s'activera le moment venu.
Son départ me laisse seul face au Seigneur des Ténèbres dans un terrain ravagé par un combat que je ne pensais pas avoir à mener.
Voldemort m'adresse ses félicitations et je ne peux que lui sourire. J'ai réussi. Je suis devenu Maître duelliste, je suis désormais professeur à Durmstrang. J'ai obtenu le poste. Cependant, ma joie s'assombrit lorsque je me rappelle qu'il faut maintenant annoncer la nouvelle à mes amis. Comment Ron et Hermione vont-ils réagir ? Leur avis, leur soutien sont précieux à mes yeux et je ne peux imaginer la douleur que me causerait leur désapprobation.
Jedusor lit l'inquiétude qui ronge tout à coup la félicité de ma victoire et fronce les sourcils.
— Si vos amis vous déçoivent et vous rendent malheureux, je ne me gênerai pas pour leur faire remarquer l'estime que vous avez pour eux et qu'ils ne méritent pas, s'ils ne sont même pas capables de se réjouir pour vous.
Je grimace.
— Ron et Hermione méritent mon amitié, j'ai toujours pu compter sur eux, même dans les moments les plus difficiles. Je suis sûr qu'ils ne seront pas en colère.
Voldemort me regarde, et dans ses yeux rouges, j'aperçois la compassion étrange et unique qu'il ressent parfois lorsqu'il me parle.
— Je crains que ce monde et ceux qui le peuplent ne finissent par blesser irrémédiablement votre cœur.
Gêné, je me détourne de lui et lui siffle en reprenant la route du pub :
— Ne vous inquiétez pas. Mon cœur est fort. Même blessé, il continuera de battre.
Ron et Hermione sont arrivés à l'heure au rendez-vous. Je leur explique mon choix, l'entretien avec le directeur, ma victoire, ainsi que les raisons qui me poussent à vouloir partir.
Leurs expressions reflètent un mélange de surprise et d'inquiétude. Cependant, rapidement, leurs sourires confirment leur soutien. Ils me félicitent, me tapent amicalement dans le dos et partagent leur enthousiasme pour cette nouvelle étape de ma vie.
Ron se gratte la tête, un sourire taquin aux lèvres.
— Tu réussis toujours à attirer l'attention, hein ?
Hermione esquisse un sourire doux.
— Je pense que c'est une opportunité incroyable, Harry. Enseigner à Durmstrang te permettra d'influencer positivement de nombreuses vies.
Leurs paroles réchauffent mon cœur, et je réalise à quel point leur amitié est inestimable. Nous passons des heures à discuter, à rire et à évoquer les années passées à Poudlard. Ils émettent des idées pour le programme de duels que je pourrais enseigner, partagent mes craintes et mes espoirs. Je suis heureux.
Je me sens chanceux d'avoir des amis aussi compréhensifs et encourageants.
Voldemort reste à l'écart de notre petite réunion. Il semble envieux de la relation que j'entretiens avec mes amis, presque jaloux. Toutefois, et contrairement aux fois précédentes, il n'intervient pas, ne fait preuve ni d'impatience ni de mauvaise humeur. Il me regarde de loin, et je ne peux m'empêcher de souvent lui retourner ses regards, comme pour m'assurer de sa présence.
Je passe le reste de la journée en compagnie de mes amis. C'est tard dans la soirée qu'ils nous quittent. Ron m'a fait boire quelques verres, et semble ivre. C'est Hermione qui le soutient et le ramène à la cheminée avant de partir. Ils me sourient, et je me sens un peu triste tout à coup.
Je vais les quitter. Bien sûr, je les reverrai, mais je ne pourrai plus jamais faire partie de leur vie. Ils vont vivre, vieillir et mourir, et moi... je resterai tel que je suis.
Un profond sentiment de solitude dévaste mon âme, et mes yeux me brûlent. Les flammes vertes de la cheminée s'éteignent, et je vacille.
Soudain, deux mains se posent rudement sur mes épaules et me stabilisent. Voldemort me maintient debout et colle mon dos contre sa poitrine. Muet, je reste immobile, calant mon souffle sur le sien. Il pose sa tête sur mon épaule et me murmure :
— Votre peine... puis-je faire quoique ce soit pour l'apaiser ?
Je reste silencieux. Cette étreinte s'éternise, et j'aperçois Abelforth du coin de l'œil qui nous regarde avec désapprobation. Lorsqu'il croise mon regard, il ne détourne pas les yeux, il ne bouge pas, et son visage devient de plus en plus amer et sévère. Si bien que je me sens obligé de me détacher du Seigneur des Ténèbres.
Celui-ci relève la tête à mon mouvement et se décolle de mon dos. Toutefois, ses mains restent figées sur mes épaules, froissant le tissu de ma chemise. Voldemort remarque à son tour Abelforth.
Le frère d'Albus Dumbledore nous toise un instant, puis il tonne tout à coup :
— Vous ressemblez bien trop à mon frère et à cet imbécile pour que je puisse en supporter davantage. Hors de ma vue !
Son injonction me frappe comme une gifle, et j'agis en pilote automatique. Voldemort dévisage Abelforth comme s'il voulait l'écraser, et je suis obligé de le tirer avec moi dans le feu de cheminée.
Je rentre au 12 Square Grimmaurd, confus, le cœur endolori et l'esprit paralysé. Immobilisé devant le foyer de la cheminée, c'est Jedusor qui me guide vers l'étage et me ramène à ma chambre. Je m'assois mécaniquement sur mon lit, le regard perdu.
J'entends le Seigneur des Ténèbres soupirer, pas un soupir de lassitude, plutôt un râle de douleur. Il ressent mes émotions. Je voudrais lui épargner ma tristesse mais je n'y arrive pas. Il finit par contourner mon lit et s'allonger de l'autre côté. Il m'attrape et me tire à ses côtés, rabat la couverture sur nous et enserre à nouveau mes épaules de ses bras.
Son fourchelang n'est qu'un chuchotement :
— Je ne sais pas comment vous réconforter. Essayez de vous reposer. Je vais rester avec vous jusqu'à ce que votre cœur s'apaise.
— Vous… pourquoi fallait-il que votre âme vienne se lier à la mienne.
— Je suis désolé.
— Vous ne l'êtes pas.
— Non, je ne le suis pas.
— À cause de vous… je…
— Je sais et je vous demande pardon.
— Non.
— D'accord, je ne suis pas pardonné. Essayez de dormir.
Le sommeil finit par m'emporter, Voldemort l'emporte, et, pendant un bref instant juste avant de sombrer, la pensée que je ne suis pas seul, que je ne pourrai plus jamais l'être, m'apporte du réconfort.
Je me réveille au petit matin, l'atmosphère autour de moi est inhabituellement chaleureuse, et une senteur inconnue embaume les tissus à proximité. Je garde les yeux clos un instant, repassant mentalement les événements de la veille. Quand les souvenirs me reviennent, je sursaute : je suis entièrement habillé dans mon lit, mais mes lunettes ont été enlevées pendant mon sommeil.
Jedusor les a posées sur ma table de nuit, et il semble avoir passé un certain temps à mes côtés, car c'est son parfum qui flotte dans l'air autour de moi, l'odeur de sa peau. J'attrape mes lunettes et les place sur mon nez à l'instant même où mon colocataire réapparaît dans la chambre.
Il transporte un plateau avec deux tasses remplies et un exemplaire du journal. Lorsque nos regards se croisent, il m'adresse un sourire et siffle :
— Bonjour, vous montrez enfin des signes de réveil alors je suis allé chercher votre café.
Je bafouille de manière peu cohérente tout en me démêlant de la couverture :
— Bonjour, merci… Vous avez passé la nuit ici ?
Voldemort me tend le plateau que je saisis à deux mains. Il s'installe en position assise contre la tête de mon lit à baldaquin, prend sa propre tasse et murmure :
— J'ai remarqué cette nuit que votre lit est nettement plus confortable que le mien, et que vous ne pouvez pas vraiment être qualifié de dormeur calme.
Je fronce les sourcils.
Pendant un bref instant, j'ai envie de lui reprocher son comportement, de créer une distance entre nous, de l'empêcher d'agir ainsi. Puis mes yeux se posent sur le plateau entre mes mains et j'inspire profondément. L'odeur du café, mêlée à la sienne, emplit mes poumons et je me rends compte que je ne peux pas lui en vouloir.
Lui en vouloir pour quoi ? Parce qu'il essaie de me réconforter et de gagner mon amitié ? Parce qu'il a passé la nuit à mes côtés en toute innocence ? Parce qu'il ne veut pas que je le déteste ?
Je saisis ma tasse et bois presque la moitié de son contenu avant de répondre :
— J'ai toujours fait beaucoup de cauchemars.
Il acquiesce et semble amusé en précisant :
— Vous parlez en dormant. Vous vous êtes même assis pendant un moment. J'ai pensé que vous étiez éveillé, mais c'était probablement du somnambulisme puisque vous n'étiez pas conscient.
— Je ne m'en souviens pas.
— Vous parliez des propriétés du sang de dragons, affirmant qu'il n'y en avait pas 12 mais 13, puis vous vous êtes assis et vous m'avez assuré que la 13ème n'avait rien à voir avec la pierre philosophale. Vous aviez l'air très sérieux. C'était plutôt amusant.
Gêné, je me renfrogne et grogne.
— Je ne suis pas somnambule, mes rêves sont intenses, c'est tout.
Voldemort retient un rire et cache son amusement derrière sa tasse de thé. Je ne peux m'empêcher d'observer les traits parfaits de son visage. Il n'est pas levé depuis longtemps et, tout comme moi, il porte les vêtements d'hier. Cependant, sur lui, cela crée une impression de désordre contrôlé qui ne fait que renforcer son charisme. Il est éblouissant. C'est un psychopathe, mais tous les autres aspects de sa personnalité sont plutôt attirants. Je suppose que c'est ce qui lui a permis de rassembler autant de sorciers influents autour de lui.
J'essaie de ne pas trop y penser tandis que je termine ma tasse et déplie le journal. Pour une fois, il n'est pas gribouillé par les prises de notes de Jedusor, et cela me semble presque étrange de voir mon journal ainsi dénué d'inscriptions. Je n'ai pas le temps de m'en plaindre, car bientôt le Seigneur des Ténèbres lit par-dessus mon épaule et commente à voix haute les actualités. Je lève les yeux au ciel, mais le laisse faire son petit manège en me concentrant sur ma lecture.
Bientôt, mes yeux sont attirés par une publicité pour une nouvelle boutique sorcière qui ouvre à Londres en dehors du Chemin de Traverse, ce qui est suffisamment rare pour susciter mon intérêt. Il s'agit d'une boutique de tailleur située à Savile Row. Alors que je remémore l'emplacement, non loin de Regent Street, Jedusor déclare :
— C'est une excellente idée. Nous devons revoir notre garde-robe avant votre rentrée à Durmstrang.
— Cela doit coûter cher, c'est très haut de gamme.
— Vous avez les moyens d'acheter n'importe quelle boutique de tailleur à Savile Row. Quelques costumes ne vont pas vous appauvrir, d'autant plus que cette boutique est récente. Ses prix seront inférieurs à ceux des tailleurs moldus qui sont implantés depuis longtemps.
Je semble dubitatif alors que mon interlocuteur renchérit :
— Ce seront des pièces sur mesure. Si les propositions ne vous plaisent pas, nous chercherons ailleurs.
— J'imagine que ça ne coûte rien d'y jeter un œil.
Jedusor hoche la tête, visiblement satisfait, et j'ajoute :
— Cependant, j'aimerais que votre identité reste cachée. Je préférerais ne pas finir dans le journal.
— "Le Seigneur des Ténèbres aperçu aux côtés du Survivant dans la nouvelle boutique de Savile Row" ferait la Une.
— Arrêtez de vous moquer.
— Je ne me moque pas de vous. Vous n'avez pas à vous inquiéter que l'on me reconnaisse, il y a peu de chances que ce tailleur m'ait déjà rencontré. Allons-nous aujourd'hui ?
— Nous n'avons rien de mieux à faire, je suppose.
À suivre... dans la seconde et dernière partie de ce diptyque ! Manifestez-vous en reviews !
