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Lune de sang

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Lune de sang sur sa couche vermeille,

Dans ton regard perdu,

Se pare de merveille.

Arakïell

Le Puy-en-Velay, le 3 octobre 1496. Château du seigneur Conrad d'Adhemarr.

Il se trouvait au cœur du royaume de France, une terre que le courroux des volcans avait façonnée en paysages fertiles. Sur la ligne d'horizon se dressait un puy escarpé, fier et droit. On le distinguait d'aussi loin que portait le regard d'un homme, et il s'en posait beaucoup sur cette silhouette massive. D'un temple romain au premier sanctuaire chrétien, le mont Anis avait abrité de nombreuses légendes. Au carrefour de routes marchandes, avait été bâtie une cité du nom d'Anicium, et qui devint au neuvième siècle, Le Puy-en-Velay.

La guérison miraculeuse d'une femme malade sur une roche plate volcanique appelée « La Pierre aux Fièvres », et l'adoration de La Vierge noire, statue en bois de cèdre amenée d'Orient, avait fait de cette ville un haut lieu de pèlerinage, comme une escale obligatoire sur le chemin de Saint-Jacques-De-Compostelle, long voyage initiatique et spirituel.

Petit à petit, la région devint riche et prospère. De père en fils, de nombreuses familles s'y établirent, et leurs gens cultivèrent les champs nourriciers qui entouraient ce berceau de croyances.

Peu à peu, d'étranges personnages réclamèrent la suzeraineté de terres ancestrales autrefois concédées à nombre de vassaux. Il se trouvait que la plupart d'entre eux avaient perdu la vie dans de lointaines contrées et, faits curieux, n'avaient eu aucune descendance. Par le biais de troublantes manigances, une poignée de seigneurs revendiquèrent la légitimité de domaines entiers, en plus de mettre en place un pouvoir suspicieux sans être inquiétés. Si nombre de questions se posèrent, peu furent nourries d'une honnête réponse. La quantité infime de savoir sur les transactions effectuées se montra fragmentaire et incomplète. Le mal s'enracina en cet endroit du monde où l'or appliquait son sceau sur les registres des acquisitions.

L'un de ces propriétaires, se nommait Conrad d'Adhemarr. Il avait épousé en grande pompe la fille d'une noble famille, Olana d'Ysendrill, pour laquelle une partie de ses terres furent offertes en guise de cadeau de noces. Hélas… il n'y eut de plus mauvaise union que celle-ci dans tout le Comté, et le malheur s'allia au temps, pour parachever son œuvre.

Alors qu'un automne précoce avait paré la nature de couleurs subtiles, la femme délaissée laissait filer sa peine comme un rouet file sa laine…

« Lune à la fois si belle et si lointaine,

Si vers toi ma main se tendait, m'offrirais-tu l'asile qu'ici-bas j'espère ?

Feras-tu de mes pensées délétères, un souvenir qui s'altère ?

Une passerelle vers toi lancée, conduirait-elle mon cœur fatigué au trépas qui l'entraine ? »

Ainsi priait-elle, son front blond et lisse reposant contre l'encadrement d'une fenêtre. Au milieu du somptueux décor d'une chambre maritale, agonisait à petit feu l'espoir de goûter à l'amour. Comme une flamme meurt de sa propre passion, un cœur vivait douloureusement son dernier souffle. Fantôme diaphane se déplaçant au rythme de ses litanies, la créature faite femme perdait chaque jour un peu plus de vie. Prisonnière d'un seigneur mauvais, ses rêves s'effilochaient au firmament des cieux empourprés. Celle qui s'était nourrie de lectures et de poésies dut se résoudre à taire ses appétits. Aux jolis airs des troubadours se joignit la mélancolie des maudits. Adieu voix de velours dont les précieux atours glorifiaient le sentiment suprême.

Aimer était-il un vœu ardent qu'il en devienne inaccessible ?

Un époux vil et dépourvu de compassion avait réduit à néant le beau songe d'antan. Il se parait pourtant du charme sulfureux d'une richesse mal acquise. Une maladie de peau grêlait son visage de vilaines cicatrices, lui octroyant une aura particulière dont il usait et abusait auprès de la gent féminine, mais à laquelle ne succomba jamais celle à qui il s'était uni. Une sombre chevelure encadrait des traits durs et souvent fermés en sa présence. Ils l'étaient moins en compagnie des autres femmes pour qui la beauté de l'or prévalait sur le manque de bienséance. La rusticité du personnage en convainquit plus d'une de se donner à lui, et toutes s'en félicitèrent, même si les commérages les plus inavouables s'infiltraient dans son sillage.

Cela ne le dérangeait pas le moins du monde, tant qu'il pouvait tirer profit de la situation, et il se montra conséquent.

Aguerri aux arts du combat, il possédait une puissante musculature et il aimait à en faire une troublante démonstration lors de ses fornications avec les femmes. Il était de ceux pour qui violenter était une fierté de mâle. Si ses manières étaient décriées, elles étaient également admirées. Franchir les frontières du raisonnable en tentait beaucoup. L'on se prit à l'envier. Il s'en moqua éperdument.

Après les dames de seigneurs, nombre de jeunes filles de bonne famille s'essayèrent à la course au mariage, mais il n'avait d'yeux que pour celle qui n'avait jamais posé les siens sur lui, se détournant avec une grâce non feinte de ses paroles mielleuses. La jalousie aigrit le cœur de certaines, et l'on railla l'innocence de la colombe choisie. Cependant, l'enjeu d'un triomphe emplit le prétendant d'une volonté farouche, et il n'eut de cesse de déployer un machiavélisme surprenant pour la séduire.

Lorsqu'il fut présenté à l'aînée des Ysendrill, elle l'accabla d'un mauvais charme, de celui qui noircit plus qu'il n'honore, puis elle tenta de tout son cœur de le sauver de sa disgrâce, et de partager avec lui un amour singulier, tel que le racontaient les légendes oubliées, car il devait forcément en souffrir, mais… l'on omet parfois certains pans du récit, transformant le joli conte de fées en triste mascarade.

Enivrée de pouvoir et de fierté masculine, la nuit de noces sonna le glas des attentes de l'épousée. L'homme déflora la jeune fille comme il aurait conquis des terres nouvelles. La violence employée meurtrit les chairs, et les larmes se chargèrent du poids de l'amertume. Celui sur qui s'étaient fondés ses espoirs, devint un renégat, pire… un ennemi à abattre.

« Devrais-je un jour tuer cet homme ? » se questionnait-elle, tandis que s'endormait sur le lit conjugal, un seigneur repu, et vidé de ses vices. Elle qui n'avait jamais rudoyé un seul être en ce monde, en fut quitte pour sa peur, regrettant douloureusement sa méconnaissance sur le maniement des armes. L'on ne m'aura jamais appris à me battre, et c'est pourtant sur cette couche que maints de mes exploits auraient aimé se vanter.

Pour l'homme, il en allait tout autrement. La fierté d'avoir remporté ce trophée brigué par une grande partie de jeunes chevaliers, éveilla chez ce conjoint enivré par son succès, bon nombre de souhaits que son épouse fut en peine de satisfaire. Se défendait-on d'une telle gloire ? Après avoir été l'enjeu d'une juteuse transaction par son entourage, désireuse d'acquérir des terres depuis longtemps convoitées, et un riche seigneur enfermé dans sa prétention nimbée d'orgueil, elle n'était plus rien.

La docile damoiselle de seize ans devint le souffre-douleur d'un mari dont la perversité lui apparut enfin au grand jour.

Dernier d'une fratrie de trois enfants, Conrad savourait son existence avec légèreté, jusqu'à ce terrible jour où le premier-né, Adhemarr perdit la vie au cours d'un duel. Froid comme le fer de son épée, le père reporta toute son affection sur le fils inconstant et si beau, ignorant son second garçon, celui dont le rôle de chef famille aurait dû être fièrement endossé. Anthelme demeura dans l'ombre, coupable de n'avoir su mieux porter ses gènes. L'amour d'une mère transcendé par son aîné, pensa ce père égaré par son chagrin, et ensorcelé par une épouse ambitieuse.

D'emblée, les regrets s'invitèrent. Comment avait-il pu être aussi aveugle ? Les femmes finiraient par avoir raison de lui, songeait-il toutes les fois où, prodigieusement agacé, il faisait chercher sa progéniture au fin fond de glauques maisons de joies où la chair de sa chair s'abîmait dans des plaisirs illusoires.

Nombre de ses richesses s'étaient perdues aux jeux et chez les catins officiant pour la gloire de l'or.

Le coup de semonce se présenta grandiose. Face à la volonté paternelle, Conrad plia et se montra plus malin, jusqu'au jour où son géniteur mourut d'une mauvaise fièvre. Dans la foulée, il fit assassiner son frère par d'obscurs mercenaires, alors qu'il s'en revenait d'un long voyage sur la capitale de France.

Seule sa mère trouva grâce à ses yeux, mais elle apprit désormais à se méfier de son enfant. Hélas, le chant du cygne l'avait habillé de ses plus belles notes, lorsqu'on la trouva à l'aube, après une soirée de banquets et de musique, étendue près de la roseraie qui lui avait valu une si grande gloire. Ainsi le pouvoir vint au fils paré de son plus vil orgueil. Il l'accueillit avec la grâce de sa condition.

Dès lors, les fêtes s'enchainèrent au grand jour, et les mauvaises alliances aussi. Sa richesse prospéra avec ses vices et plus personne n'ignora ce personnage haut en couleur. Bientôt, il fut de toutes les malveillances, mais l'innocence ne sut séparer le bon grain de l'ivraie.

La naissance d'un héritier aurait bien parfait ce tableau faussement idyllique, mais le sort en décida autrement. Les médecins défilèrent devant le couple Adhemarr, l'on pressa même la jeune duchesse de se rendre chez la sorcière vivant dans la forêt…elle refusa. La nature ne se forçait pas, et si cette dernière allait dans le sens de ses volontés, alors pour une fois, l'histoire s'écrirait avec la juste plume.

Maintes fois cette leçon lui fut faite. Sans ce devoir accompli, nul héritier ne viendrait pointer le bout de son nez. Les désirs d'un mari prévalaient sur sa condition de femme. Son droit était de la visiter et de répandre sa semence à toutes les occasions où son envie le lui commanderait. L'on évoqua une potion…mais une fois de plus elle déclina la proposition. Accepter la besogne avec dignité… passe encore, mais avoir recours à de la médication nébuleuse, c'était à proscrire :

- Ma fille, lui avait un jour dit sa mère, laissez votre époux œuvrer. Répondez par l'obéissance et la docilité à ses assauts. Il faut vous y résoudre, et pour vous y aider, je me rendrai chez Eulalie, afin que de ses enseignements, elle vous pare d'une aura irrésistible. Cela devrait aiguiser les appétences de Conrad, pour qui votre ventre promet une lignée honorable.

Était-ce cela l'amour ? Subir la bestialité d'un homme que l'ambition dévorait peu à peu ? Elle refusa cette dégradante obligation, et toutes les fois où ce mariage devait être consommé, la jeune femme s'ingénia à se défendre avec rudesse. Le contenu de la petite fiole d'Eulalie fut remplacé par un vin liquoreux, détournant ainsi le premier usage de la potion. Hélas, l'on ne pouvait tromper un mâle, et les coups vengèrent l'insurrection.

Combien de gifles avait-elle déviées de sa main courageuse ? Pourquoi les compter ? On ne lui avait pas enseigné les mathématiques pour résoudre ce genre de problème.

Au fil du temps, le dégoût se substitua à la peur. L'insoumission des débuts fit place à la résignation. À son esprit défendant, son corps porta enfin un enfant qu'elle perdit au septième mois de sa grossesse après avoir souffert des heures pour lui donner naissance. Trois jours plus tard, sa maîtresse accouchait d'une petite fille en parfaite santé.

Conrad en conçut une haine farouche. L'avait-on dupé dans cette affaire de mariage ? Sa belle-famille apaisa ses tergiversations. Le temps ferait bientôt de lui un père, et l'on somma Olana d'accentuer ses ardeurs. Malgré ce semblant de réconfort, l'hostilité prit ses aises chez lui, liée à ses pensées lubriques. Au cœur de cet esprit torturé naquit l'idée de forcer un destin qu'on lui avait promis. Le devoir conjugal devint un viol.

La brutaliser l'excitait, l'avilir comblait ses vices, la soumettre nourrissait sa haine. Il accentua ses râles de plaisirs, défiant l'inconvenance, afin d'être envié et jalousé par les autres hommes. Les commérages s'en chargeraient. Les langues des serviteurs parleraient pour lui.

« Donnez-lui enfin ce fils qu'il désire ! », lui répondit un jour sa mère excédée par les nombreuses plaintes de son enfant.

Hélas, malgré les assauts effrénés et malsains de son époux, les potions diverses et variées préparées par d'obscures femmes de l'ombre, Olana renonça à l'espoir de maternité après la perte de son bébé.

Quatre longues années de souffrances, emprisonnées en son sein, ne vinrent jamais à bout de ses rêves. Elle continuerait de les nourrir. Les abandonner aurait été pire !

Curieusement, le seigneur Adhemarr ne souhaita en aucune façon se départir de son jouet favori. La répudier aurait été pourtant facile, mais la malice se logeait depuis le commencement en ce cœur torturé. Si sa femme n'était point disposée à lui donner un héritier, il serait toujours temps de prendre une nouvelle épouse. Auparavant, il fallait en passer par l'humiliation et les salissures, afin qu'elle ne puisse jouir d'une vie meilleure, et qu'aucun autre homme ne s'en montre digne. Admettre l'inacceptable devint coutumier, jusqu'à cette fois où le maître des lieux la fit quérir en plein milieu du jour.

Pénétrer dans une pièce qu'elle jugea indécente, et voir son conjoint baiser une vulgaire catin en fut plus qu'elle ne put en supporter. Face aux expressions de surprise et d'écœurement de son épouse, le mari se gaussa de sa naïveté. Mieux… il se délecta de son embarras, l'encourageant d'une voix teintée d'ironie, à retirer quelques enseignements de ses activités, afin de nourrir le peu de fièvre qu'elle portait en elle. Honteuse, Olana s'enfuit, abandonnant les amants dans une extase sulfureuse.

Ces incitations au vice devinrent récurrentes, et non contentes de provoquer du dégoût chez elle, elles entretinrent une haine croissante à son grand regret. Tout cela finirait mal. Ce n'était qu'une question de temps.

Une plainte mourut au fond de sa gorge. Son attention se reporta sur l'astre lunaire. Quelle étrange nuance. Le rouge n'était-il pas la couleur de la passion ?

Ses pas l'éloignèrent de la fenêtre. Elle prit place sur un siège devant un coffre en bois d'ébène dont le couvercle supportait quelques produits de beauté. Pain de savon en provenance de Venise, parfumé aux écorces d'agrumes frappés d'un sceau de la fabrique, un bol en étain contenant une fine poudre de farine pour accentuer son teint d'opaline, et un autre beaucoup plus modeste où était disposé un fard pour rehausser le feu sur ses joues. Tant qu'il était appliqué avec parcimonie, le maquillage était toléré chez les dames de hauts rangs. L'Église dictait sa loi jusque sur la peau des femmes, mais ne parvenait toujours pas à unifier les petites rébellions disparates de ses ouailles, pensait-elle en empoignant son peigne en écaille pour le faire glisser de la racine à la pointe de sa longue chevelure.

Le regard dans le vide, ses gestes mécaniques offraient un rituel apaisant tandis que son esprit la ramenait constamment à son époux.

Depuis quelque temps déjà, l'humeur de son bourreau se cadenassait. Il ne s'exprimait plus en sa présence, préférant se sustenter sans lui adresser la moindre attention, émettant des bruits grossiers et malvenus pour un seigneur. Le cérémonial du repas devint une torture. Non seulement elle ne se nourrissait pratiquement plus, mais elle passait le plus clair de son temps à l'observer à la dérobée, guettant la plus insignifiante réaction. Pourquoi l'avait-on poussé entre les bras de ce rustre ? L'argent justifiait-il une telle vilénie ?

Le dernier souper n'avait pas fait exception à la règle. Sitôt terminé, il s'était levé brusquement, renversant bruyamment sa chaise à haut dossier, puis il avait quitté la pièce de sa démarche coutumière, vive et désordonnée. S'était-il rendu chez l'une de ses nombreuses maîtresses afin de contenter un appétit qu'elle n'était plus en mesure de combler ? Sans doute. C'était un besoin qu'il lui fallait assouvir de plus en plus souvent, un peu trop à son goût. S'il rentrait ivre et satisfait, elle pouvait entrevoir une nuit de paix. Dans le cas contraire…il la sommerait de s'écarteler pour lui.

Secrètement, elle espéra qu'il n'en serait rien cette nuit, à l'instant même où le battant s'ouvrit. Appuyé contre le chambranle de la porte, le seigneur Conrad la toisait d'un air méprisant. Adhemarr, portait haut et fier ses origines obscures. Rien du passé ténébreux de ses ancêtres, n'était connu en ce coin reculé du royaume de France. Son aura nébuleuse contribuait à laisser planer le doute sur la vilaine prédiction qu'Olana abritait dans ses pensées. Il y avait aussi ce regard d'un marron très foncé au centre duquel brillait une pupille noire, qui lui conférait une puissante attraction. En ce début de soirée, l'on n'y décelait aucun état d'ébriété, ce qui inquiéta vivement sa jeune femme. Plus il se montrait sobre, plus elle devait le craindre. Ferait-il usage de violence comme toutes les fois où elle opposait une résistance ?

Assise devant son miroir, peu ravie de retrouver sa moitié, Olana baissa les yeux. Ses mains tremblaient légèrement. Conrad paraissait paisible, beaucoup trop à son goût. Elle allait avoir mal, une fois de plus. Ses joues pâlirent.

Ses pensées se confirmèrent lorsque d'un geste empreint d'une douceur inhabituelle, il s'empara du peigne et le plongea au cœur de sa magnifique parure. Petit à petit, les dents serrées de l'instrument raclaient avec force le cuir chevelu, s'enfonçant plus profondément qu'il n'était d'usage de le faire, dans cet océan de blondeur, et tandis qu'elle retenait ses cris, sa voix faussement mielleuse s'infiltra dans le creux de son oreille :

- Délaissez quelque peu votre coiffure, chère Olana, et songez à rendre fécond ce ventre que rien n'a prédestiné à pareil destin, lui chuchotait-il en détachant chaque mot afin qu'il soit décemment entendu.

Touchée dans sa fierté, l'épouse bafouée offrit une réponse toute aussi empreinte de bravoure :

- Sans doute l'aurait-il accompli, aidé de l'amour d'un autre.

La provocation atteint de plein fouet l'orgueil du mâle :

-Qui s'encombrerait d'une femme stérile et niaise ? Comment votre mari pourrait-il faire bon usage d'un vit dont la vaillance et la dureté en fait jouir plus d'une ? continuait-il à lui susurrer avec perversité.

- Qui donc s'accommoderait d'un porc aux viles manières, comme de son mât qu'une pléiade de putains s'emploierait à chevaucher ?

La main s'abattit avec force sur le visage d'Olana. Sous la violence du choc, elle chuta de son siège. Sa tête heurta le sol occasionnant un désordre furtif. Lorsqu'elle rouvrit les paupières, l'afflux de sang à la surface de son iris droit altérait sa vision :

- Devrais-je davantage m'en remettre à ces autres, quand la sublime catin que vous êtes jura de me satisfaire ?

Ces mots, entendus à maintes circonstances, firent jaillir la haine depuis trop longtemps contenue en son sein :

- Quelle valeur porte un serment énoncé sous la contrainte ? En tant d'années d'esclavage, je n'ai pas encore mérité le titre glorieux dont vous souhaiteriez m'honorer. Jamais à vous mon corps ne s'ouvrira, hormis si vous vous ingéniez à le briser comme toutes les fois où vous le fîtes !

Le mari offensé vit rouge. Le fiel s'échappa d'entre ses lèvres :

- En ce cas, je me dois de parfaire votre dressage, dame Olana Adhémarr !

D'un mouvement où perçait l'impatience, Conrad extirpa de son fourreau une dague à rouelles(2) au manche d'ivoire finement ciselé. Il en admira le métal amoureusement entretenu, avant de poser son regard enfiévré sur sa femme. Affolée, elle s'évertuait à chasser le sang du dos de sa main, un geste enfantin qu'il avait vu effectuer des dizaines de fois, et qu'il avait appris à haïr tout autant. Que devait-elle faire ? Comment éviter l'inévitable ?

Jamais les rancœurs de cet homme ne l'avaient entrainée aussi loin, jamais elles ne l'avaient enchainée à tant de fureur. Ma vie ne tient qu'à un fil, pensait Olana, tremblante de peur.

Il fallait le contenter, très rapidement. Éteins cette hargne avant qu'elle ne s'enflamme davantage et ne te plonge dans l'abîme, se dit-elle en se redressant maladroitement. Aucune clémence ne lui fut accordée. Un sourire malsain sur ses lèvres, ses doigts agrippèrent la magnifique coiffure de sa femme.

D'un geste sûr, le tranchant de son arme en coupa une bonne partie. Satisfait, il porta la poignée de cheveux à hauteur de ses yeux en ricanant, avant de jeter les longs fils dorés sur la couche maritale. À sa vue, elle poussa un cri désespéré. Les boucles soyeuses de son enfance avaient tout bonnement disparu, faisant place à une tête hirsute. La moisson de la colère s'était montrée amère. Si le vice habitait cet être, la méchanceté en était le pilier. Rien de bon ne devrait en sortir :

- Pourquoi me déposséder du peu qui me contente ? Il ne me suffit plus de vous haïr ! Vous voir mourir comblerait mon désir ! se mit-elle à hurler, accablée de chagrin.

Loin de décontenancer Conrad, l'aversion d'Olana ne fit que l'encourager à poursuivre son funeste dessein. Lorsqu'elle l'aperçut s'emparer d'un coussin et le jeter à terre, le dégoût s'invita en elle. Non, je vous en supplie ! Tout, mais pas ça…

- À genoux… putain ! ordonna-t-il sèchement en la trainant sur le sol par le restant de sa coiffure.

Un cri de douleur s'échappa de sa gorge. Au comble du désespoir, ses mains battirent l'air, désirant frapper celles de son tortionnaire, mais la détermination de cet homme la condamnait à l'impuissance. Elle dut se ramper sur ses genoux pour atteindre l'oreiller de brocart, puis elle se prépara au pire.

Excité, il se débarrassa de son haut de chausse. Meurtries, les pensées d'Olana fusèrent dans un esprit de plus en plus désordonné. L'une d'entre elles persista avec force il allait la tuer…l'humilier et la tuer, cela ne faisait plus aucun doute. Puisque l'enfant ne viendrait jamais, il détruirait ce qu'il avait ardemment désiré, et prendrait à nouveau femme. Ni les hommes de Dieu, ni la loi ne seraient en mesure de le lui interdire.

Elle envisagea la mort comme une libération, et la souhaita avec courage.

Une fois son vêtement jeté rageusement à terre, il empoigna son membre et l'approcha du visage d'Olana :

- Suce-moi ma tendre épouse, ironisa-t-il !

Offusquée par ce langage ordurier qu'il avait pris plaisir à énoncer, elle secoua sa tête de gauche à droite, espérant gagner un peu de temps, mais celui de Conrad était malheureusement compté. Ses doigts se placèrent de part et d'autre de ses joues, l'obligeant à desserrer ses lèvres devant une érection à moitié dure :

- Que pour une fois, ta langue acerbe te serve à autre chose qu'à me débiter ta suffisance !

Le tutoiement la blessa bien plus que les intentions qu'il nourrissait à son égard. Impatient, il fourra son pénis à l'intérieur de la bouche de son épouse, lui provoquant un insoutenable écœurement. Elle le repoussa de ses mains, affolée. Sa colère l'entraine à s'enfoncer plus profondément, plaquant le visage de sa femme contre son bas-ventre. Un borborygme immonde retentit dans le silence malsain de la chambre. Au plus proche de ce corps qu'elle avait appris à haïr, l'odeur du mâle lui souleva le cœur, tandis que d'un coup de rein, Conrad commençait à se mouvoir, se félicitant de se sentir si enflé. Qu'elle goûte à sa vaillance. Elle finirait par apprécier cette garce !

Olana baissa ses paupières. La honte avait tari le puits de ses larmes. Il y avait trop longtemps qu'il en avait joué à ses dépens. L'humilier le faisait bander, mais elle pouvait encore nuire à cette profusion de sensations. Ses ongles griffèrent la peau, aussi férocement que possible. Habitué à ses violentes réponses, il accentua l'emprise de sa main sur sa chevelure pour l'obliger à l'avaler plus profondément.

Ne pas vomir. Retenir son souffle, contrôler sa respiration…oublier les mots, omettre le goût abject…ralentir la course de sa haine, apaiser les battements dans sa poitrine, calme-toi… calme-toi, s'intimait-elle.

Un second haut-le-cœur anéantit toute sa volonté. Son seigneur et maître quitta cet antre où il ne serait, jamais le bienvenu, accompagné d'un juron bien senti.

Frustré de n'avoir pas été satisfait, Conrad s'assombrit. La colère torturait son esprit, la contenir lui devint impossible. Le temps était venu de la cracher comme une mauvaise bile. S'il ne pouvait obtenir ce qu'il lui avait fallu payer de son or, tout lui serait volé, sans la moindre exception.

L'entrainer dans la souffrance, la trainer dans la boue, tuer le plus humble de ses rêves, salir ce qui pourrait l'être afin que jamais elle ne s'en relève…

Ce temps de répit permit à l'épouse de reprendre un peu de son souffle. Sans doute s'en irait-il terminer ailleurs ce qu'il avait commencé avec elle, mais la lune de sang exigeait son lot de sacrifices. Tout dans son regard posé sur sa chemise de popeline le lui faisait comprendre.

Comment s'en protéger ? Que faire ? Les blessures infligées à son œil brûlaient horriblement. À travers la couleur pourpre de ses douleurs lui apparaissait un véritable monstre. Sa nausée s'estompait à peine… devrait-elle le supplier une fois encore, et plier son genou devant lui ? Que le sort en décide pour elle, se résigna-t-elle, avant de fixer ce monstre de ses prunelles où s'éteignait la vie :

- Baissez les yeux ! Je ne supporte plus vos airs de martyres !

Un sourire narquois s'affichait sur les lèvres du mari ivre de rage. Que cette peur l'excitait ! Comment ne pas ressentir le pouvoir de la violence, recourir à sa force au point de s'en délecter ?

- Je finirai par vous tuer, Olana. Je le jure devant Dieu !

Usée par cette vie qui n'en était plus une, l'épouse baissa enfin les paupières, ouvrant ses bras en guise de sacrifice :

- À la place d'un blasphème, commettez votre crime !

Une seconde gifle s'abattit sur son visage, la plongeant dans un demi-brouillard. Elle se sentit hissée et jetée sur le lit sans ménagement :

- Encore un mot, et je vous punit comme mes chiens ! la menaça-t-il en la renversant sur le ventre.

Deux mains s'appuyèrent sur ses hanches, et les soulevèrent sans la moindre retenue. Une imprécation fusa lorsqu'il découvrit le jupon(3) sous la longue chemise. Elle avait ses menstrues ! Peu lui importait, il se hâta de déchirer son vêtement. La prendre sauvagement, tirer de ce coït infâme, le plaisir tant espéré, c'est tout ce que son esprit lui recommandait. Tout l'y encourageait, jusqu'à la position du corps écartelé. L'excitation fut à son comble au moment où le pénis luisant du liquide préséminal pénétra son ventre, meurtrissant à son passage, les fragiles muqueuses.

Une plainte lancinante se répercuta contre les murs de l'appartement du maître. Jamais un écho plus douloureux n'avait été emprisonné au sein des pierres, alors que la tête de bélier déchirait les entrailles, nourrissant son désir de s'enfoncer au plus profond de ce corps. Dans un monde où la brutalité sévissait chez les femmes, Olana subit son supplice la gorge en feu, ses chairs livrées à la rouerie d'une bête. Elle pensa sa délivrance venue en constatant qu'il se retirait, mais il fallait accorder au calvaire le droit de perdurer, répandre son outrage et blesser davantage. À nouveau, il l'empoigna, la forçant à se retourner. Étendue sur la couche, écartelée, offerte contre son gré, elle supplia son bourreau:

- Pitié…s'il vous plaît… pitié…

Un temps, il lui sembla apercevoir sur les traits de cet individu une part d'humanité que sa violence encourageait à détruire. Le cruel va-et-vient reprit de plus belle :

- La ferme ! hurlait-il les yeux exorbités.

Plus ses mains frappaient le torse de son mari, plus celles de Conrad la rouaient de coups. Sa rage exultait. La vision du liquide vermeil le galvanisait, tandis qu'il s'acharnait à la violer en poussant d'ignobles grognements. Le devoir conjugal bascula dans l'horreur, accompagné d'injures.

Les poings de l'homme se teintèrent de pourpre… l'air manqua à la femme torturée… elle s'étouffait, gagnée par une douleur sans nom. Son corps n'était que supplices, son bourreau, un amas de haine. La gorge emplit de son sang, Olana sombra dans un inquiétant silence. Une multitude de petits points blancs envahit sa vue. Ses forces s'amenuisèrent. Elle se sentit partir. Peut-être était-il temps de mourir. Sous l'ardeur de cette bête immonde, elle devint une poupée de chiffon aux yeux vitreux.

Conrad jouit…abondamment, sans la moindre considération pour celle qui trépassait lentement.

Puis il se laissa choir sur le lit, un sourire de vainqueur sur les lèvres. Comme il avait été plaisant de joindre la violence à son plaisir. Il se promit en son for intérieur de réitérer cet exploit. Elle finirait par aimer… du moins, s'il ne la tuait point avant.

Alors qu'il se sentait d'humeur à imaginer d'autres sévices pour sa proie, une étrange fatigue, pareille à une vilaine magie, s'abattit sur lui. Ses muscles se tétanisèrent, sa langue enfla de sorte que tous mots ne purent franchir la barrière de ses lèvres, et ses paupières se baissèrent. Olana, prit une profonde inspiration, ce qui provoqua une vive brûlure dans sa trachée. Expulsant en crachant ce qui obstruait sa gorge, elle roula sur la couche, s'écroula abruptement sur le sol, et tenta désespérément d'aspirer le peu d'air que ses poumons acceptaient de laisser filtrer. Une horrible toux l'obligea à demeurer étendue. Les os de son visage lui faisaient mal. Ses doigts tremblants rencontrèrent un fluide épais inondant son nez…

Un remuement sur le matelas lui rappela qu'une bête immonde s'y était allongée. Allait-elle à nouveau sévir ? À travers le prisme déformant de sa vision, elle vit le monstre s'essayer à prendre appui sur son coude, mais ses forces l'abandonnèrent, et son corps retomba lourdement sur le lit défait. Les mouvements de sa cage thoracique ralentirent jusqu'à devenir pratiquement imperceptible.

Le regard rivé sur son mari, l'épouse osait à peine respirer. Quelle laideur ! Une chemise parsemée du sang de ses menstrues retroussée sur son buste, son sexe encore suintant de sperme, reposant mollement sur sa cuisse gauche… la débauche pensa Olana écœurée. Soudain naquit l'espoir. Et s'il rendait l'âme… là…maintenant, d'un excès de jouissance, lui qui excellait dans un art qu'elle n'avait jamais partagé avec lui ? L'idée lui plut tant qu'elle se figea, souhaitant de tout son cœur cette issue favorable, mais son torse adopta une respiration lente et régulière. Il s'était juste endormi !

Recroquevillée sur ses jambes douloureuses repliées sur sa poitrine, la duchesse qu'elle était devenue rampait à terre comme une vulgaire fille de joie sur laquelle l'on se serait vidé. Un profond sentiment de honte l'envahit. Il y avait tant de salissure, en elle, sur elle…

La souffrance lui vrillait la tête. Du liquide séminal s'échappait de sa vulve sensible. Immonde et gluant, il provoquait d'intenses brûlures sur les déchirures de son sexe. Après avoir inondé le réceptacle de sa féminité, il dégageait la puanteur du malheur.

Son jupon pendait, abîmé et souillé. Et cette odieuse semence… ses mains agrippèrent avec rage un pan de tissu de sa chemise qu'elle lacéra sèchement. Elle fourbit méchamment son pubis. Il fallait effacer les traces de l'infamie, les marques de la honte, éponger ce liquide poisseux, collé sur sa peau. Frotter, frotter, frotter jusqu'à écorcher son épiderme, jusqu'à se faire mal, jusqu'à maudire sa condition de femme.

Non loin de là, son miroir lui renvoya une image insoutenable. Elle détourna son regard empli de larmes. La jolie fleur avait fané. C'en était fini. Elle se sentit lamentable, immonde, pleutre, bête à pleurer. Tel était le sort pour les plus faibles. Pauvre imbécile, ne cessait-elle de s'invectiver, tu mérites ce qui t'arrive pour avoir tant voulu y croire ! Bois le calice jusqu'à la lie, et étouffe tes derniers rêves. La vie n'est pas pour toi !

Si mille pensées traversèrent l'esprit de la jeune femme, une seule demeura vivace. Il ne fallait pas que cela se reproduise. Jamais ! Elle ne le supporterait plus. Pouvait-elle fuir ? Pour aller où ? Comment survivrait-elle dans ce monde cruel où même les loups s'en prendraient à elle ? Si elle ne pouvait quitter le château, alors elle devrait mettre un terme à son existence. Où trouver ce courage… où ?

Soudain, le corps de Conrad remua. Son regard fut attiré par la dague jetée à terre. La lame brillait de tout son éclat, éclairé par le reflet de la lune rouge. Elle semblait l'appeler comme un sort promis. Le dos de sa main frotta son œil endolori.

Comment se donner la mort ? Aurais-je mal ? Ou devrais-je planter cette lame ? Devant tant d'ignorances, elle se mit à pleurer.

Elle passa en revue l'horizon de sa chambre…le dernier qu'elle emporterait dans sa tombe. Deux coffres se faisant face, un troisième sur lequel trônait un miroir qui ne lui serait plus d'aucune utilité, quelques flacons de parfum dont elle n'avait jamais eu l'usage, et ce vaste lit où de nombreuses batailles avaient été engagées. La guerre prenait fin cette nuit.

Ses doigts tremblèrent alors qu'ils se plaçaient sur la rouelle de métal. La poignée semblait avoir été conçue aux dimensions de sa main. Sa prise s'ajusta parfaitement. Elle pointa l'arme en direction de son cœur… lui offrir enfin la paix à laquelle il aspirait depuis tant d'années…

Conrad émit un gargouillis. Il fallait faire vite. Brusquement, une force incroyable bloqua son geste. Que lui arrivait-il ? Elle apposa la seconde sur le manche, espérant accorder plus de force à son acte, et c'est alors qu'elle l'entendit… cette voix singulière, caverneuse et directive :

- Tue ce porc !

Devenait-elle folle ? D'où provenait cette confusion ? Cette parole ?

- Crève-le !

Non, ce n'était pas son imagination, quelqu'un lui intimait un ordre :

- Qui est là ? Montrez-vous !

- Que jamais plus ses mots ne t'atteignent.

Sa main sur la dague… le crâne de Conrad écrasant le coussin de plume …son cou offert…

La lame obliqua selon un certain angle, se posa avec une extrême délicatesse sur l'épiderme, puis se déplaça avec une lenteur démoniaque de la droite, vers la gauche de la gorge, mettant les chairs à vif, découpant les muscles, et sectionnant carotide et veine, libérant la trachée qui alimentait encore la poitrine d'un souffle de vie. Le fil du couteau, ouvrit une large brèche sur le conduit constitué de tissu fibreux et cartilagineux. Le passage de l'air provoqua un bruit épouvantable. Une gerbe de sang jaillit, éclaboussant la chemise de coton de la jeune femme. L'entaille semblait avoir été pratiquée par la main experte d'un homme de science tant sa précision interpellait.

Conrad s'éveilla, le regard agrandit par la terreur. Un gargouillis immonde s'échappa de la blessure à vif. Le visage émacié de celui qui l'avait violenté tant de fois prit une teinte cadavérique. D'interminables soubresauts agitaient ce corps perclus de vices. Le bourreau vivait là ses derniers instants, se vidant comme un cochon sacrifié pour un banquet ! La stupeur marquait ses traits… comment avait-elle pu commettre ce crime ? L'avait-on aidée ? Pourquoi cette soudaine rébellion ?

Au-dehors retentit un impressionnant coup de tonnerre. Une pluie diluvienne se mit à tomber sur le Velay, provoquant des coulées de boues dans les rues des bas-fonds de la cité. Les cieux crachaient une colère sans nom, mais à l'intérieur d'un palais, un drame se déroulait dans un silence presque obséquieux.

Horrifié, le regard d'Olana passait de la bouche, vomissant le sang, au couteau rougi. Ses traits figés trahissaient la stupeur. Avait-elle commis ce crime ? Je n'ai pas fait cela, ce n'est pas moi, essayait-elle de se persuader. Mais si tu l'as fait…lui répondit-on. Mais si…

Le corps de l'époux cessa de s'agiter. Ses yeux devinrent vitreux. L'on y décelait encore la vilaine surprise que lui avait jouée la Mort. Ainsi s'éteignit Conrad d'Adhemarr. Lui qui rêvait de hauts faits de gloire, en fut pour ses frais. Il manquerait à son épitaphe, une vaillance illusoire.

La meurtrière tomba sur ses genoux. Un haut-le-cœur tordit ses entrailles. Elle se pencha en avant et se mit à vomir. Les deux mains à plat sur le sol, elle tentait vainement de reprendre un peu de souffle.

De l'autre côté de la porte, l'on toquait furieusement sur le battant de bois, appelant le nom d'un seigneur qui n'était plus. D'horribles spasmes contractèrent à nouveau son estomac. Un fiel immonde remonta le long de sa gorge, avant que ne soit rejetée une poignée d'aspics noirâtre, se frayant un chemin au travers des salissures. Sa vue se troubla. Elle se laissa choir sur le sol ; anéantie…

Au milieu de ses larmes, l'horizon prit une teinte blanchâtre. Le silence régna enfin. Au cœur d'un écrin de coton, la souffrance s'apaisa définitivement. Les accents d'une chanson lointaine l'entrainaient dans un monde où la peur n'existait plus. Les six chœurs d'un luth jouaient une comptine enfantine. C'était une si jolie ritournelle…

« La petite fille s'en allait sur les chemins,

Cueillir les fleurs carmin.

La petite fille chantait de bon matin,

La comptine de Picotin…

Ce monde est merveilleux,

Ce monde est merveilleux…

Alors les paroles se chargèrent du mal…

Et la gentille petite Olana tua… tua… tua,

Celui qui la baisa… baisa… baisa.

Était-elle méchante, cette charmante enfant ?

Mais non, mais si,

Mais si, mais non !

Ce monde est merveilleux,

Ce monde est merveilleux… »

- 1- Puy : appellatif toponymique qui désigne, dans le sud de la France principalement, un sommet montagneux, et par extension un village perché.

- 2- Dague à rouelles : arme blanche utilisée par les soldats européens à partir de la seconde moitié du XIVe siècle. La dague à rouelles est caractérisée par deux rondelles de métal qui forment sa garde et son pommeau.

-3- Jupon : au Moyen-âge, les femmes ne portaient pas de dessous. Leurs jupons faisaient l'affaire.