Bonsoir vous ! Je vous souhaite une bonne rentrée, en espérant que les vacances ont été à la hauteur de vos attentes. Et bonnes vacances aux septembristes ! C'est le meilleur moment pour profiter ;)
Après un chapitre à l'ambiance de vacances pour nos fauves, voici la suite :). Si la première partie m'est venue très facilement, la seconde m'a demandé plus de temps... J'espère que ça ne se ressentira pas trop à la lecture mais je ne vois pas quoi faire de plus, alors je vous le laisse !
Merci pour vos retours enthousiastes et chaleureux :). L'histoire a l'air de vous plaire et ça m'encourage pour la suite.
Bonne lecture !
4. Hope
Les jours suivants leur escapade, une certaine routine s'installe dans l'appartement. Kagami part courir tôt le matin, et si Aomine n'est pas déjà levé lorsqu'il rentre, le tigre le réveil après sa douche. Puis ils prennent le petit déjeuner ensemble et la panthère se replie dans son antre pour travailler. En général, il descend de sa tour pour faire un peu de sport à la salle avant le repas si l'inspiration n'est pas au rendez-vous. Dans le cas contraire, s'il est trop concentré il en oublie parfois de manger. Taïga lui apporte alors un encas sur le coin de son bureau et ils vont faire un basket le soir, histoire de bouger et s'aérer l'esprit.
Ce matin-là, c'est un de ces jours où Aomine est profondément plongé dans l'écriture de son roman. Dans son champ de vision périphérique, une tasse de thé fumant apparaît. Surpris, il relève le nez de son écran et croise le visage souriant de Kagami.
« T'avais l'air d'en avoir besoin.
— Ah oui ? Tu m'espionnes maintenant ? s'amuse-t-il.
— Pas besoin, je t'entends râler depuis la cuisine. »
Aomine fait la moue et sirote un peu de la boisson aux arômes ronds et puissants. L'odeur familière le réconforte et lui prouve qu'il est effectivement tendu.
« Désolé, je me rendais pas compte. Je suis sur un passage compliqué… »
Kagami balaie ses excuses d'un revers de main et alors qu'il pensait le voir partir à ses occupations, ce dernier disparaît derrière son fauteuil. Le brun s'en étonne et cherche à voir ce qu'il fait, lorsque deux grandes mains épousent ses épaules. Il se fige un instant sous le contact chaud mais ne peut s'empêcher de fermer les yeux lorsque les doigts de Taïga s'impriment dans sa peau et remontent sur sa nuque. Un gémissement de bien-être lui échappe avant qu'il ne puisse le retenir. Il pose sa tasse sur le bureau et penche la tête en avant pour savourer le massage. Le doigté du tigre détend ses muscles avec fermeté et douceur, un combo d'une efficacité redoutable. À la frontière de ses cheveux, Kagami déclenche une vague de frissons incontrôlable qui déferle jusque dans le creux de ses reins. Et il est presque certain d'entendre le sourire satisfait du tigre se dessiner sur ses lèvres tandis que ses puissantes mains reviennent flatter ses épaules dans de petits cercles concentriques.
« Tu devrais faire une pause Daïki…
— Humm. » gémit-il encore.
Enveloppé par les volutes de bergamote et du parfum de Taïga, le brun profite de cette nouvelle proximité. Une petite voix en lui marmonne qu'il ne devrait pas mais il est incapable d'y couper court. Petit à petit, Kagami qui se contentait au départ de lui déposer une assiette, a commencé à initier plus de contact lors de ses visites dans son bureau. D'abord un poing bousculant légèrement son biceps, une main pressant son épaule pour signaler sa présence, puis une caresse dans ses cheveux en guise d'encouragements avant de partir, et maintenant ça… Il ne sait pas comment l'interpréter, ni même comment réagir face à ce nouveau comportement. Cependant il ne refuse jamais les démonstrations d'affections du tigre d'ordinaire peu tactile. Alors il se laisse complètement aller aux attentions de son ami, faisant fi de sa poitrine qui se serre d'incertitudes alors qu'il peut sentir la tension le libérer de son étreinte douloureuse. Les questions peuvent bien attendre encore un peu …
Au bout d'un temps qu'il trouve trop court, Aomine note que la pression des mains sur ses muscles s'allège, les mouvements s'amplifient et s'adoucissent, annonçant la fin de ce moment suspendu. Un soupir de confort s'extirpe de ses lèvres entrouvertes et il réouvre avec difficulté ses paupières alourdies par le plaisir. Lorsque Kagami le lâche, il bascule la tête en arrière pour croiser son regard. Un sourire tendre l'attend et son cœur s'emballe contre ses côtes. Dans la lumière qui inonde son petit univers, il le trouve à tomber. Il déglutit, ravalant l'envie de lui dire ce qu'il pense et de glisser une main sur sa nuque pour l'attirer à un baiser. Avant de s'éloigner, Taïga s'autorise à passer une main dans ses cheveux et il lui semble que le geste s'attarde plus que d'habitude, ou bien le temps s'est encore arrêté… S'interdisant de le retenir, Aomine le suit du regard tandis qu'il quitte son bureau. Pourtant lorsque son bienfaiteur arrive sur le seuil de la porte en haut de la volée de marches, il l'interpelle :
« Taïga ?!
— Hm ?
— … Merci... Souffle-t-il à défaut de pouvoir prononcer les mots qui lui brûlent les lèvres.
— Je t'appelle quand c'est prêt. » Répond simplement Kagami dans un dernier sourire.
Un fois hors de vue, Aomine laisse sa tête s'effondrer sur son bureau en geignant, le corps encore frémissant et engourdit de ce massage inespéré. Il se sent beaucoup mieux et à la fois agité d'un tout autre tourment que le manque d'inspiration. Le brun prend quelques instants pour rassembler ses émotions et les ranger dans son coffre-fort intérieur avant de se redresser. Le regard fixé sur l'horizon de la mer blanche de nuages, il sirote son thé à présent tiède et laisse son esprit divaguer sans le brider jusqu'à ce qu'enfin les idées s'écoulent en mots à travers ses doigts.
Ce jour-là, alors qu'il répond au mail d'un possible investisseur, Kagami est content de voir la panthère quitter sa grotte plus tôt que d'habitude. Il l'a trouvé assez tendu ce matin et l'idée de profiter plus longtemps du terrain de basket pour l'aider à se vider la tête l'a possiblement effleuré. Depuis le canapé il observe un Daïki pressé et lui propose :
« Basket ce soir ? »
Au milieu de l'escalier donnant sur l'étage, son hôte se retourne et se masse la nuque. Reconnaissant son tic nerveux, Kagami fronce les sourcils.
« Sorry Taïga… Derreck m'a appelé, il veut qu'on se voie.
— Derreck, Derreck ? Ton ex ? S'étonne le tigre.
— Ouais… Ça t'ennuie pas ? J'devrais pas rentrer trop tard.
— … Non. Non tu fais ce que tu veux. »
Il réalise à l'air perplexe d'Ao que son ton était peut-être un peu trop sec et le rassure d'un sourire qui n'atteint pas ses yeux. La perspective de sa soirée « basket and chill » qu'il se faisait une joie de partager avec Daïki s'envole aussi vite que ce dernier à l'étage. Sans comprendre son agacement, Taïga s'avachi dans le divan. Il sait que son ami a gardé de bonnes relations avec son ex mais il a du mal avec l'idée qu'il puisse se plier à ses quatre volontés. Derreck siffle et Daï rapplique ? Non, vraiment, ça ne lui plait pas du tout. Peut-être que Aho ne lui a pas tout dit et ressent encore des choses pour son ancien coéquipier… Mais cette théorie-là est encore plus difficile à encaisser. Pourquoi le lui aurait il caché ?
Lorsque la panthère refait son apparition, son estomac se serre. Visiblement apprêté et enjoué, Aomine pianote sur son téléphone sans lui prêter attention. Agacé de s'en offusquer, Kagami s'oblige à revenir à son mail toujours en attente. Les yeux dans le vide il se mordille le pouce. Au lieu de râler, il devrait être content que le fauve sorte un peu de sa tanière pour passer du bon temps. Après tout, ne lui a-t-il pas lui-même conseillé de faire une pause quelques heures plus tôt ?
« J'y vais Taï, je te tiens au courant mais m'attends pas, fais comme chez toi.
— Hm hm. » Marmonne-t-il.
Perdu dans ses pensées, il sursaute presque lorsqu'une main tannée se pose sur son épaule et la presse doucement.
« Hé… t'es sûr que ça va ?
— Yeah don't worry. C'est juste que je pige pas trop le principe des rencards post rupture. » Ne peut-il s'empêcher de lâcher dans une moue dédaigneuse.
Aomine hausse un sourcil à sa remarque et explose de rire. Le brun se redresse alors du dossier où il était assis pour rejoindre la sortie et lui lance par-dessus son épaule, toujours amusé :
« À t'entendre on pourrait croire que t'es jaloux !
— Et à te voir on pourrait croire que t'es amoureux. Lance-t-il du tac au tac.
— Tu t'enfonces là, t'es au courant ? » Se marre Daïki.
Kagami lève les yeux au ciel et secoue la tête pour toute réponse, lui faisant signe de partir. Avant que les portes de l'ascenseur ne se referment sur lui, Ahomine lui envoie un baiser et un clin d'œil charmeur qui provoquent malgré lui son sourire. Quel emmerdeur il peut faire…
Une fois seul, le tigre soupire de frustration, incapable de penser à autre chose. Il parvient à terminer son courrier électronique et décide de quand même aller jouer pour se distraire. Sur le terrain du quartier de Daïki, il trouve des adversaires ravis de se mesurer à lui. Il se défoule bien mais c'est toujours moins intense lorsque son rival préféré n'est pas en face. Néanmoins lorsqu'il rentre au penthouse c'est avec l'esprit éclaircit par l'adrénaline et vidé de son énergie négative. Après sa douche il profite de sa solitude pour appeler Kuroko, tout en se préparant de quoi manger. Il lui raconte l'avancée de son projet et les détails sur la fin de sa relation avec Cassandra qu'il n'avait pas vraiment abordé avec lui.
C'est presque étrange pour Taïga de reparler d'elle. Comme si elle appartenait déjà à une autre vie. Il se surprend lui-même à en discuter avec autant de recul mais ne préfère pas s'attarder sur la question. Son ami s'inquiète de savoir où il vit depuis et … il se gratte le crâne en grimaçant. Kagami ne sait pas trop ce que le fantôme pourrait penser du refuge qu'il a choisi.
« Je_ je suis toujours chez Daï en fait. J'ai passé les premières semaines chez Alex mais j'avais besoin de changer d'air.
— Et tu comptes rentrer à L.A ?
— Bah… oui bien sûr. Il faudra bien. Pourquoi ?
— Parce que je m'en fais moins pour vous quand vous êtes ensemble. » Répond placidement Kuroko.
La remarque le laisse perplexe et colore ses joues d'un coup de chaud mais il n'ose pas relever et change rapidement de sujet. Lorsque Kuroko doit le laisser, il s'installe au salon et allume la console.
Après plusieurs parties et son repas terminé, Kagami commence à trouver le temps long. De nouveau l'agacement revient nouer ses tripes et il vérifie ses messages pour la huitième fois en l'espace de dix minutes. D'un geste rageux il le lance à l'autre bout du canapé et cherche un film à regarder sur une plateforme de streaming sans rien voir de ce qui défile sur l'écran, ses pensées divaguant sur la soirée de Daïki, certainement plus distrayante que la sienne.
La lune s'est levée depuis longtemps lorsque le « ding » de l'ascenseur l'avertit du retour de Aomine. Le cœur de Kagami fait un petit bon et il résiste à l'envie de passer la tête par-dessus le dossier du canapé pour le voir. Comme s'il pouvait s'agir de quelqu'un d'autre… Déconnecté du film qu'il ne suivait déjà qu'à moitié, il écoute les pas fluides de la panthère monter à l'étage, puis redescendre quelques instants plus tard. Dans la cuisine le frigo s'ouvre, se ferme, puis le tiroir à couverts et enfin Daïki apparaît dans son champ de vision. Un plateau de nourriture dans une main et deux bières dans l'autre, le brun s'installe dans son fauteuil. Se voyant offrir une des boissons, Kagami se redresse et l'accepte en silence.
La curiosité se faisant plus forte que sa résolution à ne rien dire il sort finalement de son mutisme pour demander d'un air qu'il veut détaché.
« T'as passé une bonne soirée ? »
Aomine détourne son attention de l'écran pour le regarder, un demi sourire malicieux au coin des lèvres. Sa tête de vainqueur lui fait regretter d'avoir céder. Il roule des yeux en portant sa bière à ses lèvres mais Ao lui répond sans le chambrer.
« Ouais, c'était cool. Il voulait me parler de son nouveau mec.
— Sérieux ? Vous parlez de ça ? s'exclame le tigre consterné.
— Bin… ouais. J'tai dis qu'on était resté pote non ?
— Yeah but… still. Ça te fait pas bizarre ?
— Hum… non, pas vraiment. En fait… c'est plutôt rassurant de voir qu'il passe à autre chose. » Explique le brun dans un haussement d'épaule.
Kagami considère la réponse et réalise qu'il s'est inquiété pour rien. Aomine a l'air d'avoir tourné la page Derreck pour de bon et sans pouvoir s'expliquer vraiment pourquoi, ce constat termine de le soulager. Alors il se replonge dans le film en savourant sa bière et la présence de la panthère en silence, jusqu'à ce que celle-ci reprenne la parole.
« Au fait… j'ai prévenu les gars. Demain on peut aller s'entrainer avec eux si ça te dit. C'est pour me faire pardonner de t'avoir lâché aujourd'hui… »
Surpris, il ne sait pas quoi répondre. Mais la nouvelle lui fait bien trop plaisir et il offre un immense sourire à Daïki. La journée ne se termine pas si mal après tout…
Le lendemain, comme promis Aomine emmène Kagami au centre de préparation de son ancienne équipe pour l'entraînement auquel ils sont autorisés à prendre part. Les gars sont contents de le voir et l'accueil qu'ils font à Taïga est des plus enthousiaste. Son ami salue d'ailleurs les quelques membres de l'équipe qu'il a déjà croisé au début de son séjour ici et ça lui fait plaisir. Bientôt le coach interrompt leurs échanges d'un coup de sifflet sans appel. Loin de s'en attrister comme certains, il voit Kagami partir au quart de tour pour s'échauffer, un large sourire dévorant son visage. Comme lui, il ne rechigne pas à suivre les ordres, plus conscient de la valeur de ces moments maintenant qu'il en est privé, aussi pénibles puissent ils être.
Au cours de la journée, Aomine se surprend plusieurs fois à se demander ce que leurs carrières ou leur relation auraient pu devenir s'ils avaient joué sous les mêmes couleurs. Sur son rameur, il laisse cette idée imprimer des images qu'il revisite avec nostalgie. C'est un vieux fantasme qu'il a longtemps nourrit avant qu'il ne rejoigne la NBA et aujourd'hui il a l'opportunité d'en avoir un petit aperçu. Travaillant sur une autre machine Kagami ne semble pas perdu et toujours ravi d'être ici. Solaire, son ami est au centre de l'attention comme souvent… Pourtant leurs regards se trouvent régulièrement parmi les autres joueurs.
Après le cardio, la technique, la pause déj' et la musculation, ils sont conviés à jouer un petit match amical. Malgré ses entrainements quasi quotidiens pour se maintenir en forme, il doit bien admettre que ce rythme et ce niveau sont dures à suivre. En les redécouvrant il s'étonne presque d'avoir réussi à s'impliquer autant sans jamais rien lâcher pendant toutes ces années. Et pourtant, lorsque ses doigts effleurent le ballon au plus haut de sa course pendant le tip-off… il se rappelle sans aucun mal pourquoi il a enduré sans broncher. Pour ces moments-là… pour les matchs, pour vibrer à l'unisson des cris du public en délire, pour se surpasser, donner le meilleur de lui-même et arracher les victoires les plus difficiles. Pour l'amour du jeu, tout simplement.
Aomine devine le tigre aussi épuisé que lui après cette journée, mais son sourire ne se ternit pas plus que la flamme dans son regard. Sur le terrain, Taïga et lui mettent le feu. D'un coup d'œil ils se comprennent. Lisant les intentions de l'autre dans leurs plus infimes frémissements. Rivaux depuis leurs débuts, ils se connaissent par cœur et se complémentent. Aussi quand ils font équipe… rien ni personne en face ne peut les stopper. Du moins, c'est la sensation qu'éprouve Daïki à chaque fois qu'il a l'occasion de jouer à ses côtés. Dans un tir à l'angle improbable bien à lui, il fait une passe déguisée que Kagami récupère en plein vol pour marquer d'un puissant dunk, s'autorisant même à frimer en passant la balle entre ses jambes. Une action qui lui donne raison et réalise un bout de son rêve secret. Oui… ils forment une bonne équipe, et ce n'est pas leurs adversaires du jour qui oseront leur déclamer le contraire…
À la fin de l'entraînement, ils s'éternisent un peu dans les vestiaires pour discuter avec ses anciens collègues tandis que Taïga est accaparé par l'assistant du coach. Aomine apprend qu'une soirée a lieux en fin de semaine pour célébrer l'anniversaire de Dray-Dray, et qu'une grande partie de l'équipe sera là. Lorsqu'il s'y fait convier, ou plutôt qu'il se voit contraint de promettre qu'il viendra, il jette un coup d'œil en direction du tigre et demande s'il pourra venir avec lui. Draymond accepte volontiers et lui donne l'accolade avant de partir, visiblement heureux de les compter dans la liste des invités.
Plus tard dans la soirée, le temps de rentrer chez lui, de se laver et de se changer, le brun s'affale dans son sofa, lessivé. Quelques instants plus tard, un fauve traînant des pieds le rejoint et s'échoue sans beaucoup plus d'élégance que lui sur les coussins. Le poids de Taïga et son geste le font rebondir et il soupire d'agacement. Kagami l'ignore et gémit en s'installant plus confortablement.
« Putain j'suis mort…
— Hmm… » grogne la panthère pour toute réponse.
Alors que Aomine cherche un film devant lequel agoniser qui pourrait leur plaire, ses cuisses se font soudain envahir. Plus surpris et confus que véritablement en colère, il s'écrit en repoussant l'intrus :
« Hé ! Vire ton gros pied qui pue !
— Mais j'ai mal au genou Aho… Faut que je m'allonge ! » proteste le tigre.
La panthère ne veut rien savoir et saisit la patte soi-disant blessée de l'importun pour la poser sur la table basse. Le fauve à ses côtés continu de râler mais ne revient pas à la charge. Du moins c'est ce qu'il pense quand il le voit se relever. Mais lorsque Kagami revient avec de quoi boire et grignoter, il le surprend de nouveau, accaparant ses jambes non pas avec son pied cette fois, mais sa tête. Les yeux écarquillés, Aomine le regarde s'installer de tout son long sur son divan tel un pacha et se servir de lui comme oreiller, sans parvenir à y opposer une quelconque résistance. Taïga se tourne un peu pour lui offrir un large sourire faussement innocent et un regard malicieux brillant de fierté. Impuissant face à cet air victorieux, il soupire en roulant des yeux, n'ayant pas le cœur à le déloger lui, sa bêtise ou son genou fatigué.
Pendant le film, il est presque impossible pour Aomine de se concentrer sur ce qui se passe à l'écran. Au souvenir des sensations éprouvées lors de leur petite séance de coiffeur improvisée, ses doigts le démangent de replonger dans la chevelure épaisse et flamboyante de Kagami. Il se voit obligé de crisper sa main sur le dossier du canapé pour s'empêcher de la glisser entre les mèches et en savourer le soyeux et la douceur. Plus les jours passent, plus son ami se montre tactile et plus les limites se floutent dans son esprit. Sciemment ou non, Taïga franchit les barrières qu'il a mis des années à construire avec une facilité déconcertante. Incapable de suivre l'intrigue du film, Aomine reste tétanisé, effaré de constater la vitesse à laquelle ses défenses fondent au contact du tigre. À tel point que Daïki doit faire des efforts conscients pour ne pas se laisser aller à le toucher de la même façon. Il y a quelques semaines à peine, s'était encore une frontière nette et indélébile à ne pas franchir, qu'il avait nul besoin de remettre en question.
Toujours figé, le cœur battant à un rythme désorganisé, l'écrivain se réfugie dans son esprit. Il enclenche le mode veille mais garde la pleine conscience du poids de Taïga sur lui. Et à mesure que son ami s'assoupit, il peut le sentir s'appesantir sur lui. Tout comme un autre supplice qu'il ne parvient plus à ignorer, fleurissant dans son cœur… L'espoir…
L'espoir est selon lui le pire poison de l'univers. Il le sait pour avoir été sous son jouc durant des années. Comble de l'ironie : ce qu'il espère aujourd'hui est différent, mais il l'attend de la même personne qu'il y a vingt ans. L'espoir le consume, l'empêche d'abandonner et d'avancer dans d'autres directions. L'espoir le retient en otage et lui susurre des folies pour le garder sous son emprise. Des histoires auxquelles il crève tellement d'envie de croire, de voir se réaliser un jour qu'il tient encore un peu, prêt à endurer tout et n'importe quoi. Il s'accroche pourtant à cet espoir, dépendant de son venin pour adoucir sa peine. Parce que l'espoir est perfide, le laissant imaginer des choses où il n'y en a pas pour se renforcer dans son esprit, s'ancrer en lui plus profondément encore, lacérant son âme de ses racines aiguisées.
En agissant de la sorte, à chercher son contact et à multiplier les marques d'affections à son égard, Kagami le laisse espérer. Nourrissant sans le savoir cette flamme qui brûle pour lui et refuse de mourir… Ou plutôt, qu'Aomine n'a jamais pu se résoudre à laisser s'éteindre. Sans lui dire honnêtement ce qu'il pense de son roman, ou bien les raisons qui le poussent à garder son avis pour lui, Taïga sème le doute dans son esprit torturé et fertilise le terrain de son imagination déjà débordante. Les yeux voilés, c'est presque avec terreur que le brun s'autorise à observer l'adonis endormi sur ses cuisses. Et son cœur s'emballe sans demi-mesure, comprimé dans un étau douloureux qui le ramène vingt ans en arrière.
Dans son sommeil, Kagami se retourne de telle sorte que son visage se retrouve face à son bas ventre. Des images interdites émergent dans la tête de Aomine échauffé par cette troublante proximité. S'en est trop pour lui. Avec douceur, il passe une main sous la nuque de Taïga et le soulève le temps de se faufiler hors du canapé. Il remplace ses genoux par un coussin sous la tête du fauve toujours endormi et le recouvre d'un plaid avant de s'enfuir dans sa chambre.
Le brun hésite un instant, puis se décide à retourner sous la douche dans un grognement agacé. Sous tension, son corps réclame une libération. Résolu à évacuer la pression, Daïki commence à caresser son sexe en essayant de ne penser à rien d'autre que son plaisir. Il se rassure en se disant que ça commence à faire longtemps qu'il n'a rien fait, pas même en solitaire et que c'est normal d'être en manque. Il empoigne alors sa verge plus franchement et active son poignet pour soulager l'agitation qui l'habite. L'eau chaude ruisselle sur son corps dans une pluie caressante, l'aidant à se détendre. Pourtant très vite des images de Kagami viennent envahir son esprit. Il grogne de frustration, se refusant à fantasmer sur lui tandis qu'il se touche.
Luttant contre ses désirs les plus enfouis, il continu de se masturber quand soudain… Deux grandes mains calleuses explorent son dos. Aomine se raidit, le cœur battant à toute allure il n'ose pas rouvrir les yeux, mort de honte. Le souffle court il a stoppé tout mouvements. Il s'apprête à dire quelque chose lorsque des lèvres se déposent sur sa nuque et lui arrachent un gémissement plaintif. Les mains curieuses quant à elles l'enserrent et passent sur son ventre, effleurant ses abdominaux qui se contractent sous la caresse. Alors que les lèvres parsèment ses épaules d'une pluie de baisers, les longs doigts audacieux descendent sur son aine et se déposent sur sa main, l'invitant à poursuivre son massage sensuel. Étourdi par les sensations, Aomine gémit mais obéit. Il se sent si fébrile qu'il prend appuis sur le mur de sa douche pour ne pas flancher. Le bras puissant de l'intru le serre alors contre son torse d'apollon pour le soutenir et il renverse la tête en arrière, s'abandonnant à lui. Un baiser plus ardant sur sa gorge ainsi offerte brûle sa peau et draine un violent frisson le long de son échine.
Puis le corps chaud de Kagami le délaisse le temps de venir s'agenouiller devant lui, mutin. Désarmé, Aomine l'observe en silence, inapte à le repousser lorsqu'il saisit son membre pour le branler sans lâcher son regard. Le brun sent l'excitation lui dévorer les entrailles à cette seule vue. Il le désir tellement qu'il ne trouve pas la force d'analyser ce qui se passe, profitant du moment et du soulagement que Taïga lui offre. Tremblant, il ose glisser une main dans ses cheveux détrempés, l'interrogeant du regard. Un sourire taquin lui répond avant que les lèvres insolentes ne le prennent. Il retient son souffle, hypnotisé par le spectacle et gémit encore alors que son sexe palpitant d'impatience se fait aspirer dans la cavité buccale chaude, humide et terriblement désirable de son ami. Aomine resserre sa prise dans ses cheveux, son autre main le maintenant toujours à la faillance. Il se sent défaillir de plaisir tant la sensation est exquise. Il se laisse aller sous les caresses de Kagami mais ne peut soutenir ses yeux rubis tant il a honte de profiter de lui, sans pour autant parvenir à mettre un terme à cet instant de félicité. Foutu pour foutu, son bassin commence à bouger sous l'impulsion des griffes du tigre s'incrustant sur ses hanches. Électrisé par son dévouement, il lâche définitivement prise et lui baise la bouche avec ferveur jusqu'à la jouissance sans retenir son plaisir, grognant et soupirant de satisfaction. Enfin, ses murmures se muent en un cri étranglé tandis qu'il se libère, éjaculant au fond de sa gorge.
Haletant, Daïki est sonné par la violence de son orgasme. Tremblant sous le jet d'eau chaude, il reprend son souffle et ses esprits, le corps pulsant encore de son désir tout juste apaisé. Lorsqu'il ouvre les yeux, Kagami a disparu. Il pose alors son front sur le carrelage et cogne sa tête contre la surface luisante en se maudissant. Voilà près de deux décennies qu'il s'est formellement interdit de fantasmer de la sorte sur son ami. Quand il s'est fait une raison et qu'il a décidé d'ensevelir ses sentiments aussi profondément que possible. Aomine s'en veut d'avoir laissé ses pulsions d'adolescent bouleversé d'hormones prendre le contrôle de son imaginaire. Il s'est trouvé impuissant face à l'ampleur de son désir et s'étonne de l'intensité des sensations seulement simulées par son esprit dépravé. Il s'interdit de se demander ce que ce serait en réalité, frémissant encore de son méfait. En revanche il s'interroge … Comment peut-il sortir de la douche et regarder Kagami en face sans rougir après ça… Le brun soupire de lassitude puis se décolle du mur avec l'intention de se laver, lui et sa conscience. Il reste plus longtemps que nécessaire, prenant quelques minutes pour retrouver son calme.
Kagami sort de la douche et regarde ses options vestimentaires étalées sur son lit. Aomine lui a dit de ne pas se prendre la tête, que s'était une fête tranquille chez Dray mais il sait d'expérience ce que veut dire « tranquille » dans ce milieu. Il y aura quand même du monde et bien qu'il ne la cultive pas particulièrement, il tient un minimum à son image. Et surtout il n'a pas envie de faire tache, ou pire, faire honte à Daïki en débarquant dans une tenue trop décontractée. Il enfile donc son plus beau jean et hésite pour le haut. La seule chemise qu'il a emporté dans son sac de voyage ne lui convient pas. Il râle un peu contre lui-même et sa hantise du shopping. Il aurait largement eu le temps de s'en trouver une autre… Les poings sur les hanches, le tigre soupire. Il ne voit plus qu'une solution.
« Aoooo j'peux t'emprunter une chemise ? »
À l'étage inférieur il peut entendre la panthère grogner des paroles inintelligibles, mais ça l'amuse. Si on lui avait dit lorsqu'il avait dix-sept ans qu'il aurait un jour l'occasion de rendre la politesse à son squatteur videur de placards et emprunteur de fringues… Ces souvenirs d'adolescence lui ôtent ses derniers scrupules et il se dirige déjà vers la chambre de son vieil ami en s'écriant par-dessus la rambarde :
« Thank you ! »
Dans le dressing à la taille scandaleuse qui ferait sûrement baver Kise, il fait glisser les cintres à la recherche d'un modèle qui lui plait. Si Daïki préfère les chemises plus ajustées, au moins il sait qu'il n'a pas à s'en faire niveau taille. D'ailleurs il en repère une blanche à la coupe droite mais aux finissions élégantes qui lui semble parfaite. Il l'attrape et la place sur son torse devant le miroir. Le tissu est soyeux sous ses doigts et la simplicité du blanc lui donne le look « classe mais pas trop » qu'il voulait. Satisfait il l'enfile et dans ses gestes, des effluves Aominesques, de propre et de lessive viennent chatouiller ses narines. Il ferme les yeux une seconde pour inspirer profondément ce mélange de parfums enivrant et s'attèle à boutonner le vêtement. Avant de terminer de se préparer, c'est-à-dire : dompter sa tignasse, il fouille de nouveau sur les portants pour choisir un ensemble à Daïki. Le connaissant, il prendra de toute façon les deux premiers trucs qui lui tombent sous la main.
Alors qu'il quitte justement sa chambre, le tigre croise son rival.
« Tu as trouvés ce que tu voulais ?
— Yep ! Et je t'ai mis une tenue sur ton lit.
— Ah ouais ? Et tu veux pas m'aider à l'enfiler aussi ? se moque Aho avec son sourire goguenard.
— Pourquoi, t'es devenu paresseux à ce point ? » le rembarre t'il en tournant déjà les talons.
Tous deux fins prêts ils quittent le penthouse. Kagami est content de sortir. D'ordinaire il n'est pas très friand de ce genre de fêtes bondées d'une majorité d'inconnus mais depuis son retour de Seattle, misent à part leurs séances de sports en dehors la tour, ils ne l'ont pas beaucoup quitté dernièrement. Et il se sent enfin assez confiant pour réintégrer le monde extérieur et disposé à élargir sa vie sociale. Il se dit que cette phase de renfermement et de réclusion devait faire partie intégrante du processus de deuil. Mais ce soir il est plus que ravis d'y mettre un terme. Et puis Daïki sera quand même là si jamais ça devient « trop ». À cette pensée il lance une œillade en coin à son passager et un sourire effleure ses lèvres. Les mains croisées derrière la nuque, lunette de soleil sur le nez, la panthère profite du vent tiède fouettant son visage et bât la mesure de la musique pulsant dans les enceintes. Il s'est toujours senti plus fort à ses côtés. Peut-être parce que son ami possède le don particulier de faire ressortir sa combativité d'une façon ou d'une autre. Même quand ils n'étaient encore que de simples rivaux… à bien y réfléchir. Ou bien alors ça tient à ce sentiment spécial qu'on éprouve uniquement près des personnes avec qui on peut être vraiment soi et dont Daïki fait partie pour lui. Taïga se demande vaguement si c'est réciproque… Mais l'image de son roman s'invite dans sa réflexion et le fait douter. Il déglutit en silence et augmente le volume aux premières notes de Highway to hell pour faire taire ses pensées. Préférant rester d'humeur légère et positive, il accompagne le chanteur à la voix écorchée d'AC/DC.
« Don't need reason, don't need rhyme. Ain't nothing I'd rather do. Goin' down, party time. My friends are gonna be there too, yeah !
— I'm on the highway to hell ! » le rejoint Daïki sur le refrain.
En dehors de la ville, ils arrivent devant une grande villa qui n'a rien à envier à celles qui s'alignent dans le quartier de Beverly Hills de sa ville natale. De nombreuses voitures sont déjà garées dans la cour avant de la bâtisse et on peut entendre la musique et les rires en provenance de l'intérieur. Kagami trouve une place un peu en retrait et coupe le moteur.
« Une soirée tranquille hein ? » lance-t-il avec sarcasme.
Il rit de la grimace dégoutée de Aomine qui sort de sa comète. La panthère ne s'attendait visiblement pas à ça. Il contourne son bolide en trottinant pour le rejoindre. Malgré le bruit ambiant de l'autre côté de la porte, quelqu'un a dû entendre la sonnette et vient leur ouvrir. Une jolie brune à la peau chocolat qui offre un sourire radieux et une bise amicale à Daïki. Ce dernier lui rend brièvement, embarrassé.
« Daïki ça faisait longtemps ! Je suis contente de te voir !
— Salut Nat'. Tu connais Kagami ? Kagami, Natacha, la sœur de Dray.
— Enchanté. Sourit-il poliment.
— Ne restez pas là, entrez ! »
À peine ont-ils franchi le seuil de la porte que son ami se fait kidnapper par la fameuse Natacha. Elle passe un bras sous le sien et l'entraîne dans la maison en bavassant joyeusement. Kagami ne s'en étonne pas plus que ça mais doit étouffer un fou rire lorsqu'il capte le regard de détresse que lui lance Aho par-dessus son épaule. Il le salue de loin pour le narguer et se promet d'aller le sauver des griffes de la jeune femme un peu plus tard s'il ne le voit pas réapparaître. Alors qu'il se décide à quitter l'entrée pour rejoindre l'épicentre des festivités, une voit le hèle.
« Hey Tiger ! T'es venu ? s'enthousiasme Stephen.
— Yeah faut croire !
— Viens suis moi, les gars sont tous dehors. »
Pas mécontent d'être tombé sur un visage familier, il se laisse entraîner par le jeune prodige à travers l'immense maison jusqu'à la terrasse où le gros des invitées est rassemblé. Il salut les gars avec qui il s'est entraîné il y a quelques jours et les gens à qui on le présente. Kagami accepte volontiers une boisson et commence à discuter avec les anciens coéquipiers de son ami. L'avantage de partager la même carrière dans ce genre de situation, c'est qu'il ne manque pas de sujets de conversations. Et puis ce ne sont pas de totales inconnus. En fait, ces gars-là, il les côtoie depuis des années sur le terrain. Et c'est appréciable de pouvoir apprendre à les connaître dans un contexte différent que la compétition. De voir les personnes derrière les joueurs.
La fête bat son plein, la piscine est envahie et le soleil flirt déjà avec l'horizon lorsque Aomine parvient à se défaire de Natacha. Il l'aime bien, et il ne peut pas dire qu'elle ne soit pas à son goût mais… c'est la sœur de Dray. Et tout le monde le sait… on ne touche pas aux petites sœurs des potes. Il s'en veut un peu d'avoir abandonné Taïga. Néanmoins il se détend dès qu'il l'aperçoit une bière en main à plaisanter en bonne compagnie. Dans la pièce principale où ont été installé le bar et le buffet, il est en plein ravitaillement lorsqu'un bras imposant s'enroule sur ses épaules.
« Hey Daïki ! T'as bien fais d'emmener Tiger. C'est un chouette gars. Lui confit Draymond.
— Tu en doutais ? demande-t-il amusé.
— Pas du tout ! J'avais juste pas réalisé que vous vous connaissiez depuis si longtemps. »
Et là-dessus, son verre de nouveau plein, le propriétaire des lieux le quitte pour rejoindre d'autres invités. Il l'observe un instant, intrigué par cet échange puis secoue la tête. Ce n'est pas comme s'il ne leur avait jamais parlé de Kagami... L'ambiance et la foule commencent à lui peser un peu et il décide de recharger les batteries dans un endroit plus calme. Il monte à l'étage pour profiter de la vue depuis la terrasse supérieure qui surplombe le jardin. Accoudé à la rambarde, il trouve Derreck et s'installe en silence à deux pas de lui. Son regard ère sur le flot de silhouettes plus ou moins animées en contre bas et s'arrête sur Kagami dont le rire s'élève jusqu'à lui.
« Il est vraiment canon… »
La remarque le fait presque sursauter. Perdu dans sa contemplation il en avait oublié qu'il n'était pas seul et se retourne vivement vers son voisin les yeux plissés. Ce dernier lève les mains en l'air et lâche un gloussement nerveux.
« Hé du calme ! J'y toucherai pas. Je dis juste que je comprends. »
Aomine le sonde à la recherche de la moindre trace de mensonge ou de jalousie mais son ex s'avère sincère. Derreck fait partie des rares personnes à savoir ce qu'il éprouve vraiment pour Taïga et il se sent vulnérable en leurs présences dans le même espace. Comme si la vérité avait plus de chance d'apparaître clairement aux yeux de Kagami avec deux porteurs du secret autour de lui. Toujours silencieux, il préfère ne pas commenter et porte un peu d'alcool à ses lèvres pour y chercher une contenance. Au bout d'un moment, l'épaule de son voisin bouscule la sienne.
« Il n'a pas arrêté de parler de toi depuis qu'il est arrivé. Il n'a que ton nom à la bouche Daïki…
— Arrête. Fais pas ça. » grogne-t-il.
Derreck soupire à ses côtés et bat en retraite. Il lui presse l'épaule avant de le quitter et sa compassion lui broie le cœur. Non, il n'a pas besoin d'espoir supplémentaire... Il avait pensé qu'une soirée différente de leurs tête à tête devenus quotidiens l'aiderait à lui remettre les idées en place. Pourtant, même parmi la foule et entouré d'autres personnes qu'il estime et apprécie, c'est le regard de braise qu'il cherche désespérément à croiser. Et comme si Kagami avait lu dans ses pensées, il lève le nez vers la mezzanine où il est encore perché pour lui offrir un sourire victorieux. La seconde suivante, plusieurs têtes suivent le mouvement et éclatent de rire en le voyant. Perplexe, il hausse un sourcil interrogateur.
« Quoi ? J'ai un truc sur la tronche bande de hyènes ? s'écrit-il à leur intention.
— Nan trouduc ! Tiger vient juste de parier qu'on te trouverait quelque part en hauteur. Et apparemment on vient tous de perdre ! » Réplique Steph' par-dessus la musique.
Les rires redoublent dans le petit groupe et il ne peut s'empêcher de ricaner à son tour. D'une traite il s'enfile le reste de sa bière et descend pour les rejoindre.
« T'as fini de leur raconter n'importe quoi !? reproche-t-il à Taïga en s'approchant de lui.
— Il n'a pas eu tort jusque-là. S'amuse un des gars.
— Te vexes pas Daïki ce n'est pas comme s'il nous racontait des trucs compromettants ! le défend Stephen.
— Qu'il essaie pour voir ! »
Il défie le tigre du regard en décapsulant une cannette récupérée en chemin. Mais loin de faire trembler de peur son rival, sa menace silencieuse le fait plutôt rire aux éclats. Kagami vient enrouler son bras autour de sa nuque et lui demande taquin :
« Tu veux dire comme la fois où tu as failli te faire virer du championnat pour venger un pote ?
— Mais naaan !?
— Raconte Taïga !
— Il a fait quoi ? s'impatientent les autres en chœur.
— Putain t'es lourd Bakagami !
— Comme s'ils ne savaient pas déjà que tu es du genre susceptible et impulsif Aho ! »
Nouveau fou rire général. Il lève les yeux au ciel et soupire avec exagération pour faire comprendre son agacement, mais personne n'a cure de ses états d'âme. Ils sont visiblement tous d'accord sur ce trait de caractère et s'en amusent à ses dépens. Pourtant lorsqu'il entend la vieille histoire de son altercation avec Haizaki, il n'y a rien de moqueur ou de réprobateur dans les paroles de Kagami et les trois autres sont pendus à ses lèvres. Gêné, il se réfugie derrière sa bière, s'étonnant de l'exactitude du récit. Dans la bouche de Taïga, on pourrait croire sans difficulté que c'est arrivé la veille. Pourtant il est certain que ce règlement de compte date d'une petite éternité…
« Je me suis toujours douté qu'il ne fallait pas trop te faire chier.
— Ouais, je me suis toujours méfier des gens calmes. Vous êtes les pires ! renchérit Stephen.
— Hey ! Il l'avait cherché ! » grommèle-t-il pour toute plaidoirie.
Ses amis plaisantent encore de l'anecdote et de sa mauvaise foi avant de changer de sujet. N'étant plus le centre de l'attention, il se sent plus à l'aise et participe volontiers à la discussion en essayant tant bien que mal d'ignorer le bras toujours posé sur lui.
Plus tard dans la soirée, voyant que le tigre ne ralentit pas sur l'alcool il décide de rester raisonnable. Et puis il se dit que ça vaut mieux s'il reste sobre. Parce que depuis l'épisode de la douche, il n'a plus vraiment confiance en ses réactions.
Alors qu'il discute avec d'autres personnes un peu en retrait de la piste de danse improvisée, un poids s'échoue lourdement sur lui. Il accuse le coup et tourne la tête par réflexe pour connaître l'identité de son agresseur. Avachi sur son épaule, il découvre le visage de Taïga. Ses mèches de cheveux en bazar chatouillent sa tempe et son cœur s'accélère malgré lui. Il se retourne pour faire face à l'intrus, soucieux de son état et passe instinctivement une main sur sa hanche pour le stabiliser. Kagami lui sourit en s'accrochant à sa nuque, puis se penche soudain sur lui. Pendant une fraction de seconde Aomine pense que le tigre va l'embrasser et se fige, interdit. Il ne reprend son souffle que lorsqu'il comprend que son ami cherche à lui parler discrètement. D'une voix un peu trainante, il lui murmure dans le creux de l'oreille et le brun se concentre pour l'entendre malgré la musique, le brouhaha ambiant et les pulsations trop rapides de son sang.
« Tu m'en veux ? »
Aomine se recule en fronçant les sourcils, confus. Il l'entraine alors un peu plus en retrait, dans la pénombre du jardin non éclairé par les multiples lumières animant l'extérieure.
« Pourquoi je t'en voudrais Baka ?
— Pour ce que j'ai raconté aux gars tout à l'heure…
— Non Taïga, je ne t'en veux pas. Le rassure-t-il en pouffant face à son air de chien battu.
— Sûr ? demande encore son ami.
— Si j'te l'dis ! »
Il lui offre un sourire amusé et s'autorise à lui ébouriffer les cheveux pour gommer l'inquiétude de ses traits fatigués, mais dans le fond à cet instant, il le déteste d'être aussi attendrissant. S'il en croit son visage qui s'illumine, Kagami semble ne plus avoir de doutes. Ils restent ainsi à s'observer mutuellement pendant quelques secondes qui s'éternisent et à la fois trop courtes.
« Viens danser avec moi alors… »
Et avant qu'il n'ait le temps de réaliser ce qui se passe, Daïki se retrouve emporté au bord de la piscine parmi l'assemblée qui se déhanche au rythme des morceaux choisis par le DJ. Il s'était presque attendu à ce que Taïga se colle à lui et la part la plus masochiste de sa personnalité se lamente de la distance séparant leurs corps en mouvement. Il brûle de la réduire et de le serrer fermement contre lui, glisser ses mains sous sa chemise et caresser la peau douce de ses reins. À cette pensée inappropriée, Aomine prend encore plus de recul et se félicite de ne pas avoir trop bu. Heureusement, Taïga ne cherche pas à combler l'écart qu'il creuse et d'autres amis les rejoignent dans leur délire, s'immisçant entre eux au gré de leurs pas de danse. Le brun éprouve même un profond soulagement lorsque Natacha le repère et se faufile jusqu'à lui entre les invités. Il l'enlace sans réfléchir et la plaque contre son torse tel un bouclier, un rempart de substitution aux siens ébranlés face à Kagami. Il profite d'elle pour se défouler sur la piste et évacuer la tension qui ne veux plus le quitter en présence de son meilleur ami.
Un temps indéfini plus tard, c'est essoufflé et assoiffé qu'il quitte la piste. En quête de rafraichissements il se dirige à l'intérieur vers le bar et découvre un Taïga affalé sur un sofa, un bras couvrant ses yeux. Il secoue la tête en voyant le tigre dans cet état et poursuit sa route jusqu'au point de ravitaillement. Une fois désaltéré, il apporte au fauve agonisant une belle part de gâteau et une bouteille d'eau. Il presse son genou sur sa cuisse pour attirer son attention et après avoir levé un œil vitreux sur lui, Kagami grogne en essayant de se redresser.
« Tiens, avale ça et on rentre. Ordonne-t-il gentiment.
— Nan t'inquiète tu t'amuses bien… tu peux rester, je_ j'vais rentrer. Proteste Taïga.
— Mais oui bien sûr. Dis pas de bêtises Baka... Mange, je vais dire au revoir aux gars. »
Aomine lui tend une fourchette pour appuyer sa demande et le tigre ne proteste pas plus. Il le regarde enfourner sa première bouchée avant de faire le tour de la maison pour saluer ses potes encore conscients. Certains étant déjà tombés au combat, ce n'est pas très long… Il trouve DrayDray au milieu de sa piscine juché sur une bouée géante en forme de flamant rose, couronné _allez savoir pourquoi_ d'un chapeau de cowboy. Il le salue de loin en riant du spectacle. Stephen essaie de le retenir et Derreck lui adresse un signe de tête entendu. Il rejoint ensuite Kagami en prenant soin d'éviter Nat' et il est satisfait de constater qu'il a déjà repris quelques couleurs. Il lui tend la main pour l'aider à se redresser et passe un bras dans son dos en le voyant chanceler.
Ils parviennent à quitter la maison sans encombre et le bourdonnement de la musique s'étouffe derrière eux au fur et à mesure qu'ils s'en éloignent. Le silence relatif et l'air frais de la nuit semblent faire du bien à Kagami qui gagne un peu en équilibre. Alors qu'ils s'approchent de la comète, le tigre lui jette un coup d'œil.
« Je suis désolé. Bredouille ce dernier, penaud.
— De quoi ?
— De casser tes plans…
— Hein ? De quels plans tu parles ? » Demande-t-il en lui ouvrant la portière.
Une fois son ami installé et attaché, il fait le tour de la voiture pour passer côté conducteur et réclame les clefs au tigre d'un geste de la main. Tout en se tortillant pour les sortir de sa poche, Taïga marmonne :
« Natacha. Tu voulais pas la raccompagner ?
— Pas du tout ! » Pouffe le brun à cette idée.
Aomine fait vite taire la petite voix qui croit déceler un soupçon de jalousie dans sa remarque et son regard fuyant en démarrant le moteur. Le vrombissement du bolide lui arrache un petit frisson de satisfaction et il prend appuie sur le siège passager pour reculer. Alors qu'ils passent le portail de la majestueuse résidence, Taïga finit par le regarder avec un sourire de gamin.
« … bin si tu veux mon avis, elle, elle aurait bien aimé.
— Ouais, ça je le sais ! » admet il entre deux rires francs et libérateurs.
Le brun s'engage sur la route avant de poursuivre la conversation, hésitant. Il sait que le terrain est glissant mais il profite que Kagami soit encore éveillé et qu'il ait lancé le sujet.
« Tu aurais pu raccompagner quelqu'un toi aussi si t'avais voulu...
— … Pourquoi faire ? Demande le tigre, les sourcils froncés d'incompréhension. Le sérieux désarroi de son ami lui arrache un nouvel éclat de rire.
— Pour t'amuser Baka ! Oublier Cass' pour de bon ! propose-t-il.
— … Nah… recommencer à sortir c'est déjà bien. M'en demande pas trop. »
Son cœur se serre dans sa poitrine. Il comprend entre ces mots que Kagami n'est pas prêt pour une autre relation, même fugace et la braise redevenue flamme vacille. Il laisse le silence et la noirceur de la nuit les envelopper avant de demander tout bas, juste assez fort pour couvrir le chant du vent qui s'engouffre dans leurs cheveux.
« … tu penses encore à elle ?
— … Non. Et c'est bien ça le plus triste dans l'histoire… » soupire le tigre, le regard dans le vague.
Aomine lui adresse un demi sourire compréhensif. La blessure de la perte n'est pas si profonde que Kagami l'avait imaginé et ce constat le déboussole. Il devine que son ami remet beaucoup de choses en question et en perspective à la lumière de cette vérité toute simple. Mais il ne s'en fait pas pour lui. Il n'est pas du genre à ressasser le passé. Il lui faut juste encore un peu de temps pour se faire à l'idée qu'il ne l'aimait peut-être pas autant qu'il le pensait, ou pas vraiment comme il aurait dû.
Bientôt sur l'horizon se découpent les silhouettes élancées des buildings du centre de San-Francisco. Du haut de la colline de laquelle ils émergent, ils ont une vue imprenable sur la ville qui s'étale à leurs pieds et ses lumières défiant la nuit. Alors qu'il le croyait déjà assoupi, Taïga le surprend en se callant sur son épaule. Il retient son souffle tandis que le fauve soupire d'aise.
« Tu sens bon Ao… »
Cette déclaration dessine malgré lui un rictus au coin de sa bouche. Il est pourtant à peu près sûr de sentir plus fort la transpiration que le parfum qu'il a mis avant de partir. Il ne trouve rien de sarcastique à répondre et pour une fois, il décide de prendre le compliment pour ce qu'il est. Ce nouveau rapprochement physique et cet aveu inattendu dans le secret de la nuit le troublent. Ses défenses ne tiennent presque plus à rien… et Kagami vient certainement d'anéantir un autre pan de mur. Pourtant il sait que Taïga a toujours été plus tactile sous l'emprise de l'alcool. Alors il s'efforce de mettre cet écart sur le compte de son taux d'alcoolémie, mais c'est difficile de s'en convaincre quant au quotidien, Taïga n'est plus si différent. Il ne s'en plaint pas… Il aime quand le tigre se fait plus affectueux. Cependant ce n'est pas un changement anodin dans leur relation. En tout cas pas pour lui. Pas après vingt ans. Au fond de ses tripes, Daïki prend conscience qu'il ne pourra bientôt plus faire semblant que c'est le cas. Que ça n'a rien d'étrange, de déplacé ou de tout à fait naturel. Et il redoute plus que tout cet instant qui s'approche aussi assurément que l'aube qui les guette.
Éreinté par la soirée et la machine de son esprit qui s'emballe, Aomine a hâte de rentrer. Et d'un autre côté… il ferait bien un large détour pour profiter plus longuement du tigre endormi sur lui, de son souffle chaud et régulier caressant sa nuque, de son parfum suave qu'il devine à chaque inspiration. Une douce torture. Son enfer sur Terre, et malgré tout un moment magique qu'il chérit déjà et grave dans sa mémoire sur fond de clair de lune. Un souvenir de plus pour nourrir l'espoir qui l'étouffe…
