Deuxième chapitre pour ce soir...
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Chapitre 27 : Où Melania Black prend le pouvoir
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Singulier destin que celui de Melania Black.
Saviez-vous qu'elle retrouva la confiance de son fils ?
Qu'Arcturus finit même par approuver pleinement sa décision ?
Après plus de huit ans ?
Lorsque Walburga tomba enfin enceinte ?
Remarquez, il avait fallu attendre huit ans pour arriver à cet état d'acceptation… il en faudrait bien moins pour tout faire exploser une dernière fois.
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Peut-être que je romance le tout. Peut-être que rien ne se passa de cette manière mais que j'ai besoin d'imaginer du pouvoir et de l'avidité entre toutes les mains des Black pour imaginer Melania vouloir tirer à elle le moindre bout de pouvoir à son tour, comme pour se protéger. Comme pour survivre parmi eux. J'ai encore tant cette image d'elle innocente, drôle, heureuse, lumineuse et naïve. Celle d'une toute jeune femme qui court à travers les vergers et la lande en riant simplement. Je n'arrive pas à associer cette image avec celle que j'ai vue d'elle plus tard, lorsqu'elle semblait étouffer entre les bras fous d'Arcturus et du 12, Square Grimmaurd.
Au fur et à mesure des années, elle devint acariâtre, amère et même… méchante. Oui, la douce Melania devint méchante.
Elle adopta l'attitude qu'elle avait si souvent vu sa grand-mère paternelle adopter avec sa mère. Elle titilla Walburga sur la moindre des décisions que sa belle-fille prenait. Elle s'acharnait à avoir le dernier mot sur des choses stupides afin de toujours faire entendre sa voix auprès de son fils. Elle éloigna souvent son fils de l'épouse qu'il s'était choisie en les montant souvent l'un contre l'autre.
Elle acquit un pouvoir phénoménal au fur et à mesure de sa vie de Mrs Black au 12, Square Grimmaurd.
Et dire qu'elle ne prit conscience de ce pouvoir qu'au seuil de sa mort.
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Huit années étaient passées depuis le mariage du fils unique de Melania avec sa cousine au second degré. La cérémonie de mariage m'avait mis si mal à l'aise à l'époque, quand j'y repense. Pas un rire sinon de circonstance. Pas un sourire sinon de condescendance. Melania avait interdit à Walburga de porter du blanc. Cette dernière avait alors dit ouvertement qu'elle souhaitait se marier en noir pour faire honneur à son nom – comme la jeune Bellatrix des années plus tard. Melania avait insisté pour qu'une cérémonie longue de deux heures ait lieu dans le Grand Salon fermé de la Maison des Black. Walburga s'était empressée d'exiger de choisir toutes les musiques qui seraient jouées par des musiciens du théâtre sorcier de Londres – alors qu'il était de coutume que les jeunes femmes – et parfois les jeunes hommes – vinssent chacune leur tour s'installer au piano ou apportassent leurs instruments pour en montrer leur maîtrise. C'est sans doute, à l'insu d'Orion et Walburga, pourtant extrêmement conservateurs, que cette mode commença à se perdre au profit de l'emploi de musiciens professionnels. Les Black avaient donné une idée, il fallut que les autres la suivent ensuite.
Ce matin-là, Melania dût passer une terrible nuit. Elle avait acquis, au fils des ans, une étrange capacité à absorber les émotions de son entourage. Elle avait donné toute sa gentillesse dans ses jeunes années, elle avait à présent besoin de se remplir de ce que les autres montraient et lui offraient.
Et au 12, Square Grimmaurd, les autres offraient généralement du mépris, de la lassitude, et de la moquerie. La satisfaction teintée d'un quelque chose qu'elle ne reconnaissait plus – la joie – avait entourée Walburga et Orion la veille. Ce quelque chose la rendait amorphe, comme si elle était épuisée, tuée de l'intérieure par l'absorption d'un aliment inconnu : d'un poison.
« Melania, viens, lève-toi, il faut descendre, la pria certainement Arcturus.
— Hum. »
Elle dût s'enfoncer sous ses draps. Du haut de ses cinquante-cinq ans, elle ne cherchait plus à ménager Arcturus. Elle pensait davantage à elle aussi. Était-ce la vie ou la vieillesse qui la rendait davantage autocentrée ? Davantage égoïste ?
« Melania, je… Orion m'a prié hier soir d'organiser un dîner avec Irma et Pollux ce midi. Il a aussi convié les frères de Walburga, qui ne dînent pas au ministère. Nous… Nous devons être prêts avant eux.
— Laisse-moi, grogna Melania en s'enfonçant sous les draps.
— Melania, il est déjà onze heures, tu… je t'ai fait monter ton thé préféré et une pomme.
— Va-t'en, je dors ! » piailla-t-elle en se redressant brusquement.
Là, elle ne dormit plus. La grimace paniquée d'Arcturus dût l'exaspérer et l'attendrir à la fois.
« Me… Melania, tu…
— Oui, je ne dors plus, soupira-t-elle en se frottant les yeux. Ne t'affole pas, Arcturus, tout va bien. Je peux avoir ma tasse de thé et ma pomme ?
— Tout de suite », s'exécuta son mari.
Aux Tout va bien de Melania répondait à présent les Tout de suite d'Arcturus. Ils veillaient l'un sur l'autre d'une drôle de manière à cette époque. D'accord, dès le lendemain de leurs noces ils avaient veillé l'un sur l'autre d'une étrange façon.
Arcturus devait faire léviter le plateau repas devant elle pendant qu'elle s'asseyait. Il devait la laisser couper la pomme à l'aide de sa baguette. Sûrement même qu'il acceptait un quartier pour faire plaisir à Melania, en protestant à peine, en ouvrant la bouche ce qu'il fallait pour recevoir le morceau de fruit, comme un reste de jeu entre eux. Sûrement que cette habitude – le partage de la pomme, que ce soit dans la salle-à-manger du 12, Square Grimmaurd quand Melania se levait tôt, ou dans leur chambre quand elle dormait tard – les rassurait l'un et l'autre. Il y avait des choses qui, malgré les angoisses maladives d'Arcturus, restaient constantes.
Et puis Melania devait se rassurer de voir que l'époux qu'elle avait un jour trahi reste autant suspendu à sa bouche.
« Tu me disais qu'Orion a souhaité un dîner familial ce midi ? reprit-elle en se levant du lit.
— Oui. Walburga a même fait sortir la vaisselle des grandes occasions. Irma ne devrait plus tarder. Pollux viendra directement depuis le Ministère.
— Quelle idée tu as eu d'accepter qu'ils partent vivre dans leur maison de campagne, loin du 12, Square Grimmaurd », crissa à nouveau Melania pour ne pas partir, avant son petit-déjeuner, hurler après Walburga qu'elle se permettait des décisions qui ne relevaient pas d'elle.
Le jour où Mr Sirius Black, en l'année 1945, avait refusé qu'Orion épouse Walburga, Pollux avait manqué de plier bagage face à l'humiliation dont il était victime de la part de son oncle. Il aurait été prêt à partir vivre pleinement dans cette maison de campagne qu'il avait achetée à la naissance de sa fille aînée. C'était une maison de campagne « relativement simple », un ancien châtelet, reliquat d'un château médiéval détruit au XVIIe siècle, mais que son épouse aimait par-dessus tout. Seule la voix inquiète d'Irma – qui pourtant n'attendait rien d'autre que partir vivre là-bas – pour le bonheur conjugal de leur fille, et seule sa propre soif de pouvoir et de machination, l'avaient retenu à la fontaine fielleuse de la bâtisse londonienne. Toutefois, il manqua de tout quitter à de nombreuses reprises au fil des moqueries voilées que devait subir Walburga, maîtresse d'Orion, en attendant que le vieux Sirius Black ne meure.
Lorsque sa fille avait enfin épousé son cousin au second degré, lorsqu'il avait enfin obtenu la tête de la Maison des Black par procuration, là, un nœud s'était dénoué en lui. Les remarques mesquines de Melania et le mensonge qu'elle le forçait à tenir auprès d'Arcturus en ce qui concernait son grand ami Aristote Parkinson avaient eu raison de sa hargne : il avait anticipé son installation dans sa maison de campagne. Il n'avait pas attendu sa retraite au Ministère pour habiter pleinement en Cornouailles, il avait profité des festivités pour s'éclipser et retrouver un peu de liens paisibles avec Irma.
Melania, au contraire de ce qu'elle prétendait, avait été aux anges de pouvoir se débarrasser de Pollux qui en savait bien trop, et d'Irma, qui avait outrageusement soutenu Walburga dans la course au lit d'Orion.
Arcturus avait, encore une fois, seulement servi de marionnette.
« Je… Je peux les prier de revenir, s'inquiéta une énième fois Arcturus.
— Bah, ce n'est plus la peine à présent, ils vivent là-bas depuis huit ans. Et puis ils daignent encore venir souper au moins une fois le mois, s'exaspéra-t-elle faussement pour masquer son refus catégorique.
— Comme tu le préfères. Je te laisse te préparer, je t'attends dans le bureau. J'ai quelques…
— Fais, fais », l'incita distraitement Melania en regardant de quelle robe noire elle se vêtirait.
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« Notre premier enfant naîtra au mois de novembre », annonça elle-même Walburga en regardant Orion avec orgueil lorsque le dessert fut débarrassé.
La fierté transfigura les traits froids de Pollux. L'amour frémit sur les pommettes encore rondes d'Irma. La surprise défigea le visage las d'Alphard. L'agacement momentané grignota le sourire supérieur de Druella. Le scepticisme se traduisit par un haussement de sourcils dubitatif chez Cygnus. La joie d'être cousines fit glousser leurs trois filles.
L'émotion inonda les yeux anxieux d'Arcturus.
La joie fit frémir le moindre muscle de Melania.
La peur les tordit dans l'autre sens.
« Oh ma fille, s'exclama immédiatement Irma en joignant ses mains sous son menton. Déjà cinq mois ? Et tu ne m'avais rien dit ?
— Je voulais te faire la surprise, susurra Walburga avec un abaissement de tête calculé.
— La maison des Black ne va plus tarder à avoir son héritier, assura Orion en posant sa main sur celle de Walburga, à côté de lui. Je vous remercie encore, Oncle Pollux, de m'avoir confié ma cousine.
— La Maison des Black se doit de rester unie, n'est-ce pas ? » se réjouit à mi-voix Pollux en regardant tour à tour ses trois enfants, ses trois petites-filles, et l'Héritier qui naîtrait bientôt.
Si Pollux n'avait pas reçu les rênes du 12, Square Grimmaurd, sa fille les tenait à présent. Et puis, sa descendance était la plus nombreuse au 12, Square Grimmaurd. Il avait de quoi s'enorgueillir face à Arcturus et Melania qui s'enfonçait toujours davantage dans leur folie, qui se fâchaient continuellement avec leur fils, et que leur fille avait fui à l'autre bout de l'Europe.
« Je vous avais dit, Père, que Walburga était la seule femme digne de notre Maison, rappela Orion.
— Je vous remercie mes enfants, souffla simplement Arcturus avec un bonheur pudique en acceptant enfin pleinement la décision prise malgré lui huit ans plus tôt. Passons au Salon. Walburga, vous m'accorderez votre bras pour nous y rendre, n'est-ce pas ? Druella, prenez le bras de mon fils. Melania, voulez-vous venir aux côtés de Pollux ? »
Arcturus, le proposait par réflexe à Melania. Mais je crois que cette unique fois il aurait ignoré une protestation de sa part tant il était soulagé et heureux d'entendre enfin l'annonce d'un petit-enfant pour la fin de l'année. Walburga avait fait deux fausses-couches – la consanguinité ? le malheureux hasard ? – et il s'était fait une raison. Mais de la même manière qu'il avait veillé sur Lucretia, et un peu moins sur Orion, il attendait avec impatience de pouvoir veiller sur le nouveau-né. Et Walburga n'avait jamais mené une grossesse aussi loin. Déjà cinq mois. Plus que quatre mois.
Le regard froid de Pollux sur Melania agaça dette dernière.
« N'es-tu pas heureuse d'être enfin grand-mère ? » lui demanda-t-il frontalement lorsqu'ils furent seuls dans la salle-à-manger.
Il parlait très frontalement à Melania depuis qu'il avait compris qu'elle était adepte des faux semblants et qu'elle avait été l'amante de son grand ami Aristote. Je pense que Pollux se serait contenté de désapprouver en grimaçant silencieusement si l'amant de Melania avait été un autre que son meilleur ami si romantique, comme il le disait. Arcturus était malade, et même si Pollux était conservateur et ne tolérait pas que quiconque puisse faire subir ce type d'humiliation à son conjoint, je pense qu'il aurait pu comprendre que son amie d'enfance soit épuisée de veiller continuellement sur lui et ait comme besoin de se… défouler.
Mais que son ami se soit rendu malade pendant quatre ans à cause d'elle, ça, il n'arrivait pas à le lui pardonner. Surtout pas en sachant qu'elle avait voulu le retenir. Qu'elle avait à peine essayé de détromper Arcturus qui en avait voulu à la vie d'Aristote un long moment.
« Si, je suis très heureuse que mon fils soit enfin sur le point d'avoir un enfant à son tour », affirma Melania en faisant un pas vers lui.
Elle glissa ses mains autour du coude de Pollux comme un rapace referme ses serres autour d'une charogne. Elle en profita pour enfoncer ses ongles gantés dans le creux de l'articulation, ce qui n'eut pour effet que de faire lever les yeux au ciel à Pollux. Il secoua la tête.
« Mais je crains que Walburga ne le réjouisse trop vite une énième fois, ajouta Melania en le regardant par-dessous.
— Tu es trop bonne, railla aussitôt Pollux entre ses dents.
— Tu es vulgaire, Pollux, railla-t-elle avec un faux sourire.
— Tu es jalouse, Melania, coupa-t-il en la fixant avec dureté. Tu sais que lorsque leur enfant naîtra, le choix de ton fils sera transparent : il choisira toujours ma fille à l'avenir. »
Melania serra des poings cette soirée-là, en oscillant entre joie et jalousie.
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Quatre mois plus tard, Arcturus approuva enfin pleinement le mariage de son fils et de sa petite-nièce en comprenant que son père, Mr Sirius Black, pouvait lui aussi se tromper. Peut-être même qu'une vague de prétention le recouvrit durant la dizaine d'heures que mit Walburga à accoucher.
Durant la dizaine de secondes que mit l'Arbre pour faire apparaître l'homonyme de son propre père : Sirius Black, Orion de son second prénom.
Durant la dizaine de jours bienheureux qui suivirent la naissance inespérée du nouveau-né.
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« Orion ne fait plus attention à rien ! Il se néglige, il n'entend que Walburga, le moindre de ses mots, le moindre de ses souffles ! Il lui a offert une bague avec une pierre comme ça, comme ça ! dit-elle en écartant index et pouce d'un doigt.
— Elle a donné un héritier d'excellente constitution à la maison des Black, s'émerveilla Arcturus en regardant l'enfant qu'il avait dans les bras. Veux-tu parler moins fort ? Tu risques de le réveiller. »
Melania s'arrêta dans le bureau du chef de famille du 12, Square Grimmaurd pour regarder Arcturus avec exaspération. La vue du petit Sirius attendrit un instant ses traits. Elle s'approcha pour détailler les traits tendres du bébé et ses mèches déjà noires et nombreuses. Il avait le nez d'Orion et d'Arcturus. Fin, pointu et droit.
« Tu devrais le ramener à son lit. Walburga risque encore de faire une scène à Orion si elle remarque que tu l'as encore dans les bras. Et après, c'est auprès de moi qu'Orion se plaint, dit-elle plus bas mais fermement.
— Il me fait tant penser à Lucretia lorsqu'elle est née. Il y a… Il y a toute une quiétude et une douceur dans leurs gestes. Ne trouves-tu pas ? »
Il est vrai qu'il y avait la même âme pleine de tendresse chez les deux enfants. Mais c'était d'avantage une bouffée d'espoir que leur souffle enfantin exhalait dans leurs jeunes années, quelque chose qui se transformerait en cette compassion si lointaine aux Black – mais prégnante chez quelques Macmillan – dans leurs vies tourmentées d'adultes.
« Si, ils se ressemblent, en convint Melania. Je… Je peux l'avoir un peu ? demanda-t-elle du bout des lèvres.
— Bien sûr », accepta Arcturus en lui offrant son sourire instable et ses clignements d'yeux toqués.
Arcturus, cette fois-ci, osait prendre le petit dans ses bras même sans en demander la permission à Melania, à Orion ou encore à Walburga. Melania osait, quant à elle, à peine le faire. Lorsqu'elle le demandait à Arcturus, son mari retrouvait la complicité de leurs premières années de mariage, lorsqu'ils s'extasiaient dans un silence paisible sur leur fille. Il aimait cela plus que tout.
« J'avais oublié combien c'était petit », souffla-t-elle avec émotions en le regardant dormir.
Le bébé grimaça, fronça son nez fin, pointu et droit. Melania le berça dans ses mains de pouvoir apaisant. Elle le rendit quelques instants plus tard à son mari.
« Va le coucher, grand-père, se moqua-t-elle doucement à présent plus sereine.
— Je reviens dans un instant, grand-mère », répliqua-t-il avec son sourire difficile.
Arcturus et Melania avait encore une belle complicité par moments, lorsqu'elle reposait sur les cendres d'un passé qu'ils avaient fait flamber sur le bûcher de leurs mensonges. C'est sans doute d'ailleurs pour cette raison que je n'ai jamais compris celle que la douce Melania était vraiment devenue.
Car tout basculait en une poignée de secondes.
Arcturus devait apaiser Melania d'une certaine manière. Il savait, consciemment ou non, ce qui permettait à son épouse de garder son calme et de trouver le bonheur. Il l'aimait. C'est certain. Elle l'aimait aussi. Autrement.
Lorsqu'il s'en allait, elle perdait toute patience. Lorsqu'ils n'étaient plus en tête à tête ou lorsqu'elle n'était pas au grand air, il était impossible à Melania de se tempérer.
Arcturus aurait commis mille folies sans elle.
Elle aurait succombé à des milliers d'autres loin de lui.
La porte du bureau d'Arcturus Black s'ouvrit sur sa belle-fille. Walburga entra, dans une chemise de nuit longue et blanche à l'ancienne, en chaussons fourrés, le teint pâle des femmes qui viennent d'accoucher et dorment peu car elles veillent sur leur enfant.
« Où est mon fils ? crissa-t-elle en refermant la porte derrière elle sans détourner le regard de sa belle-mère.
— Dans son berceau », grimaça Melania.
Il n'y avait pas qu'une raison à son mépris pour Walburga. Pollux avait identifié la jalousie, mais ce n'était pas la plus importante.
« Il n'y était pas.
— Arcturus m'a dit qu'il allait le voir pourtant », mentit à moitié Melania.
Walburga dut voir rouge lorsqu'elle fit trois pas pour toiser la mère de son mari. Si elle avait encore été enceinte, son ventre aurait touché celui de Melania.
« Je ne sais plus comment vous dire, ma tante, de laisser dormir cet enfant seul. Je refuse qu'il soit aussi remuant, insolent, gâté et impertinent que Lucretia. »
La gifle vola. On ne touchait pas à la fille aînée, la fille unique, la fille guérison, la fille étoile, de Melania. Surtout pas la froide Walburga.
« Je suis ta belle-mère et je ne te permets pas, Walburga, de tenir de pareils propos sur ma fille.
— Ma cousine, cracha Walburga en revenant planter son regard dans le sien avec un coquelicot sur la joue, faisait trop de caprices.
— Ta belle-sœur, rectifia Melania, ne penserait jamais une quelconque critique à ton égard.
— Peu importe, siffla Walburga qui avait depuis longtemps fait ses armes contre sa belle-mère. Mon fils obéira, lui. Et il ne fuira pas ses responsabilités. Mon époux commence à en avoir assez de votre ingérence dans l'éducation que nous avons prévu pour notre enfant.
— Mon fils ne me privera jamais de mon petit-fils !
— Voulez-vous le parier, belle-maman ? » se moqua méchamment Walburga en écumant de rage.
Je crois qu'il n'y eut pas de raison rationnelle au geste de Melania à part l'origine de sa jalousie : sa peur maladive de perdre à nouveau son fils dans les méandres du 12, Square Grimmaurd. Afin de reprendre la main sur les habitants en pions de l'échiquier du 12, Square Grimmaurd, elle reproduisit ce geste qu'avait fait Arcturus pour la sauver trente ans plus tôt. À cet instant, la reine Melania fut remplacé d'un geste sec et ferme, d'une frappe, par la reine noire Walburga. La première fourra ses mains autour du cou de la seconde pour l'étrangler sauvagement en représailles, pour la faire taire, pour faire taire la peur qui l'étouffait, pour rendre l'étouffement effrayé.
Les yeux de Walburga se révulsèrent – elle gagna ce toc de colère ce jour-là, quand la haine pleine de peur de Melania s'infiltra dans le moindre pore de sa peau – et elle tenta de respirer maladroitement en se débattant faiblement. Affaiblie comme elle l'était avec sa jeune maternité, ce fut déjà prodigieux qu'elle réussisse à couiner assez fort pour alerter son époux qui l'attendait derrière la porte du bureau.
« Mère ! » hurla Orion en voyant la scène.
Il se précipita pour rattraper son épouse adorée lorsqu'elle commença à perdre connaissance. Le pouvoir de Walburga s'échappa définitivement des mains de Melania lorsqu'elle lâcha le cou de sa bru pour regarder ses paumes rouges dans la lueur sanglante du cœur de la nuit. Elle s'horrifia sans doute, mais ce fut trop tard. Le regard effaré, effrayé et haineux de son fils lui fit perdre l'équilibre.
Elle avait voulu prendre le pouvoir à pleine main alors qu'elle avait déjà des mains de pouvoir. Elle avait voulu chasser un pion noir sur le pouvoir de l'échiquier des Black. Elle avait voulu tuer le pouvoir adverse qui était en réalité un pouvoir allié. Elle avait voulu tuer les siens, se tuer, se suicider, finalement.
Or le pouvoir ne peut pas s'emparer lui-même… au risque de s'étrangler.
