Et le troisième chapitre...

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Chapitre 28 : Où sa Melania n'est plus et où le monde s'effondre

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Singulier destin que celui de Melania Black.

Saviez-vous que son fils la chassa du 12, Square Grimmaurd ?

Avec la contrepartie de ne rien dire de cet évènement ni à Arcturus, ni à Pollux ?

Que Melania, officiellement, s'efforça de convaincre son mari de partir ?

D'abord à Tutshill, puis en Hongrie ?

Remarquez, tous les Black fuyaient le 12, Square Grimmaurd depuis l'année 1944, leur départ n'étonna donc personne à l'époque.

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Melania avait menti – une fois de plus – à Arcturus pour partir du 12, Square Grimmaurd, qui – dégénérant chaque jour davantage – chassait les siens et les faisait se chasser entre eux.

D'abord, telle Lady Macbeth, elle avait pris la poudre de Cheminette pour la maison de campagne de Tutshill afin d'entrer en crise d'angoisse, de folie ou autre toute seule. Elle avait pansé un moment les plaies purulentes de ses mains comme si elles avaient davantage été victimes que criminelles, jusqu'à se convaincre que Walburga l'avait menacée et qu'elle était cause de toutes les misères que les deux sorcières se faisaient depuis plus de quinze ans. Jusqu'à se convaincre que Walburga était un danger pour elle.

Ensuite, elle était rentrée au 12, Square Grimmaurd, tout à fait décidée à quitter cette maison qui ne voulait plus d'elle.

Enfin, elle avait trouvé sa chambre vide : Orion soignait Walburga dans leur chambre, au troisième étage Arcturus s'était endormi d'admiration à côté du berceau de son unique petit-fils, au deuxième étage. Walburga avait été de bonne foi : elle n'avait pas croisé Arcturus le soir de l'évènement. Elle était descendue au second, n'avait pas trouvé Sirius dans le berceau, était remontée au troisième s'en plaindre à Orion, et le temps que les deux époux s'accordent sur la démarche à suivre pour faire comprendre à Melania que cette situation ne leur convenait pas – on ne raisonnait pas Arcturus sans passer par Melania… – Arcturus était allé coucher le bébé.

Tout un dérapage, toute une folie, un meurtre pour quelques secondes de latence.

Arcturus, inconscient de ce qu'il s'était produit le soir, s'en était revenu le matin dans sa chambre, penaud. Melania ne lui avait rien dit et s'était servie de ce manquement d'Arcturus pour le prier de retrouver la tête froide : partir à Tutshill puis en Hongrie pour ne pas devenir aussi gâteaux qu'Irma et Pollux avec leurs petites-filles – gâteaux avec une définition toute Black… – était la meilleure chose à faire. Ils reviendraient l'an prochain, lorsqu'Arcturus aurait avancé ses recherches sur l'influence de la position des astres sur les sortilèges.

Ils revinrent l'année suivante pour la naissance davantage encore inespérée de Regulus Black, auquel Orion, dans une tentative méfiante de réconciliation, donna comme second prénom celui de son père, Arcturus.

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Mais les Black ne firent que péricliter, encore. Du jour où le pouvoir apaisant des mains de Melania avait commencé à s'affaiblir, l'avidité et le besoin de domination étaient revenu envahir le 12, Square Grimmaurd. La Maison des Black torturait ses membres jusqu'à ce que, chacun leur tour, ils flamboient ostensiblement de pouvoir par des mots, des actions, des gestes glorieux. Cygnus – petit frère de Walburga – ne laissait plus Druella Rosier-Black prononcé un mot contre lui sans s'emporter. Bellatrix donnait des ordres aux autres enfants lorsqu'elle revenait de Poudlard. Andromeda faisait – vulgairement – sa tête de mule et piquait des colères si sa mère ne la laissait pas lire, dessiner, visiter qui elle le souhaitait. Narcissa aiguisait son art du mépris par le culte d'un silence froid et acéré qui hachait menu la plus belle prestance d'un vieil homme.

Quant à Orion et Walburga… En plus de devenir lentement mais sûrement davantage méprisante de jour en jour, la paranoïa d'Orion enflait entre eux. Il se terrait des journées entières dans son bureau pour faire encore et encore ses comptes au sujet des terres de Tutshill et des locations du Chemin de Traverse. Il faisait poser des sortilèges toujours plus complexes pour protéger le 12, Square Grimmaurd qui approchait de la fin de sa vie dans de longs cris d'agonie, jusqu'à rendre incartable la bâtisse, l'année où Sirius puis Regulus contractèrent la Dragoncelle.

Orion s'enfonçait dans la folie qui avait nourri son père et sa mère toute leur vie, là où Walburga, qui avait été abreuvée à la tendresse froide de Pollux et plus chaleureuse d'Irma, s'élevait à la tête de la demeure. La branche cadette des Black, éloignée du cœur pourri de l'arbre, était vraisemblablement plus saine d'esprit que la branche aînée de cette famille. Walburga prenait finalement la place que son père avait abandonnée des années plus tôt, un peu grâce à son mariage, un peu grâce à ses fils, un peu grâce à une usurpation d'un pouvoir qui venait chercher du réconfort dans ses mains.

Walburga dirigeait.

C'était elle qui élevait ses fils de bout en bout. Elle qui les sortait au Chemin de Traverse. Elle qui les punissait. Elle qu'ils craignaient mais cherchaient aussi à consoler, surtout le second, le petit Regulus, que Melania aimait tant. Il lui rappelait Arcturus dans leur jeunesse, par son physique, sa douceur et sa curiosité pour la magie. Lorsqu'elle rentrait d'Hongrie et dormait à Tutshill – avec Arcturus – c'était à lui qu'elle pensait et donnait le premier baiser.

« Grand-mère Melania, se réjouissait-il, les yeux pétillants, la voix petite et respectueuse.

— Mon Regulus, mon petit roi », s'émerveillait Melania en retour en s'accroupissant devant lui seul.

Il était comme Orion avant que Sirius et Hesper Black ne l'éduque. Il était le petit Orion avec lequel tout était encore possible.

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Puis les Black moururent tous, les uns après les autres, à commencer par le petit-fils préféré et inespéré, Regulus.

Violetta – la veuve de ce maudit oncle Cygnus, Arcturus – l'oncle du même nom que son mari – et Regulus – frère d'Arcturus – étaient décédés juste avant la naissance des petits-enfants. Mais qu'importe : les deux premiers étaient déjà âgés, et le troisième avait fui le 12, Square Grimmaurd pour partir ambassader en Bolivie. Tant pis.

La mort de Lycoris – éternelle méchamment incomprise – avait été annoncée par l'Arbre quelques années après. L'impudente avait dû se retrouver dans les sales draps d'un homme cette fois-ci, et ne pas en sortir.

Alphard était décédé en 1976 ensuite, et Melania n'avait trouvé qu'à traiter Walburga de tous les noms lorsque sa belle-fille l'avait brûlé de la tapisserie, de la même manière qu'elle l'avait fait quelques mois auparavant avec Sirius. Melania n'était, en soi, pas contre ces décisions. Mais jamais elle ne se serait privée d'une occasion pour critiquer Walburga et le pouvoir qu'elle lui avait volé à elle, à Arcturus et à son fils Orion. Le pouvoir que Walburga volait tout court à Sirius. Ce qui l'avait calmée et contentée, avait été de savoir que tout ce pouvoir, suite à ces décisions, reviendrait tout entier à Regulus, le petit qui ressemblait tant à Arcturus, la paranoïa en moins. La Maison des Black, pensait-elle, serait entre de bonnes mains. Mais elle devenait si incohérente dans les années soixante-dix que je me souviens ne plus avoir réussi ni à la suivre ni à l'écouter quand elle s'emportait pendant des heures sur des sujets qui ne m'intéressaient pas. Pire, sur des sujets qui me rebutaient.

La mort d'Irma, aussi, lui porta un véritable coup. D'autant plus lorsque la décision fut prise de l'enterrer au fond de la propriété de Pollux et non du 12, Square Grimmaurd. Elle eut l'impression que la brouille avec son amie – qui datait de la première demande de fiançailles de leurs enfants – était inscrite sur la pierre et dans la terre pour l'éternité.

La mort de Regulus fut un des coups les plus terribles qui l'affligèrent durant les quinze dernières années de sa vie. Il n'y avait pas de corps pour savoir que Regulus ne se lèverait plus. Seule la confession de l'Arbre, qui avait laissé l'un de ses protégés se perdre dans les courants de la mort, loin de sa famille et de l'honneur qu'il portait tant bien que mal depuis deux ans, et la mort métaphorique de Sirius, permirent à la Maison des Black d'apprendre ce désastre. Une étoile de moins sur la tapisserie.

C'était, la fin de l'Arbre.

Et lorsqu'un mois plus tard, Walburga leur apprit qu'Orion s'en était allé à son tour, alors qu'ils n'étaient toujours pas repartis en Hongrie, un raz-de-marée emporta les dernières larmes de sa lucidité. À soixante-quatorze ans, elle se perdit dans les limbes de son enfance, se remit à cultiver les jardins de Tutshill, à faire des tartes, des bocaux, du pain, des potions Repousse-Botrucs, à tuer des lapins, et filer de la laine avec une maladresse de fillette, pendant qu'Arcturus, tantôt perdu, tantôt effrayé, se perdait dans sa paranoïa et ses études de l'influence des astres sur les sortilèges pour lesquelles il était très réputé en Hongrie et en Europe centrale.

Même Lucretia, qui adorait ses parents, qui habitait à présent en Angleterre et qui avait perdu son époux adoré et ses meilleurs amis, ne savait plus quoi faire pour retenir à la vie les seules personnes qui lui restaient.

« Je… je crois que mes parents deviennent complètement fous, m'avoua-t-elle.

— Ils sont un peu spéciaux, en convins-je.

— Non, non, ils sont fous.

— Ton père est paranoïaque, mais ta mère…

— Ce n'est plus de la paranoïa. Je ne parle pas de maladie. Je dis simplement qu'ils ne sont plus avec nous. Ils sont fous. »

Peut-être. Je ne voulais pas encore le croire pleinement à cette époque.

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Ironiquement, ce qui sortit Melania de sa douloureuse mais paisible retombée en enfance fut la mort de Walburga, six ans plus tard.

Lorsque Pollux arriva chez eux avec une tristesse qui se manifestait par de l'abattement chez lui, Arcturus vint aussitôt à sa rencontre. Pollux, au fil des années qui avaient suivi la mort d'Irma, ne s'était pas départi de sa froideur et de ses sourires de circonstance, mais il était d'une sérénité nouvelle. Il n'avait plus personne à sa charge, et seul son emploi au Ministère – qu'il avait finalement repris partiellement à la mort de son épouse – lui apportait un semblant de sociabilité. À cette date, de sa famille, il lui restait un fils, une belle-fille, une petite-fille mariée à un Malefoy – que les Black aimaient peu originellement mais ceci est une autre histoire – et un arrière-petit-fils. Les autres s'en étaient allés à Azkaban, loin des Mains de Pouvoir, ou vers d'autres lieux.

Melania et Arcturus avaient une place à part dans ce tableau qui n'avait plus rien d'un échiquier puisqu'aucun ne vivait encore sur le damier du 12, Square Grimmaurd. Walburga ne s'était pas contentée d'être la reine ou la joueuse, elle avait voulu le jeu pour elle toute seule. Elle était devenue chaque pion du damier ces six dernières années, sans trouver personne pour jouer avec elle. Peut-être son frère Cygnus ou sa belle-sœur Druella venaient-ils certains jours face à elle, mais rarement. Elle avait eu le jeu pour elle toute seule : elle était demeurée seule.

Melania et Arcturus, de leur côté, étaient devenus ces cousins séniles dont on parle aux réunions de famille pour se rassurer sur le fait que ce sont eux, et non nous, qui sommes les fous de la famille. Ils étaient devenus l'anecdote qu'on sort et qu'on déploie plus ou moins lorsque le silence se fait, lorsqu'on veut amuser et à la fois effrayer les enfants.

Pollux, en voyant ce que la sorcière devenait, avait plus ou moins pardonné à Melania ce qu'il s'était mis en tête de lui reprocher jusqu'à sa mort – les quatre années de souffrances amoureuses d'Aristote Parkinson – à la lumière de sa pitié et de cette morale toute vindicative de l'expression On récolte ce qu'on l'on sème. Il passait toujours au moins une fois par mois dîner chez eux – à Tutshill cette fois – pour un dîner que Melania avait préparé seule sans qu'Arcturus ne trouve à y redire ce qui troublait toujours Pollux, mais moins encore que de se faire recevoir par Melania habillée de sa robe de chambre blanche, les pieds nus, et des nœuds jaunes dans ses cheveux nattés.

Il n'y avait pas d'elfe dans leur maison – ils s'en étaient débarrassé pour une suspicion de trahison. Et il fallait répondre à des questions personnelles avant de rentrer chez eux en évitant des pièges installés de-ci de-là.

« Ma fille est décédée hier. Son elfe m'a averti ce matin, annonça-t-il une fois qu'il eut réussi à entrer.

— Walburga est décédée ? » répéta Arcturus en se laissant tomber sur son fauteuil.

Il était surpris comme si on lui avait annoncé qu'un jeune adulte était décédé. Certes, Walburga n'avait que soixante ans, mais son propre fils était mort à dix années de moins. Et puis Walburga aussi trempait dans la folie, avec sa vie en tête à tête avec son elfe et les fantômes des Black qu'elle avait vu mourir. À croire que Walburga avait fini par être contaminé par la pourriture des Black de la branche aînée.

« Oh Pollux, s'effondra Melania en venant s'asseoir à côté de son ami. Tu… Veux-tu un verre ? As-tu besoin de quoique ce soit ? Veux-tu que nous fassions venir Lucretia ?

— Je veux bien un verre, accepta Pollux du bout des lèvres avec reconnaissance et comme lors de la mort d'Alphard et d'Irma, on put voir ses yeux se piquer de larmes qu'il cacha rapidement en baissant la tête vers ses mains.

— Arcturus, voulez-vous envoyer un hibou à Lucretia ?

— Bien sûr, Melania, je reviens dans un instant. »

En retombant en enfance, Melania retrouvait également sa douceur, et sa gentillesse. Loin de la bâtisse gangrénée du 12, Square Grimmaurd, elle redevenait la douce Melania, elle retrouvait son cœur de Poufsouffle avant que la vie ne le blesse, elle se perdait dans sa cuisine, sa culture, sa broderie. Elle retrouvait une vie qui lui aurait davantage convenu que celle que Mrs Hesper Black lui avait imposée en forçant son mariage avec Arcturus à se tenir entre les griffes du 12, Square Grimmaurd.

Elle redevenait l'amie d'enfance que Pollux avait eue à Poudlard.

« Nous allons t'aider pour l'enterrement. As-tu prévenu Cygnus et Druella ? Et Narcissa ?

— Pas encore, reconnut Pollux, le cœur gros.

— Il serait bon d'envoyer un pli prévenir Bellatrix également. Peut-être pourrait-on lui obtenir un laissez-passer pour assister à l'enterrement de sa marraine ?

— Je l'ignore », reconnut Pollux qui avait été si fier de sa Bellatrix mais refusait d'aller lui rendre visite depuis que toutes ses actions avaient été étalées sur la place publique des tribunaux.

Son vieux cœur, de plus, n'aurait pas survécu à l'épreuve que constituaient les Détraqueurs d'Azkaban. Sans parler du dégoût qui le submergeait en imaginant dans combien de bains tout de sang sa petite-fille avait trempé.

« Arcturus va s'en occuper. Il est Commandeur avec son Grand-Ordre de Merlin Première classe », rappela Melania avec importance pour cette distinction et avec inquiétude pour Pollux.

C'était elle qui avait fait des pieds et des mains pour obtenir cette médaille à son mari dans les années soixante-dix en mettant en avant ses études sur l'influence des astres sur les sortilèges. Certes, Arcturus était connu des spécialistes, mais c'était tout – et puis ç'aurait été davantage un Ordre de Merlin Troisième classe pour celles et ceux qui « ont contribué à la somme de nos connaissances ou de notre culture » qu'il aurait alors reçu. Sans doute qu'un lourd sac de Gallions accordé à quelques haut-placés qui appréciaient la sorcière avait bien davantage convaincu. Les Black aimaient les médailles et les dorures, de toute façon.

« C'est aimable de ta part de m'aider », la remercia à mi-voix Pollux.

Il ne savait pas qu'il perdrait à nouveau son amie le jour de l'enterrement de sa fille.

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Si la gangrène du 12, Square Grimmaurd avait tué les héritiers de la Maison des Black si la maison s'était étranglée elle-même à force d'exercer un pouvoir dans tous les sens et sans sens la mort de Walburga acheva le destin tragique et douloureux de la Maison des Black.

Oh, il restait bien Sirius, le premier petit-fils inespéré. Il était lui aussi enfermé à Azkaban pour des crimes et des trahisons successives que ne pouvaient que mépriser ouvertement les Black, alors que dans leur cœur ils l'avaient admiré d'avoir été le plus manipulateur d'entre eux – avant que Lucius Malefoy ne révèle le pot aux roses, et qu'ils ne médisent à nouveau sur « son attitude qui avait toujours été grossière ».

De la descendance décente des Black, de leur héritage, il ne restait qu'un enfant au nom d'étoile : Drago Malefoy.

Melania ne l'avait jamais vu – elle était folle et à Tutshill à sa naissance, et ensuite, trop folle pour que la pète-sec Narcissa Black-Malefoy ne la laisse approcher son fils.

Le jour de l'enterrement de Walburga, Pollux organisa une petite réception au 12, Square Grimmaurd qui périclitait sauvagement. Mais que n'aurait pas fait en trois jours l'elfe Kreattur pour sa maîtresse adorée partie trop tôt ?

Ils se retrouvèrent tous là. Bellatrix ne put pas sortir pour sa marraine. Sirius aurait pu pour sa mère – mais quitter momentanément une prison pour une autre ne l'avait pas tenté, selon ses mots. Ils furent neuf à enterrer la Maison des Black ce jour-là, dix avec le fidèle serviteur. Lucretia soutenait sa mère et son père, plus affectée par l'énième personne de sa génération qu'elle voyait mourir que par la mort de Walburga – les deux cousines ne s'étaient jamais entendues.

Quelque chose se passa devant la plaque plantée sur un cercueil vide en la mémoire de Regulus. Melania se remit à pleurer comme la vieille dame qui avait trop vécu qu'elle était. En revenant dans ce jardin, dans cette maison après six années vécues à Tutshill ou de passage dans les landes écossaises, la réalité du reste du monde lui revint, et elle versa les pleurs d'une vie douloureuse, d'une mère et d'une grand-mère qui avait enterré ceux dont elle était orpheline.

Quelque chose d'autre se passa devant la tombe d'Orion, rouverte afin d'ajouter par-dessus son corps le cercueil de Walburga. Ses sanglots doublèrent de volume pendant qu'Arcturus se mettait à pleurer et à paniquer à son tour.

Elle tenta de rejoindre son fils en sautant dans la tombe.

Ce fut la pauvre Lucretia qui tira sa baguette pour l'empêcher d'entrer dans l'Averne.

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« Il faut les faire interner », finit par me dire Lucretia le soir même lorsque je vins la rejoindre à Ste-Mangouste.

La pauvre enfant – qui avait l'âge auquel Walburga avait cédé sa vie, une soixantaine d'années – ne savait plus quoi faire de ses parents de plus en plus instables. S'ils avaient pu vivre étrangement mais sereinement dans leur maison de Tutshill ces dernières années, depuis cet incident qui avait réveillé et illustré l'agressivité de leur folie, Ste-Mangouste lui intimait de trouver une solution qui puisse protéger les autres et eux-mêmes.

« Ils ne le voudront pas, vous le savez bien, Lucretia, lui dis-je.

— Il y a cette chose dont ils m'ont parlé, cette tutelle. Est-ce difficile à mettre en place ? »

À ma grande honte, j'avoue avoir fait exprès de décourager Lucretia sur cette démarche facile qui aurait peut-être simplifié bien des choses. Mais je n'y arrivais pas. Je ne parvenais pas à me dire que Melania en avait besoin, elle, que j'avais connue si pleine de vie, si loin de cette poupée longue, maigre et spectrale dans ses robes de chambre blanches.

« Il suffit de les remettre ensemble dans leur maison de Tutshill, et ils se calmeront, disais-je plutôt. Cela vaut le coup d'essayer, non ? Qu'en pensez-vous ? »

C'est ce que nous fîmes pendant six ans.

Je venais une fois par semaine m'assurer qu'ils se portaient bien – pour chasser les souris et vérifier le garde-manger... Lucretia faisait le déplacement également – pour s'assurer de la bonne hygiène de sa mère… Le guérisseur que j'avais convaincu Arcturus de demander à Ste-Mangouste venait toutes les deux semaines, lui, pour les ausculter.

Puis vint le matin où Melania ne se réveilla pas.

J'ai dit que sans Arcturus, Melania aurait succombé à tous ses traumatismes. J'ai dit aussi que sans elle, Arcturus aurait commis mille folies.

J'aurais davantage dû dire que le monde s'effondra pour lui le jour où il ne parvint pas à réveiller la gardienne de sa vie.

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Pollux est mort un an jour pour jour avant Melania. Il a été lui aussi enterré dans son châtelet de Cornouailles, auprès d'Irma. J'ignore ce qui le motiva dans cette décision, mais c'est sans doute mieux pour leurs âmes d'avoir osé ce choix il y a dix ans.

Pollux était dépassé et furieux après Arcturus et Melania d'avoir gâché l'enterrement de sa fille avec leur folie. Cygnus, Druella, Narcissa et les Malefoy ne voulaient rien avoir à faire avec les fous.

La Maison des Black était donc morte de la gangrène du 12, Square Grimmaurd le jour de la mort de Walburga et personne n'avait remis les pieds dans la bâtisse londonienne depuis lors.

J'ignore pourquoi c'est à cette adresse que transplana néanmoins Arcturus avec le corps éteint de Melania. Il aurait pu transplaner chez sa fille, mais il dut vouloir essayer une quelconque magie cachée au 12, Square Grimmaurd pour réveiller Melania. Lorsqu'il n'y parvint pas, il dut amener Melania dans le petit cimetière constitué sauvagement au fil des siècles au fond du jardin du 12, Square Grimmaurd, non loin de la serre de Mrs Hesper Black – à présent en ruine.

Il dut creuser la tombe lui-même afin d'y coucher le corps de celle qu'il avait aimée avec folie.

C'est la commande d'un cercueil au Chemin de Traverse pour l'adresse londonienne qui révéla qu'une chose étrange se passait au 12, Square Grimmaurd. Comme Sirius Black était à Azkaban, comme Arcturus et Melania étaient séniles, ce fut à Lucretia que le vendeur envoya un pli qui demandait des explications. Ce fut Lucretia qui vint me voir avec inquiétude, ce fut elle qui m'emmena dans la maison déserte de Tutshill, ce fut elle qui nous fit découvrir l'ultime désastre du 12, Square Grimmaurd sur la Maison des Black.

Couchée au milieu d'un jardin à l'abandon sur un tapis de roses, le corps de Melania Macmillan-Black gisait, déchiré par la mort, pendant qu'Arcturus pleurait comme un enfant en psalmodiant de vieilles prières écossaises aux esprits de la nature que Melania avait dû lui apprendre.

« Père, bredouilla Lucretia en accourant à lui.

— Elle… Les esprits ont emporté son âme, les esprits… Elle va revenir, elle va…

— Père », souffla encore une fois Lucretia en prenant son père dans ses bras.

Elle regardait le corps de sa mère vidé de vie par-dessus l'épaule d'un père qui sanglotait toujours, avant de pleurer silencieusement à son tour. Lucretia, du moment où elle avait épousé son grand amour en connaissance de sa stérilité, n'avait plus jamais sangloté. Elle avait pleuré silencieusement, à grosses larmes perlées de reflets fantomatiques. Ses joues ne souffraient plus lorsqu'elles recueillaient l'eau salée des peines, elles ouvraient un chemin pour s'en désaltérer le plus rapidement possible, et continuer de vivre.

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Melania fut enterrée le lendemain à l'endroit même où Arcturus Black avait emmené son corps. On lui laissa pour la première fois faire un choix conscient pour Melania sans l'aval de son épouse. On le laissa choisir le dernier choix pour une vie.

Nous fûmes peu nombreux à la cérémonie. Archi Rosier vint, lui qui, si fatigué, aurait aimé partir avant ses amis qu'il avait vu mourir de folie année après année. L'épouse d'Archi aussi fut présente. Les Macmillan furent présents, Lucretia et Arcturus également. Druella et Cygnus vinrent avec Narcissa et Lucius Malefoy pour qu'il ne soit pas dit qu'ils ne respectaient pas la famille Black. Il y eut ainsi plus de monde à l'enterrement de Melania que de Walburga. Melania en aurait sûrement été ravie…

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« À vous, ma tendre et aimée amie… j'offre ces roses, afin… qu'elles vous accompagnent sur la route des Prés Étoilés… Votre âme sera guidée par les Esprits de Nuit… et s'abreuvera à la Source Sacrée… Vous laissez sur la terre, une âme déchirée qui jamais ne pourra rire sans votre sourire. Vous laissez… Vous laissez… »

Il m'a été donné à peu de reprises d'être touché par Arcturus. Pourtant, le jour de l'enterrement de Melania, le voir agenouillé devant la fosse qu'il avait creusée et où l'on venait de déposer le cercueil, entendre sa voix vieille de près d'un siècle chuchoter imparfaitement et dans une traduction approximative les chants mortuaires écossais destinés à conduire l'âme du défunt vers l'au-delà, je me mis à pleurer.

Personne n'osa interrompre ses bredouillements qui durèrent des heures entières. Tous, excepté Lucretia et moi, partirent au fur et à mesure de la journée, impatientés.

Lorsque la nuit tomba, il ne restait dans le jardin que Lucretia, Arcturus, moi, et Kreattur – qui ne voulait sans doute pas qu'on approche de la tombe de sa maîtresse.

« Père ?

— Je n'ai pas fini. »

Lucretia vint embrasser son père, il lui offrit un baiser en retour. Elle me fit signe qu'elle s'en allait elle aussi, épuisée.

Je suis resté jusqu'au petit matin à demander à Arcturus s'il allait bien à attendre qu'Arcturus se relève.

Il finit par ne plus me répondre.

Lorsque je m'approchais avec inquiétude – je devais le mener à Ste-Mangouste pour le faire interner à présent – je vis ses yeux fermés et ses bras pendre de chaque côté de son corps.

Lorsque je posai la main sur son épaule, une tornade infernale me submergea.

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C'est plusieurs heures plus tard que la voix de Lucretia me réveilla. Elle pleurait à grosses larmes – toujours silencieuses – en me regardant fixement.

Je repensais au corps sans vie de son père étalé sur la tombe de sa mère.

J'avais vu un être mourir d'amour et de chagrin en une seule nuit.

« Il est parti aussi, soufflait-elle, la voix étouffée. Il a dû partir avant l'aube pour rester avec elle. Il aurait pourtant été bien à Ste-Mangouste. Je venais de lui acheter de jolis draps jaune et vert, comme ma mère en avait confectionné pour son trousseau. Ils lui auraient plu.

— Lucretia…

— Vous vous étiez endormi ?

— Je… Je crois, ai-je menti ce matin-là.

— Ce n'est pas grave, il n'aurait pas aimé mourir sur la tombe de ma mère devant vous. »

J'étais étendu sur un canapé poussiéreux de ce qui avait été le fantastique 12, Square Grimmaurd au temps de la génération dorée. Des bruits dans le couloir me firent froncer les sourcils.

« Ils sont en train de mettre mon père dans un cercueil et de creuser une tombe à côté de ma mère pour lui. »

Je m'inquiétais, mais comme Lucretia ne mentionnait aucune tornade, et que je ne voulus pas ajouter à son inquiétude, je cherchai à me convaincre que la tornade avait été un effet de mon imagination fatiguée.

« Je veux l'enterrer tout de suite, je n'ai pas la force pour deux deuils, un seul sera moins éprouvant, murmura-t-elle en pleurant encore. Les autres ne reviendront pas, ils sont ailleurs à présent. Il n'y aura que nous cette fois-ci. »

J'hochai la tête avec soulagement – fatigué des mondanités – et la suivis dans le jardin en friche. Elle signa les papiers d'un officiel du Ministère et les papiers du fossoyomage avant que nous nous retrouvassions tous les deux face à la deuxième tombe fermée de pierre. Comme Lucretia ne disait rien, je prononçai quelques chants écossais. Lucretia fredonna avec moi en prenant ma main pendant un long moment. Arcturus avait offert sur l'autel de la tombe de Melania sa dernière journée de vie, nous pouvions au moins lui donner une heure ou deux des nôtres.

Puis Lucretia s'agenouilla à son tour, comme son père l'avait fait devant la tombe de Melania.

« J'aurais aimé que les choses soient plus simples, Père, souffla-t-elle simplement. Que votre âme aille en paix aux Prés Étoilés. »

Elle posa l'une des deux roses qu'elle avait cueillies dans ce qui restait du jardin du 12, Square Grimmaurd, puis vint s'agenouiller devant la tombe de sa mère pour répéter les mêmes mots.

« J'aurais aimé que les choses soient plus simples, Mère. Que votre âme aille en paix aux Prés Étoilés. »

Puis elle se baissa et voulu poser la main sur la tombe de sa mère afin de déposer délicatement la seconde rose. Elle n'en eut pas le temps. Au contact de la main de Lucretia sur la tombe, la rose lui échappa pour s'échouer sur la pierre, et la même tornade la projeta dans mes bras sous ses cris apeurés.

« Ils sont fous, ils sont fous, ils sont fous… ils vont me rendre folle moi aussi ! couina-t-elle en se pelotonnant dans mes bras faibles.

— Ce… Ce n'est pas… c'est votre père, il…

— Qu'est-ce qu'il a encore fait ! explosa Lucretia en pleurant à nouveau deux ruisseaux de perles d'eau. Qu'est-ce qu'il a encore fait ? se lamenta-t-elle dans mes bras. Je ne pourrai donc jamais rien avoir de normal avec eux ?

— Votre père… »

Mon murmure se perdit dans le croassement d'un corbeau qui vint se poser sur la tombe de Melania. La tornade qui se déchaîna la seconde d'après n'en laissa que les plumes et un autre cri de Lucretia. L'elfe Kreattur fit son apparition, maigre, sale, et aussi désespéré que ceux qui ont subi la gangrène du 12, Square Grimmaurd. La gangrène avait tué Walburga, mais la mort de Walburga avait aussi fini de faire pourrir la bâtisse malade. Les hauts murs de pierres noires de sa façade, ses colonnes qui grignotaient la cour carrée, tout, tout tombait à présent en ruine et en pleurs.

Dans un dernier battement de cœur en ce début d'année, les dorures rouillées, les parquets mangés aux vers, les tapisseries effilées et le spectre des fêtes fastueuses avaient fait ressusciter dans leurs Mains de Pouvoir la folle emprise que le 12, Square Grimmaurd avait toujours exercée sur Arcturus et Melania afin de les ramener mourir en son sein.

Ce jour-là, alors que, en larmes moi aussi, j'entraînais Lucretia loin de Londres, je compris véritablement combien je n'étais rien face à la machinerie du monde et de la magie.

Ce jour-là, lorsque je partis au son de la valse des sanglots de l'elfe Kreattur, j'acceptai ce que j'avais compris le jour de la mort d'Orion.

Ce jour-là, j'acceptai peut-être le fait que Melania soit devenue méchante, capricieuse et tyrannique au fur et à mesure des années. Folle peut-être.

Ce jour-là, j'ouvris enfin pleinement les yeux sur le maigre orgueil qui avait pu m'aveugler continuellement pendant des années au sujet de ma sœur adorée et de son mari cinglé.