Petit mot de l'auteure : ce texte a été écrit pour la 156e nuit sur le thème "imparfait"
Note : spoils tome 3 (et d'ailleurs merci de ne pas me spoiler le tome 5 que je n'ai pas encore lu !)
La journée avait été éprouvante.
À vrai dire, depuis que mon cher père m'avait chassé de l'Olympe, toutes les journées l'avaient été. Mais celle-ci décrochait sans aucun doute la palme. Nous n'avions évité la catastrophe qu'au prix terrible de la vie de Crest et Jason... Et les Empereurs n'avaient même pas été vaincus, simplement repoussés.
Je remuais ainsi mon échec et ma faiblesse, espérant me fondre dans un des sièges luxueux de l'avion de Tristan McLean et ne plus jamais en sortir. Mais malheureusement pour moi, depuis la perte de mon immortalité, rien de ce que je voulais n'arrivait. Au bout d'une demi-heure de vol, je me rendis à l'évidence : ma déprime n'était pas prête de s'envoler. Qu'il était loin le temps où les humains pouvaient mourir sans que je m'en morfonde ! L'indifférence d'Apollon me manquait.
Condamné à subir la tristesse de Lester, je me résolu à faire ce que je faisais de mieux quand je voulais occuper mon esprit : des haïkus. J'avais beau ne pas être à l'origine de cette forme littéraire, j'étais, en tant que dieu de la poésie, particulièrement sensible à ces courts poèmes. Et particulièrement doué, aussi. Être si talentueux me procurait de nombreux avantage : l'haïku me venait vite à l'esprit, celui-ci était donc distrait de ses autres problèmes et à la fin, j'étais content de moi.
J'ai pu ainsi oublier mes soucis.
Un certain temps, du moins.
Je n'avais en effet pu écrire qu'un haïku que mon plus gros ennui s'était assis en face de moi.
- T'écris quoi ? demanda avec sa brusquerie habituelle Meg.
- Un haïku, répondis-je sans lever les yeux de ma feuille.
Avec un peu de chance, Meg comprendrait le message implicite de ma posture et s'en irait.
Ah, ah.
Comme si Meg pouvait faire quelque chose qui m'arrangerait.
- C'est quoi un haïku ?
- C'est un court poème japonais. Généralement on le compose en dix-sept syllabes ; un vers de cinq, un de sept, un dernier de cinq.
- Super facile, comme truc.
- Pas du tout ! M'agaçais-je. C'est très codifié. Par exemple on évite l'imparfait pour se concentrer sur le moment présent, on essaye de s'extraire de la scène pour décrire la nature, il faut aussi que ce soit mélodieux.
Devant la mine clairement sceptique de Meg, je me sentis obligé d'asseoir mon autorité.
- Je te rappelle que je suis le dieu de la poésie.
- C'est vrai qu'on dirait tellement pas que j'oublie tout le temps.
Aïe.
Mon ego venait de hurler de douleur.
- Lis moi ton truc, qu'on voit.
Comme si j'avais besoin de lui prouver quoi que ce soit. Mais la phrase ayant été formulée comme un ordre, je n'eus d'autre choix que de m'exécuter.
- La vie est injuste
Papa est pas cool du tout
Ca craint vraiment trop
Là, je m'attendais à des applaudissements. Au lieu de cela, Meg me regarda, un jugement non voilé dans les yeux.
- C'est nul, trancha-t-elle.
- Mais pas du tout ! C'est... c'est profond ok ? C'est pour ça que tu peux pas comprendre.
- Moi ce que je comprends, c'est que t'as dit que ton haikyuu...
- Haïku, la repris-je en serrant des dents. Haikyuu c'est un anime et...
- On s'en fout. Ton truc c'est pas censé décrire le moment présent, s'extraire de la scène, décrire la nature ? Fin tout ce que t'as dit quoi. Bah là t'es clairement pas dans le thème de tout ça, quoi.
La remarque de Meg faisait mal. Il était vrai que dans tous mes haïkus, je m'étais toujours concentré sur moi-même. Quand j'étais encore dieu, la raison était simple : je n'avais pas vraiment d'autres choses sur lesquelles me concentrer. Maintenant, j'avais le problème inverse. Le « tout ça, quoi » évoqué par Meg était bien trop dense, trop douloureux également que je ne savais comment en parler. Pourtant, ses propos m'en rappelèrent d'autres, encore cruellement frais dans ma mémoire.
« Fais moi une promesse... Quand tu seras redevenu dieu, n'oublie pas ce que c'est que d'être humain »
Sur le moment, j'avais promis à Jason de ne pas l'oublier, sans être toutefois bien certain de savoir ce que c'était que d'être humain. Désormais, par le biais le plus inattendu, je le comprenais : être humain, c'était faire passer les autres avant soi. Être conscient de ne pas être la chose la plus importante du monde.
Ce fut ainsi en pensant à Jason que je laissais venir à moi d'autres mots.
- Le ciel silencieux
Le ukulélé brisé
Jeunesse sacrifiée
Je ne savais pas si un maître du haïku l'aurait considéré comme bon.
Mais quand je le prononçais, j'eus pour la première fois l'impression de comprendre le sens de cet art – et, par extension, celui de la vie : dans ce grand univers fracassé, je n'étais pas la personne la plus à louer.
petit mot de fin : je n'ai pas résisté à l'envie de placer Haikyuu car j'ai vraiment cherché ça au début au lieu de Haïku. que voulez-vous, j'aime cet animé.
