Yggra
« - Par tous les saints. »
Isil en eut presque le souffle coupé. Devant elle, et aussi loin que ses yeux pouvait lui permettre de voir, dans dizaine de centaine de milliers de tentes et chapiteaux avaient été montés. De cette ville temporaire il émanait un brouhaha permanent qui lui vrillait les oreilles. Et les odeurs ! Ce mélange d'épices, de plats, de viande séchées mais aussi de fleurs, d'alcools et d'herbes en tout genre lui donnait presque le tournis. C'était grand, bien plus grand que son esprit n'aurait jamais pu le concevoir, bien plus immense encore que toutes les histoires que lui avait conté Thilda lorsqu'elle était plus jeune.
«- Un problème dame Isil ? Demanda Legolas alors qu'un sourcil se redressait sur son visage.
- Non … répondit l'intéressée en secouant doucement la tête, sans prendre la peine de relever le fait qu'il l'affublait d'un titre de dame désormais. C'est simplement… C'est grand. Je n'ai jamais vu autant de monde au même endroit.
- Bienvenue au marché de Mi'lan dans ce cas. »
Si elle avait été plus taquine, Isil aurait probablement fait remarquer à Legolas qu'il y avait une pointe d'impatience et de nervosité dans sa voix. Comme un enfant recevant un cadeau, il couvait les lieux avec une pointe d'amusement. Les autres elfes aussi, qui lui avait donné le sentiment d'être bien plus sages et plus âgés que son sauveur, semblaient enclin à sourire. Bien qu'elle n'ait jamais demandé aux membre de ce groupe pourquoi ils devaient se rendre au marché, elle devinait qu'ils étaient sur le point d'atteindre leur but. Tant mieux pour eux, ça la soulageait presque du sentiment d'avoir été un fardeau pour eux depuis leur départ de l'auberge.
Ils abandonnèrent leurs chevaux à l'orée de la forêt et Isil se demanda comment les elfes feraient-ils pour se souvenir de l'endroit ou ils les avaient laissé. Mais ils étaient des elfes non ? Probablement leurs chevaux étaient-ils plus spéciaux que ceux des hommes ? Elle suivi le petit groupe silencieusement, prenant soin d'ajuster sa cape sur sa tête et de ne croiser aucun regard. Pas question de se faire remarquer alors qu'elle était si proche du but.
Les hommes - et Isil - s'engouffrèrent sous un chapiteau qui devait faire office de taverne. Bon nombre de créatures étaient assis à différentes tables et mangeaient ou buvaient en parlant plutôt joyeusement. Legolas s'arrêta à une de ses tables et Isil se raidit. Des orcs. Il y avait là une dizaine d'orcs, tous plus grands et plus effrayants les uns que les autres, qui mangeaient une pauvre créature cuite à la broche. Baissant la tête pour ne pas se faire remarquer, elle décida de laisser pleinement l'investigation entre les mains de son compagnon.
«- Nous cherchons des religieux, en avez-vous vu récemment ?»
La grande créature secoua la tête, laissant Legolas et Isil bredouilles. Mais l'elfe ne s'avoua pas vaincu pour autant, il fit quelques pas vers une tablée de nains et les salua poliment. La jeune créature en profita pour observer discrètement ces derniers. Jamais encore elle n'avait vu autant de nains au même endroit. En fait il lui semblait même que de toute sa vie, elle n'en avait vu qu'un seul, lorsqu'un soit de tempête, il était venu s'abriter à l'auberge.
« - Nous sommes à la recherche de religieux, pourriez -
- Par là-bas ! Répondit un nain avec un fort accent en faisant un signe de la main pour désigner une table un peu plus loin. Y'en a que deux ou trois pour tout l'marché mais vous les reconnaîtrez. On peut pas les louper. Hâtez-vous, apparemment ils sortent rarement. »
Legolas les remercia puis toisa Isil avec satisfaction. Cette dernière, le cœur battant, lui offrit un sourire plein d'espoir. Des religieux, enfin !
« - Là ! Regardez !»
Un autre elfe leur fit signe de venir. Ils arrivèrent à hauteur d'un vieillard vêtu d'une robe grise, mais avant que qui que ce soit n'ait pu dire ou faire quelque chose, ce dernier toisa Isil. Au moment ou son regard croisa le sien, ses yeux s'écarquillèrent de stupeur, comme s'il venait là de croiser un monstre ;
« - Isil ?»
L'intéressée cligna des yeux, absolument perplexe ;
«- Vous connaissez mon nom ? »
L'air ahuri du religieux se changea brusquement en un sourire ravis. C'est de cette façon qu'Isil remarqua qu'il manquait plusieurs dents au vieil homme. Le pauvre. Elle se garda bien d'émettre le moindre avis sur lui. Parce que tant de questions lui brûlaient les lèvres qu'elle semblait sur le point de défaillir.
« - Louées soient les Neipheilims d'avoir pu guider vos pas jusqu'à nous,répondit l'homme de foi. Venez, enfant des cieux. »
Bien qu'elle ne fut pas certaine de tout comprendre, Isil ne se sentait absolument pas menacée ou en danger avec le vieil homme, au contraire. Elle l'aurait suivi aveuglément. Toutefois, elle espérait que celui-ci pourrait remettre une récompense aux elfes qui avaient prit soin de veiller sur elle, bon grès mal grès. Elle se tourna vers ses derniers et le religieux, ayant suivi son regard, haussa les épaules avec amusement ;
« - Qu'ils viennent aussi. Nous aurons grands besoins d'eux. »
Et comme les elfes emboîtèrent le pas de l'homme, Isil se mit à suivre tout ce beau monde avec précaution. Elle sentait son cœur tambouriner dans sa poitrine tant elle était excitée par cette nouvelle rencontre. L'homme avait prononcé son nom, il savait qui elle était ! Peut-être pourrait-il lui en apprendre davantage sur elle même ? D'ou elle venait, qui elle était ? Peut-être même pourrait-il lui indiquer si elle avait de la famille encore en vie ? Les joues réchauffées par le sentiment d'arriver au bout d'une période qui lui avait semblé durer une éternité, Isil s'engouffra à la suite des hommes dans une petite pièce cachée par des fourrés.
Elle ignora le religieux se saisissant de clefs pour ouvrir une lourde porte en fer tout autant qu'elle ignora les regards curieux des elfes devant elle. Dans l'esprit de la jeune femme, son imagination commençait à reconstituer toute seule un milliard d'histoire que le vieil homme pourrait lui conter sur ses origines. A la suite du reste du groupe, elle commença à descendre des escaliers qui semblaient mener tout droit vers des sous-terrains.
« - Ou sommes-nous homme de foi ?Demanda un elfe.
- Dans les sous-sols de la cité interdite d'Yggra, répondit ce dernier le plus naturellement qui soi. »
Isil observa tout autour d'elle avec un intérêt et une avidité à peine dissimulés. S'ils étaient dans des sous-terrains, ceux-ci n'avaient strictement rien a voir avec les égouts ou autre passage secrets dont la jeune femme avait lu la description dans des romans d'aventure. Bien au contraire. Sur les murs, taillés dans la pierre, de grandes fresques faites de mosaïques semblaient conter les exploits de grands guerriers. Les couleurs n'avaient en rien été entachées par le temps qui passe et même si les lieux semblaient anciens, il n'en demeurait pas moins qu'ils avaient tout gardé de leur superbe.
A mesure que le petit groupe avançait, Isil découvrait de nouveau motifs, de nouvelles histoires. Elle aurait tellement souhaité s'arrêter devant chacune de ses œuvres pour prendre le temps d'en comprendre tous les secrets. Parfois, ils passaient devant une arche qui semblait mener à un autre endroit mais elle savait que les couloirs qui demeuraient plongés dans le noir par l'absence de torches laissaient pourtant entrevoir bien d'autres merveilles.
« - Il me semblait que si elle était interdite ce n'était pas pour rien, fit remarquer un elfe.
- Yggra est une terre sainte. Elle était autrefois la demeure des Neipheilims.
- Les Neipheilims ? Demanda Legolas à son tour. Qui sont-ils ?
- Elles, pas « ils ». Les Neipheilims étaient jadis de belles et fières combattantes. En communion parfaite avec la nature elles en avaient appris tous les secrets au point que dame Nature elle-même obéissait à leurs demandes. Leur reine n'avait aucun égal dans ce monde et bon nombre de récit content ses exploits. Elle eut bien des noms mère des elfes, enfante des astres, sœur des dragons…
- Pourquoi n'en n'avons-nous jamais entendu parler ?
- Elles ont disparu, subitement. C'est un secret qui n'a jamais été révélé. »
L'homme peinait à masquer son émerveillement à mesure qu'il décrivait les habitantes des lieux. Visiblement il n'avait pas pu en parler avec beaucoup de monde et les questions des elfes semblaient le libérer d'un fardeau devenu trop lourd à porter.
« - Toutefois, puisque vous êtes chargés de l'escorte de l'enfant des cieux, je crois que je peux vous le révéler. »
L'enfant des cieux, se devait être elle. Isil ignorait pourquoi il l'affublait d'un pareil surnom et visiblement les elfes se posaient la même question au vu de l'étonnement sur leurs visages. Elle aurait bien demandé pourquoi il ne l'appelait pas par son prénom, tout simplement, mais déjà l'homme poursuivait-il son récit ;
« - La reine Yggra'Isial était dotée de nombreux dons et elle savait tout particulièrement déduire l'avenir. Elle et ses conseillères ont vu l'ère des homme arriver bien avant que ces derniers n'existent. Leurs rêves les concernant étaient terribles et elles ont pris peur en réalisant que leur divine présence ne parviendrait à changer ce que ce monde est destiné à devenir. Elles ont quitté ce monde pour rejoindre les astres. Pour toujours. »
Voilà une histoire qui laissait Isil quelque peu pantoise. Des créatures capable de lire l'avenir, qui préfèrent quitter ce monde avant qu'il ne devienne trop sombre ? Peut-être était-elle trop jeune pour saisir tous les enjeux derrière de tels propos. Restant parfaitement silencieuse, elle suivi le reste du groupe qui finalement, remontaient par un autre dédale de marches.
« - Avant leur départ, poursuivit le religieux.Les Neipheilims ont laissé à quelques créatures la protection de leurs écrits et leur ont promis une place dans le ciel en échange d'une vie de piété. Je suis John'alt, de la huitième génération des religieux d'Yggra. Probablement la dernière. Nous n'avions plus d'espoir et beaucoup ont cessé de croire à l'arrivée de la prophétie. Nous ne sommes plus que cinq désormais, et je suis l'un des plus jeunes. Autant vous dire qu'Yggra n'a plus sa beauté d'antan. »
A mesure qu'il parlait, il avait parcouru un énième couloir et s'engouffra dans une immense pièce. Jamais de sa vie Isil n'avait vu un plafond si haut. L'endroit était parfaitement circulaire, comme une arène. Le sol était fait dans des blocs d'une roche sombre et taillée. Les murs devaient être façonnés de la même manière mais ils avaient été recouvert de fresques. L'une d'entre elle attira l'attention d'Isil un court instant. Il représentait une femme, une guerrière visiblement, couverte d'or, aux longs cheveux bruns et à la silhouette filiforme. Sur le sommet de son crâne pourtant des bois qui s'élevaient haut au-dessus d'elle. Il devait faire deux fois sa taille tant ils étaient grands et eux aussi étaient couverts d'or. Instinctivement, Isil devina qu'il devait s'agir de la fameuse reine à l'étrange nom ; Yggra'Isial. Le moins qu'on puisse dire c'était qu'elle était absolument impressionnante.
« - Venez jeune enfant, approchez. »
La voix de John'alt tira la jeune femme de sa rêverie. Comme il lui faisait mine d'approcher avec sa main, elle fit quelques pas vers lui. C'est à cet instant seulement qu'elle prit la peine de bien l'observer. Ses traits étaient tirés, probablement par la fatigue, mais aussi par l'âge. Il lui manquait quelques dents quand il souriait et ses cheveux étaient quasiment inexistant. Mais le plus marquant, c'était sans doute ce voile qu'il avait sur les yeux. Ce fut à ce moment-là qu'Isil réalisa que le pauvre homme ne devait plus avoir une très bonne vue. C'était pour cela qu'il avait besoin qu'elle soit plus proche.
S'il ne s'était pas perdu dans le dédale de couloirs sous terre, c'était très certainement parce qu'il connaissait les lieux par coeur. Mais pour le reste, le religieux devait se fier à une vue laborieuse. Et nulle doute que ses autres sens devaient être tout autant atteint par son grand âge. Prise d'un élan de solidarité, Isil fit un autre pas vers lui, pour être sûre qu'il puisse la voir convenablement.
« - A votre âgevous devriez être bien différente… Murmura l'homme après un moment d'observation. »
Isil avala doucement sa salive. Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? N'était-elle pas à la hauteur des attentes des religieux de la citée interdite ?
« Quel est le rapport entre Isil et Yggra ? Demanda Legolas avec méfiance. »
Visiblement lui n'avait pas perdu le fil de toute cette histoire. Le religieux en sembla ravit et se remit à sourire avec amusement. Il n'en avait pas fini avec le récit qu'il avait entreprit de leur narrer ;
« - La prophétie commence par un conte. Celui-ci explique que la reine fut la dernière à rejoindre les astres. Selon les fresques derrière vous, ce fut pour s'assurer que les siennes étaient toutes en sécurité. Un geste d'une grande bonté. Toutefois Yggra'Isial s'est bien gardée de dire à ses sœurs qu'elle cachait un lourd secret dont seuls quelques religieux avaient connaissance. »
L'homme laissa un moment de silence s'installer. Silence dont Isil profita pour observer le reste de la pièce. En haut d'une dizaine de marche se trouvait ce qu'elle devinait aisément être un trône. Il était plutôt simplement, une sorte de banc sans dossier, mais lui aussi était couvert d'or. Apparemment les Neipheilims n'étaient pas des pauvresses.
« - Yggra'Isial attendait un enfant, reprit théâtralement l'homme. Mais pas n'importe quel enfant. Une héritière au trône. Elle ne pouvait rejoindre les astres avant de donner naissance. Ça aurait compromis sa place de reine.
- De quelle manière ?
- Chez les Neipheilims, il n'y a que très peu d'enfants. En fait seule la reine est autorisée à enfanter, sous certaines conditions bien trop complexes pour que je puisse vous les expliquer. Ainsi Yggra'Isial était-elle entourée de ses sœurs, ses tantes et ses filles. Mais pour obtenir une héritière, le processus est encore plus ardu. La reine avait prié nuits et jours pour en obtenir une. Les cieux avaient fini par lui accorder ce droit. Et dès lors que l'héritière nait, c'est elle qui accède au pouvoir. Immédiatement. Les Neipheilims sont suffisamment bien organisées et dégourdies pour pouvoir se passer d'une dirigeante pendant une centaine d'années. A dire vrai la reine tient plus le rôle de porte-parole pour leur peuple.
- Alors la reine voulait garder la couronne…
- Oui… Et non. Certes Yggra'Isial voulait demeurer reine pour l'éternité. Mais il y avait également un autre problème. Chez les Neipheilims comme dans bien d'autres peuples, il faut être deux, pour avoir un enfant.
- Le père ?
- Elle n'en a jamais parlé. C'est probablement son plus grand secret et elle l'a emporté avec elle dans les astres. Il n'existe aucun homme chez les Neipheilims, seulement des femmes. Probablement pour encourager un renouvellement du sang en cas de naissance. »
Cette révélation donna un sentiment amer à Isil sans qu'elle ne comprenne pourquoi ni comment. Elle avait la curieuse impression d'être mêlée à cette histoire, bien qu'elle ne sache pas de quelle façon. Et en même temps, la situation la dépassait. Elle n'était pas pieuse et n'avait jamais cru en rien, alors toutes ces histoires de prières, de divinité, d'enfant caché, ça la rendait perplexe. Heureusement pour la jeune femme personne ne semblait attendre qu'elle donne son avis ou participe activement à la conversation. Elle pouvait donc se contenter d'observer les lieux tout en écoutant le récit du religieux.
« - Dans tous les cas, reprit ce dernier. L'héritière risquait d'être exposée au danger face à ses sœurs. Imaginez que le père ait été un humain ! Un nain ! Un orc ! Jamais les Neipheilims n'auraient accepté qu'un tel brassage accède à la couronne. Pas une héritière ! Surtout pas ! »
Là encore Isil n'était pas certaine de tout saisir. Et cette histoire de prophétie ? Elle se voulait bienveillante avec Jonh'alt - c'était un religieux très âgé après tout - toutefois elle bouillait d'impatience d'en savoir plus.
« - Donc, commença Isil que tout le monde semblait avoir oublié. La prophétie ? »
L'homme passa une main sur son menton, songeur, puis hocha doucement la tête ;
« - Il s'agit des dernières paroles de l'une des conseillères d'Yggra, une de ses premières filles d'ailleurs. Elle s'appelait Issra et aurait pu être une reine parfaite si elle avait été désignée héritière par les cieux. Elle chuchota dans le creux de l'oreille d'un religieux « Dame Nature allaitera l'enfant de son sein. Garde-toi bien d'en avertir les tiens. Dans mille ans à l'aube du jour tant attendu, alors que les hommes sur le sentier de la guerre se seront rendus, sous la beauté du soleil et de la lune enflammés, l'héritière, sur le trône devra siéger. »
- Isil ?..Demanda Legolas avec une pointe d'incertitude dans la voix. »
L'intéressée était incapable de formuler le moindre propos cohérent. A mesure que le religieux parlait il lui semblait qu'elle sombrait un peu plus dans la folie. Tout cela n'avait absolument aucun sens. Et même si elle sentait le regard de tous les elfes posés sur ses frêles épaules, Isil était incapable de réagir correctement. Elle se contentait de fixer le vieil homme, s'attendant presque à ce qu'il ne révèle que tout cela n'était qu'une vaste blague.
« - Je n'aurais pu la reconnaître sans sa voix, commença le religieux en offrant un sourire encourageant à la jeune femme. Mais je demeure persuadée ma douce enfant, que vous êtes l'héritière. »
Isil resta pantoise un instant. Il lui avait toujours semblé qu'elle était suffisamment dégourdie d'esprit, mais celle-là, elle ne l'avait pas vu venir.
« - Les Neipheilims étaient affublées de bois qui grandissaient tout au long de leur vie, poursuivit le vieil homme. Elles avaient des yeux et des oreilles de biches et leurs peaux étaient recouvertes d'un fin duvet. Peut-être Isil a-t-elle un retard de croissance ? Nos ancêtres étaient déjà surpris, à sa naissance, qu'elle soit si blafarde en comparaison avec la reine. »
Soudainement dans l'esprit d'Isil, tout s'éclaira. Ce n'était pas pour rien si son prénom ressemblait fortement à celui de la reine de ce peuple. Ce n'était pas non plus pour rien qu'elle était orpheline et avait vécu cachée loin d'ici, dans une auberge, couverte d'un capuchon en permanence, évitant les adultes et les enfants de son âge. Elle accordait du crédit au vieil homme car il lui semblait qu'il n'avait absolument aucune raison de mentir. En fait, maintenant qu'elle prenait le temps de bien y songer, tout concordait. Mais pourquoi ne lui avait-on jamais rien dit ? Il devait bien y avoir des gens au courant de qui elle était réellement. Des personnes de confiance, comme...
« - Thilda… »
Oui, c'était bien dame Thilda qui lui avait dit de cacher ses bois au maximum, quitte à les limer avec le matériel pour chevaux. Elle se souvenait encore de la première fois ou elle avait raboté ses derniers sous la douleur, mordant un tissus qu'elle avait coincé entre ses lèvres pour que les hurlements n'alertent pas les habitués de l'auberge. Isil ne pouvait s'empêcher de revoir le sang qui coulait de ses cheveux pour se perdre sur le reste de son corps à chaque fois qu'elle allait trop loin. La souffrance qu'elle endurait, à chaque nouvelle lune, pour toujours avoir l'air humaine.
« - Elle m'avait dit qu'il fallait que je reste discrète. Alors, quand ils ont commencé à-à grandir… Je suis désolée. Je devais juste cacher tout ça. »
Elle ignorait si elle pouvait réellement faire confiance aux hommes et aux elfes autour d'elle car Thilda lui avait toujours apprit à ne se fier à personne, mais Isil n'avait plus qu'eux désormais. De ses deux mains, elle dénoua l'accroche sous ses cheveux, qui empêchait ses frêles oreilles de biche d'être révélée au grand jour. Leur liberté retrouvée, ces dernières se redressèrent sur le sommet de son crâne, non sans difficulté. Il était rare qu'elles ne soient pas cachés et avec le temps, là aussi, Isil s'était acclimatée à la douleur. Si elle ne pouvait voir, elle devinait au regard du religieux que ses oreilles, justement, devaient être dans un piteux état. La jeune femme avala sa salive, rongée par la culpabilité.
« - Par tous les saints, enfant des cieux, tu as dû tellement souffrir. »
Isil préféra rester silencieuse. Elle n'avait rien de plus à dire.
« - Nous allons panser tes plaies. »
Prenant soin d'éviter le regard de Legolas, pourtant à quelques mètres d'elle, elle laissa le religieux la guider vers une autre pièce, plus loin.
« - Et ensuite ? Demanda ce dernier dans le dos d'Isil.
- Plus tard, répondit simplement le religieux. »
Son ton ne laissait pas de place à la moindre discussion et d'un signe de main, il demanda à Isil de la suivre, ce qu'elle fit. Après un nouveau dédale de couloirs - qui lui semblaient sans fin - il la fit entrer dans une chambre, très coquette, mais très ancienne. Les fenêtres, ouvertes, donnaient sur le marché de Mi'lan et de là ou elle était, Isil pouvait entendre la ferveur des marchands et des futurs acquéreurs. Là, le vieil homme entreprit de la soigner, précautionneusement, sans un mot. Une fois qu'il eut terminé, il lui offrit des vêtements propre et lui indiqua une salle d'eau qui se trouvait derrière une porte attenante.
Isil aurait bien demandé ou étaient ses compagnons d'infortune mais déjà elle se retrouvait seule. A nouveau. Probablement les elfes étaient-ils en train de négocier leur prime pour avoir ramené à bon port la jeune femme. Ereintée, elle décida de s'allonger sur le lit, le temps de fermer ses yeux quelques secondes.
Il faisait nuit noir dehors, quand elle les ouvrit de nouveau. Une couverture avait été posée sur son épaule et elle tenta de se rendormir, mais dans son esprit, les souvenirs de la journée qu'elle venait de passer la heurtèrent de plein fouet. Recroquevillée dans le lit qu'on lui avait prêté la jeune femme sentait la présence de Legolas un peu plus loin. Elle était bien incapable d'expliquer comment elle le savait, mais l'elfe ne devait pas être très loin. Enfin, sa présence restait là la plus petite de ses préoccupations. Elle était allée de révélations en révélations et tout cela ressemblait bien davantage à une vaste blague qu'à autre chose. Pourquoi diable se retrouvait-elle mêlée à ces histoires sans queues ni têtes ? Toute sa vie elle avait espéré des réponses, mais celles qu'elle avait obtenu aujourd'hui ne lui convenaient absolument pas.
Un bruissement de tissus et un claudiquement qu'Isil jurait connaître lui indiquèrent que quelqu'un d'autre se trouvait dans le couloir, juste derrière la porte de sa chambre. Le religieux peut-être ?
« - Nous avons besoin de votre aide, prince Legolas.
- J'aurais pu le deviner, répondit l'intéressé.
- Nous ne pouvons garder Isil ici. Elle ne dispose encore d'aucun don pour se défendre et nous sommes trop vieux pour la protéger. Autrefois Elfes et Neipheilims étaient amis, votre arrière-grand-père entretenait des relations amicales avec la reine.
- Mon père...
- Je sais à quel point sa majesté le roi Thranduil est fermé à la conversation. Je ne devine que trop bien qu'il s'agira là d'une épreuve pour lui, pour vous, pour la jeune héritière. Toutefois… Il se pourrait que plus tard, vous réalisiez à quel point vous avez eu raison de croire en elle. Sa mère terrassait des armées d'un simple regard. Imaginez le pouvoir ô combien puissant qui dort en elle.
- Je pourrais mettre les miens en danger.
- Ou les sauver du mal qui envahi vos forêts. »
La conversation s'arrêta là. Isil cru percevoir des pas s'éloignant de la chambre de fortune qui lui avait été prêtée et elle devina que c'était le religieux qui prenait congé. Elle avait déjà remarqué que l'elfe ne faisait que très peu de bruit, lorsqu'il se déplaçait.
Legolas était un prince. Bon sang ! Et en même temps, maintenant qu'elle prenait le temps d'y réfléchir, ça tombait sous le sens ! Les autres lui témoignaient un respect absolument exceptionnel et l'écoutaient lui alors qu'il semblait être le plus jeune de leur petit groupe. Et puis il y avait quelque chose de royal chez Legolas, que ce soit dans son allure, son port de tête, ou même sa tenue.
Désormais Isil était rongée par inquiétude. Elle n'avait pas sa place dans cet endroit alors que Thilda lui avait toujours dit qu'elle ne serait jamais plus en sécurité qu'ici. Elle était l'héritière au trône et la fille d'une créature qui avait quitté ce monde pour rejoindre les astres des siècles plus tôt. C'était beaucoup trop d'information pour elle, qui n'avait quitté l'auberge ou elle avait toujours vécu que quelques jours plus tôt. Une larme roula sur sa joue, et elle tenta d'ignorer le sentiment d'angoisse qui ne cessait de monter en elle car déjà Legolas se trouvait à sa hauteur et l'observait.
« - Vous ne dormez pas, fit l'elfe en s'asseyant en face de son lit.
- Navrée, répondit-elle en se redressant.Je ne voulais pas être impolie.
- Vous pleurez ? Demanda-t-il en la toisant avec inquiétude.
- Désolée. »
Il allait sans doute lui dire qu'elle n'avait pas à s'excuser de la sorte, Isil le savait. Mais c'était dans sa nature de demander constamment pardon. Avalant doucement sa salive elle décida de le prendre de cours et de renchérir ;
« - Je suis un peu perdue je crois. Je viens de passer du statut d'orpheline étrange à celui d'héritière à un trône et je crois que… J'ai un peu du mal à accepter tout ça. »
Legolas hocha doucement la tête. Il semblait faire preuve de beaucoup de compréhension à l'égard de la jeune créature qui se félicitait - et remerciait les étoiles - de l'avoir mis sur son chemin. Jamais elle n'aurait pu trouver une personne aussi bienveillante que l'elfe.
« - Nous allons vous emmener, argua l'elfe avec conviction.Mon père refuse rarement l'hospitalité aux personnes de noble rang. Nous lui expliquerons la situation. Avec une missive des religieux et d'autres preuves, il sera forcé d'admettre que tout cela peut lui être bénéfique. Soyez irréprochable et discrète et tout se passera bien. »
Le portrait qu'il peignait de son propre père, cumulé avec les propos qu'avaient tenu le religieux ne disait rien qui vaille à Isil, qui se risqua à demander ;
« - Est-il si terrible que ça ?
- Depuis la mort de ma mère, il s'est découvert un amour passionnel pour le vin. Ça le rend colérique et antipathique. »
Quel enfer ! Isil ignorait tout des bonnes manières ou de l'attitude à adopter en face d'un roi et elle avait déjà l'horrible pré-sentiment que les choses se passeraient très mal avec le roi. En plus de tout cela, elle découvrait que le prince Legolas n'avait pas eu une vie très tendre. Ne pas connaître sa mère était une chose, mais l'avoir connu et ne plus pouvoir se reposer sur sa présence devait en être une autre et la jeune créature eut de la peine pour l'elfe ;
«- Je suis désolée, pour votre mère. »
- Et moi pour la vôtre. »
Isil haussa doucement les épaules pour lui signifier qu'elle s'en remettrait.
« - Dormez maintenant, fit Legolas en se redressant pour la couvrir d'une couverture posé au bord du lit. Demain et les jours à venir semblent déjà être une rude épreuve. »
Elle le remercia d'un regard et ferma les yeux. Dormir. Voilà qui s'annonçait être compliqué.
