Il faisait nuit et il pleuvait. Elle repoussa pourtant la capuche sur sa tête. L'humidité faisait friser ses cheveux bruns. Elle aurait reconnu la ville les yeux fermés. Elle était de retour à National City. Lena prit un instant pour embrasser les lumières des gratte-ciels. Elle leva les yeux, sembla chercher quelque chose là-haut dans la nuit. Mais elle ne vit personne à hauteur des étoiles. Elle devait pourtant être quelque part. Elle secoua la tête. Contempla le néon de l'hôtel qui grésillait devant elle. « Hôtel Pacific », éclairé en rouge. La façade était décrépite. Mais la lumière jaunâtre de l'accueil avait quelque chose de rassurant.

Des souvenirs lui revenaient par flashs, depuis qu'elle avait atterri. Elle voyait le visage de Kara, partout. Dans les vitrines, sur les silhouettes féminines qu'elle avait croisé dans la rue à bord du taxi. Dans le reflet de la porte vitrée qu'elle franchit. Elle appuya sur la sonnette pour réveiller le veilleur. Le type avait des cernes immenses, sa cravate était dénouée sous le col de sa chemise. Comme le chauffeur de taxi, il la dévisagea quelques secondes.

- C'est pour quoi ?

- Une chambre, rétorqua-t-elle sur le ton de l'évidence.

- Oui, oui, oui, fit-il en fouillant dans son registre. Étonnement, il paraissait bien rempli. « C'est pour un séjour long, ou court ? »

- Je ne sais pas encore. Au moins une semaine.

- D'accord, d'accord, d'accord. Je vais vous mettre au quatrième, au 401. Au 402, c'est Jimmy. Il est bizarre, mais pas méchant, fit-il, en décrochant une clef du panneau. « Des bagages ? »

- Juste ce sac.

- Bien, bien, bien. Je vous montre.

Lena le suivit dans l'escalier. La moquette verte était râpée, la rambarde en bois était polie par l'usure. La cage d'ascenseur était condamnée, barrée d'une pancarte « hors service » à chaque palier qu'ils franchissaient. « Je m'arrêterais pas trop au premier si j'étais vous, c'est occupé par des gars qui font la taille d'un frigidaire. Pas le genre commodes, les gars. Au deuxième, y a les putes, pas méchantes non plus, mais parfois les clients sont chiants. Au troisième je me souviens plus, c'est des vrais courants d'air, mais c'est toujours réglé en temps et en heure. D'ailleurs, c'est le lundi soir, pour la semaine. Vous me payerez demain. Voilà. On y est », fit-il en lui rendant son sac de voyage.

« Merci. Lundi, pour la semaine. À demain, alors ». Le réceptionniste eut l'air de trouver sa politesse suspecte.

La chambre était minuscule. L'unique fenêtre donnait sur la rue, le néon clignotait péniblement, juste en dessous. Elle tira les rideaux, en faisait voler la poussière. Ouvrit la fenêtre. Elle s'assit sur le lit, écouta les bruits de la ville, en défaisant son sac. Ça lui avait manqué, l'agitation des nuits ici. Les klaxons, les voitures, les cris. Des sirènes de police fendirent le brouhaha. Lena ne put s'empêcher de se mettre à la fenêtre, pour suivre les lumières bleues jusqu'à ce qu'elles tournent au bloc suivant. Elle espérait voir passer un flash de couleur familier. Rien. Elle cligna des yeux. Un instant, elle avait cru voir flotter Kara, au milieu de la rue. « C'est rien. C'est rien », souffla-t-elle.

Elle finit par se détourner de la fenêtre, s'allongea sur le lit, dur, bras et jambes écartées, le regard fixé au plafond. Il lui fallait rassembler son courage, pour ce qu'elle était venue faire en ville. Elle leva sa main gauche. Sur son annulaire, il n'y avait plus de démarcation de couleur. L'anneau, elle le gardait autour de son cou, contre sa peau. Elle n'avait jamais réussi à se résoudre à ne plus le porter. Oui, le divorce avait été prononcé. Elle avait signé les papiers. Mais l'anneau, c'était le dernier fil entre elles. Un lien qu'elle ne pouvait briser. « Sans me briser aussi », pensait-elle.

- Vraiment, tu veux que je signe ? Eh bien je vais signer ! Et plutôt deux fois qu'une ! Je peux te dire que je ne suis pas prête de renouveler l'expérience ! Ah les Kryptoniens...

- Parfait ! Moi non plus, je peux te dire que je ne suis pas prête de retenter le coup non, pas avec une humaine, en tout cas ! Vous êtes bien trop... Il n'y a pas de mots assez précis dans votre langue, tiens !

Lena avait griffonné rageusement sur les papiers que Kara avait jeté sur le comptoir de la cuisine, rendant leur divorce officiel.

- Pas la peine de jeter mes affaires par la fenêtre, Danvers. J'ai déjà préparé un sac. Je vais le chercher et je pars.

- Parfait. Très bien. Je ne veux plus te voir.

- Ça tombe bien, moi non plus. Plutôt crever.

- Ça t'arrivera plus tôt qu'à moi, Lena.

- Et ça sera déjà trop tard. Parfois j'aimerai ne t'avoir jamais rencontrée.

- Ni moi non plus.

- Aurevoir, Kara.

- Aurevoir, Lena.

Elles s'étaient défiées du regard une dernière fois et Lena avait franchi la porte de leur appartement. Le soir même, elle était dans un vol pour l'Europe.

Souvent, Lena se réveillait avec cette dispute, qui s'était ancrée dans un coin de sa mémoire. L'une et l'autre avaient dit des choses qu'elles ne pensaient pas. Qu'elles regrettaient. Du moins, Lena l'espérait. Car elle regrettait. Elle prit la tasse de café brûlant qu'on lui avait servi, fit chauffer ses doigts contre la céramique. « Le pire café de la ville » était écrit sur la tasse. Sur la devanture aussi. Ça la fit sourire. Son rendez-vous était en retard. Elle en profita pour jeter un œil aux journaux qu'elle avait acheté au kiosque. Rien sur Supergirl à la Une. Rien d'excitant non plus dans les pages intérieures. La ville semblait ennuyeuse, dans les titres des articles. Loin de ses souvenirs. Loin de leurs exploits. Quand Supergirl et ses amis combattaient le crime et tous les envahisseurs extraterrestres que la galaxie faisait atterrir à National City.

« Salut. »

Le mot avait été prononcé d'un ton neutre. Lena leva la tête. Alex était là, debout, les poings enfoncés dans les poches de sa veste. Il y avait quelques rides en plus au coin de ses yeux. Elle semblait hésiter à s'asseoir. La brune lui fit un signe de tête, pour l'inviter à s'installer. Alex se glissa dans le box. Resta silencieuse, les yeux fixés sur elle. Quelques secondes, ça intimida Lena. Comme à chaque fois.

- Merci d'être venue.

- Pas de quoi.

- Je... je suis revenue à National City.

- Ça, je le vois. Ce qui m'intéresse, c'est pourquoi. Qu'est ce que tu veux à Kara ?

Pas de prélude. Pas de sentiments. Alex allait droit au but.

- Je... Comment va Kara ?

- Ce n'est pas tes affaires. Ça n'est plus tes affaires.

Lena pinça sa bouche en une grimace.

- Je veux juste savoir comment elle va. Je suis revenue pour ça. Elle est en danger, Alex. Je suis revenue pour ça.

- En danger ? Première nouvelle. Merci pour l'information, mais ça ne te concerne plus. Je me disais que j'allais perdre mon temps... J'avais raison.

Alex se leva. Lena la rattrapa par le bras, sans la lâcher.

- Maintenant ça suffit Alex. C'est important. Tu vas m'écouter deux secondes, et me prendre au sérieux.

Alex pencha la tête d'un côté, se libéra de Lena.

- J'écoute.

- Elle est en danger, Alex.

- Pas plus que d'habitude.

- Elle va mourir.

- Comme nous tous. Juste dans plus longtemps.

- Arrête de faire celle qui ne comprend pas !

Lena la suivait dans la rue. Alex marchait d'un pas vif. Toutes deux avaient rabattu la capuche de leur sweat sur leur tête. Il pleuvait. Personne ne prêtait attention à elles, mais on n'était jamais trop prudent. C'était une question de temps avant que les journaux annoncent son retour en ville.

- Elle ne va pas bien, Lena. Kara ne va pas bien.

Lena sentit son cœur descendre plusieurs étages dans sa poitrine. Elle expira longuement. Se retint d'en demander plus. Ça n'était pas le bon moment. Il ne fallait pas braquer Alex.

- Elle est en danger.

- Tu répètes ça, mais tu n'en dis pas beaucoup plus !, s'énerva Alex, en s'arrêtant brusquement. »Alors, accouche, Luthor ! »

Elle avait pris ce nom de famille comme une gifle. Comme le reste de la planète, elle avait fait de son propre nom de famille une insulte. Mais elle ne releva pas. Seul un léger froncement de sourcil la trahissait.

- Ce n'est pas simple à expliquer.

- Alors commence par le début.

- D'accord. Disons, disons que je n'ai pas simplement voyagé en Europe. J'ai été... un peu plus loin dans le temps. Quelques mois, des années... Kara est menacée... par elle-même, en quelque sorte. Je l'ai vue, mourir des mains de son double. Une espèce de double maléfique. Ça a des conséquences pour la planète entière.

- À terme ?

- La destruction de la Terre. Il n'en reste rien. Juste un champ d'astéroïdes. Et une belle vue sur la lune. J'ai essayé d'empêcher ça, s'empressa-t-elle d'ajouter. « De plein de manières différentes. »

- Si tu es là, c'est que tu as échoué.

Lena sentit ses mâchoires se crisper.

- La seule chose que je n'ai pas essayé, c'est d'intervenir dans le présent.

- Et si intervenir n'était pas la chose à faire ?

- Et si il fallait laisser la planète aller à la destruction, tu veux dire ? Et Kara aussi ? Non. Crois le ou non, mais j'ai d'autres ambitions que la destruction et la mort.

Elle se retient de lui dire que cela faisait presque un an qu'elle faisait des sauts dans le temps pour empêcher ça.

- Eh bien merci de l'info, Luthor. Je vais voir ce que je peux en faire.

Alex avait repris son chemin. Lena la rattrapa une nouvelle fois.

- Kara, comment va-t-elle ?

- Mal, je t'ai dit. Pas la peine d'essayer de la voir. Elle n'a pas besoin de ça en plus en ce moment. Ah, et ne te mets pas en danger pour essayer de la faire sortir de son trou. Elle n'interviendra pas. Supergirl est hors service. Il n'y a plus de super-héros en ville.