Les jours passaient. Elle n'approchait pas plus d'un début de solution que le jour où elle était arrivée à Midvale. Les monceaux de données qu'elle traitait pour trouver la localisation du clone semblaient infinis. Elle en venait à regretter d'avoir demandé à Jess de tout lui fournir. Plus elle avançait, plus le système mis en place par son frère lui apparaissait brillamment compliqué, retors. Quadruples comptabilités, sociétés écrans... Pas moyen de trouver une piste qui tienne. Il s'amusait avec elle. C'était une chasse au trésor, comme lorsqu'ils étaient enfants. C'était le trait de caractère qu'elle aimait le plus chez son frère : tout était matière à jouer, à résoudre des énigmes. À prouver qu'on était le plus malin. Elle suivait des cheminements de pensée qu'eux seuls pouvaient comprendre. Persuadée que quelque chose allait finalement sortir du lot. Quand elle n'était pas devant son ordinateur, elle était devant son grimoire.

Il y avait quelque chose de bizarrement rassurant à savoir Kara à proximité, depuis qu'elles s'étaient parlées. Même si Kara ne voulait plus porter de costume, ni se battre. Elles ne s'étaient pas revues. Le soir, lorsqu'elle s'entraînait à lancer des sorts d'attaque sur des bûches, elle pensait à elle. À Alex, aussi. « Elle n'y croirait pas, de voir à quel point je me suis améliorée ». Même si son maigre éventail d'attaques et de défenses lui semblait loin de faire d'elle une combattante. Elle ne l'avait jamais été. C'était avec son intelligence, sa logique, qu'elle combattait. Se retrouver au cœur de l'action... C'était encore nouveau. Toujours étonnant. Sa magie n'était pas aussi vive et efficace que son cerveau. « Pour l'instant ». La bûche vola de quelques mètres, s'écrasa sans bruit dans la neige. « C'est mieux. C'est mieux ».

La plomberie faisait des siennes. Emmitouflée dans une couverture, Lena cogna contre le chauffe-eau, sans succès. La propriétaire l'avait prévenue. « Je serais vous, je resterais pas pendant les mois les plus froids. L'eau va geler dans les tuyaux ». Elle avait quand même réglé un mois supplémentaire et une stère de bois. C'est là qu'elle entendit un bruit. Un crissement qui ne devait pas être là. Puis un autre, et un autre.

Elle se plaqua contre la cloison de la salle de bain et de la pièce de vie. De l'angle de vue qu'elle avait, elle voyait plusieurs halo de lampe torche se dessiner à travers les deux fenêtres du côté de la façade. Ils se rapprochaient. D'un sort, elle réussit à ouvrir la porte fenêtre qui donnait l'arrière. Le vent s'engouffra, faisant voler ses piles de papier. D'un geste, elle réussit à faire venir à elle son grimoire et son ordinateur. Elle ouvrit le chauffe-eau, et les fourra à l'intérieur, avant de refermer sur elle la porte du placard.

« La fenêtre est ouverte. Pas de traces. Si elle est sortie, c'était il y a un moment. Vous trois, dans les bois, on sait jamais. Vous deux, avec moi. On fouille. Si vous la trouvez, vous la descendez ». Lena fermait les yeux. Se laissait guider par les craquements du plancher. Deux dans la pièce principale, dont un à la fenêtre. Un autre qui approchait. Elle ne savait pas si elle était prête. Jusqu'au moment où la porte du placard s'ouvrit. Du poing droit, un coup. Du gauche, un sort de mutisme. Puis un coup. Elle finit par un coup de genou dans le ventre, en retenant le mercenaire dans sa chute. Elle voulait le glisser dans la baignoire, mais il était trop lourd. Elle le fouilla sommairement.

« Ça va, là dedans ? »

« Uh Uh », maugréa-t-elle de la voix la plus grave qu'elle puisse faire. Une arme de poing, un fusil d'assaut. Elle glissa la première dans son pantalon, après avoir vérifié le cran de sûreté. « Ce serait dommage de se blesser en voulant jouer les Lara Croft. Vite, vite, vite ». Dans une de ses poches, elle trouva des liens en plastique. Puis de l'adhésif dans le placard où elle était cachée. En quelques secondes, elle bâillonna grossièrement l'intrus. « N'en reste plus que deux. Et trois dehors. Allez, Luthor ». D'un geste, elle vérifia le chargeur du fusil d'assaut. Plein. Bien. Elle le passa en bandoulière dans son dos, et repris en main le pistolet, ôta le cran de sûreté. C'était le genre d'armes avec lequel elle avait grandi. Le poids, la prise en main, elle maîtrisait. Sa main ne tremblait pas quand elle avança dans la pièce de vie. Un coup, dans la tête d'un type en noir penché sur la table basse. Il s'écroula. « C'est moi que vous cherchez ? ». Le deuxième, à la fenêtre, eut à peine le temps de se retourner. Lena lui colla deux balles dans le torse. Sous l'impact, il chuta en arrière, la moitié du corps sur la terrasse, l'autre à l'intérieur. Une flaque de sang s'élargissait sur le plancher. « Comment je vais ravoir cette tâche, sur du bois brut ? », l'interrogea-t-elle, en s'avançant au dehors. Il gémissait au sol. Quelques secondes, elle plongea ses yeux dans les siens. « Je crois que je vais devoir changer le plancher ». Elle rentra, s'assura des liens de l'homme dans la salle de bain, et enfila de quoi sortir dans les bois.

Elle suivait les traces de pas qui commençaient à s'effacer entre les arbres. Le vent sifflait, la neige lui brouillait les yeux. Elle avançait de tronc d'arbre en tronc d'arbre, doucement. C'était sans doute d'anciens militaires. Des gros bras tout à fait capables de chasser dans les bois. Beaucoup plus qu'elle, même si elle avait l'avantage du terrain. Les moindres recoins à un kilomètre à la ronde lui étaient devenus familiers. Elle avait planqué du matériel un peu partout, justement pour ce genre de situation. « Au cas où ». Tu parles. Elle était certaine que cela arriverait, tôt ou tard. « Comment penserait Alex ? », s'était-elle demandé. Elle avait installé des caches d'armes et de matériel de survie, et elle avait acheté une bouteille de scotch.

Elle atteignait presque les bords du lac quand un bruit la fit se raidir contre un arbre. Quelque chose qu'on traînait au sol. Bras tendus vers le sol, elle calculait ses chances de les abattre en deux temps. Le bruit se rapprochait. Une dizaine de mètres. Elle expira, longuement. Puis se lança entre les deux arbres.

« Baisse ton arme. C'est moi ».

Il fallut quelques secondes à Lena avant de comprendre.

- Que...

- Baisse ton arme, Lena, c'est moi. Kara.

Doucement, elle abaissa ses bras. C'est là qu'elle remarqua que Kara traînait les mercenaires, à bout de bras. Elle les relâcha, comme des poupées de chiffon dans la neige.

- Qu'est ce que...

- J'ai entendu du bruit. J'étais pas loin, à me balader. Alors je suis venue voir. Et je suis tombée sur ça. Je me suis dit que c'était pour toi.

- Et tu avais raison. C'était pour moi. Un cadeau de Lex, j'imagine.

Lena s'était retournée vers la maison, quelques secondes, le temps de se recomposer un visage neutre. L'adrénaline qui la traversait la dopait. « Il faut retourner au chalet. J'ai deux corps sur les bras, et un type à interroger. Ça te dit ? », fit-elle en se retournant vers Kara. La blonde s'était agenouillée, était en train d'attacher les trois hommes au tronc d'un arbre, bâillonnés. « Pour plus tard », grommelait-elle. « Je viens ».

- Rao, tu n'as pas fait dans le détail...

- Je... Je n'ai pas vraiment eu le choix. J'ai réagi. Mieux vaut les sortir de là. Je les ai déjà fouillé. Rien de plus. Leur véhicule ne doit pas être bien loin. J'irai voir demain. Il en reste un à interroger.

- Et ensuite quoi ? Et les trois autres dans les bois ? Tu les abats et tu les enterres dans un trou ?

Kara croisait les bras, adossée à la porte-fenêtre de la terrasse.

- J'ai bien de la chaux et des sacs poubelle, mais je manque d'outillage et de place pour la découpe, rétorqua la brune, d'un ton mordant, en levant un sourcil. « Je pensais appeler Alex pour lui demander de l'aide. En espérant qu'elle me réponde », ajouta-t-elle, en tirant l'un des corps par les aisselles, pour le sortir.

- Laisse, je vais le faire. Et j'appellerai Alex.

- Je comptais lui dire que c'était l'occasion idéale de me faire arrêter.

- Malin. Elle pourrait être tentée. Rallume le feu. Il gèle chez toi. Je sors les corps.

L'intrus reprit ses esprits. Il était ligoté avec de l'adhésif sur une chaise, au milieu de la pièce. Kara était assise dans le canapé, face à lui. Il écarquilla les yeux.

- Ce n'est pas moi qui pose les questions, fit Kara, en s'enfonçant dans les coussins, une tasse de thé à la main.

- Non. C'est moi, fit Lena, juste derrière lui, appuyée contre la cheminée.

Il se tordit le cou pour l'apercevoir. Un taser dans la main gauche, un cran d'arrêt dans la droite. Elle les soupesait.

- Tu en dis quoi, Kara ?

- Rien du tout, fit la blonde en croisant une jambe sur l'autre. « Tu es chez toi, je suis une invitée. Je n'ai rien à voir avec cette affaire. »

- Commençons.

D'un coup, elle envoya un décharge électrique dans le cou de l'homme, qui hurla.

- Bien. Maintenant que les présentations sont faites, dis-moi, qu'est-ce que vous être venus faire ici ?

L'intrus grognait, mais restait silencieux.

- Tu sais, il en reste trois après toi que je peux interroger. Je peux aussi me débarrasser de toi tout de suite. Ça n'est pas un problème. Tu vois ?

Elle lui fit tourner la tête vers les deux larges taches de sang au sol. Il frémit. « Saloperie de Luthor », cracha-t-il.

- Ah, vraiment ? Dans ce cas...

Cette fois-ci, elle augmenta la puissance du taser, et envoya la décharge dans son entrejambe. Il hurla de douleur, de longues secondes.

- Mmh, ça ne doit pas faire du bien, commenta Kara. Elle fronça les sourcils, prit une gorgée de thé.

- Je peux faire ça toute la nuit.

Lena saisit la bouteille de scotch posée sur le manteau de la cheminée et en prit une gorgée. « Alors, tu vas parler ? Je crois que le joujou est rechargé... », fit-elle en l'appliquant de nouveau sur son entrejambe.

- On a été payé. Je ne sais pas par qui. On devait retrouver Lena Luthor et la tuer. C'est tout ce que je sais. Ça ne devait pas prendre beaucoup de temps et c'était payé d'avance. Le job idéal. Tu parles...

- Pas vraiment, n'est-ce-pas ? Qui vous a envoyé ? Et à qui vous deviez envoyer une preuve ? Parce qu'il fallait une preuve, hein ?

Il se tortillait comme il le pouvait sur la chaise qui était trop petite pour son corps massif. Elle envoya une décharge, après l'avoir réduit au silence d'un sort. Son visage était à quelques centimètres de celui de l'homme, qui suait à grosses gouttes. Un coquard était en train de se former sous son œil gauche. Son cri fut muet. D'un claquement de doigt, elle lui rendit la parole. Il hoqueta quelques secondes, cherchait de l'air. « Ah, j'ignorais que le sort coupait aussi la respiration. Intéressant ». Elle prit quelques notes dans son carnet, avant de revenir à son prisonnier.

- Pour la dernière fois, comment et à qui deviez-vous envoyer la bonne nouvelle ?

Elle avançait dangereusement le taser, s'appuya des deux mains sur les cuisses de son prisonnier. Son regard était plongé dans le sien. Froid. Clinique.

- On devait envoyer un message. Un numéro enregistré dans le téléphone satellite. Le seul. Avec une photo.

- Et il est où, ce fameux téléphone ?

- Dans la voiture.

- Et bien voilà, quand tu veux...

- Vous allez me...

Il n'eut pas le temps d'ajouter quoique ce soit. Une nouvelle décharge, plus puissante que les précédentes, venait de lui traverser le corps. Cette fois, il s'évanouit. La brune avait mis toute sa colère dans son geste.

« Dommage. J'aurais aimé lui coller une droite pour l'endormir ». Lena se retourna, ouvrant et fermant les doigts de sa main droite. Ça la démangeait, vraiment. Kara n'était plus là. Pendant une seconde, elle fut prise de panique. Elle prit de grandes inspirations, embrassa du regard la pièce. Le désordre, des taches de sang, un tas d'armes sur la table basse... rien qui ne laisse de doute quant à la situation. Si le shérif avait passé la porte, là, maintenant, elle n'aurait rien pu faire. Elle ne savait pas par quoi commencer.

« Tiens, le téléphone. J'ai planqué le van avec lequel ils étaient venus. J'appelle Alex. Après on avisera ». Kara venait de passer la porte. D'un coup, Lena expira. Ça allait aller. Elle saisit le téléphone que la blonde lui lançait. Un modèle militaire. En quelques coups sur les touches, elle trouva le seul numéro du répertoire. Pas de caméra de face. Elle retourna le téléphone, se prit en photo faisant un doigt d'honneur. « Bon baiser de Luthor », pianota-t-elle. « Et... envoyé. Je ne sais pas qui tu es, mais je vais te mettre la main dessus, saleté », siffla-t-elle entre ses dents. « Tu me dois un plancher neuf », murmura-t-elle en contemplant son salon. Lorsqu'elle leva la tête, elle vit Kara, appuyée contre le chambranle de la porte. Elle souriait.