Chapitre 1


8 ans plus tard

L'automne n'est pas une saison douce en Ecosse, encore moins quand il touche à sa fin. Le vent fait s'envoler les feuilles du Saule Cogneur qui se trouve dans le parc du château, les élèves portent tous leurs longues écharpes aux couleurs de leurs maisons et il est déconseillé de sortir de son dortoir après l'heure du dîner. Pourtant, deux étudiants se servent de leur statut de préfet pour traîner dans l'enceinte de l'école à la nuit tombée.

Draco Malfoy parcourt les longs couloirs pavés avec un air impassible figé sur le visage. Il passe par les recoins les moins empruntés, fait demi-tour lorsqu'il entend une voix ou un bruit suspect et s'éloigne le plus rapidement possible de la salle dont la porte semble disparaître au rythme de ses pas.

Il descend l'un des nombreux escaliers enchantés que possède l'école et lorsqu'il est assez loin des étages supérieurs du château et de la tour d'astronomie, il s'autorise à ralentir. Il s'approche d'une arcade en pierre dont la vue donne sur le parc et l'obscurité. Ses doigts fins se posent sur le rebord de cette fenêtre et le froid traverse son corps. Pour la première fois depuis qu'il a quitté son dortoir, presque deux heures plus tôt, il respire enfin.

A quand remonte la dernière fois qu'il a respiré avec tant d'intensité ? Draco n'en a pas la moindre idée. Toutes ses pensées sont tournées vers la maudite mission qu'il doit accomplir avant la fin de l'année. Il n'a pas le temps pour le reste. Pas le temps pour reprendre son poste d'attrapeur dans l'équipe de Quiddich de sa maison. Pas le temps de sortir faire la fête avec Blaise et Théo. Pas le temps pour s'envoyer en l'air avec toutes les filles que Pansy lui présente pour lui changer les idées. Pas le temps pour tout ça.

Pas le temps pour vivre sa 6e année comme tous les autres élèves de l'école.

La peur lui ronge les entrailles avec trop d'intensité pour qu'il puisse faire semblant que sa vie n'est pas sur le point de s'écrouler. Le poids qui repose sur ses épaules s'accroît chaque jour. Il ne comprend pas comment il fait pour continuer à se tenir droit tend ses muscles sont tendus et lui font souffrir le martyr.

Il n'a pas envie de réussir cette mission donnée par le Seigneur des Ténèbres. Il n'a pas envie de faire régner la terreur ni de lui obéir et encore moins de se soumettre à ses idéaux comme l'a toujours fait son lâche de père. Non, il ne voulait pas être comme son père.

Mais il n'en a pas le choix. Le Seigneur des Ténèbres lui a bien fait comprendre que s'il ne menait pas à bien la mission qu'il lui avait confiée, sa famille en payerait le prix. Jamais il ne pourra oublier la peur ni la douleur qui se dessinaient sur le visage de sa mère, victime du sortilège Doloris, jeté par sa propre tante, en guise d'exemple. Il n'en dort plus. Terrorisé à l'idée que ces images apparaissent à nouveau dans son esprit. Terrorisé à l'idée qu'il puisse recommencer.

Il n'a pas le choix. Il doit protéger les siens, protéger sa mère et la protéger, elle, comme il le fait depuis qu'il la connaît. Et pour cela, il doit réussir cette maudite mission.

Un sanglot le sort de sa réflexion en sursaut et un frisson d'effroi lui court le long de la colonne vertébrale. Il fronce les sourcils. Au fil des années, il a appris à reconnaître l'éclat de tristesse qu'émettent les âmes meurtries. Dès qu'il passait devant la bibliothèque du manoir, où sa mère s'enfermait lorsque son père était présent, il l'entendait pleurer. Il savait qu'elle essayait d'étouffer ses sanglots du mieux qu'elle pouvait pour ne pas l'inquiéter. C'était encore plus douloureux. Devant lui, elle ravalait ses larmes et restée impassible face à la violence et la cruauté de Lucius Malfoy mais dès qu'elle était seule, elle relâchait la pression. Depuis, il ne supporte plus d'entendre quelqu'un pleurer et dissimuler sa peine.

N'étant pas intéressé par le malheur de ses camarades et refusant d'y être mêlé, même de loin, Draco décide de ne pas se faire surprendre à flâner dans les couloirs. Il quitte le parc endormi des yeux et entreprend de redescendre jusqu'à sa salle commune. Il maîtrise le chemin jusqu'aux cachots sur le bout des doigts, habitué à faire ce trajet nocturne depuis le début de l'année.

Perdu dans ses pensées noires, il n'entend pas le bruit de pas se rapprocher de lui ni les reniflements s'intensifier. Il ne réalise qu'il n'est plus seul que lorsqu'il manque de renverser quelqu'un. Par réflexe, il glisse sa main dans le dos de cette mystérieuse personne, l'empêchant de s'écrouler sur lui.

Ce contact ne dure qu'une fraction de seconde mais c'est assez pour que Draco reconnaisse la personne qui se trouve près de lui. Il y a des dizaines d'élèves dans cette école, mais il y en n'a qu'une dont il connaît le parfum aussi bien.

— Je suis désolée, je ne regardais pas où … Malfoy ? Qu'est-ce que tu fais là ? Tu devrais être dans ton dortoir.

— Granger ?

Lorsqu'elle reconnaît le Serpentard, Hermione Granger recule d'un pas. Malgré son regard vitreux, elle le reconnaîtrait entre mille. Personne n'a la peau aussi pâle ni les cheveux aussi clairs. Même au milieu de la nuit, il n'y a que lui pour porter un costume aussi chic et se tenir aussi droit. Elle fronce les sourcils en l'interrogeant et espère que sa voix ne tremble pas à cause de ses sanglots.

Lorsque le regard d'acier de Draco rencontre les yeux noisettes de la Gryffondor, les entrailles du jeune Malfoy se contractent à l'intérieur de son corps. Il serre la mâchoire en observant ses joues rougies à travers l'obscurité. Il prend sur lui pour conserver le calme olympien qui l'habite lorsqu'il est entouré de ses camarades et arbore l'un de ses précieux sourires en coin.

Ne voulant pas attiser la curiosité de la Miss-Je-sais-tout en cheffe, Draco décide de prendre les devants. Il n'a pas besoin qu'elle se mette, même par hasard, à fouiner dans ses affaires.

— Qu'est-ce que Weasmoche et Potty ont bien pu encore inventer pour que tu sois en larmes au milieu de la nuit ?

La question de Draco n'en est pas vraiment une. Il connaît suffisamment bien sa rivale pour savoir qu'il n'y a que deux choses qui sont capables de la mettre dans un état pareil : ses notes et ses débiles de potes. Le Serpentard n'a pas besoin de chercher bien loin pour comprendre qu'à cette heure-ci, les cours sont le cadet des soucis d'Hermione Granger.

Le visage de la brune s'assombrit à l'évocation de ses amis et elle détourne le regard ne supportant pas l'idée qu'il la voit se remettre à pleurer.

— Ça ne te regarde pas, dit-elle rageusement.

Elle tente de garder son air sévère mais la fatigue la gagne de plus en plus. Elle espérait réussir à atteindre la Salle sur Demande sans croiser personne. Lorsque la bêtise de Ron et les sourires compatissants d'Harry lui sortent par les yeux, rester dans la tour des Gryffondor lui est insupportable. Le seul endroit dans lequel elle réussit à trouver le sommeil après avoir trop pleuré, est cette salle magique. Personne ne vient jamais la déranger et, le temps d'une nuit, elle se sent en sécurité.

— Tu auras les yeux rouges demain.

La remarque du Serpentard attire le regard d'Hermione à nouveau dans sa direction et, comme si elle prenait enfin conscience de leur proximité, elle déglutit. Depuis quand l'observe-t-il avec autant d'intensité ?

— En quoi est-ce que ça te concerne ?

La voix d'Hermione fuse quelques secondes après que la réflexion de Draco ait franchi ses lèvres sans son autorisation. Penser à voix haute n'est pas dans ses habitudes et il se maudit intérieurement de ne pas réussir à tenir sa langue en présence de la Gryffondor.

Elle est agacée par le semblant d'intérêt qu'il semble lui porter ce soir et est trop fatiguée pour se battre contre lui. Pour se battre contre n'importe qui. Et, comme s'il réalisait vraiment l'épuisement de la jeune fille, Draco décide de mettre fin à cet échange.

Il fait un pas de côté, pour la dépasser en prenant bien soin de frôler son épaule et de lui souffler quelques mots sur son passage.

— Retourne te coucher Granger, tu sais bien que ces couloirs ne sont pas sûrs la nuit. Tu risquerais de faire une mauvaise rencontre.

Ses paroles, sonnant comme une menace, la font frissonner. À moins que ce soit son souffle dans son cou qui la perturbe autant. Draco Malfoy ne l'avait jamais approché d'aussi près. Jamais.

Sauf une fois…

Mais avant qu'elle ne puisse le réaliser et se retourner pour lui répondre, le Serpentard est déjà loin.

Hermione passe la main dans ses cheveux en soupirant. Elle décide de ne pas tenir rigueur du comportement du jeune Malfoy, elle a bien remarqué qu'il est encore plus lunatique que par le passé et n'a pas envie de s'en mêler. Plus elle restera loin de lui, mieux ce sera.

Cette année est déjà assez difficile comme ça, pense-t-elle en poussant la porte de la Salle sur Demande qui laisse apparaître, comme à chaque fois qu'elle le demande, sa chambre d'enfance dans laquelle elle se sent si bien.