À Yom Kippour, le rabbin et Zlabya s'habillent de blanc et jeûnent, parce que Dieu leur a demandé de le faire pour les pêchés d'Israël. Le chat du rabbin n'est pas obligé de jeûner lui, parce que même s'il est un chat juif, il n'a pas fait sa bar-mitsva et que d'après le rabbin, Dieu a voulu que les hommes se privent, mais qu'il n'a jamais dit de priver les animaux. Le chat est d'accord avec lui.

Son moment préféré de Yom Kippour de toute façon, ce n'est pas le jeûne, mais ce qui le précède, la seoudat hamfèsqet, le repas de clôture après la prière de min'ha, parce qu'on y mange plein de choses délicieuses et que quand il fait les yeux doux à sa maîtresse, il y a toujours des morceaux qui tombent par terre. Il aime presque autant le repas d'après où Zlabya lui laisse manger un gros morceau de mouna à la fleur d'oranger.

Le rabbin dit qu'elle le gâte trop. Zlabya dit que ce n'est pas grave de gâter ceux qu'on aime quand c'est jour de fête et qu'à Erev Yom Kippour, on doit pardonner les fautes d'autrui et montrer de l'amour aux autres. Le rabbin répond en disant que on peut aimer sans gâter et Zlabya dit que du coup elle n'aurait peut être pas du préparer autant de pâtisseries, alors le rabbin se tait et le chat peut profiter des offrandes qui tombent de la table.

Il se demande si ce n'est pas ça que ressent Dieu quand les hommes lui font des offrandes, mais il ne le dit pas parce qu'alors le rabbin dirait encore qu'il blasphème et lui interdirait de parler devant Zlabya, ou le mettrait à la porte et qu'il pleut trop fort pour être puni comme ça. Alors il ne le dit pas, mais le chat du rabbin reste un chat juif et là où il y a des juifs il y a des débats, alors il ne peut pas s'empêcher d'intervenir et de poser des questions. Le rabbin dit qu'il n'a pas à jeûner, mais qu'il pourrait profiter de Yom Kippour pour demander pardon de ses mensonges et qu'alors il pourra à nouveau parler à Zlabya. Aujourd'hui il peut parler devant elle, et il ne s'en prive pas.

-Je comprends pas pourquoi vous demandez comme ça pardon à Dieu, dit-il quand le rabbin dit qu'il pourrait demander pardon aussi.

-C'est parce que les Hébreux ont adoré le veau d'or et que Moïse est monté sur le mont Sinaï pour obtenir leur pardon et que Dieu...

-Non, je sais pourquoi vous fêtez Yom Kippour. J'écoute ton enseignement à tes disciples. Je connais mieux la loi de la plupart d'entre eux. Mais pourquoi vous lui demandez pardon au lieu de lui crier dessus ?

-Et pourquoi je crierais sur Dieu, moi qui suit son rabbin ?

-Peut être parce que quand tu es sorti de la synagogue hier un musulman t'a craché dessus.

-C'était un enfant qui ne savait pas ce qu'il faisait et je connais sa grand-mère qui lui a souffleté les oreilles alors tout va bien.

-Et l'autre jour, c'était des chrétiens qui disaient qu'on aurait jamais du donner la nationalité française à des juifs comme vous.

-Et alors ? Je connais plein de juifs qui pensent pareil et qui auraient préféré être juste juifs plutôt que juifs français d'Afrique. Déjà, c'est plus court et c'est plus simple.

-Bon, oublions les musulmans et les chrétiens. Quand je t'écoute lire la Torah, j'ai toujours l'impression que Dieu il pense jamais qu'à vous punir et à vous faire du mal.

-Si tu crois ça, c'est que tu te trompes. Dieu, il punit, mais il pardonne aussi au pêcheur. Demain, à la min'ha, je vais lire le livre de Jonas. Et regarde ce qui est dit en 1.2 à Jonas « Lève-toi ! Va à Ninive, la grande ville, et prophétise contre elle car leur iniquité est arrivée jusqu'à moi » et il lui a dit d'annoncer que Ninive serait détruite et les gens de Ninive se sont mis à craindre Dieu et Dieu l'a épargné. Alors, Jonas s'est mis en colère, parce qu'il voulait voir Ninive détruite, mais Dieu lui a répondu qu'il était Dieu et qu'il pouvait bien épargner douze myriades d'êtres humains incapable de distinguer leur main droite de leur main gauche, et Dieu sait que des humains comme ça, il y en a beaucoup sur Terre.

-Ce que tu dis, c'est que vous lui demandez pardon d'être si idiots et parce qu'il est bon, il vous pardonne si vous vous repentez d'être cons ?

-Moi je suis un idiot qui essaie de comprendre la parole de Dieu et qui n'y arrive toujours pas bien à mon âge et alors que je suis rabbin, alors oui, moi et tous les autres idiots on peut bien demander pardon pour l'être, parce que si j'étais Dieu à regarder le peuple juif, des fois je crois que j'aurais pas la patience quand c'est déjà dur de l'avoir avec les gens de ma synagogue.

Le rabbin secoue la tête d'un air navré et amusé en pensant à sa communauté. Le chat se déplace pour ramasser un autre morceau de poisson tombé de l'assiette de Zlabya, puis saute sur le buffet pour continuer cette conversation à hauteur d'homme.

-Mais ton livre de Jonas ne réponds pas à ma question. Les gens de Ninive étaient les ennemis d'Israël et Dieu leur a prévenu pour qu'ils puissent se repentir et leur a pardonné, mais quand est-ce qu'il est aussi indulgent pour son propre peuple ? Vous devez lui demander pardon, mais il a pas l'air de vous les pardonner souvent vos pêchés, s'il vous fait la vie si dure que ça.

De la main, le rabbin désigne le festin sur la table.

-La vie, elle est pas toujours dure.

-Il vous a chassé de Canaan puis laissé y retourner. Il a laissé détruire le Temple et vous avez du quitter Israël. Tes ancêtres se sont installés en Espagne, et puis ils ont du fuir en Algérie. Le peuple juif se fait frapper de Jérusalem à Moscou et à Casablanca. Moi je crois que quand on pardonne, on devrait pardonner pour toujours.

Zlabya se penche pour caresser le chat en lui faisant les gros yeux.

-Comme quand tu as encore fait tes griffes sur le tapis de ma grand-mère ? Si je t'ai pardonné une fois je devrais te laisser faire les autres ?

-Voilà.

Le rabbin secoue la tête.

-C'est pas pareil. Quand c'est le peuple juif qui souffre parce que Dieu l'a voulu, c'est éducatif.

-Quoi ? Il dit « car je suis l'Éternel, ton Dieu, et même quand je te fais du mal c'est pour ton bien » et vous lui pardonnez ?

-Il n'y a pas à pardonner à Dieu.

-Encore une chose. Tu dis que Dieu pardonne ceux qui se repentent, mais en Job, 41,3, ne dit-il pas « Je ne l'épargnerai point, malgré les paroles puissantes et les prières les plus touchantes » ? Et est-ce qu'il ne fait pas souffrir pour rien Job qui a toujours été juste et croyant ?

-D'abord, toute souffrance sur Terre n'est pas causée par Dieu, même si on voudrait avoir quelqu'un a accuser pour se sentir mieux. Ensuite, Dieu a le droit de tester la foi de ceux qui le prient. Et puis, il a tout rendu au double quand Job il a fait pénitence.

-Et ça excuse le reste ? Il lui a prit ses enfants et lui en a donné des nouveaux, mais moi, si on me prend Zlabya, je veux pas qu'on me donne une autre maîtresse, je veux ma maîtresse.

-Là dessus, je suis d'accord, intervient Zlabya de sa voix douce. Sur ce coup là, Dieu a eu tord.

-Toi ma fille tu prétends comprendre les voies de Dieu que ton père il comprend pas ?

-Non. Mais je sais que dans cette histoire, Dieu tente et teste Job, pour voir si un homme qui a toujours eu tout ce qu'il voulait peut vraiment croire en lui et l'avertit de ne pas aller à penser qu'il peut prendre la bénédiction sans donner les remerciements. Moi, je veux bien comprendre qu'on ne peut pas comprendre Dieu et qu'on ne peut qu'accepter sa loi. Je veux bien croire en Dieu, et suivre toutes ses règles, même celles qui sont dures à suivre, et je comprends s'il me punit parce que je n'y arrive pas, mais Job, il avait une femme et des enfants. Est-ce qu'ils étaient si incroyants ses enfants pour être tués pour servir d'avertissement sans que eux en aient reçu un ? Et sa femme, on lui a demandé son avis avant de lui prendre tous ses enfants et de la refaire passer ensuite dix fois par l'épreuve de l'accouchement à son âge ? La Bible dit que la femme de Job lui a dit de maudire Dieu quand il lui a tout prit, et je la comprends. Dieu donne et Dieu prend et on doit le respecter pareillement, mais pourquoi alors nous a-t-il donné la capacité de souffrir aussi fort et aussi longtemps que tu as souffert après la mort de maman ?

Le rabbin reste un long moment silencieux, ses yeux fixés sur la table chargée de nourriture, puis il sourit.

-Ça ma fille, je le sais pas. Moi, je ne suis qu'un rabbin. Je sais juste qu'il était là avec nous quand elle était vivante et qu'il était là avec nous quand on l'a pleurée. Et pour Nahmanide, les enfants de Job, ils sont pas morts, juste réduits en esclavage et rendus à Job ensuite. Je ne comprends pas toujours la parole de Dieu, et comment je peux, si même les prophètes ils la comprennent pas toujours ? Il a fait le monde grand et compliqué. Il a élu le peuple juif, et pour pas qu'il prenne la grosse tête, il lui a donné les Romains puis les Arabes et les Français comme voisins. Et aujourd'hui je demande pardon d'avoir la tête dure et de pas toujours être patient avec mon prochain.

-Et moi, je demande pardon de m'être disputée avec mon père et de me disputer encore l'an prochain et de des fois vouloir qu'il y ait moins de règles à suivre, ajouta Zlabya.

Le chat ne demande pas pardon, parce qu'il est un chat, mais il renverse un verre d'eau pour voir ce que cela faisait d'être tout puissant, puis saute loin de portée du rabbin et de Zlabya pour s'essuyer les pattes pleines de l'odeur du poisson. Lui ne prit pas, mais juste au cas-où, il remercie le Seigneur pour la maison qu'il lui a donné et que jamais rien ne change.