CHAPITRE 19 : Hormones, hormones
- ROBIN D'AMOUR ! NAMI-CHERIE ! LE DINER EST PRÊT ! chanta le Chef sur le palier de la porte de sa cuisine.
L'appel résonna sur tout le navire pour s'insinuer dans toutes les oreilles, y compris celles qui ne le désiraient pas et qui auraient aimé être tranquilles encore un peu. La jeune femme rousse releva les yeux de l'ouvrage qui était sur ses genoux avec une expression ennuyée et des pensées peu aimable envers le cuisinier de l'équipage. Rapidement, le vrombissements des pas sur le plancher en bois se fit entendre et lui donna l'impression qu'un éléphant était monté à bord. En réalité, il ne s'agissait que de leur capitaine, qui se précipitait comme un mort de faim vers le point de ralliement, et à en juger par ce que Zoro pouvait également entendre, Ussop et Chopper le talonnaient de près. Encore une course pour savoir qui arriverait le premier. D'autres bruits de pas se succédèrent, tous différents mais aisément identifiables, si bien que l'épéiste put faire le décompte exact de ses nakamas pendant leur transhumance. Le tambourinage de Franky, le claquement sec des géta de Jinbe, le cliquetis des talonnettes de Brook, quelque peu semblable à celui de Robin, bien que le pas de la jeune femme soit plus feutré et plus souple que celui du squelette. Puis quelques minutes plus tard, il entendit le martellement nonchalant et familier des bottes, accompagné par deux voix rauques. C'était toujours étrange d'entendre sa propre voix d'un point de vue externe, elle lui paraissait différente (et pas seulement parce que Nami parlait à sa place). D'ailleurs elle semblait en grande conversation avec leur invité, mais impossible de distinguer le sujet de leur échange.
Après l'avoir congédié un peu plus tôt dans la journée, Zoro ne s'était pas préoccupé de savoir où été passé Law. Ce dernier était du genre à aimer le calme, et à se tenir le plus loin possible de Luffy pour ne pas avoir à être embarqué dans une de ses activités exubérantes. Ce n'était que quand il s'était dirigé vers la bibliothèque, après en avoir eu marre de ne pas trouver de positions confortables sur le transat et de se faire interrompre par le cuisinier détraqué, que Zoro avait aperçu le chirurgien de la mort en compagnie de leur médecin, à échanger dans l'infirmerie sur des techniques de médecine qu'il ne saisissait pas.
L'épéiste referma le gros livre avec un clappement sonore et jeta un dernier coup d'œil à la couverture. Le grand guide de la grossesse : tout pour devenir de bons parents. Nami était revenue avec lors d'une escale sur une île où la civilisation était assez développée. Elle était partie avec Robin et s'était faite plaisir dans les diverses boutiques de puériculture, acheter des vêtements pour bébé à ne plus savoir qu'en faire, avant d'accompagner l'archéologue à la librairie. Le soir, la rouquine lui avait presque sauter dessus lorsqu'il était rentré dans la chambre, pour lui montrer cette bible énorme, que Zoro s'était empressé de dédaigner d'un geste de la main, prétextant que devenir parents ne s'apprenait pas dans un bouquin. En réalité, c'était plus la quantité de page qui l'avait rebuté, en plus, il n'avait pas envie qu'un livre lui dise comment agir avec son enfant. De toute façon, ce ne devait pas être bien sorcier. Evidemment, Nami fut déçue de sa réaction, mais cela ne l'empêcha pas de passer les jours et les nuits suivants, le nez plongé dedans et d'être captivée par les divers conseils que prodiguait cette encyclopédie. Il lui arrivait d'ailleurs d'en discuter activement à table avec Chopper, qui semblait plus que ravie de parler technique avec quelqu'un d'autre.
De son côté, Zoro n'y avait jamais prêter la moindre importance, jugeant qu'il se fierait à l'instinct le moment venu. Cependant, les mois défilants et le ventre de Nami s'arrondissant, quelques questions et quelques doutes avaient commencé à germer dans son esprit, accentué avec le fait qu'il n'ait jamais senti son enfant bouger dans le ventre de sa compagne, contrairement à tout le reste de l'équipage. Par moment, l'envie de jeter un petit coup d'œil dans ce bouquin lui titillait l'esprit, avant que sa fierté n'intervienne et ne le fasse se concentrer sur ses exercices de musculation. De même que quand Chopper avait essayé de lui en parler. Pourtant il ne montrait rien de sa frustration aux autres, mais le petit renne était perspicace et surement avec l'intervention de Nami, il avait voulu aborder le sujet avec lui pour l'aider. Cependant, le bretteur s'était replié sur lui-même et avait gentiment éconduit le médecin en lui assurant que tout allait bien et qu'il n'avait pas d'interrogation concernant la grossesse de Nami. Du déni pur et simple.
Que sa condition actuelle venait de réveiller. Zoro ne pouvait pas se cacher derrière sa détermination à s'entrainer pour devenir plus fort, il ne pouvait pas se concentrer comme il le voudrait sur son rêve de devenir meilleur épéiste du monde alors qu'aucun katana ne pesait à sa ceinture. Il ne pouvait se concentrer sur rien d'autre que sur le calme persistant dans son ventre. Et contrairement à ce qu'il avait cru en venant ici dans la plus grande discrétion, les quelques brides qu'il avait lues ne l'avaient pas rassuré. C'était même pire qu'avant. Un bébé qui ne bougeait pas était un signe alarmant qui devait mener à une consultation immédiate d'un professionnel de santé.
Toutefois, plutôt que de se ruer à l'infirmerie, Zoro était resté cloitré dans la librairie à se plonger plus profondément dans ce livre qui ne faisait qu'augmenter le nombre de questions dans son cerveau et naitre une sensation d'oppression dans sa poitrine. Il y avait tellement de choses auxquelles il n'avait pas songé, tellement de risques que Nami encouraient, tout comme le petit ! Le chapitre sur l'accouchement et ses complications en était un bon exemple.
Comment Nami faisait-elle pour prendre tout cela sereinement ?!
Désormais, Zoro s'en voulait un peu de ne pas avoir été plus impliqué dans sa grossesse, de ne pas avoir prêté plus d'attention aux divers signes qu'elle lui envoyait consciemment ou inconsciemment. La seule pensée rassurante qu'il trouva, c'était qu'ils avaient de la chance d'avoir un excellent médecin à bord, et le bretteur comprenait pourquoi Nami passait autant de temps à parler avec Chopper. Mais cela ne dissipait pas sa culpabilité de l'avoir laissé gérer quelque peu seule ces changements. Bien sûr, il était là quand elle manifestait son anxiété, il répondait présent lorsqu'elle avait besoin d'aide pour soulever quelque chose, ou encore pour masser ses pieds et chevilles endoloris. Mais au-delà de ça, il avait l'impression d'avoir été inutile. Et c'était d'autant plus flagrant aujourd'hui qu'il se retrouvait à la place de Nami, et que ce maudit livre faisait tout un laïus sur le rôle des futurs papas.
En tout cas, pour revenir à son inquiétude première, si bébé ne bougeait toujours pas d'ici ce soir, il en parlerait avec Nami et au besoin avec les médecins qui résidaient sur le navire. Peut-être était-ce également un effet secondaire de la permutation de leur corps ?
Il replaça le livre à sa place sur l'étagère et jura de s'améliorer pour la suite des évènements. Zoro arriva devant la porte de la cuisine en se dandinant maladroitement à cause du poids qu'exerçait le bébé dans le bas de son ventre et qui semblait prendre un malin plaisir à appuyer sur sa vessie à chacun de ses pas. Sans parler du fait qu'il se sentait aussi essoufflé après avoir monté ces quelques marches que s'il s'était battu pendant des heures contre un adversaire redoutable, et que cela l'empêche d'avancer à une vitesse décente. Non vraiment la grossesse ce n'était pas pour lui, et il se demandait bien comment Nami faisait pour vivre cela à longueur de journée.
Il dût s'arrêter un instant avec la main sur la poignée avant d'entrer, pour reprendre son souffle et s'étirer le dos qui commençait à le lancer. Pas question que les autres, et surtout Nami, ne le voit dans un état pareil ! Son égo ne s'en remettrait pas. Puis lorsqu'il fut prêt, Zoro entra la cage aux lions. Tout le monde était déjà à table, et Sanji avait commencé à servir les différents plats qu'il avait préparé. Son entrée suscita un regard curieux de la part de Law et de Nami, mais à hormis ces deux-là, personne ne prêta attention à lui, ce dont il fut reconnaissant. Un mélange d'odeurs appétissantes flottait dans la cuisine, celui des oignons frits, d'épices chaudes, de poissons, de sauce soja, d'œufs…
Son estomac grommela à mesure qu'il s'avançait vers sa chaise.
Puis une odeur plus âcre, celle du tabac froid, ainsi que quelque chose de plus piquant comme de l'ammoniac, se mêla à la farandole de fragrances, et soudain, son estomac fit un bond, l'obligeant à s'arrêter. Les effluves divers de cuisine lui assaillir les narines de façon agressive et cette fois, quelque chose remonta dans sa poitrine. Non, ce n'était pas possible… ça ne lui arrivait jamais ! Cependant, Zoro fut parcouru d'une sueur froide et il se sentit devenir livide.
Si son entrée n'avait pas été remarquée, en revanche, son immobilité et sa tête, attirèrent l'attention de la tablée toute entière.
- Ça ne va pas Zoro ? Demanda aussitôt Chopper.
Non, non, non, non… répéta-t-il comme un mantra dans sa tête alors qu'il pinçait les lèvres. Malheureusement les odeurs semblaient imprégnées avec force dans ses narines, beaucoup trop pour que son estomac ne les tolère. Zoro voyait pertinemment les regards inquiets de ses camarades, cependant il n'eut pas le temps de leur répondre qu'il plaqua la main sur sa bouche et fila comme une fusée vers les toilettes qui se situaient en bas des escaliers. Courir quand on était enceinte était un sport à part entière, surtout quand l'envie de vomir vous tiraillait.
Quelques minutes plus tard, il finissait de vider son estomac dans la cuvette et de cracher la bile amère qui lui envahissait la bouche. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'il se rendit compte qu'une main lui caressait tendrement le dos et que quelqu'un lui tenait ses longs cheveux roux pour ne pas qu'ils tombent dans l'infâme mixture sous son nez. D'une main tremblante, Zoro appuya sur la chasse d'eau et se laissa retomber sur les fesses, à côté du wc. Sa vision était un peu embrouillée à cause des larmes qui s'étaient frayées un chemin contre sa volonté jusqu'à ses yeux, mais il discerna une grande silhouette verte. Cette dernière lui essuya la bouche avec délicatesse à l'aide d'un tissu et sa voix lui parvint comme au travers d'un épais brouillard.
- Comment tu te sens ?
Zoro esquissa un rictus.
- A ton avis ? répondit-il sarcastiquement.
- Ne t'en fais pas ça va passer. Tiens bois ça.
Il ouvrit les yeux, qu'il ne se souvenait pas avoir fermé, et vit une paille approcher ses lèvres. Il ne chercha même pas à lutter et ouvrit la bouche pour aspirer ce qu'on lui offrait. L'eau fraiche lui fit un bien fou, bien que le goût de vomi qui lui tapissait les papilles, mais celui-ci se dissipait à chaque gorgée.
- Oi Zoro ! Ça va ? s'enquit Ussop derrière Nami.
Le bretteur hocha la tête, quand un relent des odeurs qu'il avait senti en cuisine, lui chatouilla les narines. Aussitôt, ses joues se gonflèrent et il tourna rapidement la tête pour déverser une fois de plus, l'eau mélangée à la bile, dans les toilettes.
- Je crois que c'est ton odeur qu'il ne supporte pas, Ussop, l'informa sa compagne.
- C'est vrai que tu sens très fort, Ussop, renchérit le petit renne.
- La faute à qui, hein ?! Nami n'as pas voulu que je me lave !
- Parce que j'étais déjà dans la salle de bain ! T'aurais pu y retourner une fois que j'avais fini !
- Hey Zoro ! Est-ce que ça veut dire que tu me laisses ta part ? Demanda Luffy en mâchouillant quelque chose.
- Tu pourrais faire preuve d'un peu de considération Luffy ! le sermonna Nami. Et va manger ailleurs !
Vomir ses tripes de cette façon était une première pour lui. Jamais il n'avait été malade de sa vie, et ce n'était clairement pas une expérience qu'il aimerait revivre. Et comme si la situation n'était pas suffisamment humiliante, il fallait que tout l'équipage soit témoin de son état lamentable.
- Dégagez ! gronda l'épéiste entre deux nausées alors qu'il étreignait la cuvette entre ses mains.
- Je vais lui préparer de la soupe et avec des gâteaux de riz, ce sera plus digeste, annonça Sanji après avoir tiré une taffe de sa cigarette.
- Merci Sanji-kun. Tu n'auras qu'à l'apporter devant la porte de notre chambre.
- Comme tu voudras, Nami.
Bizarre… pour une fois, le stupide cuistot n'avait pas affublé la jeune femme d'un de ses surnoms ridicules. Toutefois, Zoro n'eut guère le temps de s'attarder sur ce détail car son estomac se contractait violemment sans qu'il n'ait quelque chose à évacuer. Dans son dos, le chahut se dissipa et l'épéiste ne discerna plus que la présence de sa moitié, qui attendait patiemment que la crise de nausées se termine. Pourquoi ça lui arrivait à lui ? Durant tout le début de sa grossesse, Nami n'avait jamais eu ce genre de problème, c'était d'ailleurs bien là, l'un des seuls symptômes dont elle n'avait pas hérité.
…
Tout en douceur et avec mille précautions, car elle avait beaucoup de mal à jauger sa force, Nami déposa le corps qu'était le sien, sur le lit. C'était un peu égoïste de sa part, mais elle ressentait une certaine fierté à savoir qu'elle paraissait toute légère dans les bras de Zoro, même enceinte, alors qu'elle avait toujours eu l'impression d'être une vraie ancre d'amarrage. Quoique… le bretteur n'avait aucun mal à soulever l'ancre du Sunny, donc sa sensation de poids n'était peut-être pas tout à fait juste, mais elle préférait s'arrêter sur une idée positive. En revanche, elle avait du mal à ne pas se sentir coupable de voir dans quel état se trouvait son amant à cause d'elle. Sous ses traits féminins, Zoro était d'une pâleur maladive et ses yeux luisant hurlaient de fatigue. Même s'il essayait de faire bonne figure en paraissant grognon, les cernes qui creusaient un sillon de chaque côté de son en partant du coin des yeux, ne mentaient pas. Nami voyait bien qu'il était également embarrassé de son état (pour ne pas dire « faiblesse », car elle avait peur que cela ne se lise sur son visage). S'il y avait une chose que Zoro avait en horreur, c'était qu'on pense qu'il était faible. Et même maintenant, alors qu'elle avait dû le porter depuis les toilettes jusqu'ici, car son corps tremblait beaucoup trop pour le soutenir.
Elle céda la place à Chopper, qui s'empressa de l'examiner et de le harceler de question, dont elle avait l'habitude, mais pas Zoro. Law était présent aussi, en retrait, adossé contre le chambranle de la porte, afin de se faire un avis médical sur la situation, mais également pour juger s'il devait oui ou non, les renvoyer dans leurs corps respectifs.
Après quelques minutes, le petit renne ôta le stéthoscope de ses oreilles et s'éloigna quelque peu de son patient.
Je ne détecte rien d'anormal. Le bébé va bien, son cœur bat normalement, et si tu me dis que tu n'as pas de contraction ou que tu ne ressens pas de vives douleurs au niveau du ventre, alors je ne vois pas de raison de s'alarmer. Tu es juste fatigué et tu as fait une baisse de tension, mais rien de bien grave. Il te faut du repos et rependre des forces en mangeant de petites quantités à la fois.
- Comment ça se fait qu'il ait des nausées alors que je n'en n'ai pas eu ?
Chopper haussa les épaules.
- Il se peut que parfois, les nausées surviennent au troisième trimestre. Généralement, c'est moins surprenant lorsque les mamans en ont déjà eu au premier trimestre, mais ce n'est pas impossible. Toutefois, si cela ne se produit qu'avec Zoro, peut-être est-ce dû au changement de corps, comme un contre-coup. Ce n'est qu'une hypothèse, mais je crois que le corps et l'esprit sont liés étroitement, et Zoro est un homme, qui s'est retrouvé subitement dans le corps d'une femme enceinte, où les bouleversements hormonaux sont très importants. Toi, Nami, tu t'y es habituée progressivement, sans parler que c'est naturel chez une femme, mais pour lui, tout ceci est plus brutal. C'est un peu comme s'il y avait une dissonance entre le corps et l'esprit. Du coup, il ressent de plein fouet les changements hormonaux de ton corps.
Mince, voilà qu'elle se sentait encore plus coupable de l'avoir incité à intervertir leur corps, pour une raison, finalement, égoïste.
- Je suis d'accord avec Chopper-ya. C'est quelque chose que j'avais envisagé…
- Alors pourquoi tu ne nous as rien dit ?! On t'a demandé si c'était sans risques ! s'énerva Nami.
- Je vous l'ai dit, je ne connais pas de cas similaire, donc je ne pouvais pas te prédire que ça allait se produire.
- On t'a servi de cobaye, en gros ?
- Les nouveaux cas sont toujours une source d'enrichissement pour un médecin, c'est là où on apprend le plus, et Chopper-ya ne dira pas le contraire.
Les regards se tournèrent vers le jeune renne qui acquiesça timidement par peur de la réaction de Nami.
- Mais je ne vous ai pas menti quand je vous ai dit que je n'y voyais aucun danger. Ces changements sont certes désagréables pour Zoro-ya, mais il n'encourt pas de réel danger. Maintenant, si vous voulez que je vous fasse réintégrer vos corps afin de vous rassurer, ce n'est pas un problème, je peux le faire.
La jeune femme hésita. Après tout, elle avait suffisamment profité de sa journée, et Zoro avait dû retenir la leçon, elle ne voulait pas le faire souffrir non plus. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était qu'il comprenne ce que cela faisait d'être enceinte, mais pas qu'il soit dans un état pire que ce qu'elle avait l'habitude d'endurer.
- Non, ça ira.
La voix faiblarde et rocailleuse, bien que féminine, de Zoro, attira leur attention. Il se redressa avec difficulté pour s'adosser contre la tête de lit et prit un air déterminé, malgré l'évidente fatigue qui se lisait sur son visage.
- Zoro, ce n'est pas une question de fierté, mais de sécurité de notre bébé et accessoirement de ta santé. Ce serait plus sage de…
- Non ! coupa-t-il fermement. Tu as entendu Torao et Chopper, ce n'est que de la fatigue. Je peux gérer ça.
Pendant quelques secondes, ils échangèrent une conversation muette, à celui qui aurait la volonté la plus forte, et ce fut Nami qui capitula la première.
- D'accord… mais jusqu'à demain matin ! Torao, tiens-toi prêt après le petit déjeuner ! lança-t-elle d'un ton sans appel.
Le chirurgien de la mort hocha brièvement la tête avant de les laisser et Chopper ne mit pas longtemps à le suivre. Ils auraient pu être enfin seuls, si Sanji n'était pas venu frapper à la porte pour leur signaler qu'il apportait le plateau repas de Zoro. Nami fut surprise de l'étonnante gentillesse du cuisinier à l'égard de l'épéiste, car pas un seul nom d'oiseau ne fut prononcé. Il l'avait même appelé « Zoro », avant de décamper comme un voleur.
Un grommellement guttural provenant de derrière elle, la ramena dans l'instant présent, et se tourna vers l'épéiste qui fixait son ventre proéminant d'un air songeur. Il lui jeta un bref coup d'œil avant de détourner le regard, tandis que ses joues avaient pris une subtile tinte pivoine. Si d'ordinaire, Zoro arrivait à bien cacher ses émotions, dans un corps qui n'était pas le sien, la tâche lui était bien plus ardue. Qu'importe son enveloppe charnelle, Nami le trouvait toujours adorable quand il était gêné.
Elle déposa le plateau avec le bol de soupe, qui sentait délicieusement bon soit dit en passant, avec les petits gâteaux secs, sur le lit.
- Est-ce qu'il faut que je te nourrisse à la cuillère, ou ça va aller ? Se moqua-t-elle gentiment.
En réponse, Zoro lui adressa une œillade noire avant de prendre le bol dans ses petites mains encore fébriles. La navigatrice pouvait distinctement voir la frustration qui se jouait derrière les traits fins de son compagnon, à se sentir aussi « faible ». Cependant, Nami le laissa se débrouiller pour ne pas entacher un peu plus sa dignité, ce qui ne l'empêchait pas de superviser la scène, au cas où.
Fort heureusement, ce qu'avait préparé Sanji, sembla tenir dans l'estomac fragile du bretteur, qui n'en n'avait pas laissé une miette. Après cela, la fatigue se manifesta plus franchement sur son visage et Nami l'obligea à se lever, avec son aide, pour qu'il se change pour la nuit. Ce que Zoro ne chercha même pas à contredire. Bien qu'elle ne soit pas enceinte et qu'il ne soit pas tard, la jeune femme sentit l'épuisement la gagner, et elle n'avait pas envie de rejoindre les autres. En réalité, elle avait une tout autre motivation, mais elle ne savait pas comment l'aborder. Alors ils restèrent allongés sur le dos, l'un à côté de l'autre, à fixer le plafond en silence, sans que le sommeil ne vienne les chercher.
- Qu'est-ce que tu lui chante d'habitude ?
La question, posée d'une voix incertaine, rompit le silence comme le tonnerre déchirant le ciel. Sauf que contrairement à un orage, Nami ne l'avait pas vu venir, et fut un peu déconcertée par son étrangeté, d'autant plus qu'elle n'en comprenait pas le sens. Elle tourna la tête vers Zoro qui caressait distraitement son ventre tendu avec ce même air songeur qu'elle lui avait vu quelques fois.
- Je ne connais pas de chanson… enfin il y a bien le Saké de Binks… mais je me disais que… peut-être tu avais une chanson en particulier à laquelle il réagissait bien.
Puis elle comprit enfin en voyant la petite lueur d'espoir dans ses yeux d'ambre, ce qu'il cherchait réellement et Nami sentit son cœur se serrer. Au fond d'elle, elle l'avait toujours su, mais Zoro s'évertuait à le cacher derrière son indifférence, et elle avait fini par croire que ça ne l'atteignait pas. Alors que c'était tout le contraire. Soudain, la raison pour laquelle il avait accepté cet échange, lui apparaissait sous un nouveau jour. Il n'avait pas fait cela uniquement pour lui prouver quelque chose, il l'avait fait parce qu'il voulait savoir. Savoir ce que ça faisait de ressentir son enfant bouger. Le voir ainsi démuni, presque désespéré, lui brisait le cœur, parce qu'elle aurait dû insister, parce qu'elle aurait le rassurer lui aussi et non se fier à son éternel air confiant. Mais ce qui la peina encore plus, fut la réponse qu'elle dû lui donner car elle eut la sensation de lui porter le coup de grâce alors qu'il était déjà à terre :
- N-non. En général, il réagit peu importe ce que je chante ou je fredonne… ou simplement quand il entendant de la musique.
- Oh…
Sa déception était évidente, tout comme le fait qu'il était blessé. Depuis combien de temps essayait-il d'obtenir une réaction du bébé ?
- Tu ne l'as pas senti bouger aujourd'hui ? Demanda-t-elle doucement.
Un sourire amer étira les lèvres pleines de son compagnon, et un voile de tristesse nappa ses orbes auburn.
- Non. Je pense qu'il sait que c'est moi car c'est le calme plat là-dessous, déclara-t-il en pointant son nombril. Alors par sécurité, peut-être que tu devrais rappeler Law pour lui dire de nous rendre nos corps.
Effectivement, la sagesse voudrait qu'elle ne prenne aucun risque et qu'elle se rut chercher le capitaine du Heart, car ne pas le sentir bouger pouvait signifier que quelque chose n'allait. Mais Nami soupçonnait que cela avait en effet un lien avec Zoro lui-même, car elle se souvenait encore parfaitement des coups de pieds bien placés qu'il lui avait donné avant qu'ils n'échangent leur corps. Et si tel était le cas, il n'était pas question qu'elle laisse tomber Zoro !
Plutôt que de se lever comme il devait s'y attendre, elle se déplaça avec son coussin pour s'étendre contre le flanc du bretteur et avoir la tête juste à côté de son ventre. Elle vint placer son énorme paume sur l'arrondi en-dessous son nombril et commença à faire de petits gestes circulaires.
- Qu'est-ce que tu…
Sa question mourut sur ses lèvres quand Nami commença à fredonner doucement. Elle devait s'adapter au timbre plus grave de sa nouvelle voix afin de garder une tonalité à peu près juste. Ça n'avait peut-être que peu d'importance pour le bébé, mais c'était plus pour le bien des oreilles de Zoro, et que l'expérience ne soit pas trop désagréable. En plus, elle n'avait aucun point de repère, car le bretteur ne chantait jamais, ou alors vraiment du bout des lèvres avec quelques pintes dans le nez et que tout le monde s'y mettait de concert. Alors elle fut quelque peu surprise quand ses cordes vocales émirent un doux vibrato grave, qu'elle harmonisa autour de la première chanson qui lui venait en tête. Une musique d'Uta, Sekai no Tsuzuki, qu'elle appréciait beaucoup, et ce bien avant qu'elle n'assiste au concert et n'en connaisse la réelle signification ni pour qui elle l'avait écrite.
C'était étrange de chanter avec une voix qui ne lui appartenait pas, mais Nami se surprit à tomber amoureuse de ce son, et nota dans un coin de sa tête, qu'elle devrait inciter Zoro à le faire plus souvent. Les paroles lui vinrent aisément, à force de les avoir écouté en boucle, mais quand elle arriva au second couplet et qu'aucun remous ne s'était fait sentir sous sa paume, son espoir s'amenuisa.
- Ça ne fait rien, Nami…, l'interrompit doucement Zoro alors qu'elle entamait le dernier refrain.
- Non ! Je ne vais pas abandonner ! Et toi non plus ! trancha la navigatrice. Chante avec moi !
- Hein ? n-non !
- Si !
- Mais…
- Quoi ? s'impatienta-t-elle.
Il détourna les yeux en rougissant, comme un enfant timide.
- Je… je ne sais pas chanter, avoua-t-il du bout des lèvres.
- Bien sûr que si ! Tout le monde sait chanter ! Et on s'en fiche si c'est juste ou non. Il ou elle ne te jugera pas, c'est l'intention qui compte.
Au moins, il n'essaya pas de contre-argumenter, et Nami prit cela comme un accord de sa part.
- Fais comme moi.
Elle se remit à fredonner doucement et Zoro la détailla avec méfiance, puis il ouvrit la bouche. Un léger son en sortit et il baissa les yeux tandis que le rouge sur ses joues s'intensifiait pour descendre jusque dans son cou. Son amante lutta contre le tiraillement qui se fit ressentir à la commissure de ses lèvres, car autant elle trouvait sa gêne risible, de par sa mignonnerie, autant elle n'était pas certaine que Zoro interprète sa réaction dans le bon sens, et ne se vexe pour de bon. Parce que oui, Roronoa Zoro pouvait être très susceptible lorsqu'il n'était pas à son aise. Alors elle se concentra sur son ventre et prêta une oreille pour veiller à ce qu'il chante à peu près en même temps qu'elle. Ce n'était pas parfait, il y avait quelques fausses notes mais plus ils progressaient dans les paroles et plus l'épéiste gagnait en assurance et forçait sur sa voix.
Les notes défilaient, douces et mélancoliques, et à chacune d'elles, Nami priait pour que quelque chose se produise sous ce nombril tendu, aussitôt balayé par la déception de ne rien percevoir. Elle entendait également l'entrain diminuer dans la voix de son compagnon, qui devait partager les mêmes pensées. Puis le moment tant redouté arriva. La chanson était finie, et toujours pas de réaction. Le silence retomba, lourd de cet énième échec, qu'aucun des deux ne semblait prêt à admettre à voix haute.
- Bon…, commença Zoro. Je crois qu'on est fix…
La fin de sa phrase mourut, étranglée, ce qui interpella Nami. Elle redressa la tête pour observer son amant, dont le regard s'était fait soudainement distant. Ses grands yeux s'écarquillèrent et sa bouche se relaxa dans une expression de stupeur, dont la navigatrice aurait aimé connaitre l'origine.
- Zoro ? l'appela-t-elle inquiète. Quelque chose ne va pas ? Tu as une contraction ?!
Mais le bretteur resta muet avec son air hébété, Bon d'accord, là elle avait vraiment de quoi s'alarmer !
- Zoro !
Son appel fit mouche et le jeune homme aux traits féminins tourna son visage vers elle, pour lui offrir un large sourire ébahi.
- Je l'ai senti…, murmura-t-il de façon à peine audible.
D'ailleurs, la jeune femme douta d'avoir bien entendu, de peur de s'être méprise sur le sens de sa phrase.
- Je l'ai senti bougé ! s'exclama-t-il plus clairement avec un enthousiasme qui lui était peu commun.
Non, elle avait bien compris la première fois, mais le choc de cette déclaration pour le moins inattendue, la laissa stupéfaite le temps de quelques secondes. Est-ce qu'il disait vrai ? ou bien était-ce pour la rassurer ? Il fallait qu'elle s'en assure elle-même ! Alors elle fit courir sa main sur toute la surface lisse de son ventre et se stoppa brutalement. Il était là ! Elle venait de le sentir aussi ! Un petit coup sous sa paume ! Son expression mima celle de Zoro et ses lèvres s'étirèrent comme jamais auparavant dans un sourire immense. Cela se reproduisit à nouveau, puis elle vit une bosse se déplacer sous la peau tendue de son nombril.
Un élan de joie et de fierté la submergea. Leur bébé acceptait enfin de se manifester en présence de son papa ! Nami leva la tête pour partager ce moment de bonheur, mais son sourire se figea quand son regard se posa sur lui. Des gouttelettes translucides tombaient de son menton et venaient s'écraser sur sa poitrine. Ses joues étaient ravagées par deux sillons humides, que ses mirettes débordantes, alimentaient de façon intarissable. C'était bien la première fois qu'elle voyait Zoro pleurer (même si elle avait plutôt l'impression de se regarder dans un miroir).
- Quoi ? croassa-t-il en fronçant les sourcils.
- Tu… pleures.
Rien que de le dire, cela sonnait faux. Pourtant c'était bien le cas, et si le souligner de façon évidente, fit froncer un peu plus les sourcils de son amant, cela n'arrêta en rien le flot de larmes qui continuaient d'abonder. Cette fois, ce fut plus fort qu'elle, Nami ne put retenir le sourire amuser qui lui démangeait les zygomatiques.
- N'importe quoi ! Je ne pleure pas !
Zoro passa un revers de manche sur son visage pour éponger les preuves qui s'étalaient sur ses joues, mais ses yeux le trahissaient aussitôt le tissu retiré. La cartographe ricana devant la tête déconfite de l'épéiste, ce qui le fit rager un peu plus.
- Ah ! Mais pourquoi ça ne s'arrête pas ! Sniff
- Oh ! C'est trop mignon ! Roronoa Zoro, le terrifiant Roi des enfers, tout ému parce qu'il a enfin senti son bébé bouger ! roucoula Nami.
- Tais-toi sorcière ! C'est de ta faute ! Je suis sûr que tu m'as jeté un sort !
Face à autant de mauvaise foi, la jeune femme ne put qu'éclater d'un rire franc, ce qui énerva un peu plus son compagnon et le fit se débattre pour s'éloigner d'elle. Sauf qu'avec ce corps de femme enceinte, c'était comme de regarder une tortue sur le dos, qui essayait de se retourner. En plus de cela, Nami avait sécurisé son bras en travers de la taille du bretteur, pour éviter toute évasion pendant qu'elle se bidonnait à ses dépens.
- C'est les hormones, finit-elle par dire entre deux hoquets. C'est normal que tu n'arrives pas à gérer tes émotions.
Zoro se figea instantanément et prit un air horrifié, ce qui relança la jeune femme dans un nouveau fou-rire. C'était bien là le meilleur moment de sa journée. Toute cette anxiété, ce poids invisible qui pesait sur ses épaules sans qu'elle n'en connaisse réellement la cause, venait de s'envoler. Ou plutôt si, elle avait fini par comprendre d'où venait ce sentiment, qu'elle avait essayé par tous les moyens d'ignorer.
Sa crise de rire s'estompa au bout d'un moment, pour ne laisser qu'un sourire paisible résiduel sur ses lèvres. Zoro avait cessé de se débattre assez rapidement, préférant attendre que l'hilarité de sa compagne ne se termine. Ce qui ne l'empêcha pas de bouder comme un enfant, avec les bras croisés sur sa poitrine, mais au moins, ses larmes s'étaient taries. Nami se lova un peu plus contre le flanc de l'épéiste et frotta affectueusement le bout de son nez contre son ventre qu'elle encerclait de son bras, avant d'y déposer un léger baiser.
Finalement, un bras se posa sur ses épaules et des doigts glissèrent doucement dans ses cheveux courts pour les caresser d'un geste tendre. La jeune femme sourit et ferma l'œil afin de s'imprégner de cette sensation de réconfort qui lui avait manqué.
- Quand on aura retrouvé nos corps, je serais plus présent pour toi, déclara Zoro d'un ton solennel.
Nami ne répondit pas, car elle savait qu'elle n'avait pas besoin, c'était une promesse qu'il lui faisait, et bien qu'elle en soit très touchée, elle éprouva quelques remords. Oui, elle avait voulu donner une bonne leçon à Zoro, ce qui semblait avoir parfaitement fonctionné, et elle aurait dû jubiler d'avoir obtenu ce qu'elle voulait. Or, ce n'était pas le cas, sa victoire avait un goût amer.
- Donc si tu veux prolonger le temps passer dans mon corps pour te reposer, je ne m'y opposerais pas.
Et ce qu'il venait de dire n'arrangea rien, parce qu'elle n'était pas tout à fait honnête avec lui.
- Tu sais… plus d'une fois j'en ai eu marre d'être enceinte… marre de ne pas pouvoir bouger comme je le voulais, marre d'avoir des douleurs, marre de me sentir énorme, d'avoir l'impression d'étouffer, d'avoir envie de faire pipi toutes les cinq minutes… marre qu'on me regarde et qu'on me traite différemment. C'est vrai que j'en avais assez que tu ne comprennes pas ce que j'étais… que je suis en train de vivre… Parfois j'en étais même venu à souhaiter que tout redevienne comme avant… ne plus être enceinte… alors quand on a croisé Law, je me suis dit que son pouvoir était LA solution. Je me doutais que tu finirais par accepter parce que tu verrais ça comme un défi à relever… et j'aurais mon moment de liberté.
Elle marqua une pause et se redressa en position assise pour lui faire face.q
- Mais… maintenant je me rends compte à quel point j'ai été égoïste. Je voulais te punir parce que je pensais que tu ne te souciais pas de moi, de ma grossesse… que tu me considérais comme faible…
- Nami… je…
- Non ! Laisse-moi finir. Ce que j'essaye de te dire c'est que je n'ai pris en compte que mon point de vue. A aucun moment je ne me suis posé la question de ce que toi, tu ressentais ! Ou de ce que lui, pouvait ressentir ! dit-elle en désignant le ventre rond.
Après quoi, Nami baissa le regard pour le fixer sur ses genoux repliés sous elle.
- Je pensais sincèrement que ça me ferait du bien de faire un break… mais la vérité c'est que…
- Tu n'as pas aimé être… moi, conclut-il à sa place. Ne pas recevoir les mêmes attentions que d'habitude de la part des autres.
Par « autres » il sous-entendait majoritairement Sanji, et il n'avait pas tort sur ce point. Mais ce n'était pas ce qu'elle s'apprêtait à lui expliquer.
- Non ce n'est pas ça. Enfin… c'est vrai que c'était bizarre, pas totalement désagréable, car il y a des bons côtés à être bâti comme un gorille…
Elle lui adressa un sourire en coin, auquel il répondit rapidement, avant qu'elle ne redevienne sérieuse.
- Mais toute la journée j'ai eu la sensation d'avoir échoué. D'avoir failli à mon rôle de mère, mais aussi mon rôle de femme. Je me sens indigne de toutes ces femmes qui ont vécu entièrement leur grossesse, qu'elle se passe bien ou mal… je n'ai pas hésité à abandonner mon bébé pour pouvoir manger du poisson cru et boire de l'alcool le temps d'une journée ou deux ! Je suis…
- Stop ! Arrête de te rabaisser. Et maintenant écoute-moi. Personne sur ce navire, et certainement pas moi, ne pense que tu es une mauvaise mère. Quant aux autres femmes, je suis certain que si elles avaient eu la même opportunité que toi, beaucoup l'auraient saisi et sans éprouver le moindre remord. Tu avais tous les droits de t'accorder ce moment de répit. Et tu n'as pas abandonné ton bébé, car tu te soucis constamment pour lui. La preuve, tu es ici avec moi, avec nous, alors que tu pourrais profiter et t'amuser avec les autres.
- Mais et toi…
- Nami…, soupira-t-il. Il n'y a pas que pour toi que c'est une chance… même si je râle parce que c'est contraignant, même si ça m'affaiblit, je m'estime chanceux de pouvoir le vivre, de pouvoir affirmer savoir ce que cela fait de sentir la vie grandir en soi. Ce n'est pas donné à tous les hommes de partager cette expérience avec leur femme. Ce n'est pas de l'égoïsme, c'est un privilège, que j'assumerais aussi longtemps que tu le souhaiteras.
Zoro arrivait toujours à la surprendre et à trouver les mots qu'il fallait pour la rassurer. Sous ses airs de grosse brute, derrière ce masque terrifiant de seigneur autoproclamé des enfers, ce cachait un homme avec un cœur bien plus gros qu'on ne pourrait penser. Et parfois, même Nami avait tendance à l'oublier, ne se fiant qu'à l'image de gros dur qu'il renvoyait. N'écoutant que son cœur, elle se pencha vers lui et l'embrassa délicatement. Avant de ne réaliser qu'elle embrassait son propre corps, et que ses lèvres étaient incroyablement douces. Apparemment, vu la tête qu'il faisait quand elle s'écarta, celui venait de lui faire tout aussi bizarre qu'à elle.
- C'est très…
- Perturbant ? offrit-il avec une légère grimace.
Elle hocha la tête. Effectivement ce mot qualifiait bien cette impression qu'elle avait eu. Avec ce baiser, l'ambiance entre eux se modifia, le calme et le silence n'avait plus rien d'apaisant, mais pesait de façon palpable, comme une gêne malaisante. Tout en évitant le regard de son amant, qui semblait trouver un grand intérêt à se recoiffer, Nami se repositionna dos à la tête de lit, tout en laissant une légère distance entre eux, et entrelaça ses doigts sur ses abdos.
- Au moins on sait qu'il ne se passera rien cette nuit, plaisanta Zoro pour essayer de désamorcer cette tension soudaine.
Nami émit un petit rire, un poil forcé. C'est vrai que ce serait ridicule, dans leur état, de penser à faire autre chose que de dormir, et elle fut soulagée que son compagnon soit du même avis. Il fallait être un peu tordu pour imaginer faire des cochonneries alors qu'ils n'étaient même pas dans leurs corps respectifs.
- Du coup…
Son cœur fit un bond, prit d'une soudaine accélération.
- Est-ce que tu vas rejoindre les autres ?
La question fit écho à la conversation qu'ils avaient avant qu'elle ne brise l'ambiance avec son initiative. Cela aurait pu être une bonne idée, car ils devaient être en train de boire et de chanter, de faire la fête en somme, comme bien souvent. Cette occasion, ne se représenterait pas avant un bon moment…
- Hum… non. Ça été une longue journée, je suis un peu fatiguée et je pense que je ne vais pas tarder à m'endormir.
Ce qui aurait été plausible si son rythme cardiaque ne battait pas comme si elle s'était envoyé une cafetière entière.
- Oh… ok.
Toutefois, aucun d'eux n'osa bouger, ne serait-ce que le petit doigt, et ils continuèrent de fixer un point droit devant eux.
- Tu le sens toujours bouger ? Demanda Nami pour donner le change.
- Oui, par moment.
- Tant mieux.
Ce même silence pesant retomba à l'instant même où elle ferma la bouche. Nami pria pour qu'il n'entende pas le tambourinement qui se jouait dans sa cage thoracique.
- Tu veux que j'éteigne la lumière ? Proposa Zoro.
Non.
- Oui, vas-y.
Un petit clic se fit entendre, et l'obscurité les engloutit.
A suivre...
