Chapitre 2
— Par Merlin ! Ron !
La voix paniquée de Ginny Weasley parvient jusqu'aux oreilles d'Hermione. Elle quitte des yeux son manuel de potions dans lequel elle était plongée depuis le début du petit déjeuner. Enfermée dans sa lecture, Hermione espérait ne pas être dérangée par les conversations autour du Quidditch de ses amis ni par l'arrivée du couple phare des Gryffondor : Ronald et Lavande. Elle espérait aussi que son livre soit assez gros pour que personne ne remarque son visage encore bouffi par les larmes qui ont coulé sur ses joues toute la nuit.
Mais, malheureusement pour Hermione, le sort en a décidé autrement. Elle écarquille les yeux face à l'apparition de son ami roux dans la Grande Salle. C'est avec le visage ensanglanté que Ron Weasley s'assoit maladroitement en se tenant le nez.
— Non d'une chouette, qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Elle ferme son livre d'un coup sec et se penche par-dessus la large table en bois pour regarder de plus près la blessure de son ami. Son apparence à elle n'a plus aucune importance tant son attention est tournée vers son ami.
Elle prend soin de ne pas laisser ses doigts glisser le long de son visage pour ne pas l'amocher davantage ni ressentir les picotements qui la parcourent dès qu'elle l'approche d'un peu trop près.
— Malfoy, articule-t-il avec difficulté, il m'est tombé dessus.
Hermione fronce les sourcils à cet aveu. Qu'est-ce qui a bien pu se passer entre son ami et le Serpentard pour qu'ils en viennent aux mains ? Il est de notoriété publique que Draco Malfoy et ses amis sont en guerre contre le Trio d'Or et, à peu près, tous les élèves de Gryffondor. Mais c'est toujours avec Ron que la situation dégénère le plus.
La réponse de Ron provoque un nouvel éclat à la table des Gryffondors qui se précipitent autour du rouquin pour qu'il puisse leur en dire plus. Harry Potter est le premier debout. Il abandonne sa tartine et s'installe au plus près de son meilleur ami, lui tendant une serviette en tissu pour qu'il s'essuie le visage.
— Pour une fois que ce n'est pas moi qui suis couvert de sang, dit-il avec humour.
— Je m'en serais bien passé, grommelle son ami en roulant des yeux.
— Les blagues attendront, réagit Hermione avec humeur, raconte-nous.
Elle roule des yeux face aux plaisanteries de mauvais goût de ses amis dont elle est habituée, leur lance un regard sévère et c'est finalement Lavande Brown, la petite amie de Ron depuis peu, qui se lance dans la narration de la mésaventure.
— Nous descendions prendre notre petit déjeuner, explique-t-elle, lorsque Malfoy est arrivé dans notre direction et s'est jeté sur mon Ronron. Le pauvre n'a pas eu le temps de réagir qu'il était déjà couvert de sang. Après ça, ce maudit serpent a grommelé quelque chose à l'oreille de Ronron avant de le lâcher et de partir comme si de rien était. Ce mec est vraiment dérangé ! Il a toujours été méchant avec mon Ronron mais c'est encore pire ces derniers temps.
— A croire que sa nouvelle passion est de me cogner dès qu'il en a l'occasion.
Ron marmonne quelques insultes à l'intention du blondinet puis attrape les tartines beurrées par sa petite amie, en la remerciant par un baiser langoureux. Ginny mime un haut-le-coeur face à cette démonstration d'affection en public et Hermione se renferme complètement. L'état du rouquin l'inquiétait mais, visiblement, il n'est pas si mal en point que ça.
Depuis quelques mois, sa relation avec Ron Weasley en a pris un coup. Elle sait qu'elle est loin d'être une amie exemplaire ces derniers temps, ne supportant pas l'histoire passionnée que le roux entretient avec Lavande Brown, elle préfère prendre de la distance. Après tout, pourquoi aurait-elle envie d'être témoin de l'amour qu'il porte à une autre ? Si elle avait pu choisir, Hermione serait tombée amoureuse de quelqu'un d'autre que l'un de ses meilleurs amis.
Alors que ses camarades défendent Ron et se lancent dans l'énumération de tous les défauts du Serpentard, Hermione laisse ses yeux vagabonder vers la table des verts et argents. Elle ne met que quelques secondes à repérer Draco. Il est installé, comme tous les jours, entre Pansy Parkinson et Blaise Zabini, ses fidèles acolytes. Il tourne son café à l'aide de sa baguette et semble totalement perdu dans ses pensées.
Curieuse, elle se demande ce qu'il peut bien se passer dans l'esprit du Serpentard. Bien qu'il soit toujours aussi arrogant et insupportable que les années précédentes, elle le trouve différent. Il semble plus réservé, plus froid qu'avant. Elle se souvient de l'attitude étrange qu'il avait lorsqu'elle l'a aperçu entrer dans la boutique de l'Allée des Embrumes, Barjow et Beurk. Si elle était dans le même état d'esprit qu'Harry, elle penserait que Draco prépare un mauvais coup pour aider les Mangemorts à organiser le grand retour de Lord Voldemort. Mais elle n'y croit pas. Draco est peut-être un abruti de première mais il n'est pas cruel comme le sont les disciples du mage noir dont son père fait partie.
Elle se giflerait bien de tenter de trouver une part de bonté dans une personne comme Draco Malfoy alors qu'il est systématiquement en train de lui lancer des piques et qu'il vient, sans doute, de casser le nez de son meilleur ami. Hermione ne peut rien y faire. Elle ne parvient pas à voir Malfoy comme un être pourri jusqu'à la moelle. Elle sait qu'il est capable d'être quelqu'un de bien. Mais ça, elle ne peut pas en parler à ses amis.
Draco ne capte pas le regard que la jeune Gryffondor pose sur lui, trop occupé à ignorer la douleur qui lance son poignet droit. Ses phalanges sont légèrement bleues et encore couvertes d'un filet de sang qu'il n'a pas pris le temps de nettoyer avant de rejoindre ses amis. Pour quelqu'un qui n'a rien dans le crâne, ce rouquin à la tête vachement dure, se dit-il en se retenant de grimacer.
Blaise Zabini est le premier à remarquer l'oeillade insistante de la Gryffondor. Il fronce les sourcils, pose sa tasse vide devant lui et donne un coup de coude, à peine discret, à Théodore Nott. L'intéressé en fait tomber son livre dans son bol de lait. Après un petit coup de baguette pour nettoyer les dégâts du métis, il se tourne dans sa direction en le fusillant du regard.
— Qu'est-ce que tu veux Blaise ? Tu ne vois pas que je suis occupé !
— Pourquoi est-ce que Granger nous fixe ? Demande-t-il en ignorant les réprimandes de son ami. Cette nana est hyper flippante quand elle s'y met.
— Comment veux-tu que je le sache ? Rétorque Théo en soupirant. Est-ce que tu lui a fait des avances trop lourdes ? Est-ce que Pansy a lancé une rumeur à son sujet ?
— C'est pas moi !
— Je n'ai rien à voir là dedans !
Les deux amis réagissent comme un seul homme, abandonnant leurs petits déjeuners et levant les bras en l'air en signe de bonne foi. Cette coordination les fait éclater de rire, ce qui fait sursauter Draco qui leur lance un regard mauvais en grognant.
— Vous ne pouvez pas parler moins fort ?
Blaise et Théo soupirent, habitués à la mauvaise humeur de leur partenaire de dortoir. S'il y a bien quelqu'un qui n'est pas du matin dans cette école, c'est bien Draco Malfoy. S'il pouvait esquiver tous les moments de convivialité avant midi, il ne se gênerait pas.
Pansy parkinson observe le petit numéro de son meilleur ami sans rien dire. Elle a la conviction profonde que cette attitude désagréable sert à dissimuler quelque chose. La mâchoire du blondinet est tellement contractée qu'elle se demande s'il n'est pas sur le point de la briser. Il semble tendu jusqu'aux oreilles et surtout…
— C'est donc vrai ce qu'on raconte depuis ce matin, lance-t-elle sans le quitter des yeux, tu as cassé le nez de Weasley.
Suite à cette accusation, Blaise et Théo écarquillent les yeux en se tournant vers le blond. Si la tasse de Blaise n'était pas déjà sur la table, il la lâcherait de surprise quant à Théo, il abandonne définitivement le fait de terminer la lecture de son chapitre avant son cours de métamorphose.
— Tu as … quoi !?
— Parle Salazar, tu es ingérable ! Est-ce qu'on peut savoir pourquoi est-ce que tu te sers du bouffondor en chef comme d'un punching-ball depuis le début de l'année ?
Blaise hurle presque en s'adressant à son meilleur ami, ne tenant pas compte des regards curieux qui se tournent dans leur direction.
— Un quoi ?
— Laisse tomber Pans', c'est un truc moldu.
Draco maugrée, fatigué à l'idée de subir un interrogatoire de la part de ses amis alors que la journée commence à peine. Il tente d'esquiver les regards perçants de Pansy et les questions intrusives de Blaise mais c'est sans succès. Persuasifs et ingénieux, ils ne sont pas à Serpentard pour rien.
— Il mérite qu'on lui remette les idées en place.
Pansy secoue la tête, peu satisfaite par la réponse de Draco.
— A coup de poings ? Franchement Draco ! Weasley n'est déjà pas gâté par la nature, il n'a pas besoin que tu en rajoutes.
— Donc, commence Théodore en ignorant l'intervention de Pansy, on va ignorer le fait que tu le cognes dès qu'elle est triste à cause de lui ?
En entendant la remarque du brun, Draco se fige et serre les dents. A cet instant, il regrette que Théo soit plus attentif et observateur que ne l'est le reste de son entourage. C'est clair que ni Crabbe ni Goyle n'auraient jamais pu s'en rendre compte. Même Blaise, il est bien trop occupé à faire rire la galerie et à draguer la moindre fille qui passe sous ses yeux pour comprendre ce qui se passe dans la tête du blondinet. Frustré d'avoir été analysé aussi finalement, et Draco pousse un léger grognement ce qui fait ricaner son interlocuteur.
— Tu devrais sortir la tête de tes livres Nott, ça te fait dérailler.
Sa tentative de diversion n'est pas efficace. Son ami lui fait un clin d'oeil qui l'agace encore plus. Décidément, ce n'est pas sa journée.
— De qui est-ce que tu parles ? Pourquoi est-ce qu'on ne me raconte jamais rien à moi !?
— Parce que tu es une meuf Pansy !
Blaise ricane et elle lui met une tape derrière la tête en le traitant d'hippogriffe mal luné. Cette chamaillerie laisse Draco l'opportunité de lever les yeux vers la table des rouges et ors. Hermione a, depuis longtemps déjà, replongé les yeux dans son manuel qu'elle semble analyser avec une grande attention. Une ride se dessine sur son front et ses lèvres bougent au rythme de sa lecture. Elle passe une main distraite dans ses cheveux bouclés et les entortillent le long de ses doigts.
Draco rêve d'y plonger les siens. Il se moque de sa crinière depuis qu'elle est entrée dans sa vie car c'est plus simple d'admettre qu'il la trouve adorable et qu'elle fait partie de son charme. Malheureusement pour le jeune Malfoy, sa rêverie dure suffisamment longtemps pour que Blaise remarque son regard insistant sur la sorcière la plus intelligente de leur génération. Un sourire en coin apparaît sur le visage du métis et il donne un léger coup de coude à son ami pour le faire revenir parmi eux.
— Je n'arrive pas à croire que tu passes ton temps à lui faire la guerre mais que tu tabasses chaque mec qui s'approche d'elle.
— Je ne les tabasse pas tous, se justifie-t-il de son mieux avant de se reprendre. Et puis merde, ça ne vous regarde pas.
Pansy roule des yeux en lui disant que ce n'est pas comme ça qu'il se fera une place dans son coeur et qu'il devrait plutôt lui faire la cour comme un gentleman.
— Est-ce que vous vous entendez ? On dirait que c'est simple.
— Parce que ça l'est.
Ils ne comprennent pas. Ils ne peuvent pas savoir à quel point ses sentiments sont contradictoires. Il devrait la détester du plus profond de son être, comme on lui a toujours appris. Il devrait trouver son existence parmi les sorciers contre nature et attendre avec impatience le retour du Seigneur des Ténèbres pour qu'elle disparaisse. Il devrait, parce que c'est ce qu'on attend de lui. Mais il en est incapable. Dès qu'il a croisé son regard, le jour de sa rentrée à Poudlard, il a su que cette fille changerait sa vision du monde. Depuis, il fait de son mieux pour que personne ne se rende compte qu'elle fait battre son coeur un peu trop fort. Si ses amis ont réussi à remarquer son attachement particulier pour Hermione Granger, ça veut dire que n'importe qui peut le faire. Que son père, que le Seigneur des Ténèbres peuvent le faire. Et ni l'un, ni l'autre, ne laisserait ces sentiments durer dans le temps.
Un frisson d'effroi parcourt le corps de Draco à cette pensée.
— Vous me faites chier, dit-il en quittant la table.
Il ne lance pas un regard vers ses amis, ne prête pas attention à la surprise qu'à déclenché son éclat de voix et ne remarque pas qu'un regard brun et inquiet l'observe s'éloigner de la Grande Salle.
