Chapitre 3

Assise sur le sol de la tour d'astronomie les pieds pendant dans le vide, Hermione Granger s'enroule dans le plaid rouge et doré qu'elle emporte avec elle lors de ses sorties nocturnes et plonge son regard dans l'horizon. La nuit englobe le château et ses occupants depuis de longues heures maintenant et, en tendant l'oreille, Hermione pourrait entendre les ronflements des fantômes. Mais si tous sont endormis, elle ne parvient pas à fermer l'oeil. Depuis la fin de sa quatrième année, Hermione rencontre des difficultés à s'endormir. Tous ses songes se dirigent vers le retour du mage noir, la mort de ses proches et le risque que court Harry, son meilleur ami, par sa seule présence dans l'école.

La jeune femme est rongée par la peur.

La mort de Sirius Black lors de leur escapade au Ministère de la Magie, provoquée par l'assaut des Mangemorts n'a pas quitté son esprit. Elle a encore l'impression d'entendre le cris de douleur de son meilleur ami lui percer les tympans et sortilèges des disciples du mage noir la frapper de plein fouet.

Ses cauchemars ne l'ont pas quitté de l'été. Au point qu'elle a dû lancer un sort d'insonorisation aux murs de sa chambre pour ne pas alerter ses parents ni la famille Weasley de ses terreurs nocturnes et de ses crises de panique. Elle sursaute dès que quelqu'un fait un geste brusque près d'elle et certaines de ses cicatrices sont encore vives, lui rappelant la fraîcheur des événements.

Mais, Hermione sait que le pire est encore à venir et ça la terrorise.

L'Ordre du Phoenix ne minimise pas le retour du mange noir, tous les adultes qui les entourent ont combattu pendant la première guerre des sorciers et ils font de leur mieux pour ne pas les inquiéter. Mais aucun d'eux n'a son regard de née-moldue. Aucun d'eux ne voit les prochains mois avec le filtre de son éducation ni l'histoire de l'autre monde qu'elle maîtrise à la perfection. Elle sait que son sang, son origine, font d'elle l'une des nombreuses cibles de Voldemort et qu'il y a très peu de chances qu'elle survive au cours de cette guerre. Elle sait ce que les moldus font subir à ceux qu'ils considèrent comme inférieurs à eux, elle n'ose donc imaginer ce que les sorciers sont capables de faire.

Certains Mangemorts ne se sont d'ailleurs pas gênés de lui rappeler sa condition lorsqu'elle les a affrontés avant l'été. Jamais elle n'oubliera le regard mauvais de Lucius Malfoy ni le rictus de dégoût de Bellatrix Lestrange qui doit rêver de mettre fin aux jours de la jeune Gryffondor. Ce sont de véritables ordures, Hermione en a conscience. Mais, malheureusement pour elle, beaucoup de sorciers partagent leurs opinions et elle sait que sa très bonne maîtrise de la magie pour son jeune âge ne sera pas suffisante pour la protéger du danger qui l'attend.

Un frisson la parcourt et elle secoue la tête comme pour les sortir de son esprit et les envoyer le plus loin possible d'elle.

Le ciel est complètement dégagé, laissant à Hermione la possibilité d'observer les étoiles. La tour d'astronomie est son lieu préféré à Poudlard, juste derrière la bibliothèque de l'école. Plutôt que de rester dans sa salle commune et de risquer de croiser l'un de ses camarades, elle s'y rend pendant ses périodes d'insomnie. Lorsque les nuits sont douces, elle peut se perdre dans l'infinité de l'espace et ne plus penser au monde qui l'entoure.

Pendant ces nuits, elle oublie la guerre qui approche à grands pas, sa scolarité dans laquelle elle doit exceller et Ron.

Ron. Ron. Ron.

Son meilleur ami. Son premier amour. Celui qui lui brise le coeur un peu plus chaque jour.

Une unique larme coule sur le visage d'Hermione Granger lorsque celui du rouquin apparaît dans son esprit. Son coeur se serre et la peine l'envahit. Ce qui la blesse le plus dans cette histoire n'est pas tant qu'il ne partage pas ses sentiments, mais qu'elle ne soit pas en capacité de passer à autre chose pour que leur amitié n'en pâtisse pas. Peut-être, aussi, est-ce plus facile de continuer à être triste plutôt que d'admettre que Lavande Brown soit plus intéressante qu'elle ?

Hermione n'est pas le genre de fille qui fait attention à son image, à ce qu'elle porte ni à ce qu'on dit lorsqu'elle a le dos tourné. Elle se fiche de ne pas recevoir des déclarations d'amour ni des propositions indécentes parce que sa jupe, plus courte qu'elle ne devrait, ait attirés quelques regards. Le nez plongé dans ses énormes livres, elle préfère tenter de comprendre le fonctionnement des Horcruxes et sauver le monde des sorciers et la vie de son meilleur ami.

Elle ne prétend pas que les priorités des filles comme Lavande Brown ou Cho Chang soient moins pertinentes que les siennes, elle est juste blessée que son entourage ne la considère pas assez bien, pas assez femme, à cause de ses centres d'intérêts hors-norme.

Ce regard critique, Hermione réussissait à le supporter. Mais lorsque Lavande est apparue, se pavanant dans sa jolie robe, les cheveux au vent, aux bras de Ron, elle ne s'est jamais sentie aussi nulle.

Hermione est souvent qualifiée comme la sorcière la plus prometteuse de sa génération. Elle est capable de confectionner un polynectar à seulement 12 ans, d'aider Harry Potter à survivre depuis leur rencontre et de fonder, à ses côtés, une société secrète, mais survivre à une déception amoureuse, en temps de guerre qui plus est, lui semble impossible.

Se préoccuper de l'amour alors qu'elle risque de mourir dans les prochains mois lui semble souvent futile. Mais quitte à disparaître jeune, Hermione aimerait le faire en se sachant aimée. Ron Weasley n'est pas l'amour de sa vie, elle en a la certitude. Elle espère seulement vivre assez longtemps pour rencontrer celui, ou celle, qui méritera et acceptera tout l'amour qu'elle a à offrir.

C'est sur cette pensée qu'Hermione réalise que des larmes se sont mises à couler le long de ses pommettes sans qu'elle ne puisse le contrôler. Le vent froid de la fin novembre rencontre ses joues humides et la fait frissonner.

— Tu n'en as pas assez de pleurer ?

Un petit cri de surprise échappe à la Gryffondor lorsque la voix résonne dans l'obscurité. Son coeur se met à palpiter, perturbée par cette intrusion, par son intrusion. Si son interlocuteur avait été poli, il ne se serait pas annoncé et aurait fait demi-tour en réalisant son état, mais pas lui. Malgré son éducation d'aristocrate, il se débrouille toujours pour qu'elle le considère comme le pire des goujats.

Sans se retourner pour faire face à Draco Malfoy dont la silhouette n'est qu'à quelques mètres d'elle, Hermione hausse les épaules. Elle espère que son absence de réaction fera partir le Serpentard et qu'elle pourra reprendre sa contemplation nocturne jusqu'à ce que ses yeux se ferment tous seuls et qu'elle puisse, sans mal, rejoindre le monde des songes dans la Salle sur Demande.

Hermione tente, tant bien que mal, d'ignorer la présence du jeune Malfoy mais la seconde respiration qui rompt le silence dans lequel elle était plongée depuis son arrivée, lui indique qu'il n'a pas bougé. Bien qu'il ne puisse pas la voir, elle roule des yeux, agacée que, même au coeur de la nuit, il soit déterminé à lui casser les pieds.

— Comment se fait-il que le hasard te mène encore une fois jusqu'à moi ? Je vais finir par croire que tu m'espionnes, Malfoy.

Draco ne réagit pas à la remarque d'Hermione. Un discret rire nasal lui échappe. Il préférerait que sa réalité se rapproche davantage de la suggestion de la Gryffondor. Ce serait plus facilement explicable que de lui confier qu'il sort de la salle sur demande, dans laquelle il s'évertue à trouver une solution pour réparer une vieille Armoire à Disparaître pour créer un véritable cheval de Troie à l'intérieur du lieu le plus sûr de l'Angleterre sorcière.

Hermione se demande si ce silence n'est pas un aveu de culpabilité quelconque. Harry ne cesse de la bassiner avec le fait que Draco serait passé de l'autre côté et soit officiellement un Mangemort. La jeune fille refuse d'y croire. Elle refuse d'imaginer que Draco, que ses camarades puissent être parmi les disciples du mage noir. Elle en a affronté. Elle a vu la cruauté dans leurs yeux et la folie de leurs âmes. Aucun de ses camarades ne possède une aura aussi sombre.

Si les membres de la nouvelle génération de l'Ordre du Phoenix ne sont que des enfants, contraints à vivre la même guerre que leurs parents, alors les Serpentard ne sont pas plus adultes. Ils n'ont juste pas eu la chance de naître du bon côté. Et, même si c'était le cas. Même si Malfoy, Zabini ou n'importe lequel de ses camarades était un Mangemort, elle n'y croirait que lorsqu'elle se retrouverait face à lui sur un champ de batailles.

En attendant, ils ne sont tous que des jeunes sorciers préoccupés par les deux parchemin qu'ils doivent rendre en métamorphose pour la fin du mois, sous peine d'être collés par le professeur McGonagall.

Elle renifle et n'a pas le temps d'ouvrir à nouveau la bouche pour demander à Draco de la laisser seule qu'il s'assoit à ses côtés. Il fait à son tour pendre ses jambes dans le vide, et mets une petite distance entre eux, prenant soin à ce que leurs corps ne rentrent pas en contact l'un avec l'autre. Dans la nuit, Hermione écarquille les yeux. Si un jour, Trelawney lui avait prédit que Draco Malfoy salirait l'un de ses costumes hors de prix pour s'asseoir avec elle, sur le sol de l'école au milieu de la nuit, elle ne l'aurait pas cru. Et si elle avait ajouté qu'il ferait apparaitre un mouchoir en tissu et le tendrait dans sa direction, elle l'aurait sans doute traiter de vieille folle.

Et pourtant…

C'est bien en un coup de baguette, que le morceau de tissu apparaît dans les mains pâles du jeune homme et qu'il l'agite devant elle, comme pour l'inviter à lui prendre des mains et à l'utiliser. Il ne dit pas un mot, gardant le regard rivé vers le ciel. Elle déglutit, hésite quelques secondes et attrape le mouchoir en marmonnant un remerciement gêné.

Elle s'essuie les yeux et joue nerveusement avec le morceau de tissu, ne sachant pas quoi faire d'autre.

La présence de Draco la perturbe. Elle est habituée aux regards noirs, aux insultes et à la rivalité scolaire qui existe entre eux depuis leur entrée à l'école.

Elle ne peut pas s'empêcher de l'observer. Elle remarque que ses cheveux ne sont pas aussi bien coiffés qu'en temps normal et qu'il a l'air fatigué. Elle se demande alors s'il dort bien ou si, lui aussi, n'arrive à fermer l'oeil qu'au petit matin. Ses yeux descendent ensuite sur le reste de son visage, ses traits droits, sa barbe parfaitement rasée, elle peut reconnaître le charme que lui trouvent ses camarades de chambre. Cette pensée la fait rougir.

Le manque de sommeil la fait définitivement dérailler : trouver Draco Malfoy charmant. Et puis quoi encore ?

Son regard se porte alors sur ses mains, posées le long de son corps, c'est ainsi qu'elle remarque les cicatrices sur ses phalanges. Elle fait rapidement le lien avec le coup qu'il a porté à Ron quelques jours plus tôt.

— Pourquoi est-ce que tu l'as frappé ?

Cette question lui échappe sans qu'elle ne puisse se contrôler. Elle aurait sans doute dû la garder pour elle. Sa curiosité la tuera. Elle ne pense pas que Draco serait capable de la pousser de la tour d'astronomie pour qu'elle emporte dans sa tombe, ses plus grands secrets. Il n'a d'ailleurs pas besoin de raison pour s'attaquer à Ron, ni même à Harry ou aux autres élèves de l'école.

Il pousse un long soupir, pour signifier que la curiosité de la jeune fille l'agace et, toujours sans lui accorder un regard, y répond d'une voix rauque.

— Granger, ne pose pas de questions si tu n'es pas prête à en entendre les réponses.

Bien évidemment, Hermione ne s'attendait pas à ce qu'il se livre à elle aussi facilement, mais le moins qu'elle puisse dire c'est que cette réaction ne lui convient pas du tout.

Draco en est conscient. Un discret sourire en coin se dessine sur son visage lorsqu'il devine une ride de frustration sur le front de la jeune fille et lorsqu'il la voit froncer les sourcils. Il l'aime encore plus quand elle est contrarié, et encore davantage quand il est la raison de sa contrariété. Il ne supporterait pas que quelqu'un d'autre occupe son esprit, même ses pensées négatives, il aime qu'elles soient tournées vers lui. Et uniquement vers lui.

S'il n'avait pas passé une aussi mauvaise soirée, si sa tante ne lui avait pas écrit pour lui demander les avancée de sa mission et s'il n'était pas lui et qu'elle n'était pas elle, il ne serait pas aussi froid. Il lui expliquerait qu'il déteste qu'elle se laisse mal traité par un idiot comme Ron Weasley alors qu'elle mérite quelqu'un qui la traiterait comme une princesse.

— Il n'y a bien que des mecs pour se taper dessus sans raison, marmonne Hermione en serrant un peu plus son plaid autour d'elle.

Elle commence à grelotter, sa couverture n'étant pas assez épaisse pour les températures de la saison. Draco tourne enfin sa tête dans sa direction et pousse un énième soupir d'exaspération.

— Comment se fait-il que la sorcière la plus intelligente de notre génération n'ait pas pensé à se jeter un sortilège pour maintenir sa chaleur corporelle ?

Hermione se fige face à la remarque, un peu moqueuse, du Serpentard. C'est vrai. Pourquoi n'y avait-elle pas pensé ? Peut-être que, même si elle n'est pas agréable, la sensation de froid lui donne l'impression qu'elle est vivante et c'est la seule chose qui lui fait ressentir qq chose ces derniers temps.

Elle hausse les épaules, peu enjointe à répondre à son camarade qui, par conséquent, agite sa baguette vers elle.

Quelques secondes plus tard, Hermione n'est plus transite de froid. Au contraire, ses muscles se réchauffent et rapidement, son plaid l'engourdit tant la chaleur s'émane de son corps. Elle le retire de ses épaules et le pose, en boule, sur ses genoux.

Elle lance un regard au Serpentard, lui offre un petit sourire de remerciement, n'osant pas le dire à voix haute encore une fois. Draco Malfoy prend plus soin d'elle en une dizaine de minutes qu'en plusieurs années, mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond ce soir ?

C'est à ce moment que Draco décide de répondre à la question d'Hermione. Il sait qu'il ne peut pas trop lui en dire, que cette révélation sera déjà suffisamment intime pour qu'elle puisse lui poser problème à l'avenir mais à cet instant, plus rien ne compte. Si c'est le seul moment de proximité qu'il doit avoir avec Hermione avant la fin de leurs vies, alors, autant qu'elle s'en souvienne.

— Je suis peut-être un petit con, mais je n'ai jamais fait pleurer mes amies, moi.

Insistant sur son dernier mot, Malfoy n'ajoute rien, laissant la jeune Gryffondor réfléchir à ses paroles. Il est honnête. Jamais au grand jamais il n'a fait pleurer Pansy, ni même Astoria et Daphné Greengrass qui partagent son existence depuis sa tendre enfance. Les mots de sa mère sont toujours ancrés dans sa mémoire et veiller à ce que ses amies ne soient pas tristes est dans ses priorités. Il offre le même traitement à ses conquêtes bien que la liste ne soit pas aussi longue que ses camarades aiment à le penser, jamais au grand jamais il ne les a mal traités.

Il éconduit du mieux qu'il peut, les prétendantes qui ne l'intéressent pas, et se débrouille pour que celles qui partagent son lit, le temps d'une nuit, ne s'attachent pas et ne souffrent pas de ce coup d'un soir.

Il n'a pas besoin de se justifier pour savoir qu'il est meilleur que Ron Weasley, il ne manquerait plus que ça, mais il a besoin qu'elle le sache, elle, qu'il est mieux que lui.

— Ce n'est pas … bredouille-t-elle. Comment est-ce que tu … peu importe.

Elle balaye l'espace qui les sépare d'un geste de main pour mettre fin à cet échange. Elle n'a pas envie de parler de Ron ni de leur relation, encore moins à quelqu'un comme Draco Malfoy. Alors, elle n'ajoute rien, reportant son attention sur l'obscurité qui continue de grandir autour d'eux.

Etrangement, plus les minutes passent et moins la présence de Draco ne perturbe Hermione. Au contraire, le bruit de sa respiration qui se mèle à la sienne est apaisant. Le fait qu'il soit là, près d'elle sans pour autant la toucher, lui fait du bien.

Draco respecte le silence d'Hermione, lui aussi, bien trop perturbé par ses propres sentiments pour y mettre fin.

Il sait que demain, dès le levé du jour, ils ne s'adresseront pas un regard et les quelques heures qu'ils passent ensemble ne seront qu'un lointain souvenir, tellement loin qu'il ne saura plus s'il y a existé, alors, il décide d'en profiter. Il s'autorise cette pause, cette bulle de paix avant de retourner dans les ténèbres de sa quotidienneté.

Comme si c'était naturel, Hermione réduit le faible espace qui les sépare et pose sa tête sur l'épaule de Draco. Il se fige sous ce contact et elle attend qu'il la repousse en hurlant. Il n'en est rien. Il reste immobile, s'habituant à cette proximité puis ferme finalement les yeux pour en profiter pleinement.

Ses battements de coeur s'emballent et il espère qu'elle est assez loin de sa poitrine pour ne pas les entendre.

— J'ai peur, dit-elle après un long silence.

Dans un autre contexte, jamais Hermione n'aurait confessé ses craintes, encore moins à celui envers qui elle éprouve une véritable animosité depuis des années. Mais à cet instant, en haut de cette tour d'astronomie, ce soir de novembre, Draco n'est plus son ennemi. Il est la présence dont elle a besoin pour apaiser ses tourments.

— Je sais, répond-il simplement. Moi aussi, j'ai peur, Hermione.