Quand elle entra dans son bureau de Balmorra, Quinn sut immédiatement qu'il était un homme mort. Il n'était pas doué de la Force, au grand désespoir de sa famille qui aurait tant voulu pouvoir se vanter avoir un Sith dans sa famille, mais elle l'était. Il n'y avait même pas besoin pour le comprendre de voir les deux sabres laser accrochés à sa ceinture, sa tunique noire couverte de symboles siths brodés ou même sa peau rouge qui clamait qu'elle était une Sith de sang pur. Il suffisait de regarder la froideur réfléchie dans son regard. Pour elle, les êtres conscients n'étaient que des instruments, à utiliser puis à jeter ou ranger de côté, déjà oubliés.
Elle ne venait pas spécifiquement pour le tuer. Elle était là parce qu'il était l'outil promis par Darth Baras pour l'aider dans sa mission, qui était d'arrêter un espion de Baras infiltré dans la République avant qu'il ne les trahisse. Mais même sans la Force, Quinn sentit quand même qu'elle serait sa perte. Il l'accepta, et se mit au travail, se mettant en quatre pour être utile au Seigneur Inaj. Comme à chaque fois qu'il rencontrait un Sith, Quinn calcula ses chances d'être encore en vie lorsque celle-ci quitterait la planète. Statistiquement, elles étaient faibles. Si on avait mis Quinn sous ses ordres, c'était qu'il faisait partie des pertes acceptables pour la plus grande gloire de l'Empire. Il connaissait les statistiques. Un officier mis temporairement sous les ordres d'un Sith survivait rarement plus de trois missions. Le moindre échec causerait sa perte. Le premier soupçon d'insubordination aussi.
Cela ne posait pas de problème à Quinn. Il n'approuvait pas les Siths qui se débarrassaient de subordonnés à la moindre petite erreur, mais le jour où il se montrerait incompétent, il préférait recevoir un coup de sabre laser dans l'estomac ou être électrocuté par la foudre que de continuer à entraver la bonne marche de l'Empire une minute de plus, tout comme il espérait un jour lire qu'un Sith avait tué le Moff Broysc pour son incompétence.
Fort heureusement, pour lui comme pour le Seigneur Inaj et Darth Baras, il n'était pas incompétent. Les renseignements qu'il donna au Seigneur Inaj pour sa première mission étaient justes et prouvèrent son utilité. Son unique récompense fut un hochement de tête. Il n'avait pas besoin de plus, et ne s'emballa pas, comme l'auraient fait d'autres à sa place. Il n'y avait pas à s'emballer juste parce qu'on faisait le travail requis.
La deuxième mission laissa Lord Inaj frustrée de ne pas avancer plus vite, mais néanmoins satisfaite des résultats obtenus. Puis vint la troisième. Le Seigneur Inaj réussit à atteindre et s'occuper de sa cible, droguant le fils de l'espion de Baras pour lui faire perdre tous ses souvenirs et l'empêcher de trahir l'Empire, juste avant qu'un Jedi ne vienne l'interroger. Elle était arrivée juste à temps, ce qui signifiait que Quinn vivrait, au moins un jour de plus. L'impression d'être un homme en sursis ne le quitta pas pour autant, sans qu'il puisse dire d'où elle venait.
Ne restait plus qu'à débusquer l'espion de Baras là où il se cachait, dans l'usine d'armement de Balmora, toujours aux mains des rebelles. Le Seigneur Inaj tombait pile au bon moment. Une attaque de l'usine était en préparation. Elle n'aurait qu'à y participer, puis s'éclipser pour conduire les affaires personnelles de Baras à bien, ou profiter de celle-ci comme d'une diversion. Dans un cas comme dans l'autre, cela signifiait qu'ils auraient une pleine journée pour préparer l'infiltration et mémoriser les plans de la base. Quinn prévint l'équipe en charge d'élaborer l'assaut de rediriger tous les documents vers son bureau pour qu'il les étudie au matin. La journée serait longue, et il faudrait quelques heures pour que tous les documents soient prêts pour lui et le Seigneur Inaj. Quinn laissa se poursuivre un certain nombre d'analyses en mode automatisé, et décida de prendre quelques heures de repos.
Alors qu'il passait près du spatioport en se rendant à son domicile, il vit trois collègues arriver en sens inverse, lui faire signe. Fatigué d'avance d'avoir à leur parler, Quinn s'arrêta et leur rendit leur salut. Il accepta même la claque dans le dos sans sourciller.
-Alors comme ça on a survécu à trois missions, Quinn ? Ça se fête ! Ou ça se fêterait si tu n'avais pas un sabre laser coincé dans le cul.
Quinn grimaça. Avec des hommes pareils pour mener l'attaque de Balmora, il n'était pas étonnant qu'ils aient autant de mal à supprimer les dernières traces de résistance.
-Il n'y a rien à fêter, se contenta-t-il de leur faire remarquer. Je ne fais que mon devoir.
-Fais attention, quand même. Mon cousin est stationné sur Dromund Kas, le veinard. Quand je lui ai dit qu'une certaine Seigneur Inaj avait débarqué ici, il m'a dit en avoir entendu parler. Elle a tué le Seigneur Grathan et toute sa famille, et un officier des renseignements, le commandant Grajak.
-Je le connais. L'Empire se portera bien mieux sans ses déplorables analyses tactiques.
-Tu diras pas que tu n'as pas été prévenu. Après tout, ce sera tes funérailles si la Sith n'est pas satisfaite.
-Je ne compte pas me montrer assez incompétent pour mériter ce châtiment. Bonsoir, messieurs.
Ils s'éloignèrent en riant. Quinn secoua la tête avec mépris puis se retourna pour continuer sa route, avant de s'arrêter net. Quelqu'un l'observait. Il sortit son blaster et le pointa directement dans les ombres des immeubles voisins.
-Montrez-vous.
Le Seigneur Inaj sortit de l'ombre, suivit de près par son esclave, Vette. Quinn rangea aussitôt son blaster et se mis au garde à vous pendant que Lord Inaj suivit du regard les trois hommes avec un dégoût parfaitement marqué.
-Un jour, il faudra que quelqu'un débarrasse l'Empire de ces parasites incompétents, murmura-t-elle pour elle-même, en écho des pensées de Quinn.
-Seigneur Inaj. Puis-je vous être utile ?
Elle fit un geste de la main et sourit d'un air amusé.
-Relaxez-vous, Quinn. J'étais justement en route pour venir vous voir.
-Je m'excuse de m'être absenté de mes bureaux alors. Je…
-Pas besoin de vous excusez. J'étais venue vous forcer à sortir de vos bureaux. Je suis heureusement surprise de vous voir l'avoir fait de vous même. Je vais avoir besoin que vous soyez disponible en permanence ces prochains jours. Ne vous attendez pas à dormir beaucoup, alors je ne veux pas vous voir au bureau avant dix heures demain. Faites-le tour du cadran dans votre lit, et c'est un ordre, entendu ?
-C'était mon objectif, reconnut Quinn. J'aurais sans doute du vous contacter préalablement.
-Inutile. Je n'ai rien contre les subordonnés qui prennent des initiatives, surtout quand cela fait d'eux de meilleurs serviteurs de l'Empire au final.
Quinn leva un sourcil interrogateur, puis réalisa ce qu'il venait de faire et grimaça. Il devait être plus fatigué qu'il ne le pensait, s'il laissait ses questions transparaître de la sorte, mais la Sith se contenta de sourire.
-Oui, j'ai entendu toute cette conversation. Vous avez des questions, j'imagine.
-Si j'y suis autorisé.
-Vette, peut tu dire au Major Quinn ce que je pense de l'insubordination ?
-Que c'est amusant, répondit la Twi'lek d'une voix joyeuse pour une esclave, tant que ça ne va pas trop loin. Et de la curiosité, qu'elle est toujours utile et jamais malvenue. Le tout est de savoir garder ses questions pour le bon moment et le bon endroit.
-Alors, si vous me permettez, j'aimerais savoir pourquoi vous avez tué la famille du Seigneur Grathan et laissé vivre le fils de Rylon.
-Pensez-vous que les fils doivent payer pour les crimes de leurs pères ?
-Je ne sais pas, Seigneur Inaj.
-Je ne le pense pas, pour ma part. J'ai vu le fils et la femme de Grathan. Je leur ai parlé. Ils auraient été comme leur père et mari, traîtres et incompétents. L'Empire se porte mieux sans eux, mais la mort de Durmat ne servirait aucun objectif. Qu'il recommence sa vie. Il n'est un danger pour personne, sans mémoire, et bientôt sans père. Et qui sait ? Peut être qu'il pourra continuer à servir l'Empire ainsi, si l'on si prend correctement. Et maintenant, Quinn, allez dormir.
C'était un ordre, pas une invitation. Quinn la salua et s'éloigna à grands pas, sans se retourner. Il ne savait quoi penser de cette Sith. Elle épargnait le fils d'un ennemi, mais haïssait visiblement l'incompétence dans les rangs de l'Empire, au point de se charger elle même d'y remédier. Elle voyait les hommes comme des outils, mais tenait à ce qu'ils prennent soin de leur santé pour durer plus longtemps. Elle acceptait les questions et prenaient le temps d'y répondre au lieu d'ordonner et d'attendre une obéissance aveugle. Elle gardait une esclave pour l'escorter dans ses missions, mais lui avait ôté son collier d'esclave et laissait celle-ci faire preuve d'insolence. Si Darth Baras n'avait pas annoncé la venue de son apprentie et de l'esclave de cette dernière, et s'il n'y avait pas une lueur inquiète présente en permanence dans le regard de Vette, Quinn aurait pu croire qu'il avait affaire à deux amies d'enfance en voyage d'amusement.
Pour une Sith, elle était fort étrange, mais Quinn se gardait bien d'oublier la froideur calculatrice dans son regard. Elle acceptait les questions et la contradiction, mais elle ne tolérerait pas l'échec. À lui donc de continuer à se montrer utile, et pour cela, elle avait raison de le vouloir frais et dispos. Quinn continua sa route vers le lit qu'il risquait de ne guère voir les jours suivants.
La mission d'infiltration dans l'armurerie de Balmorra fut un succès total et une expérience intéressante à vivre à distance. Quinn put entendre chaque combat, puis toute la conversation entre le Seigneur Inak et l'espion, Rylon, avant que celui ne rencontre sa fin nécessaire. Le tout l'impressionna. Le Seigneur Inaj était aussi implacable qu'elle était compétente. Il se demanda à quoi elle ressemblait quand elle se battait, si sa coiffure impeccable était toujours intacte, et il comprit que son instinct avait vu juste. Lord Inaj était une femme dangereuse, d'une manière qui lui parlait un peu trop. Il était perdu, déjà. Il n'en garda pas moins suffisamment son sang-froid pour réaliser qu'il n'était pas le seul à avoir entendu la conversation entre la Sith et Rylon et put la diriger vers la Jedi avant que celle-ci ne s'échappe avec ses informations.
Il fut là encore trop occupé à intercepter les communications de la Jedi pour regarder le combat entre les deux au spatioport, et il n'allait certainement pas s'accorder l'indulgence de visionner plus tard l'enregistrement. Peut être allait-il juste le garder enregistré quelque part au plus profond de ses documents archivés. Il ne le regarderait pas, mais savoir que le fichier était là, lutter contre la tentation de le voir, cela suffirait.
Quoi qu'il en soit, la mission avait été un franc succès, suffisant pour que Baras accepte de le promouvoir à nouveau et de le laisser choisir sa nouvelle affectation. Quinn se retrouva totalement pris au dépourvu. Il y avait bien des Moffs et des généraux dignes d'être servis dans l'Empire, mais leurs noms lui échappait totalement pour l'instant. Baras lui promettait depuis tant de temps qu'il pourrait un jour échapper à son exil sur Balmorra qu'il avait cessé d'y croire, et un Sith comme lui continuait de laisser miroiter des rêves aux gens sans jamais compter les exaucer, pour s'assurer de les garder sous sa coupe. C'était surprenant qu'il tienne sa promesse. Mais comme Quinn n'avait jamais réfléchi sérieusement au-delà de son rêve de quitter Balmorra et dévoiler l'incompétence du Moff Broysc, il ne savait que dire.
Baras, bien sûr, avait déjà son idée en tête. Voyant son hésitation, il lui imposa celle-ci : Quinn allait annoncer au Seigneur Inaj qu'il souhaitait se mettre à son service, et à partir de là, l'espionner pour faire son rapport régulier à Darth Baras. Le Sith, bien sûr, ne prit pas la peine de dire d'où lui venait cette méfiance vis à vis de son apprentie. Contrairement à celle-ci, il n'était pas du genre à dévoiler ses pensées et accepter les questions.
Quinn, bien sûr, s'inclina. Il était un loyal serviteur de l'Empire, et on ne disait pas non à un homme qui était quasiment promis au Conseil Noir. Quinn comprit qu'il serait à tout jamais au service de Baras. Le jour où il n'aurait plus besoin d'un espion auprès de Lord Inaj, Quinn serait déplacé auprès d'une autre cible de Baras, et ainsi jusqu'à sa mort ou qu'il se fasse découvrir.
Son instinct avait dit juste. Le Seigneur Inaj serait sa mort.
Les semaines suivantes, Quinn eut l'occasion d'apprendre à connaître la Sith qu'il avait à présent l'honneur de servir et le devoir d'espionner. Il avait peu d'expérience avec les Siths, mis à part Darth Baras. Ce qu'il savait provenait surtout des rumeurs transmises de soldat à soldat et d'officier à officier. Une partie était manifestement exagérée, l'autre terriblement en-dessous de la vérité. Faire la part du vrai était difficile dans le meilleur des cas, en-dehors de quelques Siths dont il était notoire que les servir était une promesse de mort rapide et violente.
Le Seigneur Inaj ne correspondait clairement pas à ce que Quinn attendait d'une Sith. Pour commencer, sa colère était froide et réfléchie et elle ne tuait jamais sans raison. Pour une Sith, elle se montrait même presque humble, capable d'écouter les avis opposés au sien et de s'en inspirer. Elle montrait aussi un respect pour les forces armées inhabituel chez une Sith. Pour elle, l'Empire devait s'appuyer sur deux bases, les Siths et l'armée, à l'égalité. Par contre, elle méprisait les services secrets, tout en reconnaissant leur apport essentiel à l'avancée de l'Empire dans la galaxie. C'était ironique qu'elle dise ça à l'homme chargé de l'espionner.
Quinn mit par contre quelques temps à apprendre ce qu'elle valait véritablement au combat. Leur poursuite de la Padawan les conduisit d'abord sur Nar Shadda, une planète sur laquelle Quinn n'avait jamais mis les pieds et il préférait qu'il en reste ainsi. Vette, par contre, était familière de ce trou à rat que l'Empire ferait mieux de bombarder du ciel, aussi il lui céda volontiers sa place. Darth Baras n'en fut pas ravi, mais Quinn le persuada qu'il pouvait se rendre plus utile en en profitant pour installer ses propres programmes d'espionnage sur le vaisseau du Seigneur Inaj et en jurant qu'il accompagnerait la Sith sur la prochaine planète où son enquête la mènerait, quelle qu'elle soit.
Bien sûr, il fallut que ce soit Tatooine, une planète faite de sable et d'ennuis, mais entre deux douches pour se débarrasser de cet odieux sable, il eut enfin l'occasion d'observer Lord Inaj en action.
Il en demeura ébloui. Quinn n'avait jamais vu de Sith se battre jusqu'alors, mais dès le premier instant, il ne douta plus qu'elle le faisait comme une virtuose. La voir affronter pour la première fois un Jedi le conforta dans cette certitude. Le Jedi était bon, mais le Seigneur Inaj était simplement meilleure, plus féroce, plus réfléchie, capable de réfléchir trois coups à l'avance dans un combat et de se placer sur le chemin de son adversaire avant même qu'il ne commence son mouvement, afin qu'il s'empale de lui-même sur sa lame.
C'était comme un tourbillon de noirceur écarlate qui ne laissait que des corps derrière elle, parfois vivants, si elle y voyait une utilité, le plus souvent morts. Elle se mouvait avec l'allure et l'économie de geste d'un prédateur aguerri et son triomphe sur ses ennemis faisait toujours avancer la cause de l'Empire.
Elle était parfaite. Quinn, lui, était encore un peu plus perdu.
Le Seigneur Inaj était aussi loin d'être aveugle. À la fin d'un combat, elle clignait parfois dans sa direction, et ce simple geste donnait à Quinn la secousse dont il avait besoin pour se remettre à respirer normalement, fermer sa bouche et se rappeler ce qu'ils venaient faire là. À sa manière, elle avait son petit sens de l'humour et Quinn sentait que sa fascination la flattait.
Il ignorait par contre ce qu'elle penserait s'il savait qu'il rêvait d'elle. Dans ses rêves, elle se tenait au-dessus de lui, le sabre laser allumé reposant avec langueur dans sa main, mais prêt à être utilisé de la plus mortelle des façons. Ses yeux le fixaient sans ciller, froids, plein de jugement, mais aussi avec un feu plus vif encore que celui de son sabre. Elle ne disait jamais rien dans ces rêves, elle ne le touchait même pas, mais Quinn se réveillait la bouche sèche et le cœur battant. Il avait du mal à croiser ses yeux le reste de la journée, comme si elle risquait de lire dans ses pensées ce qu'il désirait d'elle en secret, les fantasmes qu'il n'avait jamais osé s'avouer à lui-même. La Force ne fonctionnait pas ainsi, bien sûr, mais la crainte restait toujours là dans un coin de sa tête. Il pouvait affronter sa colère, mais pas sa pitié ou son amusement.
Quinn n'était pas plus idiot qu'elle. Il savait qu'il était en train de franchir une limite qu'il n'avait pas le droit de franchir. Après tout, elle était son supérieur et une Sith. Pire encore, il ne pouvait pas se permettre de l'aimer. Il était aux ordres de Baras. Il était là pour l'espionner, et ainsi servir l'Empire.
Rien de plus.
Il n'était qu'un instrument, entre ses mains, entre celles de Baras, et au final, entre celles de l'Empire. À sa place, un simple rouage de la machine comme des millions d'autres soldats.
Malgré sa résolution de garder ses sentiments pour lui, les choses se mirent à changer sans qu'il ne puisse l'empêcher. Quinn s'en rendit compte quand Jaesa, et surtout quand Pierce les rejoignirent. La manière dont le Seigneur Inaj les traitait montrait à quel point elle ne voyait en eux que des outils, et en miroir, que Quinn n'en était plus tout à fait un, tout comme Vette.
C'est cette dernière qui le lui fit remarquer, un jour qu'ils étaient seul à bord du vaisseau, dans le spatioport de Taris. Le Seigneur Inaj avait pris Jaesa avec elle pour lui montrer comment utiliser la rage du Côté Obscur sans la laisser l'engloutir. Pierce était en mission de ravitaillement dans l'optique de leur départ prochain. Alors que Quinn et Vette réparaient un circuit défectueux dans les profondeurs du vaisseau, il remarqua que la Twi'lek ne cessait de lui jeter des regards amusés.
-Qu'y a-t-il ?, finit-il par demander avec lassitude, sachant que rien n'empêcherait jamais Vette de dire ce qu'elle pensait.
-Elle t'aime bien. Et par là je veux dire qu'elle t'aime vraiment bien.
Quinn leva les yeux au plafond.
-Non, vraiment, insista Vette. Tu devrais tenter ta chance.
-Le Seigneur Inaj me voit pour ce que je suis, un bon serviteur de l'Empire, rien de plus. Je te serais reconnaissant de garder tes bêtises pour toi à l'avenir.
Cette fois, ce fut au tour de Vette de lever les yeux au plafond.
-C'est ça. Et je suppose que c'est pour ça qu'elle passe tant de temps avec toi ? Toi qui prends note de tout pour « encourager à la productivité de l'équipage », tu n'as pas remarqué qu'elle te prend avec elle en mission plus que tout le monde à bord ? Et ne me parle pas de Jaesa. Bien sûr qu'Inaj passe du temps avec elle, elle est censée l'entraîner et utiliser ses pouvoirs pour le plus grand bien de l'Empire, tout ça. Mais en dehors de ça, c'est avec toi qu'elle passe quasi tout son temps. Tatooine ? Je suis restée au hangar tout du long. Alderaan ? Pareil.
-Tatooine est connue pour ses esclavagistes et les Twi'lek y sont rarement bien traités. Il était logique de t'épargner de telles rencontres qui l'auraient retardée dans sa mission. Quand à Alderaan, appartenant aux bonnes familles de Dromund Kaas, il était logique que je l'accompagne pour la guider dans ce monde.
Vette renifla.
-Pour les esclavagistes, ça ne l'a pas empêché de me traîner dans tout Nar Shadda. J'aurais pu la renseigner par holo bien confortablement dans mon lit. Et c'est une Sith de sang pur, elle connaît aussi les aristos et elle aurait pu te contacter par holo. Nan, tes arguments tiennent pas. Elle t'aime bien, je te dis. Si tu t'y prend correctement, elle te tire jusqu'à sa chambre et te fasse crier jusqu'à ce que t'ai plus de voix.
Quinn secoua la tête, sans répondre. Heureusement pour lui, Vette décida que c'était parce qu'il était trop prude pour avoir ce genre de conversation. Il la laissa croire ce qu'elle voulait, soulagé qu'elle n'ait pas réalisé à quel point elle avait visé juste avec cette dernière petite pique. L'esprit en ébullition, il se remit au travail.
Il savait depuis des semaines qu'il ressentait des sentiments de plus en plus fort vis à vis d'Inaj, et le fait qu'il ait de plus en plus de mal à lui donner son titre dans sa tête était révélateur. L'admiration des débuts avait laissé place à une profonde attirance et même à quelque chose de plus intense encore. Il la désirait, oui. Il la regardait annihiler ses ennemis et se demandait quel genre de partenaire elle était au lit, si elle accepterait de déverser cette furie sur lui et de le laisser pantelant et prêt à supplier pour une caresse de plus, mais ce qu'il ressentait allait au-delà du simple désir irrépressible. Il aurait été facile d'ignorer une telle passion si celle qui en était la cible ne la méritait pas, mais elle la méritait, et amplement. Quinn était fasciné autant qu'il était impressionné par cette femme, si éloignée du Sith typique. Contrairement à la plupart, Darth Baras compris, elle mettait le bien de l'Empire avant ses besoins ou ambitions personnelles. Elle n'hésitait pas à commettre des meurtres froidement prémédités et régnait par la terreur, comme tous les Siths, mais elle savait aussi faire preuve de clémence quand elle avait l'assurance que ceux qu'elle avait épargné serviraient l'Empire avec une ferveur renouvelée. Si l'Empire avait plus de Siths avec cet état d'esprit dans ses rangs, la République n'aurait pas reprit Balmorra peu leur départ, et la situation de l'Empire à travers la Galaxie en sortirait renforcée.
Ce n'était donc pas ses sentiments qui lui posaient problèmes, mais les siens à elle. Qu'elle ressente quelque chose envers lui, comme Vette le déclarait, le terrifiait. Le mieux était d'ignorer totalement cette conversation et de faire comme s'il n'avait rien entendu.
Le Seigneur Inaj ne lui laissa pas cette possibilité. Commençant à bien la connaître, il aurait du s'en douter. Durant leurs missions sur Taris, puis sur Quesh et Hoth, elle entama un travail de sape visant à faire tomber ses défenses, l'une après l'autre, et visant clairement à le faire tomber dans son lit. Ses sous-entendus se faisaient de plus en plus précis au fur et à mesure qu'elle déchiffrais sur son visage les propositions qui le faisaient trembler de désir contenu.
Il résista, corps et âme, même si c'était plus difficile de jour en jour, surtout une fois confronté au froid de Hoth qui rendait l'idée de partager son lit avec quelqu'un encore plus attirante. Elle avait finit par mettre à jour ses fantasmes, et quand elle le regardait, ses yeux froids se réchauffaient un peu et il y lisait la promesse d'y répondre à tous. Il aurait pu la supplier à genoux de le toucher, devant tout l'équipage, mais il ne le fit pas.
Il ne pouvait pourtant se permettre de céder, pour elle comme pour lui. Quinn, tout comme le Seigneur Inaj, était quelqu'un de pragmatique. Il pouvait l'espionner au nom d' un homme comme Darth Baras tout en étant amoureux d'elle. L'amour et le devoir était des choses bien différentes et il comprenait que Darth Baras se méfie de son apprentie. Sur sa demande, elle lui avait donné accès à des ouvrages sur les Siths, et il voyait maintenant que certaines de ses opinions frôlaient parfois l'hérésie. Une fois, elle lui avait confessé regretter avoir fait tomber Jaesa dans le Côté Obscur, en mentionnant son envie d'en apprendre plus sur le Côté Lumineux et son regret que tant de Siths, dont Jaesa elle-même, s'abandonnaient à la colère au lieu de réfléchir à tous les tenants et aboutissants de leurs actions. Selon elle, les Siths confondaient colère et passion, impatience et force, excès et pouvoir. Il n'était même pas sûr qu'elle ait tort, mais ses ordres n'étaient pas d'analyser le code Sith, juste de rapporter ses actes et opinions à Darth Baras, ce qu'il faisait.
Non, il ne pouvait céder, parce qu'il l'aimait et que parfois, tard le soir, couché dans son lit, il imaginait l'expression sur le visage d'Inaj si elle découvrait un jour qu'il la trahissait depuis le début. Elle le tuerait aussitôt, de ça il n'avait pas la moindre doute. Lui n'aurait donc pas à souffrir longtemps des conséquences de cette trahison. Mais elle… Elle vivrait, et il ne voulait pas qu'elle se réveille parfois en se souvenant qu'il était mort de sa main. Il pouvait se briser le cœur en la trahissant, mais il ne voulait pas briser le valait renoncer à elle maintenant, avant qu'il ne soit trop tard.
Lord Inaj respecta la distance qu'il cherchait à imposer entre eux. Ce signe de respect était un autre signe qu'elle ressentait pour lui bien plus que du simple respect. L'idée lui donnait des sueurs froides, bien plus que les récits provocateurs de Pierce sur ce que certains Siths faisaient subir à leurs partenaires de lit, plus souvent non consentants que le contraire. Si ces histoires alimentaient certains rêves nocturnes… Et bien, il en resterait à jamais le seul informé. Et il continuerait à faire son devoir, envers elle comme envers Baras. Il n'avait jamais fait que ça et c'était ses devoirs qui le définissaient. Il n'était qu'un outil.
Cependant, vinrent un jour les doutes. Avant que Darth Baras ne les envoie affronter Darth Vengean, son maître, il n'avait jamais douté qu'il servait l'Empire en servant Baras, ni que l'aider à obtenir la place de Darth Vengean au Conseil était la meilleure chose à faire pour l'Empire. Baras était un homme implacable, décidé et l'un des rares à souhaiter la reprise du conflit avec la République, dont l'Empire avait tant besoin.
Avant de mourir, Darth Vengean accusa Baras d'être un lâche, incapable d'arriver à sa position comme de s'y maintenir sans l'appui de Siths comme le Seigneur Inaj. Malgré lui, Quinn ne put s'empêcher d'y repenser les semaines suivantes. Baras ne serait pas où il était sans elle. Une étude approfondie de sa carrière montrait bel et bien qu'il restait dans les ombres en laissant d'autres mener ses combats à sa place.
Un soir, ils en parlèrent avec Inaj, alors que tout l'équipage était déjà couché et qu'elle avait réussi à le convaincre de boire un dernier verre, avant que le devoir ne les emmène à nouveau loin de Dromund Kaas. Bien sûr, Quinn ne parla jamais directement de Baras, mais expliqua à la place en détail l'affaire qui l'opposait avec le Moff Broysc, tout en y ajoutant quelques unes des questions qu'il se posait sur Baras. Tout en sirotant son verre, Inaj résuma le problème en une seule question : pouvait-on faire confiance à des hommes ne mettant pas leur vie en danger pour diriger un Empire ? Elle l'ignorait elle-même. Peut être fallait-il cela pour être capable d'avoir le recul nécessaire aux lourdes décisions. Peut être que cela ne pouvait mener qu'à de lourdes et évitables pertes.
Quinn ne se sentait pas les épaules pour décider qui de Baras, Vengean ou Inaj était dans le vrai. Il savait qu'il avait eu raison de s'opposer au Moff Broysc, et les évènements lui avaient donné raison. Mais il se demandait parfois s'il avait géré ce problème de la bonne manière, et les questions siths dépassaient largement un capitaine comme lui. Il finit son verre en se demandant d'où lui venait ce mal de ventre soudain, et écouta Inaj lui parler de l'enfance d'une Sith de sang pur, fille de deux Siths, destinée dès l'enfance à prendre les destinées de la galaxie entre ses doigts. Elle lui dit des choses qu'elle n'avait jamais dit à personne, ses doutes et ses rancœurs, comment son père avait tué sa mère quand un rival avait suggéré – juste suggéré – qu'elle complotait contre lui et comment elle s'était juré de toujours réfléchir aux bénéfices avant de céder à la colère. Elle lui parla de son rêve d'isoler son père si complètement qu'il n'aurait plus jamais la moindre influence dans l'Empire et comment elle voulait le regarder en face et lui dire qu'elle était responsable de sa chute. Quinn lui parla de sa rage de dévoiler publiquement l'incompétence de Broysc et de forcer l'Empire à agir.
Cette nuit-là, ils se dévoilèrent l'un à l'autre comme ils ne l'avaient jamais fait auprès d'un autre être vivant. Inaj déclara qu'elle faisait sienne sa croisade contre le Moff Broysc, et il fut bien obligé de promettre son retour. Quinn retourna dans les quartiers de l'équipage en ayant mal à l'estomac comme s'il avait trop bu. Il continua à envoyer ses rapports, en priant la Force qu'il était bel et bien au service de celui qui dirigerait le mieux l'Empire dans la direction qu'il devait prendre. Il ne parla pas de l'enfance d'Inaj. Si Baras n'en était pas informé, il pouvait sans peine trouver d'autres sources de renseignement.
Il y eut d'autres soirées ainsi partagées, et Quinn ne put s'empêcher de remarquer qu'il était le seul qu'Inaj invitait pour des conversations intimes. Ce qu'ils ressentaient commençait à ressembler davantage à de l'affection qu'à une attirance mutuelle mais strictement physique.
Quinn se mit à mal dormir la nuit.
Quinn ne descendit pas avec Inaj sur Quesh. Il ne se tenait pas à ses côtés quand Draagh, l'autre apprenti de Baras, failli la tuer sur les ordres de leur maître à tous. Sans Pierce, elle n'en aurait peut être pas réchappé.
Quand Pierce les contacta pour leur expliquer que Lord Inaj avait failli mourir dans une explosion et était soignée sur la base principale de Quesh, Quinn écouta son rapport en gardant une parfaite impassibilité sous les regards compatissants de Vette et ceux indifférents de Jaesa. Au nom du Seigneur Inaj, trop faible pour les contacter elle-même, il leur ordonna de rester sur le vaisseau, d'être attentifs à toutes les communications et d'attendre les ordres de leur maîtresse. Quinn lui assura que le message était bien reçu, salua mécaniquement, et alla s'enfermer dans les quartiers de l'équipage sans entendre ce que Vette et Jaesa essayaient de lui dire.
Il fit une crise de panique sur le sol de métal de leurs quartiers. Elle avait failli mourir. Elle avait failli mourir, et il n'était même pas là au moment crucial. Pourquoi ? Parce que Darth Baras lui avait ordonné de ne pas la suivre sur la planète en prétextant des analyses à mener, sois-disant pour lui faire son rapport pendant que l'équipage dormirait, en vrai pour garder en vie un agent qui pouvait encore lui servir. Quinn ne s'en rendait compte que maintenant. Et s'il l'avait envoyé sur Quesh avec ordre de tirer dans le dos d'Inaj… S'il avait été averti d'avance, qu'aurait fait Quinn ?
Il ne pouvait pas y penser. Il ne devait pas y penser. C'était trop dangereux, trop risqué.
Il ne pouvait plus se permettre d'autres moments de faiblesse comme celui-ci. C'était indigne d'un soldat comme lui, et ça ne servait à rien. Quinn devait accepter qu'il y aurait d'autres tentatives d'assassinat, quand Baras serait informé de la survie de son apprentie. Il devait sans doute se féliciter de ne jamais s'être rendu aux rencontres face à face entre Darth Baras et le Seigneur Inaj dans les appartements du premier, et d'avoir su cacher ses émotions dans ses rapports. S'il ne l'avait pas fait, Baras aurait utilisé cette information à son avantage. Il s'en serait servit pour détruire la psychologie de son adversaire avant de l'achever d'un coup de sabre laser dans le dos. Au moins, Quinn ne lui avait pas donné cette arme. Cela ne compensait pas ce qu'il avait fait, mais c'était un réconfort. Le seul
Quinn se redressa et se dirigea vers le petit miroir accroché à la paroi pour rectifier sa tenue. Il avait une mine affreuse. Il craignait qu'elle ne le quitte plus à présent. Machinalement, il rectifia sa tenue et ses cheveux avant de ressortir.
Vette l'attendait à la porte. Elle aussi avait une mine affreuse. Quinn essaya de se mettre à sa place. Si Lord Inaj mourrait, les papiers proclamant son affranchissement ne voulait plus dire grand-chose. Elle était resté à bord parce qu'elle avait une dette à rembourser au Seigneur Inaj pour cet affranchissement, et parce que la Sith avait décrété qu'elle l'aimait bien. Libre ou esclave, on ne refusait rien au Seigneur Inaj. Elle acceptait qu'on la contredise, pas qu'on s'éloigne d'elle si elle n'en avait pas fini avec vous. Quinn ne pouvait pas plus la fuir qu'il ne pouvait fuir Baras. Il devrait rester jusqu'au bout et voir qui remporterait le duel.
-Moi et Jaesa on peut s'occuper du navire, proposa immédiatement Vette. Tu peux descendre sur…
-Non.
-Vraiment. Je peux gérer une Sith à moitié folle pendant que tu en embrasse une autre en lui jurant de ne plus jamais la quitter, ou une autre bêtise romantique comme ça.
-Non. Je suis plus utile ici.
Il ne précisa pas à qui. Il n'était pas sûr de le savoir lui-même.
Quinn fit son rapport à Baras deux jours plus tard. C'était le seul délai qu'il pouvait octroyer à Inaj pour se remettre et quitter l'hôpital, juste au cas où Baras connaisse un homme à l'intérieur de celui-ci sur qui il pouvait faire pression pour qu'il assassine une patiente dans son sommeil. Sans surprise, Baras fut furieux d'apprendre la survie de son apprentie, mais au lieu de lui demander d'achever le travail, comme Quinn s'y attendait, il lui demanda de simplement continuer de l'informer des moindres déplacements de Lord Inaj et de ses plans.
C'était trop espérer que celle-ci garde ses plans pour elle. Une semaine après la tentative d'assassinat, le Seigneur Inaj remonta à bord du vaisseau, couverte de bandages et de patchs de bacta, suivie par un Pierce à peine moins contusionné qu'elle. Elle avait gagné dans la bataille une légère claudication et irradiait une rage froide que Quinn n'avait jamais vu chez elle. Elle leva la main pour les faire taire, se dirigea droit vers le poste de pilotage et programma des coordonnées. Une fois qu'ils furent dans l'hyper espace, elle se retourna vers eux.
-Baras a tenté de m'assassiner. Il paraît qu'il s'inquiète de la vitesse à laquelle je progresse et crains que je ne cherche à prendre sa place. L'imbécile. L'Empire était assez grand pour nous deux. S'il avait su être raisonnable, je l'aurais été aussi, mais puisqu'il a attaqué le premier, je vais lui faire comprendre ce qui arrive à ceux qui s'attaquent à moi. J'ai besoin de me changer. Vous réfléchissez à tout ce qu'on sait sur Baras, ses alliés, ses faiblesses, nos alliés, nos forces, et trouvez-moi des pistes d'attaque. On se retrouve dans une heure ici dans la salle de réunion. Disposez !
Personne n'osa protester ou poser la moindre question. Même Jaesa et Broonmark disparurent à la vitesse de l'éclair. Quinn voulut en faire de même, mais ses pieds étaient comme figés au sol. La porte se referma, le laissant seul avec Inaj.
-Tu n'es pas venu me rejoindre, Quinn.
La pression dans la pièce monta d'un cran. Quinn déglutit et se mit à fixer le sol, toujours au garde à vous.
-Le vouliez-vous, Seigneur Inaj ?
-Pourquoi ?, demanda celle-ci sans répondre à sa question.
-J'ai pensé vous être plus utile en menant des analyses pour trouver le coupable. Mes soupçons me portaient vers Darth Baras, mais je n'ai pas réussi à trouver de preuves.
-La prochaine fois, n'attends pas d'avoir des preuves. Viens me voir directement avec tes soupçons.
-À vos ordres.
Le silence s'imposa, lourd et tendu. Quinn se demanda si elle savait. Puisqu'elle avait découvert que Baras voulait sa mort, elle pouvait aussi savoir qu'il y avait un traître dans ses rangs. Mais non. Si elle en avait été informé, il n'aurait pas survécu une minute après qu'elle ait posé le pied dans le vaisseau. Les traîtres et les espions la révulsaient.
-Tu n'as rien d'autre à dire, Quinn ?
Son ton manquait d'un coup de certitude. Quinn releva la tête pour la regarder de plus près. Elle avait l'air… pas fragile, le Seigneur Inaj n'avait jamais l'air fragile, mais il pouvait lire ses doutes dans son regard, comme si elle enlevait pour la première fois un masque qu'elle avait toujours porté en sa présence. La tentative d'assassinat avait laissé plus de traces qu'elle ne l'avait montré aux autres.
-Que devrais-je dire ?, murmura-t-il d'une voix rauque.
-Quand je me suis réveillée, enfouie sous les débris, tu sais qu'elle a été ma première pensée ? « La Force soit louée, ce n'était pas Quinn avec moi ». Si tu y étais resté…
-Je n'étais pas là. Je vais bien.
Elle s'approcha de lui et passa sa main sur sa joue.
-Tu le veux comme moi, murmura-t-elle à son oreille. Tu n'as pas pensé ces derniers jours qu'il n'y aurait peut être pas trop de chance et que nous pouvions avoir laissé passé le bon moment ?
Il hocha la tête. Il ne se faisait pas confiance pour parler sans trahir ses désirs, sans parler de son allégeance.
-Te refuseras-tu encore à moi ?
-Je ne peux… Seigneur…
Il s'interrompit. Que voulait-il dire ? Je ne peux vous trahir de la sorte ? Je ne peux vous refuser ça ? Je ne peux pas vous repousser maintenant, alors que j'ai besoin de vous savoir vivante ? Il garda le silence et c'était un consentement en soi. Inaj s'approcha encore. Ses mains frôlèrent son cou.
-Dans une heure, nous rejoignons les autres et nous mettons au point le plan pour atteindre Baras, murmura-t-elle avec un ronronnement séducteur. Tu peux passer cette heure à soigner tes analyses et à trouver un angle d'attaque. Ou tu peux oublier mon titre, m'appeler Inaj et me montrer à quel point tu tiens à moi.
Elle fit un pas en arrière. Quinn sentit la pression sur ses jambes disparaître. Il pouvait bouger à nouveau.
-Seigneur, gémit-il. Inaj. Vous savez que je ne peux rien vous refuser.
Elle s'empara de ses lèvres et les mordit. Quinn gémit, lui soutirant un rire.
-J'ai toujours su que tu étais ce genre d'homme, fit-elle en s'asseyant sur le poste de commande. Maintenant, Malavai, déshabille-moi.
Quinn était définitivement perdu. Il obéit à ses ordres, accepta chaque caresse, chaque coup de griffe, chaque morsure, en ayant l'impression de se noyer. Il révéra son corps comme elle l'exigeait en essayant d'oublier qu'ils étaient dans le poste de pilotage du vaisseau, que n'importe qui pouvait rentrer, et que ses programmes d'espionnage informeraient avant lui Baras de leur destination. Il l'aimait, il la trahissait. Il ne pouvait rien lui refuser mais donnait à son ennemi les instruments de sa chute. Elle devait avoir raison. Il devait être un brin masochiste de s'imposer une telle souffrance.
Une heure plus tard, l'uniforme un peu froissé et les cheveux dans tous les sens, Quinn s'installa autour de la table de réunion en essayant d'ignorer le regard amusé de Vette, celui, furieux et jaloux, de Jaesa, et celui méprisant quoiqu'un brin envieux de Pierce. Inaj lui avait refusé le temps de reprendre un aspect plus professionnel. Il serait prêt à jurer qu'elle s'amusait énormément de la petite humiliation qu'elle lui infligeait ainsi, tout comme des marques sanguinolentes sur sa peau. Quinn ignorait jusque là son côté joueur. Il craignait que cela ne rajoute à l'emprise qu'elle avait sur lui.
En silence, il écouta Inaj leur expliquer sa rencontre avec les Mains de l'Empereur. Quinn se mordit les lèvres. Baras usurper le titre de Voix de l'Empereur, voilà qui était… conforme au personnage, cette araignée œuvrant dans l'ombre. Mais c'était aussi un risque énorme, et Baras n'était pas du genre à prendre des risques sans en soupeser longuement les résultats. Et il était un loyal serviteur de l'Empereur, ou l'avait toujours été jusqu'ici. Jusqu'où s'étendaient les mensonges ? Et qui mentait ? Les Mains, ou la Voix ? Ou même la nouvelle Furie de l'Empereur ?
Quinn ne savait pas comment il réussit à suivre toute la conversation sans se trahir. Il était tiraillé entre ses loyautés, incapable de distinguer le vrai du faux. Seule la préoccupation des autres les empêchèrent de réaliser que son comportement était anormal à plus d'un titre et pas seulement parce qu'il savait savait à présent quelle expression elle faisait au moment de l'orgasme. Il en profita pour prendre note des intentions des uns et des autres. Jaesa et Broonmark étaient les plus enthousiastes, donc les plus urgents à abattre pour Baras. Jaesa était tombée la tête la première dans le Côté Obscur et était trop avide de mort pour réfléchir et déceler la présence d'un traître dans la pièce. Pierce suivait les ordres de son supérieur direct et laissait d'autres penser à sa place. Vette était la plus incertaine. Toute loyale qu'elle était en apparence, Quinn la voyait planifier la meilleure manière de fuir, si la défaite était inévitable.
En les voyant tous décidés à la suivre dans ses plans, Inaj sourit. Ses traits s'adoucirent un peu et sa main s'éloigna de la hanche où elle était posée, donc de son sabre laser. Nul doute que celui qui aurait refusé tout de go serait mort douloureusement.
Pour elle, tout était réglé, et le vaisseau était déjà en route vers Belsavis. En quittant la pièce, elle ordonna à Quinn de le suivre et se dirigea droit vers sa cabine. La gorge sèche, Quinn la suivit. Il avait cédé, et maintenant il devait boire ce verre jusqu'à la lie. Il était incapable de lui dire non. C'était presque amusant que par contre il soit tout à fait capable de Quin lui mentir.
Oui, songea-t-il en gémissant sous ses coups de griffes. Elle serait sa mort, et celle-ci se rapprochait. Il l'accueillerait avec soulagement.
Belsavis fut un succès, du point de vue de la Furie de l'Empereur. Baras, qui avait jusque là prétendu ignorer les informations transmises par Quinn pour s'assurer que son agent ne serait pas découvert, obtint enfin le prétexte qu'il cherchait pour entamer sa contre-offensive. C'était la guerre à présent, implacable et brutale, et pendant ce temps, Quinn ne pouvait s'empêcher de ramper vers la chambre d'Inaj, parce qu'il l'aimait et la désirait trop pour s'en empêcher. Tout en elle créait l'addiction en lui, sa fureur contenue, la froideur de sa bouche, le feu dans ses yeux, le goût de sa peau… Quinn se brûlait rien qu'à la regarder. Et pourtant, il continuait à la trahir. Et elle continuait de ne rien voir, même avec Jaesa à ses côtés pour vérifier la loyauté de ses subordonnés. Il aurait voulu la secouer et lui demander ce qui rendait une Sith aussi confiante en ses subordonnés. Il ne le fit pas.
Sur Vos, ils obtinrent la preuve dont Quinn avait besoin. La Voix de l'Empereur avait bel et bien été emprisonnée grâce à de faux renseignements distillés par Baras, pour lui laisser la place dont il avait besoin pour mettre en œuvre ses plans. Un usurpateur siégeait au Conseil Noir. Ces trois dernières années, Quinn avait servit le mauvais maître.
Il était furieux de cette découverte. Furieux contre Baras, furieux contre lui-même pour s'être laissé prendre, et même furieux contre Inaj pour ne pas l'avoir abattu dès leur première rencontre et être elle aussi rentrée dans son jeu. Furieux, surtout, de ne pouvoir dévier du chemin que Baras lui avait tracé. Il avait trahi la Furie de l'Empereur. Il devait continuer à le faire. Jamais Inaj n'accepterait que son amant, celui qu'elle prenait pour le plus loyal de ses serviteurs, la vende ainsi à son pire ennemi. Quinn la comprenait. D'avance, il acceptait tout ce qu'elle voudrait lui faire.
Était-ce folie alors que de rester à ses côtés ? Quinn pouvait encore fuir, les abandonner elle et Baras à leurs jeux pour ne pas être leur instrument et ne pas causer de peine à Inaj. Il pouvait trahir Baras et la laisser le tuer sur place. Il ne le fit pas, parce qu'une part de lui se demandait si ce n'était pas Baras qui avait raison. L'Empereur était bel et bien un maître absent qui n'avait aujourd'hui plus grand-chose à voir avec le fonctionnement de l'Empire. Il était une institution, certes, mais peut être qu'il était temps de le remplacer. Il voulait qu'Inaj lui prouve qu'il avait tort. Mais pour cela, il devait aller au bout de sa trahison.
L'ordre qu'il craignait tant arriva. Baras voulait voir la Furie de l'Empereur abattue avant d'avoir pu poser un pied sur Corellia où ses derniers plans étaient proches d'aboutir, et comme Inaj avait fait le ménage parmi ses lieutenants les plus fidèles et compétents, c'était à Quinn de se charger du travail.
En recevant le message, Quinn ferma les yeux. Il avait beau savoir que l'ordre arrivait, c'était une chose de le savoir, une autre de le recevoir. Au moins, Baras le prenait par surprise, ce qui voulait dire que Quinn avait une excuse pour mettre en œuvre un plan insuffisamment abouti. À quoi pensait Baras de toute manière, en le faisant affronter Lord Inaj, qu'un Sith chevronné comme Darth Vengean n'avait pu tuer ? Il n'avait aucune chance. Le seul élément en sa faveur était l'élément de surprise. Inaj ne s'attendait pas à une attaque venue de l'intérieur. Il prépara son piège, du bout des lèvres et le cœur au fond de l'estomac, pas pour la tuer, il s'en savait incapable. À ce stade, le but était simplement qu'elle le tue et que sa rage renouvelée lui permette de détruire Baras. Dans ce but, il laissa même sur son datapad des notes sur ce qu'il savait des plans et complices de Baras, c'est à dire très peu de choses. Il pouvait encore espérer. Une fois son piège prêt, il y guida Inaj, en insistant pour être celui qui l'accompagnerait. Elle aurait besoin de tous ses compagnons pour détruire Baras. Mais pas de lui. Lui serait mort et la rage d'Inaj brûlerait plus fort que mille soleils.
La victoire de Lord Inaj, il l'avait anticipée et espérée. Sa rage ardente, si éloignée de sa colère froide habituelle, aussi. Il avait même anticipé la manière dont elle le tuerait, en projetant son corps contre la paroi de métal derrière lui et en écrasant sa trachée. C'était sa manière préférée de tuer ses ennemis qui n'étaient pas des utilisateurs de la Force.
Ce qu'il n'avait pas anticipé, c'est de se réveiller en sentant la pression du pied d'Inaj sur sa poitrine, pas plus qu'il n'avait pensé voir ses yeux jaunes à ce point dépourvu d'émotions à son égard. Il n'y avait même pas de mépris dans ces yeux, juste une implacable indifférence qui donna à Quinn l'impression d'être traversé par dix coups de sabre laser. Le reste de la conversation se déroula comme dans un brouillard. C'est à peine si Quinn entendit les arguments qu'Inaj énonça en faveur de sa survie et son propre serment de fidélité. Ses mots lui semblaient vide de sens et elle avait l'air de penser pareil.
Quand ils remontèrent à bord du vaisseau, elle appela tout l'équipage, qui se précipita à ses ordres.
-Voici Quinn, annonça-t-elle d'un ton indifférent après lui avoir ordonné de se mettre au garde à vous. Vous le connaissez tous. C'est un bon soldat, un bon medic, un fin stratège. C'est aussi un traître vendu à Baras qui a tenté de me tuer à l'instant. Il est désormais tout en bas de la hiérarchie, en dessous des robots de maintenance. J'ai décidé de ne pas le tuer, alors n'essayez même pas de le faire sans mon autorisation. Mais je veux quelqu'un avec lui en permanence et je veux que vous contrôliez tout le travail qu'il a effectué ces trois dernières années au cas où il nous aurait laissé des surprises. Exécution, et que quelqu'un mette le cap sur Corellia. Pas Quinn, bien entendu. Il n'a pus le droit de toucher à rien.
L'équipage ne se le fit pas dire deux fois, ni ne posa de questions. La règle d'or selon laquelle poser des questions à un Sith était mortelle pour la santé s'appliquait pleinement à bord pour la première fois. Quinn dut supporter le reste de la journée les regards de haine de Jaesa, de mépris de Broonmark, de colère de Pierce, et d'incompréhension mêlée de compassion de Vette. Même avec cette escorte, Inaj n'était jamais très loin, le fixant de ses yeux froids. Malgré cette indifférence affichée, il pouvait l'imaginer se réjouir de l'humilier ainsi publiquement. Elle utilisait ce qu'elle avait découvert sur lui au creux du lit pour se venger, consciente que le plaisir qu'il avait à ce qu'elle l'humilie dans la chambre ne s'étendait pas à l'espace public.
-Nous arriverons sur Correlia dans sept heures, déclara finalement Inaj. Baras doit tomber. Correlia devait être sa plus belle réussite, ce sera son plus cuisant échec. Alors allez dormir, nous nous mettrons au travail dès notre arrivée. Pas toi Quinn. Ta place est au pied de mon lit, comme toujours.
Il s'inclina, le front rouge de l'humiliation subie et s'exécuta sans protester. Les quartiers d'Inaj lui semblaient étrangers tout d'un coup. Ces derniers mois, il y avait passé plus de temps que sa couchette, mais ils lui donnaient maintenant l'impression d'une mâchoire prête à le dévorer.
D'un geste négligeant, elle lui désigna le coin de la pièce où il était censé dormir, avant de lui jeter un drap à la figure. Quinn attendit, patiemment, qu'elle lui dise de se coucher et le fit dès qu'elle en reçu l'ordre, observant au passage qu'elle gardait ses deux sabre laser à portée de main. Malgré ses ordres, il doutait que quiconque dorme beaucoup à bord du vaisseau cette nuit, et lui le premier.
Même dans le noir, il sentait les yeux d'Inaj fixés sur lui. Elle avait changé. Elle avait toujours été froide et calculatrice, mais jamais injuste. Cela ne lui ressemblait pas de faire payer par du travail supplémentaire à ses subordonnés le fait qu'ils n'avaient pas plus qu'elle vu venir la trahison de Quinn. Sa cruauté aussi était quelque chose de nouveau. Elle utilisait toutes les armes qu'il lui avait donné pour le blesser. Il était le seul coupable de ces changements. Quinn ne se dédouanerait pas sur Baras.
-Depuis quand ?, finit-elle par demander.
-Depuis le début, confessa-t-il
-Et tu pensais t'en tirer en vie.
-Non.
-Pour toi, c'est non, Seigneur Inaj. Il est plus que temps que tu apprenne le respect du aux Siths. J'aurais du te l'inculquer il y a longtemps visiblement. Cela t'aurait peut être passé l'idée de me trahir. Peut être que j'ai été trop indulgente en te laissant poser tes sales pattes de traître sur moi.
-Souhaitez-vous que je m'excuse, Seigneur Inaj ?
-Tes excuses ne veulent pas plus que ta vie, cracha Inaj. Elles sont pitoyables et inutiles. Tu crois que te mettre à mon service et ramper à mes pieds va te rendre ma faveur ? Tu auras plus tôt fait de te tirer un coup de blaster dans la tête. Ce que tu n'as pas eu le courage de faire jusqu'ici justement, parce que tu es un lâche en plus d'être un traître, n'est-ce pas ? Ou alors c'est que tu es masochiste au point de vouloir mourir de ma main après m'avoir laissé t'infliger tout ce que je voulais ?
Quinn hocha la tête avant de se souvenir qu'elle ne pouvait pas le voir faire dans le noir. Il était bel et bien un lâche, incapable de choisir entre sa première allégeance et la seule qui aurait du avoir de l'importance pour lui. Il pouvait se justifier comme il le voulait, dire qu'il avait cru agir pour le bien de l'Empire ou payé la dette à l'homme qui lui avait permis de sortir de Balmorra, Il pouvait supplier la femme qu'il aimait de lui pardonner. Mais ça ne changerait rien à ce qui s'était passé. Plutôt que de répondre, il voulait lui demander pourquoi elle l'avait épargné alors que tout ce qu'il voulait à ce stade c'était qu'elle le tue pour que tout soit terminé. Il voulait savoir si elle l'avait épargné parce qu'elle savait qu'il souffrirait bien plus en survivant à sa strangulation qu'en mourant, ou parce qu'elle était dépendante de lui comme lui d'elle ?
Il ne répondit pas et ne se justifia pas, parce qu'elle avait raison de l'agoniser d'insultes, raison de le faire souffrir, et raison de l'accuser de masochisme. Il se contenta de rester allongé au pied de son lit, les yeux grands ouverts, en se jurant que plus jamais elle n'aurait à craindre qu'il la trahisse. Il savait maintenant pourquoi elle ne l'avait pas tué. Il aurait du le réaliser plus tôt, c'était à cause de son père qui avait tué trop vite sa mère et qu'elle se refusait à devenir comme lui. Inaj n'avait pas cédé à la même colère, mais une fois qu'elle aurait prit le temps de réfléchir, peut être qu'elle déciderait de le tuer malgré tout. Quinn ne se réveillerait peut être pas s'il fermait les yeux.
Il écouta la respiration d'Inaj. Elle ne dormait toujours pas, elle non plus. Elle réfléchissait. S'il survivait jusqu'au matin, Quinn lui prouverait qu'elle pouvait encore se fier à lui, par ses actes, pas par ses paroles, le seul langage en lequel elle croyait vraiment. Peut être que ça ne servirait à rien. Il n'espérait certainement pas que cela lui rouvrirait le cœur ou le lit d'Inaj. Il n'aurait pas pardonné une telle trahison et il ne s'attendait pas à ce qu'elle le fasse. Il apprendrait à vivre sans l'addiction qu'elle causait en lui. Il avait lutté presque trois ans contre elle, il pouvait continuer à le faire.
Tout ce que Quinn pouvait espérer, c'était qu'offrir à Inaj la victoire dont elle avait besoin sur Baras effacerait le goût de cendres dans sa bouche.
