Hello,

Bon. Après des années à lire en anonyme, je me lance. J'espère que ça vous plaira.


Je plonge. Immédiatement l'eau me fait tout oublier.

Notamment la putain de silhouette qui est dans la cabine des maîtres-nageurs.

C'est fabuleux, l'eau. On dirait que c'est liquide alors qu'en réalité c'est entre liquide et solide parfois elle est dure, parfois fluide. Une amie méchante. En vrai, l'eau, c'est des caresses sur ma peau.

Mes bras plongent, poussent l'eau, mes pieds battent vigoureusement : je provoque plus d'écume qu'un hors-bord dans une crique. Je respire tous les trois coups, par inspirations brèves, la tête sur le côté.

J'ai dix-sept ans et toutes mes dents.

Et envie de tuer Bella Swan, accessoirement, comme tous les jours depuis dix ans. Je l'ai vue passer alors que je sortais de la douche : elle allait dans la pièce des maîtres-nageurs, sûrement pour aller taper de la charcute dans leur frigo. Depuis qu'Emmett s'est mis à la muscu, y a des sandwiches à la dinde dans tous les frigos qui croisent son chemin.

Rien que voir son visage j'ai envie de lui mettre des claques.

J'atteins le bout du bassin. Roulade, coulée, et de nouveau mes gestes s'affinent dans un crawl précis et puissant.

Sur le bord du bassin je vois passer Swan dans l'autre sens. Pieds nus, en short. Dans la chaleur étouffante j'ai l'impression qu'elle est plus rouge que d'habitude. Comme tous les mercredis, elle sort de sa séance d'entraînement. Je suis pas étonné qu'Alice soit pas là : elle n'a jamais été une grande fan des piscines.

Mon pince-nez est trop serré, j'ai un peu mal. Mon bonnet m'étouffe les cheveux.

Rien ne va aujourd'hui.

C'est à cause de Swan. Forcément.

C'est toujours à cause de Swan.

« Cullen ! T'es devenu une mémé ? Dix bassins en dos ! Et plus vite que ça ! »

Emmett est parfois un gros con, mais il est bon dans ce qu'il fait : il m'a déjà coaché pour pas mal de compètes et je sais qu'il me fait progresser. Au fond, je l'aime bien.

Je crois.

Et puis quand on connaît sa sœur on se demande bien comment il fait pour pas être pire.

Au fond, c'est un saint.

Je serre les dents et touche le bord du bassin.

Roulade, coulée, lever de bras, et c'est reparti.

Mes muscles commencent à tirer. Ça m'apprendra à sécher la piscine pendant une semaine.

Le rythme que m'impose mon entraîneur est affreux. Je parie qu'Emmett cherche à se venger de la dernière fois, quand je l'ai foutu à l'eau et qu'il avait son téléphone dans sa poche.

Pas ma faute s'il était si près du bassin. C'était trop tentant.

J'accentue mes poussées, je file dans l'eau. Mes bras s'assouplissent. Enfin ma nage devient confortable.

Je suis un poisson.

Je repense à l'Atlantique, quand on est allés à Santa Monica aux dernières vacances d'été. Alice avait convaincu les parents de nous laisser seuls au moins une nuit sur la plage. Faut croire que mes darons faisaient confiance à ma sœur… Ils ignoraient les bouteilles de bière et de vodka cachées dans les affaires de la meilleure amie d'Alice. On ne fouille pas dans les affaires des invitées, surtout quand elles ont bientôt vingt ans et qu'objectivement, on ne peut plus leur dire grand-chose.

« Cullen ! Dehors ! »

Je plonge, traverse en apnée les trois lignes d'eau qui me séparent du bord et me hisse à la force de mes bras musclés hors de l'eau.

Les pieds immenses d'Emmett me narguent dans leurs tongs à crampons.

Ce mec croit être stylé.

« Trente pompes.

- T'es chiant…

- Ça t'apprendra à partir en vacances. »

J'étais pas en vacances, j'étais en stage. Je finis le lycée à la fin de l'année et à part piscine, je ne sais toujours pas quoi faire, donc je me renseigne.

J'aime bien nager mais de là à en faire mon métier…

Mais ça Emmett n'a pas besoin de le savoir.

Je m'installe au sol et commence la série de trente qu'il m'a demandées.

Sérieusement.

J'ai trop mal aux bras.

Quand je finis enfin l'entraînement il fait nuit noire et je n'ai qu'une envie : une barquette de frites et mon lit.

D'accord, ça fait deux envies.

Je sors du vestiaire et je la vois.

« Qu'est-ce que tu fous là, Swan ? »

À tous les coups elle attend Emmett. Ce couillon doit être en train de finir de ranger les lignes d'eau. Bizarrement, il a eu pitié de moi et ne m'a pas forcé à tourner la roue de l'enrouleur.

J'ai jamais compris comment un mec aussi grand et musclé pouvait avoir une sœur aussi petite et maigre. Mais bon, les lois de la génétique ne se contrôlent pas.

Elle me fixe avec ses yeux noirs, ceux qu'elle réserve habituellement aux enfants quileutes qu'elle garde pour arrondir ses fins de mois.

« C'est toi que je voulais voir.

- Comme quoi tout arrive. »

Elle plisse les yeux et penche la tête, comme si elle réfléchissait à la meilleure manière de me tuer.

Je suis habitué à ce regard. J'ai le même quand je la vois.

Et pour elle j'ai déjà tranché : mort par chute accidentelle dans les égouts de Seattle. Beaucoup moins humiliants que ceux de Forks mais il faut savoir prendre en compte la profondeur des canalisations, les ouvertures dans le bitume, les bouches d'égouts…

« Je suis enceinte. »