Chapitre 40 : Meryem
Ville de Selphia, place principale, 22ème jour du Printemps…
L'endroit était plongé dans un silence étrange, alors qu'une foule importante s'y était rassemblée. Seul résonnait le fracas des armes, vacarme assourdissant d'une bataille impitoyable qui détournait l'attention de tous, les empêchant de voir un dirigeable décoller depuis le nord de la ville et filer dans le ciel en direction de l'ouest.
Oural avait récupéré Mistral et la serrait contre lui, les yeux rivés sur le combat se déroulant juste devant eux.
Frey était forte, incroyablement forte, bien plus que tout ce qu'il avait imaginé.
Elle maniait ses lames jumelles comme des extensions d'elle-même, tourbillonnant à un rythme infernal autour de Meryem qui peinait à suivre la cadence.
Frey assena une rafale de coups à son adversaire, démontrant avec brio d'où lui venait ce surnom d' Ouragan. Meryem releva son sabre et lui adressa un regard empli de haine.
_ Sale petite garce… Et vous tous, à acclamer votre princesse comme une divinité descendue des cieux pour vous sauver, j'ai une question pour vous ! Pourquoi ne pas lui demander ce qu'elle faisait, jusque là ? Pourquoi vous a-t-elle laissé mourir sans rien faire ?
Frey l'observa tendre son bras pour parler avec éloquence et le trancha sans sourciller.
_ Ne t'adresse pas à eux, c'est moi qui ai la réponse. Je ne suis pas intervenue parce que je n'aurais eue aucune chance contre ton armée entière. Mais tu as accepté ce duel contre moi, a un contre un, et là c'est toi qui n'a aucune chance.
_ Tu parles beaucoup, princesse.
_ Ah oui ? Si tu n'avais pas peur de moi, tu n'aurais pas tenté de me faire exécuter ! Tu crois que je n'ai pas compris pourquoi c'est ma tête que tu as réclamée ce jour-là, et pas celle de Lest ? Tu savais que j'étais l'Ouragan, et tu savais que tu ne pouvais pas me battre.
Meryem esquissa un sourire tordu, les yeux plissés. Son sabre siffla dans l'air et Frey para le coup d'une lame, tailladant de l'autre. Elle redoubla l'intensité de ses coups, faisant reculer son adversaire. Le sang éclaboussait le sol à chaque coup qu'elle portait. Son adversaire perdait de sa superbe, sa beauté sans pareille troublée par sa fureur.
_oOo_
Dans le ciel, s'éloignant de Selphia, Lest se tenait à l'avant du dirigeable. Le voler n'avait pas été difficile, grâce à l'aide providentiel d'Arnaud. Doug était devenu persona non grata parmi les soldats Sechs qui le savaient désormais loyal à Selphia, mais ce n'était pas le cas d'Arnaud. Le jeune nain était allé lui demander son aide, et en un clin d'œil, ils avaient embarqué et prit les airs.
Une fois en plein ciel, Arthur s'était installé au gouvernail, pilotant d'une main experte, pendant que Doug courait d'un bout à l'autre du pont pour vérifier les cordages. Lest restait à l'avant, scrutant le ciel à la recherche de leurs ennemis.
_ Un empire flottant tout entier, on ne devrait pas avoir de mal à le repérer… Doug, il ne dispose pas d'un système magique qui le rendrait invisible, n'est-ce pas ?
_ Pas à ma connaissance. Et je pense qu'un tel sort nécessiterait beaucoup trop d'énergie. Et l'Empereur se fiche pas mal de la discrétion, maintenant.
_ C'est vrai.
_ Quand nous arriverons en vue, il faudra faire attention à leur système de défense. Les canons sont mécaniques, et tirent à vue. Ce sont des machines, ils fonctionnent sans intervention humaine.
_ Donc on ne peut pas les distraire…
_ Non, mais on peut les leurrer. En volant à vitesse variable, nous pouvons fausser les calculs et les tirs seront imprécis, nous pourrons donc peut-être passer entre.
_ C'est possible ?
_ Oui, avec un peu d'adresse. Et niveau adresse, Arthur a ce qu'il faut.
Lest observa leur pilote improvisé et inclina la tête.
Ils n'eurent pas à voler bien longtemps pour apercevoir une massive silhouette noire devant eux.
_ On arrive…
_ Ils sont déjà si proche de Selphia… nous n'avons qu'une seule chance.
_oOo_
Ville de Selphia, place principale…
Frey observa Meryem, à genoux devant elle, le souffle court. Son adversaire était vaincu, son sang formant une flaque à ses pieds, d'un rouge presque indécent.
La princesse de Selphia avait gagné, impitoyable. Pour une femme qui n'avait put s'entrainer qu'en cachette, elle était terrifiante.
Elle haussa un sourcil en entendant Meryem se mettre à rire, hystérique.
_ Tu jubiles, princesse… profite de ta victoire, parce que bientôt, l'enfer se déchainera sur vos têtes ! VOUS ALLEZ TOUS CREVER COMME DES CHIENS !
_ On meurt tous un jour, Meryem, tu ne m'apprends rien. Ce que j'aimerais que tu m'apprennes en revanche, c'est ce que tu es ?
_ Ton pire cauchemar, princesse.
_ Déjà vu, cette réplique, et particulièrement pitoyable dans cette situation puisque tu as perdu. Vois-tu, je te pose cette question parce que j'ai réalisé avec Dylas que nous ne te voyons pas de la même façon. Il voit une femme, et moi un homme. C'est tout de même bizarre, non ? Alors, tu es quoi ?
_ Pourquoi choisir ? Ne puis-je donc pas être ni l'un, ni l'autre ? Ou bien l'un et l'autre ?
_ Comme c'est triste d'être incapable de se fixer… Mais ce n'est pas qu'une question de sexe, mais de ton être tout entier ! J'ai mené mon enquête depuis mon retour, tu n'oscilles pas seulement entre homme et femme, mais également entre humain, elfe, nain, homme-bête… toute la Création y passe !
_ Ne puis-je donc pas être tout à la fois ?
_ Personne ne peut être tout à la fois ; parce que être tout en même temps, finalement, ça reviens à n'être rien.
_ JE NE SUIS PAS RIEN !
_ Alors qu'es-tu ?!
Meryem lui lança son regard le plus venimeux, chargé de haine.
_ J'ai été envoyé ici par mon maitre pour vous berner. Je suis votre plus grand fantasme, j'apparais comme tel à chacun d'entre vous, pour vous berner, endormir votre méfiance, et ça a marché. Si tu savais tout ce que m'a susurré Soraya, avant de mourir. C'est elle qui savait, pour Oural et Mistral, elle les avait vus. Elle était pitoyable à me révéler tout vos petits secrets en espérant qu'ainsi je l'épargnerais ! J'ai particulièrement aimé ça alors que je lui déroulais l'intestin comme un tapis rouge pour lui en montrer la longueur !
_ Donc tu n'as pas d'identité fixe, juste un fantasme. Je maintiens donc… tu n'es rien.
_ JE. NE. SUIS. PAS. RI…
La tête parfaite de Meryem se retrouva soudainement séparée de son corps parfait, un simple coup d'épée d'une fille qui était loin d'être parfaite avait suffit.
Frey regarda le corps de Meryem se dissoudre dans l'air. C'était donc ça, la nature de Meryem, une entité magique conçue par le cerveau malade d'un empereur fou.
_ Tu voulais être, c'est triste que tu n'ais jamais pu choisir. Tu m'aurais répondu ''Je suis Meryem'', ça aurait suffit à mes yeux pour que tu sois… quelqu'un. Ça ne m'aurait pas empêché de te tuer, mais tu serais mort en étant… toi.
_oOo_
Empire flottant…
Lest atterri durement sur le sol de pierre. Il n'avait eut d'autre choix que de sauter en vol. Arthur et Doug repartaient déjà à bord du dirigeable, prit en chasses par une véritable armée d'engins volants. Il s'en voulait d'exposer ainsi ses amis, mais la situation ne lui laissait guère le choix. Il monta un escalier en pierre et se glissa dans l'entrebâillement d'une porte, se retrouvant à l'intérieur du bâtiment principal de l'empire flottant, là où devait se trouver Ethelberd selon les informations de Doug. Seul un idiot aurait continué de courir à l'extérieur en plein ciel ! Et les chemins de rondes devaient grouiller de soldats.
Le jeune homme serra la breloque passée autour de son cou pour se donner du courage et commença son infiltration.
C'était complètement suicidaire, et il s'en rendait parfaitement compte, mais tout comme il n'avait pas eut le choix d'exposer Doug et Arthur, il n'avait pas le choix que d'exposer sa propre vie.
Il remonta plusieurs couloirs obscurs et déserts, heureux de ne croiser aucun soldat… et inquiets de ne croiser aucun soldat ! Avec un peu de chance, ils étaient tous rassemblés au même endroit pour une réunion stratégique qui ne servirait à rien puisqu'il arrêterait leur empereur.
Mais il s'avéra très vite qu'il se trompait. Les soldats n'étaient pas en pleine réunion stratégique.
Ils étaient morts.
Lest les retrouva tous rassemblés dans une salle immense, circulaire avec une petite tour à chaque coin, circulaire également. Leur sang empuantissait l'air, le saturant d'une lourde odeur métallique à relent putride, coagulé depuis longtemps et incrusté dans les interstices entre les dalles du sol, rougissant les tapis.
Le jeune homme resta stupéfait, incapable de comprendre ce qu'il avait sous les yeux.
_ Savais-tu jeune homme que c'est ainsi que les Terramis ont créés les sphères runiques ?
Lest sursauta vivement avec un cri effrayé. Ethelberd était assit tout au fond de la salle, dans un trône sinistre et noir. Il observait son visiteur d'un air serein, caressant distraitement sa longue barbe blanche.
_ Vous devez le savoir, les sphères runiques ont été créées dans le but de remplacer les Gardiens et prolonger ainsi la vie du Dragon Divin Ventuswill. Des artéfacts de cette puissance nécessitent néanmoins un sacrifice à la hauteur de ce pouvoir. Qu'y a-t-il de plus puissant que la vie ? N'est-ce pas logique, des vies pour une vie ? J'ai voulu essayer moi-même, tuer et concentrer ce pouvoir non pas dans une pierre mais dans mon corps, et le résultat est… décevant.
Ethelberd se leva et marcha dans le sang coagulé sans se soucier de son long manteau trainant par terre.
_ Voyez-vous, un humain ne peut utiliser une telle puissance, elle le consumerait entièrement. Il fallait donc que je cherche un moyen de devenir l'égal des dieux. C'est dans ce but que j'ai tué les Dragon Divins et dérobé les sphères runiques que vous aviez si bêtement laissé sans défense. Grâce à elle, je vous l'ai déjà dit, j'ai put créer les clones des Dragons Divins. Ils n'étaient pas satisfaisant, puisque vous les avez vaincus tous les trois. Vous n'auriez put triompher contre de vrais dieux. Je pensais utiliser mon propre corps pour un autre clonage, mais puisque ces expériences sont un échec…
_ Alors c'était ça, votre but en fabriquant ces clones ? Des expériences ?
_ Oui. Mes hommes pensaient que je les utiliserais comme arme contre Norad, et je n'ai pas jugé utile de les détromper. Je ne suis pas idiot, je sais très bien que si je leur avais dit la vérité, que j'avais créé ces clones pour une simple expérience en vu de devenir un dieu moi-même et de tous les tuer pour alimenter mon pouvoir, ils fuiraient en courant. Peut-être que quelques fanatiques seraient restés, mais ils ne sont pas nombreux.
L'empereur s'arrêta de marcher devant Lest et l'observa tranquillement.
_ Et puis j'ai finalement comprit mon erreur. J'ai cherché à cloner des dragons qui n'avaient pas assez de puissances, ceux qui ne se sont jamais opposés au cycle de mort et de renaissance. Ventuswill l'a fait, et il me la fallait donc.
_ C'est pour ça que vous avez envahi Selphia ?
_ Pas seulement, jeune prince, j'ai vraiment l'intention d'envahir Norad après avoir rasé Selphia, c'était même mon but premier comme tu le sais. Disons que les choses se sont bien articulée puisque la divinité qu'il me fallait se trouvait ne plein cœur de ma cible.
_ Qu'avez-vous fait à Ventuswill ?
_ Meryem l'a cherchée dans les décombres mais ne l'a pas trouvée, alors qu'elle est supposée ne pas pouvoir quitter Selphia. Alors j'ai comprit une chose très intéressante...
L'empereur agita la main et une jeune fille aux cheveux gris souris et aux yeux bleus se retrouva attirée par lui, flottant à une bonne dizaine de centimètre du sol. Elle portait une robe d'un blanc virginal, et semblait être l'archétype de la vierge à sacrifier que recherchent les méchants dans les histoires que lisaient Lest. Sauf qu'il n'était pas dans une histoire, et que la fille se tortillait dans l'espoir d'échapper à son geôlier, les yeux agrandis de terreur.
_ Cher prince, je suppose que vous ne reconnaissait pas cette charmante demoiselle. Laissez-moi faire les présentations. Lest, voici Ventuswill. Ventuswill, voici Lest, mais je suppose que vous le reconnaissez.
_ Ventuswill ? Mais…
_ Comment a-t-elle put avoir une apparence humaine ? Eh bien c'est très simple, elle a utilisé toute la magie qui lui restait pour cette métamorphose, le jour du bombardement. Oui, bien sûr, elle aurait aussi put sacrifier sa vie en un acte héroïque pour protéger la ville avec cette même magie, mais que voulez-vous chacun ses priorités ! La vôtre a bien été de sauver votre majordome.
Lest pinça les lèvres. Cet empereur était terrifiant. Comment pouvait-il savoir ça ?
_ Quoi qu'il en soit, Meryem l'a trouvée qui se cachait de tous dans un coin de la ville, et s'il lui est facile de tromper tout le monde, il est plus difficile de l'abuser. J'ai donc récupéré cette chère Ventuswill. Qu'importe son corps, elle reste cette déesse qui a repoussé la mort, et qui possède la force nécessaire pour accueillir le pouvoir ultime que je recherche.
_ Pourquoi me raconter tout ça ?
_ Parce que tu vas mourir, mon petit prince. Tu ne pourras pas t'échapper, nous sommes en plein ciel, et à l'heure qu'il est, mes engins volant ont abattu tes amis en dirigeable. Oui, je vous ai vu approcher, tu n'as pas trouvé que votre arrivée était trop facile ? Je voulais te revoir, j'estimais que tu avais le droit de connaitre la vérité.
Le regard de Lest alla de l'empereur à Ventuswill. Elle les avait tous abandonné à une mort certaine… comme l'avait fait Frey en s'enfuyant avec Dylas, comme lui-même l'avait fait en emmenant Vishnal. Comment lui en vouloir ? Depuis toujours, Ventuswill avait peur de mourir, elle n'allait pas changer du jour au lendemain simplement parce que cela aurait été plus digne de la déesse qu'elle était. Il ne l'en blâmerait pas. Son regard revint vers Ethelberd, dur et déterminé. La magie illumina ses mains, pulsant dangereusement.
_ Tiens donc, le petit prince veut se battre… Pauvre petite chose… Très bien, allons-y !
D'un geste, l'empereur envoya Ventuswill voltiger au-dessus du trône attendre patiemment qu'il en ait finit avec Lest pour qu'il s'occupe d'elle. Il n'avait pas besoin de la moindre puissance ultime pour le vaincre.
_oOo_
Quelque part dans le ciel…
Doug pinça les lèvres alors que le dirigeable perdait de l'altitude. Vite. Beaucoup trop vite. La toile était percée, et l'air contenu à l'intérieur s'échappait en sifflant. Un tir, un seul, avait suffit. Arthur avait pourtant manœuvré de son mieux, mais les engins volant ne leur avaient laissé aucun répit. Ils s'étaient éloignés après les avoir touché, considérant visiblement qu'ils ne s'en sortiraient pas.
Doug ne pouvait que comprendre leur résonnement. Le sol se rapprochait vite, sombre, couvert d'une forêt de sapins et de rocailles. Une chute là-dessus leur serait fatale.
Le jeune nain n'avait aucune envie de mourir, aussi courrait-il d'un bout à l'autre du pont, tirant sur une corde, en relâchant une autre, pour tenter de ralentir leur chute et de transformer leur écrasement imminent en atterrissage un peu brusque.
_ Arthur, redresse le gouvernail !
Mais Arthur n'avait pas l'air de l'écouter, regardant le sol se rapprocher avec une drôle de lueur dans le regard. Et Doug comprit. Arthur ne s'était jamais remit de la mort d'Illuminata, après tout.
_ Arthur ! S'il-te-plait ! Redresse !
Arthur tourna mollement la tête vers lui et se mordit la lèvre.
_ Je suis désolé…
Doug senti une vague de panique l'envahir. Arthur était à ce point brisé qu'il était prêt à les laisser mourir tout les deux.
_ Ce n'est pas ce qu'aurait voulu Illuminata ! Arthur ! C'est affreux ce qui lui ait arrivé, aucun mot ne pourra décrire ça, mais ce n'est pas une raison pour abandonner !
_ Et tu veux que je fasse quoi ? Que je batifole dans les prés alors qu'elle… elle….
_ QUE TU VIVES ! Que tu vives, et que tu te rappelles d'elle ! Qui le fera si tu disparais ?! Tu es probablement celui qui la connait le mieux ! Illuminata disparaitra totalement si tu meurs, il n'y aura plus personne pour se souvenir d'elle ! Est-ce que tu peux accepter ça ?!
Arthur le regarda, des larmes roulant le long de ses joues et ses lèvres tremblant d'émotion.
_ Non !
Et il referma sa main sur le gouvernail.
Doug ne s'accorda pas le temps de soupirer de le voir renoncer à les écraser tous les deux et recommença à s'acharner sur les cordes. Leur chute ralentissait, mais pas assez vite.
Arthur tirait sur le gouvernail de toutes ses forces, de toute sa rage à vivre pour ne pas laisser le souvenir d'Illuminata disparaitre. Il n'irait pas jusqu'à dire qu'il avait envie de vivre, mais il ne voulait pas mourir pour autant, ce qui était un bon début.
Les arbres et la rocaille se rapprochaient d'instant en instant, et il donna un violent coup de volant.
Le choc fut brutal, le bruit assourdissant… et tout devint noir.
