Chapitre 46 : L'amnésie de Mlle Parker 3/3
Maison de Mlle Parker 431 Mountain Spring Drive, Blue Cove, Delaware, 01991
Dans sa chambre, Mlle Parker, terrassée par le chagrin était plongée dans le noir le plus total alors que seule la petite lueur pâle de la lune parvenait à percer les vitres de sa fenêtre. Dans la pièce, on ne pouvait qu'entendre le bruit de ses reniflements et de ses sanglots. Couchée, dans son lit, en position fœtale, les joues mouillées, elle revivait inlassablement la disparition tragique de Thomas, survenue deux ans plus tôt. Le visage du charpentier, souriant et plein de vie, la hantait encore. La douleur de sa perte était toujours aussi vive que le jour du terrible drame, comme si le temps n'avait pas atténué la blessure. Son cœur n'avait pas réussi à cicatriser. Avec un mouchoir qu'elle tenait entre ses doigts, elle essuya son œil droit. Comment avait-elle pu oublier le vide qu'il avait laissé derrière lui ? Pourquoi avait-il été repris si tôt ? Pourquoi avait-elle été privée subitement de l'homme qu'elle aimait ? C'était alors que la porte s'entrouvrait, Jarod était là à veiller sur elle. « Parker, murmura-t-il à voix basse, je suis là. Ça va aller. » Elle tourna la tête vers lui pour le regarder, ses yeux étaient rougis et gonflés par le torrent de larme qu'elle avait versé. Il s'approcha et s'allongea derrière elle pour l'enlacer, ses bras solides l'entouraient de sa présence. Malgré tout, une petite partie d'elle résistait encore à s'ouvrir à lui. De toute façon, il ne pourrait pas comprendre.
« Ça fait des heures que tu es là dans le noir. Comment tu vas ? il la serrait fort contre lui.
- Comment crois-tu que je vais, Jarod, hein ? Je viens d'apprendre que Thomas et mon père sont morts. Je me sens si seule.
- Tu ne l'es pas. Je suis toujours là. Ethan est là, Sydney est là. Broots aussi.
- Ethan ? Qui c'est ?
- C'est ton petit frère. Notre frère. Le fils de ta mère et de mon père.
- Mon frère ? Notre frère ?
- Oui et si tu veux le voir, je lui dirai de venir.
- Je sais que tu me l'as déjà expliqué, mais… Pourquoi ai-je oublié certains événements de ma vie, Jarod ? elle posa ses mains sur celles du caméléon.
- C'est à cause de l'accident, Parker. La poutre qui t'est tombée sur la tête a provoqué cette amnésie. Ton cerveau te protège en bloquant des événements traumatisants qui ont eu lieu.
- Pourquoi n'en profite donc tu pas pour partir aussi loin d'ici, du Centre et de moi-même ?
- Parce que, Parker, même si tu ne te souviens pas de nous, de ce que nous avions vécu, moi, je n'ai rien oublié de tout ça. Tu me manques terriblement. Et je ne veux être nulle part ailleurs qu'auprès de toi.
- Je veux dire, pourquoi devrais-je te garder près de moi si je ne me rappelle pas de ce que nous avions ?
- Parce que… les doigts sous le menton de Mlle Parker, il l'obligea à lui faire face. Au fond de toi, tu ne veux pas me laisser partir. N'ai-je pas raison ?
- Jarod, je ne peux pas te donner ce que tu veux. Thomas est peut-être mort, mais il est toujours là, dans mon cœur. Je ne peux pas penser à toi comme à un amant. Je... Je ne ressens rien pour toi, Jarod.
- C'est difficile à entendre, Parker. Et c'est difficile à croire. Que faut-il faire pour te convaincre de la véracité de tes sentiments à mon égard ? Un long baiser ? Un dîner aux chandelles ? Une promenade au clair de lune ? Non, j'ai beaucoup mieux ! On pourrait passer la nuit a faire l'amour. Qu'en dis-tu ?
- Je te demande de m'oublier, Jarod, elle s'écarta de lui. Oublie notre histoire, tu ne t'en porteras que mieux.
- Non, je ne peux pas faire ça. Il est hors de question que je renonce à toi. Laisse-moi te montrer comment nous étions heureux tous les deux, comment nous sommes faits l'un pour l'autre. Et si jamais cela échoue alors je te promets que je n'insisterai plus. Tu seras libre de m'oublier. Tu seras débarrassé de moi, définitivement. Tu n'entendras plus jamais parler de moi.
- Vraiment ? Alors Jarod, si cela échoue, tu devras arrêter de mentionner notre relation amoureuse. Et disparaître de ma vie. Pour toujours.
- C'est promis. »
Le lendemain matin, Jarod qui avait donné un rendez-vous à Ethan, s'en était allé de bonne heure. Quant à Mlle Parker, elle commença à établir une liste comme l'avait suggéré tantôt Jarod. Broots, debout devant la porte, déposa un bouquet de fleurs fraîches sur le rebord de la fenêtre, s'arrangea un peu et se recoiffa les cheveux avant de sonner. À l'intérieur, la Miss lui accorda d'entrer par un cri. Il pénétra dans son salon, ravi de la savoir en bonne santé. Ils s'installèrent sur le canapé avec solennité. Il était assez inquiet pour elle et il s'en voulait de ne pas être venu avant. Ah ! Les devoirs du Centre. Est-ce qu'elle le reconnaissait ? Est-ce qu'elle allait bientôt revenir travailler ? Pour l'instant, elle ne préférait se concentrer uniquement sur sa guérison. Elle se questionna sur les raisons de sa visite. L'informaticien se releva et entama une conversation sur les nombreuses missions menées afin de capturer le caméléon, Jarod, l'homme qui avait été le cœur du sujet durant toutes ces années. Avec un large sourire, il dépeignit quelques-uns des moments les plus mémorables, espérant que cela aiderait Mlle Parker à rassembler des morceaux de sa vie. Puis il évoqua son adorable petite fille dans l'espoir que cela ramènerait un peu de lumière dans son esprit égaré. Il lui parla de la relation chaleureuse qu'elle entretenait avec Debbie. Il lui partagea des anecdotes comme le jour où il avait surpris sa petite fille vêtue de la même manière que Mlle Parker. Et le livre qu'elle lui avait si gentiment offert. Mlle Parker hocha la tête. Tous lui semblaient en surface confus, mais il y avait des lueurs d'une réminiscence dans ses yeux. Il était évident qu'elle faisait de son mieux pour se reconnecter avec son histoire. Avant de partir, il y avait autre chose.
« Broots, vous dîtes que Lyle est de retour au Centre ? Pourquoi, où était ce cannibale ?
- Personne ne le sait malheureusement et Sam est revenu. Il est… Comme lobotomisé. Mlle Parker, Lyle, il ne reste jamais très longtemps. Il fait des allers-retours et il se comporte de manière étrange. Je me demande ce qu'il mijote avec ce bébé.
- Vous avez dit "bébé" ? elle leva un sourcil.
- Oui, celui que l'on prenait pour votre frère, le petit Parker. Le fils de Jarod.
- Jarod a un fils ? Il ne m'en a pas parlé.
- La manipulation génétique. Le projet Genius ? Le projet Évolution ? Ça ne vous dit rien, Mademoiselle ?
- Vaguement… Si... Je crois. Lyle... Mon charmant jumeau psychopathe. Je ne peux pas dire que ça m'enthousiasme beaucoup. Quoiqu'il en soit vous allez mettre votre nez, un peu partout dans ses petites affaires. En parlant de recherche, Broots, je voudrais que vous fassiez une chose pour moi.
- Oui, tout ce que vous voudrez.
- Je voudrais que vous m'aidiez à retrouver ma mère.
- Votre mère ? Mlle Parker, elle est décédée.
- Je sais maintenant qu'elle n'est pas morte. Je suis convaincue qu'elle se cache, et je veux savoir où elle est. C'est important.
- Et comment dois-je m'y prendre ? Où dois-je chercher ? Ce que vous me demandez est impossible.
- Rien n'est impossible. Vous allez le faire, oui ou non ? Ou faut-il que je vous supplie ?
- Bien sûr, comptez sur moi.
- Merci, Broots. Au travail ! »
En cette après-midi paisible et ensoleillée, Mlle Parker s'était réfugiée dans son bureau, tandis qu'elle continuait la création de sa liste. Son stylo grattait à la hâte les pages blanches, inscrivant des mots, esquissant des fragments de sa triste existence, griffonnant des bribes sensorielles. L'odeur enivrante de la pluie, le bruit des vagues de l'océan frappant contre les rochers, la douceur sucrée des raisins, et bien sûr, la rugosité du sable sous ses doigts. De son côté, Jarod, confiant, avait métamorphosé tout un coin de la pièce en un petit atelier de stimulation à la pointe de la précision. Il avait réuni une partie des informations fournies par Mlle Parker. Les étagères étaient remplies d'objets, de sons capturés, de photos. Chacun de ces éléments était minutieusement étiqueté et classé. Elle tourna son regard vers lui. « Jarod, je suis prête. On peut y aller. » Jarod, assis en face d'elle, était attentif à chacune de ses paroles. Il lui tendit une tasse de café. Après en avoir avalé une gorgée, elle s'exclama : « Je veux me souvenir des moindres sensations. Je veux me rappeler les odeurs, les sons, les goûts, les textures. Et les derniers événements qui ont marqué ma vie. Tout. Absolument tout. » Il acquiesça et prit une boîte remplie d'objets.
« Nous allons commencer par le sens du toucher, il sortit un petit morceau de soie noir et le mit dans la main de Mlle Parker. C'est la texture de la robe que tu portais lors de notre première soirée à Central Park.
- C'est soyeux... elle ferma les yeux. Et ça, qu'est-ce que c'est ?
- Ça, il déposa devant elle un distributeur mécanique de bonbons. C'est le cadeau que tu m'avais offert, ce soir-là. En gage de paix.
- Un Pez ? Une colombe. Ça ne me dit rien.
- Ce n'est pas grave, Jarod sourit et passa au suivant. Il ouvrit une petite fiole et l'agita sous son nez. L'odorat. Sens cette fragrance. C'est le parfum que tu portais lors de notre premier week-end en amoureux. Je l'adore.
- Ça sent bon, elle inspira, s'imprégnant de l'odeur. C'est floral.
- Le goût, Jarod continua avec un échantillon de chocolat fin. Il lui glissa le morceau dans la bouhe.Ton péché mignon.
- Riche, doux, un peu amer, elle savoura le carré noir avec délectation. On dit que le chocolat a des vertus aphrodisiaques, tu crois que c'est vrai ?
- En-tout-cas, il nous plaît de le croire.
- Le chocolat, c'est le péché mignon de tout être humain sur terre.
- Pour certaines personnes, oui. D'autres n'en apprécient même pas la saveur. La vue, Jarod alluma son écran d'ordinateur qui affichait un déferlement de photo de paysage de la grande pomme. C'est la vue depuis notre suite à New-York. Les gratte-ciels de Manhattan.
- C'est vraiment magnifique, elle fixa l'image, laissant ses yeux se remplir de la beauté du panorama. Mais je connais cette ville et…
- Je t'en prie Parker. Concentre-toi. Et enfin, l'ouïe, Jarod prit un lecteur cd portable et plaça des écouteurs sur les oreilles de Mlle Parker. C'est la chanson qui jouait lors de notre première nuit ensemble. Ça t'évoque quelque chose ? Un baiser ? Une étreinte ?
- C'est poétique, sentimental. Je crois l'avoir entendu à la radio tout à l'heure, bercée par les notes mélodieuses, elle devenait songeuse. Alors toi et moi, on a passé la nuit ensemble ? On a fait l'amour ?
- Oui. Et c'était merveilleux. Jarod la regarda avec adoration.
- Alors pourquoi je ne me rappelle pas ? Ce n'est pas le genre de choses que l'on oublie. À moins d'être bourrée. Rassure-moi, je n'étais pas ivre ? N'aurais-tu pas Jarod profité d'un de mes moments de faiblesse ?
- Non, jamais je ne profiterai de toi ou de tes faiblesses. Tu étais parfaitement consentante et en pleine possession de tes moyens.
- Si je découvre que tu m'as menti Jarod, il n'y aura pas un seul endroit sur cette planète où tu pourras te cacher. Je te traquerais sans relâche et lorsque je t'aurais attrapé, je te torturerais jusqu'à ce que mort s'ensuive !
- Je ne te mens pas. On en reparlera plus tard. Ah ! Ce soir, je t'invite à dîner. Je n'accepterais aucun refus de ta part. »
Restaurant de Blue Cove, Delaware
À Blue Cove. La soirée était prévue dans l'un des restaurants les plus chics et l'un des plus romantiques de la ville. Des lustres suspendus au plafond pour un éclairage doux. Des tables recouvertes de nappes en lin sur lesquelles étaient dressé des couverts en argent. Des fleurs disposées dans des vases en verre. Des chaises de très haute qualité. Des tableaux, des miroirs décoratifs et d'autres œuvres d'art ornaient les murs. Arrivés sur place, Jarod et Mlle Parker se laissèrent guider à leur table par un serveur assez maladroit. Cela devait être son premier jour de travail ou sans doute son deuxième. Soudain, elle se retourna vers une voix suave, une chanteuse de jazz. Le caméléon avait pris le temps de choisir chaque petit détail pour évoquer des souvenirs chez Mlle Parker. Cette dernière portait une robe noire et élégante pour l'occasion. Le cadre était idéal et malgré l'atmosphère idyllique, elle restait distante. Ils échangèrent quelques banalités au cours du repas. Jarod avait finit enfin par prendre l'initiative de raconter des moments intimes entre eux.
« Pourquoi ce restaurant, Jarod ?
- Sydney nous avait récemment organisé une agréable surprise. En fait, ce soir-là, on s'était réconcilié.
- Réconcilié ? On s'était disputé ?
- C'est ce qu'on fait de mieux, non ?
- Oui, elle hocha la tête, perplexe.
- Et notre voyage en Suisse, à Genève ? Nous avons marché le long du lac Léman, main dans la main.
- Jarod, tout ce que tu me décris n'existe pas pour moi, il souffla, l'air déçu.
- Je ne vais pas abandonner Parker et toi non plus ! Cela prendra juste un peu plus de temps que prévu, elle lui adressa un sourire contrit.
- Jarod. Tu me parles sans cesse de cette liaison que nous entretenons tous les deux, mais je ne sais rien de ça. Je veux savoir maintenant comment toi et moi, nous en sommes arrivés là.
- Très bien, Parker. Te souviens-tu de Carthis ? C'est là-bas que nous avons pris conscience de ce que nous ressentons l'un pour l'autre.
- L'Écosse ? Les parchemins ? Oui, je crois.
- Environ trois mois après cet épisode. J'ai décidé de faire le premier pas. Je savais que si je ne tentais rien, nous n'aurions aucun avenir ensemble. Un soir, je t'ai demandé de venir me rejoindre à New-York. Et tu es venu. Et puis les choses ont évolué rapidement. On est devenu amant.
- Amant ? Tu as dit que mon cerveau essayait de me protéger en bloquant des événements traumatisants. Qu'est-ce que tu m'as fait, hein ? Qu'est-ce que tu m'as fait Jarod pour que cette partie-là soit effacée de ma mémoire ?
- Pas moi. La poutre, Parker ! La poutre. Changeons de sujet si tu veux bien. »
Le dîner se poursuivit dans une ambiance très tendue tandis que la chanteuse continuait ses nombreuses interprétations, le caméléon, lui se leva et tendit sa main vers Mlle Parker. « Accorde-moi cette danse, Parker. » Avec le sourire, la jeune femme accepta avec plaisir. Ensuite, tous les deux se dirigèrent ensemble vers la piste de danse improvisée. Elle hésita un instant à se rapprocher davantage de lui. Leurs mains se rejoignirent au niveau de la taille dansant lentement, tourbillonnant, leurs pas se synchronisaient naturellement au rythme de la chanson. La robe de la Miss tournoyait tout autour d'elle, créant des vagues de tissu qui bougeaient gaiement avec eux. Jarod, lui, s'arrêta soudainement pour la presser contre lui. Leur regard se perdit l'un dans l'autre. La musique, elle, s'estompa peu à peu. Alors que Jarod se pencha légèrement, son front contre le sien, leurs lèvres s'apprêtaient à se frôler. Lorsque tout à coup, elle retira brutalement sa tête, ses bras retombèrent le long de son corps. Troublée, elle le gifla alors que ses doigts claquaient sur la joue du caméléon. La douleur physique n'était rien comparée à celle qui avait atteint son cœur.
« Je suis désolée, Jarod. Je suis désolée pour la gifle, et je suis désolée pour nous, elle était en pleurs.
- Parker, ce n'est pas de ta faute. Je n'aurai pas dû. Viens allons nous asseoir.
- Jarod, je suis…
- Parker, il y a encore une chose que nous pouvons faire.
- Et quoi donc ? À part attendre qu'un miracle se produise, je ne vois pas ce que l'on pourrait faire de plus.
- Un séjour au Mark Hotel à New-York, il déposa une enveloppe sur la table.
- Le Mark Hotel ? elle l'ouvrit et y découvrit deux billets d'avion, il s'agenouilla devant elle. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.
- Moi, je crois que si. Tes souvenirs et tes sentiments peuvent se raviver là-bas, Parker. New-York était l'endroit où tout a commencé entre nous, où nous avons vécu tous les deux, mon amour, tant de merveilleux moments. Partons tous les deux, là-bas. Je t'en prie.
- Et si ça ne marche pas, Jarod ?
- Alors, nous essayerons autre chose. Je veux que tu me reviennes et je ne renoncerais pas tant que nous n'aurons pas tout essayé.
- D'accord, Jarod. Allons-y !
- Nous partirons dès demain après ta séance avec Sydney. »
Suite 88, Le Mark Hôtel, NY
Au milieu de l'après-midi, ils étaient enfin devant le somptueux Mark Hotel. L'élégance de l'édifice les avait alors accueilli, ses lignes architecturales raffinées et ses façades de pierre offraient un contraste frappant avec la jungle de béton qui l'entourait. Mlle Parker était impressionnée par ce lieu, bien qu'elle ne savait pas si elle y était venue auparavant. Ils franchirent les portes d'entrées. Un tapis rouge s'étalait sous leurs pieds, les menant directement jusqu'à un atrium paré d'un lustre étincelant suspendu dans les airs. Jarod amena Mlle Parker vers l'ascenseur, montant dans la suite qui portait le chiffre 88. À l'intérieur, elle y aperçut un espace qui sortait tout droit d'un rêve. La pièce principale s'ouvrait sur de grandes fenêtres, Mlle Parker, émerveillée, s'y approcha, les yeux grands ouverts attirés par la vue à couper le souffle. Elle pouvait voir les arbres, les sentiers, les routes et les gratte-ciels. Et le parc s'étendait à perte de vue, une véritable oasis de verdure au cœur de la métropole. Charmée et incertaine à la fois, elle se tourna vers Jarod. « C'est incroyable. Oh, je m'en veux Jarod ! » Il lui prit la main et l'entraîna à travers la suite.
« Commençons par le salon. Tu pouvais passer des heures à contempler les lumières depuis cette fenêtre. Tout comme moi.
- Comment pourrais-je oublier une vue aussi magnifique ? Je suis venue dans cette ville assez souvent. Et pourtant, c'est comme si je la voyais pour la première fois. Merci Jarod.
- Dans ce cas, continuons avec la cuisine. C'était ici que tu avais brûlé notre petit-déjeuner romantique. Si tu veux tout savoir, j'étais très touché. Et même brûlé, c'était un régal.
- Moi qui ne sais même pas faire cuire un toast, je t'ai fait la cuisine ? Mlle Parker le regarda, les sourcils froncés, puis secoua la tête avec un petit rire.
- C'était une surprise pour moi. Tu voulais me faire plaisir. Viens Parker ! Jarod lui sourit, la conduisant ensuite vers une autre pièce. La salle de bain. Ici, dans cette douche, tu m'as appris des choses dont je ne soupçonnais même pas l'existence.
- C'est-à-dire ? Soit explicite petit génie !
- On va dire que tu adorais me défier dans des jeux assez surprenants.
- J'imagine que ça devait être très amusant et très chaud n'est-ce pas ? gênée, elle rougissait.
- En effet, c'était très chaud. Je dois d'ailleurs l'avouer, tu sais faire grimper la température... Entre Parker, il l'emmena dans un lieu sacré pour eux, un endroit intime. Il avait gardé le meilleur pour la fin. La chambre. Notre refuge. C'était ici que tu étais vraiment toi-même. C'était ici que tu étais la plus vraie, la plus authentique. C'était ici, où nous avons fait l'amour pour la toute première fois.
- On avait l'air d'être heureux ensemble.
- Oui, Parker. Très heureux.
- Je suis désolée, Jarod. Il n'y a toujours rien. Je ne vois rien, je ne ressens rien ! » elle se détourna de lui.
Plus tard en début de soirée, Jarod avait décidé de passer un moment sur le toit terrasse. Les lumières se reflétaient sur les eaux scintillantes de l'Hudson River. Tous les deux se tenaient à la balustrade en fer. C'était clair pour Jarod. Quelque chose allait se déclencher chez la jeune femme. Malheureusement, elle s'était complètement refermée. Et lui, il ne savait plus quoi faire. Mlle Parker portait le pendentif en forme de caméléon autour de son cou, sans se douter de sa véritable origine. Il sauta sur l'occasion.
« Il est beau, n'est-ce pas ? il désigna du bout de son index l'objet.
- Je crois que c'était un cadeau de Thomas.
- Non, Parker. C'est moi qui te l'ai offert, ici même, sur ce toit-terrasse, il leva la main pour toucher le pendentif.
- Oh, la gaffe ! Toi ? Pourquoi ?
- Parce que je venais de traverser une période difficile, que tu étais là à mes côtés. Et que je voulais que tu saches que j'étais amoureux de toi. Et ces jolies boucles d'oreilles, c'était moi aussi, le soir de notre premier week-end. Tu les avais vues un jour dans une bijouterie. Tu avais craqué dessus. C'était un geste de mon amour pour toi.
- Je regrette, Jarod, elle se cacha le visage dans ses mains.
- Et à Genève, Parker, je t'ai ouvert mon cœur, cette nuit-là, je t'ai dit que je t'aimais.
- Je ne me souviens de rien de tout ça.
- J'essaie vraiment de comprendre. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour t'aider, mais tu ne fais aucun effort. C'est comme si tout cela ne signifiait rien pour toi, il agrippa ses épaules.
- Parce qu'effectivement ça ne signifiait plus rien pour moi, Jarod. Peut-être que je ne veux pas me souvenir. Peut-être que j'ai de bonnes raisons de ne pas me souvenir ! elle soutenait son regard.
- Tu as de bonnes raisons ? Tu veux dire que tu préfères oublier tout ce que nous avons vécu ensemble ces dernières semaines ? Tu ne penses pas ça sérieusement, Parker. Ce que nous avions, c'était unique, c'était spécial. Tu ne peux pas l'effacer de ta mémoire.
- Pourtant c'est ce que j'ai fait.
- Parker, tu te condamne a rester prisonnière dans ta cage dorée. C'est ce que tu veux, hein ?
- Jarod. Tu ne sais pas ce que je vis. Je ne peux pas faire semblant d'être la personne que tu veux que je sois.
- Je ne te demande pas de faire semblant, Parker. Je te demande de réagir, de faire un effort pour retrouver ce que nous avions. Tu dois lutter pour te rappeler. Tu peux le faire. Je t'en prie, la tension, entre eux, montait et Jarod, crispé, était au bord de la crise de nerf. Je sais que tu en es capable. Tu es forte, tu as toujours été incroyablement forte. Je t'en prie mon amour.
- Peut-être que j'ai envie d'oublier, Jarod ! Si c'est la seule façon de survivre.
- Je ne peux pas croire que tu dises ça. Je ne peux pas croire que tu n'essayes même pas de te rappeler, ses yeux cherchaient à rencontrer les siens. Je suis en plein cauchemar !
- Et qu'en est-il de toi, Jarod ? Mlle Parker avait les larmes aux yeux et sa voix était pleine de tristesse et de rancoeur. Tu m'as laissée seule. Tu m'as abandonné quand j'avais le plus besoin de toi ! »
Les mots aussi accusateurs que tranchants, comme une lame de couteau bien aiguisée, sortirent de sa bouche avant qu'elle ne puisse les retenir, elle les regretta instantanément. Elle se retourna brusquement et s'éloigna de lui, le laissant derrière elle. Jarod, bien que blessé, réalisa la portée de la chose. Il l'avait poussée au-delà de ses limites, et dans sa colère, elle avait révélé un fond de la vérité qu'elle gardait pour elle-même. Jarod la regarda partir, son cœur se serrait. La jeune femme avait fui hâtivement l'hôtel, sans se préoccuper du caméléon toujours seul sur le toit-terrasse. Malgré l'ampleur des propos, il savait que la flamme de leur amour brûlait encore en elle. Elle ne pouvait pas l'oublier, du moins pas complètement. Tout n'était pas perdu pour eux. Il était prêt à tout faire pour la ramener à lui. « Elle se souvient ! »
Bouleversée, la jeune femme errait, sans but précis, marchant d'un pas erratique sans prêter aucune attention aux passants qui la bousculaient presque avec véhémence où encore aux voitures qui roulaient à toute vitesse. Ses talons frappaient le sol alors qu'elle continuait lentement son chemin. Les paroles qu'elle venait de prononcer sous l'effet de la colère la tenaillaient. C'étaient deux phrases. Deux phrases qui lui avaient échappé et qui à ses yeux ne voulaient rien dire. Rien ! « Tu m'as laissée seule. Tu m'as abandonnée quand j'avais le plus besoin de toi. » Mais pourquoi avait-elle dit ça ? Elle secoua la tête. Les lumières des panneaux publicitaires et des enseignes des magasins brillaient trop fort, les couleurs étaient trop vives pour son état d'esprit trop sombre. Elle s'arrêta près d'un banc public, s'effondrant dessus. Elle poussa un gros soupir. Encore un ! Elle avait cette impression d'être au bord d'un précipice, ne sachant pas si elle devait reculer ou sauter dans l'inconnu. Un homme s'approcha d'elle, prenant place à ses côtés. Le visage à peine éclairé par la lumière des réverbères, sans dire un mot. Il enleva sa veste pour recouvrir les épaules de la jeune femme.
« Je suis désolée.
- Parker, arrête de t'excuser. Tu n'as pas à le faire. D'accord. Tout va bien.
- Je ne voulais pas dire ce que j'ai dit tout à l'heure. Ce n'était pas la vérité, j'ai été injuste.
- Bien sûr que si tu voulais le dire.
- Jarod. Je… elle baissa les yeux, se mordant la bouche.
- Chut, Jarod posa un doigt sur ses lèvres pour la faire taire. Je sais que tu te souviens. Je le vois dans tes yeux, dans la façon dont tu me regardes. Il prit son visage entre ses mains. Tu n'as rien fait de mal, Parker. Tout est de ma faute. Tout est à cause de moi. Ce jour-là dans l'entrepôt…
- Je ne veux pas savoir Jarod. Ce qui s'est passé à l'entrepôt. Je ne veux pas le savoir. »
Il lui adressa un petit sourire parallèlement, les doigts du beau brun suivaient le trajet le long de son front jusqu'à la naissance de son décolleté. Ce qui provoqua des palpitations chez la demoiselle. Jarod se pencha un peu plus en avant tandis qu'elle s'appuyait contre le dossier du banc. Elle avait la sensation d'aspirer le souffle du caméléon. Il y déposa un doux baiser dans le creux de son cou remontant tout doucement. Des images en rafale commencèrent à faire leur apparition. Des bruits. Des rires et des pleurs. Des documents. Un nourrisson. Mais aucun moment intime entre elle et Jarod. Elle ferma les paupières. Quand il retira ses lèvres de son cou, elle ouvrit les yeux, les larmes aux bords des cils.
« Tu as un fils ? Il n'est pas avec toi ?
- Tu te rappelles de lui ?
- Quelques bribes seulement, elle haussa les épaules.
- C'est excellent, tu progresses, Parker Et quoi d'autre ?
- C'est assez confus pour l'instant. Tout est mélangé, j'ignore si ce que je vois ou ce que j'entends est réel.
- C'est réel. C'est très réel. Tout comme ce que l'on ressent l'un pour l'autre.
- Parle-moi de lui. Il n'est pas mon frère ?
- Eh bien, non, il ne s'agit pas de ton frère. Il est spécial. Il a été créé dans le cadre du projet Genius. C'est écrit dans la lettre de ton père.
- Manipulation génétique, c'est ça ?
- Oui, mais il y a encore un mystère entourant sa naissance. Je ne sais toujours pas qui est sa mère et c'est une question qui restera sans réponse. Ça ne m'intéresse plus de savoir qui elle est.
- Pourquoi ça ?
- Parker, je ne veux qu'une seule maman pour mon fils. Et cette maman, c'est toi. Si nous en avons la chance, on pourrait enfin vivre la vie dont on rêve tous les deux avec lui. On pourrait devenir la famille que nous n'avons jamais eue. On pourrait être si heureux, il lui caressa les cheveux.
- Jarod, non…. Non. Ma mémoire me fait toujours défaut. Et en admettant que tout me revienne, je ne me sentirais pas prête à vivre cette vie que tu me proposes. Je ne suis pas faite pour être engagée dans une relation stable et traditionnelle comme toutes ces autres femmes.
- Je ne veux pas que tu sois comme toutes les autres femmes, Parker. Je te veux toi, avec tes doutes, tes peurs et tout ton amour, il lui prit les mains.
- Ce n'est pas seulement une question d'être prête. C'est un choix de vie. Je ne suis pas faite pour les compromis. Ce n'est pas moi. Je ne peux pas te donner ce que tu veux.
- Parker, il y a un bébé quelque part qui a besoin d'amour, et je suis convaincu que nous pourrions le lui offrir, tous les deux.
- Jarod, cet enfant a déjà une mère, et ce n'est pas moi, même si tu ne connais pas encore son identité. Qui sait, si un jour, cette femme, ne reviendra pas pour le récupérer. Et puis tu as oublié que je travaille pour le Centre. Ton fils et toi seriez sérieusement en danger si je m'impliquais dans vos vies. Je ne peux pas lui faire courir ce risque.
- Qu'est-ce que tu racontes ? Tu es dans ma vie depuis toujours.
- Et ce bébé, où est-il, maintenant ?
- Ça, c'est un autre mystère qu'il faut résoudre au plus vite ! »
Jarod et Mlle Parker étaient assis l'un près de l'autre. Ils s'étaient lancés tous deux dans une conversation des plus intéressantes. La jeune femme lui prêta une oreille attentive voulant tout savoir, Jarod lui expliqua la situation, cherchant des réponses qui lui étaient hors de leur portée. Soudain, le caméléon sursauta, son téléphone portable vibra. Il le sortit de sa poche, le nom d'Emily s'afficha sur l'écran. Cela faisait six fois qu'elle avait tenté de le joindre aujourd'hui. Il se leva et s'éloigna puis décrocha répondant à l'appel. Pendant que Jarod parlait avec sa sœur, Mlle Parker seule à l'écart, fixait l'ombre du beau brun. Elle ne pouvait alors entendre que la voix inquiète de Jarod, comprenant tout de suite que quelque chose de grave venait de se produire, elle en avait l'intuition. Le coup de fil terminé, Jarod, préoccupé, revint vers elle. Face à elle, il lui tendit la main. « Rentrons à l'hôtel. » Sur le chemin du retour, Jarod était resté silencieux. À l'étage, il appela Ethan lui demandant de venir au plus vite à New-York. Elle le regarda, étonnée.
« Ça ne va pas Jarod ? Tu es soucieux depuis ce coup de téléphone.
- C'était Emily. Il est arrivé quelque chose.
- Emily ? Qui est-ce ?
- Ma petite sœur. Écoute, ça a l'air sérieux. Malheureusement, je suis obligé de partir. Ethan va venir te rejoindre. Je ne veux pas que tu sois seule. En attendant, je vais rester avec toi.
- Jarod, je suis une grande fille. Je peux m'occuper de moi toute seule. Toi, tu devrais y aller, maintenant. Ta famille a besoin de toi.
- Mais Parker... Toi aussi.
- C'est peut-être le moment pour nous de faire le point, Jarod. J'ai envie de me retrouver. Et toi, tu as des choses à clarifier de ton côté.
- Ça ne signifie pas que je veuille te quitter à la première seconde, il la tira vers lui.
- Jarod, il est temps d'être honnête. Quoi qu'il se soit passé entre nous, c'est fini. Nous devons tous les deux avancer.
- Non, Parker, je ne peux pas accepter ça.
- Tu m'as fait une promesse Jarod. Tu as promis de disparaître de ma vie si je…
- Non ! Je ne pourrais pas faire ça. Je t'aime, et je sais que tu ressens la même chose pour moi.
- Tu te trompes, Jarod. Je ne veux plus te voir. C'est la fin pour nous. Alors va t'en ! Tu as compris, je veux que tu t'en ailles. Va t'en ! » Mlle Parker martela ses poings contre le torse du caméléon avant de le pousser violemment contre le mur.
La brutalité de ses paroles laissa Jarod sans voix. C'était l'effet boomerang. Leur rupture et tout ce qu'elle avait subi, toutes ces années, à cause de lui. Ses actions lui étaient revenues en plein visage. Un cocktail d'émotions dans lequel il se noyait telle une lise dans laquelle il s'enfonçait. Il était en colère, triste, déçu et blessé. La femme qu'il aimait le rejetait de la manière la plus catégorique qui soit. Elle n'avait plus rien à ajouter. Il se retira dans la chambre pour rapatrier ses humbles affaires. Quelques minutes plus tard. Jarod déposa son sac à l'entrée. Debout, face à la vitre, elle feuilletait, sans en lire une ligne, un vieux magazine datant de deux semaines au moins. Jarod s'approcha de derrière elle, ses mains attrapèrent vivement sa taille, tout à coup, il lui arracha le livre qu'elle tenait, le jetant par-dessus son épaule, celui-ci vola dans les airs, puis il la retourna vers lui. Il n'allait certainement pas quitter les lieux sans être sûr qu'elle n'éprouvait plus aucun sentiment pour lui. Ce qu'il voulait, c'était l'embrasser, que ce geste fut pour elle mémorable mais surtout qu'il puisse réveiller en elle les souvenirs de leur amour lointain néanmoins toujours présent. Et dans l'obscurité d'une nuit étoilée où seuls se dessinaient les reflets de leurs silhouettes collées l'une à l'autre, et ce, malgré la résistance de Mlle Parker, lentement les doigts de Jarod se hissèrent avec assurance le long de sa colonne vertébrale jusque vers le haut de sa nuque. Il lui souriait. Alors qu'elle appréciait la chaleur de sa paume contre sa peau, Jarod, lui, repositionna ses mains sur les hanches de la demoiselle, la serrant si fort qu'elle cessa immédiatement de s'opposer à lui, à son étreinte le regardant avec un intérêt si intense. L'odeur suave de son after shave l'envoûtait de son essence. Elle s'autorisa à lui effleurer le visage. Leurs respirations tout comme les battements de leurs cœurs s'accordaient en harmonie. Peu à peu, les lèvres du caméléon se joignèrent agréablement à celles de Mlle Parker. Elle pouvait sentir dans la pression de sa bouche, le doux frisson du désir de sa langue jouant avec la sienne. Le goût sucré, un festin de saveurs exquises, qui faisait naître en eux, une explosion de sensations. Leurs sens en éveil qui avaient transformé ce baiser en une expérience divine, une aventure gustative qui les avait laissés assoiffés l'un de l'autre. Et pourtant, malgré cet échange salivaire, Mlle Parker se dégagea des bras du caméléon. « Ce n'est pas terminé entre nous, Parker. Je reviendrai, sois en sûre. » À regret, Jarod se détacha d'elle. Devant la porte, prêt à partir, il observait la femme qu'il aimait. Elle lui avait tourné le dos, ignorant ainsi le départ imminent de celui-ci. Jarod réajusta sa veste, prit ses affaires avant de jeter un dernier coup d'œil vers Mlle Parker. Sans un mot, il sortit de la suite, laissant celle qui avait conquis son cœur, souhaitant que le destin les réunisse à nouveau un jour.
Elle était assise seule dans le salon de leur suite, des images de sa relation avec Jarod refaisaient surface sous forme de flashbacks et sûrement déclenché par leur baiser. Elle se revoyait, là, dans les bras de son caméléon. Des instants tendres et enflammés. Leur première nuit tous les deux nus ensemble. Leur tout premier baiser fougueux. Leurs étreintes passionnées. Leurs douces caresses et du tout premier « je t'aime » qu'il lui avait murmuré à Genève. Elle se leva du canapé et se précipita dans le couloir de l'hôtel, espérant le rattraper avant qu'il ne soit trop tard. « Jarod ! » Mais il était déjà trop tard ! Le caméléon avait disparu dans la nuit.
