La discussion avait duré un moment, bien plus longtemps que Derek aurait pu l'imaginer, pour la simple raison qu'il faisait un effort conséquent pour se montrer coopératif et que Stiles… Vidait son sac sans réellement le faire. Disons qu'il se concentrait sur le comportement d'Eli et pas sur son ressenti à lui. Ça, c'était quelque chose que Derek reconnaissait, que le Stiles de son monde faisait déjà. Il s'occupait des problèmes qu'il rencontrait, sans jamais se plaindre, ni faire l'étalage de ce que ça lui faisait à lui. Peut-être espérait-il ainsi lui faire oublier son odeur, qu'il continuait de sentir, mais cela ne marcherait pas. Derek ne pourrait pas la mettre de côté et ce, même s'il le voulait… Parce qu'il n'était pas comme ça, tout simplement. Toutefois, si Stiles semblait très peu ouvert, il ne limitait pas ses paroles au sujet d'Eli. Ainsi, Derek comprit que, pour remettre les choses à leur place et rendre un semblant de sourire à ce père fatigué, il lui faudrait passer par le petit loup. C'était d'autant plus important que Derek ne supportait pas l'idée qu'un membre de son espèce – son « fils », qui plus est – traîte son propre père humain de cette façon juste à cause de sa nature.
Alors là, allongé dans le lit que Stiles continuait de vouloir lui laisser, Derek réfléchissait activement, des heures après la fameuse discussion. D'une oreille distraite, il écoutait le programme que Stiles regardait au salon. Puisqu'il squattait le canapé, il mettait la télévision pour s'endormir… Sans doute pour ne pas avoir à trop penser. Il était plus facile de se vider l'esprit de ses préoccupations en laissant ses yeux absorber des images, des paroles, des informations extérieures à sa situation. Derek le comprenait. Restait pour lui à savoir à quel point il faudrait l'aider. Parce qu'en fait, il n'arrivait pas à voir où Stiles en était. D'un côté, il lui avait l'air au fond du gouffre et d'un autre côté… Il tenait le coup, arrivait à lui tenir tête et à se faire violence pour lui parler le moins possible. Derek se doutait bien que Stiles mourait d'envie d'un câlin ou de tout autre geste d'affection de la part de celui qui était censé être son mari… Mais ça, c'était quelque chose que l'ancien alpha ne pouvait pas lui donner. Ces choses-là, ce n'était pas son truc. Déjà qu'il n'était pas très tactile avec les différents partenaires qu'il avait eus dans sa vie… Alors un « mari » qu'il ne portait pas dans son cœur ? C'était encore pire. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était de reprendre et de corriger Eli – en douceur bien sûr, sans violence. Derek était du genre brusque, mais jamais il ne se montrerait brutal envers un enfant. Il serait ferme, peut-être un peu dur, oui. Il était comme ça, et on ne le changerait pas.
Du peu qu'il entendait, Stiles regardait un film policier, ou un thriller. Derek esquissa un sourire en coin malgré lui. Il y avait des choses qui, quel que soit le monde, ne changeaient pas.
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Le lendemain matin, Derek se fit violence pour ne pas se lever malgré ce qu'il entendait. Son idée ? Attendre la fin de la journée pour mettre les choses au clair avec Eli. Pourquoi pas avant ? Parce qu'il avait école et que le loup-garou préférait être sûr d'avoir le temps pour lui expliquer les choses et lui faire comprendre que sa vision du monde était fausse, que non, les loups-garous n'étaient pas supérieurs aux humains. Mais forcément, ce qu'il entendait le révoltait. Simplement, il se connaissait : s'il intervenait maintenant, le petit ne verrait pas la couleur d'une salle de classe avant des heures et il faudrait qu'il embête Stiles pour prévenir l'école, justifier son absence et toutes ces conneries-là. Dans un sens, Derek voulait éviter de lui rajouter plus de travail.
Mais il écouta. Retint. Serra les poings.
Stiles se faisait littéralement marcher dessus par son fils, qui lui sortait des propos ignobles. Ce fils, qui râlait parce que ce n'était pas « Dadou » qui le réveillait. Qu'il en avait marre, que ça soit toujours lui, Stiles. En journée, il aurait crié, mais l'enfant devait se dire qu'il dormait, puisqu'il n'augmentait pas le volume de sa voix. Ce simple détail, criant de vérité, était effarant, encore plus si on le combinait au reste. A ses paroles des plus tranchantes.
Mais il y eut une phrase que Derek retint peut-être un peu plus que les autres et qui fit luire ses yeux d'un cyan pur.
- Ce sera toujours Dadou, mon préféré. Toi, t'es pas comme nous, t'es nul.
Si l'ancien alpha n'entendit aucune réponse de l'humain, il entendit avec clarté la manière dont son cœur s'emballa, se déchira. Et alors que Derek se prit à espérer qu'il lui réponde, Stiles lâcha un discret soupir et lui dit simplement qu'il était temps d'y aller. Qu'il fallait partir maintenant, autrement, il serait en retard à l'école. Le choc qui secoua Derek fut terrible. Stiles ne pouvait pas se laisser faire à ce point. Accepter l'inacceptable. Leur discussion de la veille… Il avait beau la comprendre, mais il n'arrivait pas à concevoir que l'hyperactif ne réplique rien. C'était stupide, insensé.
Mais tout ceci convainquit définitivement Derek de faire quelque chose. S'il avait fait exprès de ne pas se lever alors qu'il était réveillé avant un moment, ce n'était pas seulement pour préparer sa future discussion avec le petit. Certes, avec ce qu'il avait entendu – en plus du reste de la veille –, il avait de la matière, cependant… Il voulait prendre le temps de réfléchir, de peaufiner sa stratégie… Même s'il avait été à deux doigts d'intervenir. La prochaine fois, il le ferait.
Il n'aimait pas entendre le cœur de Stiles se briser de cette manière.
Ainsi, lorsque le père humain et le fils loup eurent déserté la maison, Derek ne perdit pas davantage de temps. Il se leva, partit se laver et enfila ces vêtements censés lui appartenir. Ceux qui se trouvaient dans « son » côté de l'armoire étaient sobres et sombres. Au moins, son style restait le même. A ce niveau-là, il n'était pas dépaysé. Ensuite, il mangea un petit quelque chose et fit le tour de la maison, dans le but d'en mémoriser l'agencement complet. Derek fit attention aux meubles, à la décoration, à tous les cadres photos qu'il pouvait trouver. La chambre conjugale mise à part, tout était sobre mais imprégné d'une certaine lumière et propre. Rien ne dépassait ou alors, pas grand-chose.
Le plus intéressant à ses yeux était la chambre du petit. Eli ne semblait manquer de rien. Il y avait des jouets plein la pièce ainsi qu'un bureau et une chaise à distance raisonnable du lit. Ses draps représentaient un Batman au top de sa forme et sa lampe de chevet avait la forme d'une chauve-souris. Sur les murs ? Des affiches de super-héros et des images de loups directement imprimées et accrochées au mur avec du simple scotch, des posters également, ainsi que des stickers. Derek trouva, sur le bureau, le dessin de ce qui devait vaguement ressembler à un triskèle. Le symbole de la famille disparue de Derek… Le tatouage ancré et encré dans sa peau. Il réprima un sentiment étrange, à la fois positif et négatif. Il ne put toutefois ignorer la manière dont son cœur se serra. Parce que le même mot revenait sans arrêt dans sa tête suite à cette vue, un mot qu'il fuyait autant qu'il enviait.
Famille.
Dans sa tête, c'était compliqué. S'il faisait au mieux pour oublier cette facette de ce qui semblait être sa vie ici, elle se rappelait à lui avec une dureté nette. Derek gardait pour objectif de comprendre la relation qu'il entretenait avec Eli et Stiles pour mieux les aider – il était persuadé que c'était ce qui pourrait, d'une manière ou d'une autre, de rentrer chez lui. Encore une fois, il devait passer par le fils pour atteindre le père. Mais à côté de cela, il ne pouvait pas complètement ignorer ses propres états-d'âme. Qu'on le croie ou non, Derek peinait à se sentir bien ici. Aucun de ses gestes n'était assuré. Il était en terrain inconnu… Et il détestait ça.
Se retrouver confronté à cet aspect de vie qu'il avait été obligé de rayer de son sang… Forcément, c'était difficile. Son idée, c'était de rester seul, de vivre sa vie en essayant d'y trouver la paix. La chose restait délicate et Derek n'avait pas besoin de difficultés supplémentaires. S'imposer des préoccupations telles que le bien-être d'un partenaire et la responsabilité d'un enfant ne figuraient pas parmi ses objectifs pour le futur. C'était trop compliqué. Puis Derek gardait une idée bien précise en tête. Il avait déjà perdu une famille, quasiment toute sa famille. Hors de question d'en fonder une autre pour risquer de la perdre à son tour.
Derek se recentra sur son objectif actuel. Il n'y avait aucun doute quant au fait qu'Eli semblait beaucoup apprécier les loups et loups-garous – et par extension, son père lycan. Le triskèle vaguement dessiné marqua réellement l'ancien alpha.
Un détail qu'il n'avait pas vu jusqu'alors le fit se rapprocher d'une étagère basse qui se situait à côté du bureau. Pourquoi n'avait-il pas remarqué ce cadre photo avant ? Derek fronça les sourcils en s'en saisissant.
Sur l'image, il n'y avait qu'Eli et lui. Lui, qui le tenait dans ses bras et arborait un large sourire… Apaisé. Le gosse ? Il était rayonnant.
Cette photo, aussi simple soit-elle, voulait tout dire… Ne faisait que s'ajouter à tous les indices et éléments qu'il récupérait petit à petit.
Derek resta dans cette chambre un moment, mais entendit nettement du bruit provenir de l'entrée. Stiles était rentré. S'il devait à nouveau discuter avec lui pour le mettre au courant de ce qu'il comptait faire, c'était Eli qui passerait un sale quart d'heure en rentrant en fin de journée.
