31 juillet 2013
Alors qu'elle regardait fièrement son neveu souffler les bougies de son gâteau d'anniversaire, treize ans déjà, elle peinait à croire que le temps puisse passer si vite surtout comparé à Nilfheim où les secondes avaient la consistance et la célérité de la mélasse, Leah ne laissait aucunement entrevoir la tempête occupée à couver dans sa matière grise.
Il fallait bien préciser que Black lui avait transmis une nouvelle assez inattendue, celle de la survie de l'homme responsable du meurtre des Potter. Apparemment, le bougre avait décidé de se glisser dans la peau d'un rat pour jouer à l'animal de compagnie docile pendant une décennie.
C'était dégoûtant, et assez lâche en dépit d'être efficace, Leah n'hésiterait pas à le reconnaître. Mais principalement, c'était un véritable affront à la décence qu'un traître ait pu échapper à son juste châtiment pendant toutes ces années.
Peter Pettigrow avait été un ami de James et Lily Potter, il avait fait vœu de garder leur secret, et à peine le serment avait-il été prêté que le détestable rat s'était empressé de courir dans les jupes du soi-disant Seigneur des Ténèbres afin de dénoncer ceux qui lui faisaient confiance. C'était pire que la couardise abjecte, pire que la défaite humiliante.
Rien ne justifiait de pardonner à un traître. Quand le loup avait goûté au sang, il ne pouvait plus se contenter d'une autre nourriture que la chair fraîche – un traître ayant craché sur ses vœux et ceux qui auraient dû lui être plus précieux que la vie ne ferait que trahir encore si on lui en donnait l'opportunité. Vraiment, la seule chose à faire de ces excréments à faciès humain, c'était de les traîner dehors pour les tuer à coups de fouet et d'abandonner leur cadavre sur le fumier, ça ou les jeter aux cochons, les porcs digéraient absolument n'importe quoi.
En tant que souveraine des morts sans gloire, Hela avait vu quels résultats les péchés laissaient sur une âme de manière assez littérale, tant et tant d'esprits à la lumière ternie et affadie par leur paresse, par leur lâcheté, par leur goinfrerie et leur égoïsme. Mais la trahison, le parjure, rien de tel pour vous noircir au point que le mort ressemblait davantage à un bout de charbon occupé à s'effriter qu'à ce qui restait après une vie pleinement vécue.
Ce genre d'âmes, elle n'en voulait pas, les laissait dégringoler dans les rivières de venin et de poison qui coulaient vers le Naströnd, la région de Nilfheim où Hela Lokadottir elle-même refusait de mettre un pied.
Il y avait des monstres aussi vieux que l'Univers rôdant par-là, peut-être encore plus vieux que cela, et l'appétit de ces monstres était proportionnel à leur âge. Elle n'avait aucune envie de leur permettre de découvrir le goût de la chair de déesse.
En revanche, elle leur jetterait Pettigrow sans remords. Si le rat voulait se parjurer, qu'il accepte donc les conséquences de son acte au lieu de les fuir lâchement – mais il ne pouvait même pas faire cela, alors il faudrait le traîner devant le Magenmagot, bien ficelé pour l'empêcher de s'enfuir.
À titre personnel, Leah ne nourrissait pas grande estime pour le corps judiciaire de la Grande-Bretagne sorcière, surtout après s'être glissée dans leurs archives pour lire les minutes des procès de Mangemorts. Mais Black insistait pour que l'Angleterre soit informée de son innocence, de l'injustice flagrante commise par Barty Croupton en voulant purger son pays des dernières traces de corruption, et la déesse… et bien elle ne se sentait guère le cœur à lui refuser cela.
Qu'elle fusse Leah ou Hela, elle n'avait pas d'affection pour Sirius Black, un homme qui était trop impulsif pour son propre bien et la détestait visiblement pour avoir sauvé la vie et l'intelligence de Johnny en lui faisant quitter le Royaume-Uni, une décision pour laquelle elle ne s'excuserait jamais car elle n'avait aucune raison de s'en repentir. Mais Sirius Black avait été trahi, avait perdu son meilleur ami par la faute d'un de ses compagnons, et pour cela il méritait vengeance. Il méritait de réclamer sa livre de chair selon ses propres termes.
Là-dessus, l'Agent du Mal avait raison : un traître n'était jamais mieux puni que par ceux qu'il avait poignardé dans le dos, car il savait qu'il ne pouvait attendre d'eux pas une miette de compassion. Sirius Black n'en donnerait assurément pas à Peter Pettigrow.
Mais pour cela, il fallait d'abord coincer le rat, et puis le traîner devant le tribunal et obliger la populace demeurée et corrompue de la Grande-Bretagne sorcière à réaliser que l'excrément à faciès humain avait des péchés sur la conscience, et pas de ceux qui pouvaient être dissimulés derrière l'éclat de l'or. Mine de rien, ça s'annonçait un peu compliqué.
Attraper le rat serait la partie la plus facile, voilà pourquoi Leah permettrait à ses mignons petits agents en poste à Poudlard de s'en charger. Le rat s'était réfugié dans la famille Weasley dont tous les enfants avaient été envoyés à Gryffondor, et voyez-vous cela, Colin Creevey aussi avait été envoyé à Gryffondor. Si le garçon parvenait à se glisser dans le dortoir de l'année supérieure pendant que tout le monde regardait ailleurs, ce serait vite fait de s'emparer de Pettigrow. Et Leah avait la certitude qu'Hermione pouvait enchanter une cage afin de la rendre incassable et empêcher le traître de reprendre sa forme humaine, ce qui permettrait son transport devant le tribunal.
Bien sûr, il faudrait pour cela attendre que l'école rouvre ses portes, mais le délai permettrait à Black d'élaborer la stratégie la plus appropriée pour la dénonciation et le procès à venir, et les Nornes savaient que le bougre en aurait besoin. Il avait beau être intelligent, sa matière grise semblait se limiter à l'élaboration de frasques douteuses, probablement la conséquence d'un excès de consanguinité et d'une décennie exposé à l'influence mentale délétère des Détraqueurs.
Peut-être que la perspective de ne pas être déclaré innocent s'il venait à mal présenter son plaidoyer le convaincrait de se donner plus de mal, mais Leah resterait dubitative tant qu'il ne lui aurait pas fourni un plan de bataille à critiquer en long, en large et en travers.
« Est-ce que quelque chose te tracasse, mon petit ? »
Maria Stark observait l'aînée de ses enfants avec un sourcil haussé, ce à quoi Leah répondit par un sourire rassurant.
« Juste un certain chien qui n'en finit pas de me poser des casse-têtes. Bon, ce n'est pas juste lui cette fois, c'est plutôt un problème de rat... »
« Pour les rats, il n'y a qu'un seul remède et c'est l'arsenic » décréta la vieille dame. « Donne rien qu'un peu de liberté à ces bêtes-là, elles se multiplieront à qui mieux mieux et dévoreront le contenu du garde-manger, les rideaux du salon et les serviettes de bain. »
« Je sais, je sais. Ne t'inquiète pas, je réfléchit à comment se débarrasser des cadavres une fois les rongeurs morts. Si je laisse les restes traîner, ça va puer partout et attirer les mouches et là... »
La déesse des morts sans gloire poussa un long soupir et tritura machinalement la frange dorée de son châle en dentelle.
« Pourquoi est-ce que je m'embête ? Ce n'est pas comme si la situation pourrait être pire dans cette baraque. Vraiment, les Anglais n'ont aucune idée de comment bâtir une demeure saine et viable, et je me demande si ça ne vaudrait pas mieux de laisser le bazar s'écrouler. »
« Toutes les maisons luttent constamment contre la vermine et l'âge » commenta son interlocutrice. « Et toutes les entreprises également. Tu devrais demander à notre chère Pepper de te fournir un ou deux conseils en la matière, si tu veux. »
« J'y penserais, d'accord ? Mais profitons plutôt de la fête, ce n'est pas tous les jours qu'on a treize ans » rappela Leah.
Treize ans déjà, même si Johnny en paraissait sept ou huit, c'était fou. Le temps coulait tellement vite sur Midgard, un véritable torrent.
