Et voici la seconde !
Bonne lecture !
Un immense nuage de poussière s'élevait derrière le 4x4 depuis que ses roues avaient quitté les gorges de Cocorico et au vu du climat aride des lieux, ça n'ira pas en s'arrangeant.
Link s'était dénudé jusqu'à la taille depuis un bon moment, tapotant la carrosserie de la portière au rythme de la chanson qui passait à la radio, la sifflotant. Ses lunettes de soleil sur le nez et ses cheveux décoiffés par le vent complétaient le tableau. Sa peau avait bien brunie depuis leur séjour récent dans le désert Gerudo et elle n'était pas prête à pâlir au vu de leur destination actuelle.
De son côté, Jehd s'était recroquevillé dans son fauteuil, dormant depuis qu'ils étaient remontés après leur déjeuner tardif dans la plaine d'Hyrule. Il s'agitait parfois à cause des mouvements de la voiture, mais rien ne semblait capable de l'extirper de son sommeil.
Cette réflexion fit sourire doucement Link alors que le souvenir de leur première rencontre lui revenait et qu'il se superposait à la situation actuelle.
Ils partageaient l'habitacle depuis un mois maintenant et au cours de ce temps, quelques changements s'étaient opérés, autant chez l'un que chez l'autre.
Jetant un regard rapide auprès de son copilote, il se remémora la première impression qu'il avait eu à l'époque. Couvert du bout des doigts jusqu'à la gorge, il avait fallu attendre que les températures deviennent vraiment trop insupportables pour apercevoir un peu plus de peau (officiellement. Parce que si Jehd apprenait qu'il l'avait subrepticement aperçu se changer lors d'un de leurs campements sauvages… il ne donnerait pas cher de sa peau), et là encore, il avait été difficile de le convaincre de cesser de multiplier les couches, que les normes de la vie en ville n'avait pas forcément court dans les campagnes reculées et que personne ne s'offusquerait si sa chemise n'était pas impeccablement boutonnée jusqu'en haut. Mais ce fut un débat qui en valait la peine.
Sa peau diaphane avait pris des couleurs - et des coups de soleil - suite à toute cette exposition à l'extérieur et s'était même agrémentée de taches de rousseur, ses cheveux impeccablement coiffés s'étaient éclaircis et avaient poussés, aussi mis à mal que les siens avec tout le vent provoqué par l'avancée du véhicule (et n'oublions pas son tic nerveux de passer ses mains inlassablement dans ses mèches, n'arrangeant en rien sa coiffure). Il avait refait une partie de sa garde-robe au fil de leur pérégrination mais c'était une chemise de Link qu'il arborait actuellement, le besoin de laver leur linge commençant à se faire nécessaire. Ses chaussures devaient être quelque part dans la voiture, balancées à un moment puis jamais vraiment cherchées. Il s'était habitué à la marche pieds nus et avait investis dans des sandales plus adaptées.
Il avait l'air considérablement plus détendu, des fossettes s'étant même révélées durant leur voyage, son sourire s'étant allégé, approfondi et son rire s'étant affirmé.
Évidemment, les premières semaines ne furent pas simples, et encore maintenant. Ils étaient deux étrangers coincés dans un espace réduit, ignorant tout de l'autre (ils s'étaient présentés trois jours après leur première rencontre, s'étant enfin rendus compte qu'ils ignoraient cette information assez vitale) et devant composer avec une nouvelle vie. Link était d'une humeur assez sombre et était renfermé, Jehd sursautait au moindre bruit, persuadé qu'il allait être abandonné s'il respirait un peu trop fort et tentait de prendre le moins de place possible.
Et maintenant, Link avait retrouvé le sourire qu'il arborait en tout temps au début de son adolescence et devait lutter à chaque réveil à l'étreinte poulpesque de Jehd qui s'accrochait à lui dans son sommeil, dans l'étroitesse de leur tente.
Vérifiant que la route était toujours aussi dégagée qu'elle l'était depuis trois bonnes heures, il la quitta du regard le temps de repousser une boucle folle qui s'était égarée sur le visage de son ami, la lissant auprès des autres, puis retourna à son volant.
Quand, ce matin-là, il avait fermé sa maison et balancé la clé sans regarder où - pas très malin, avec le recul - il n'aurait jamais eu l'idée que le voyage qu'il comptait entreprendre serait agrémenté d'une compagnie. Et encore moins d'une compagnie pareille. Mais il ne l'échangerait pour rien au monde.
Ils ne faisaient rien de bien grandiose, parcourant de longues distances dans un silence confortable, entrecoupé par la radio ou les monologues de Jehd qui se remémorait des passages de ses lectures passées, s'arrêtant pour leurs besoins ou pour l'occasion, profitant des attractions à disposition et se changeant les idées.
Ça ne faisait qu'un mois et ils avaient déjà contemplé à plusieurs reprises la voûte étoilée, lors de nuits claires et dégagées. Allongés sur les plaids qu'il gardait dans la voiture et qu'ils avaient étendus dans l'herbe, Link les avait désigné à Jehd en les nommant, celui-ci récitant les contes et légendes se cachant derrière leurs noms. Ils s'étaient une fois ou deux endormis ainsi, se réveillant recouverts de rosée ou brûlés par le soleil, à quelques centimètres l'un de l'autre.
Peu importe où ils allaient, il y avait toujours quelque chose à faire. L'été était une saison fourmillant d'activités de toutes sortes, leur permettant de les varier dès qu'ils arrivaient à une nouvelle destination. Peu importe ce que ça pouvait être, au moins l'un des deux se révélait enthousiaste à l'idée qui lui était proposée et soit parvenait à convaincre l'autre de le rejoindre, soit y participait seul.
Plus d'une fois Link avait refusé, juste pour le plaisir de contempler le visage ravi de Jehd qui paraissait s'illuminer comme le faisait celui des enfants, alors qu'il était convié. C'était souvent quelque chose de simple, de facile d'accès pour les touristes qu'ils étaient, comme plier des feuilles pour réaliser une forme particulière ou tresser des couronnes de fleurs. Mais quand il voyait cette joie enfantine, mais aussi cette réflexion profonde, cette langue tirée ou le pli concentré qui se formait entre ses sourcils, il ne pouvait s'empêcher de se demander à quoi ressemblait sa vie pour que des bonheurs aussi modestes lui paraissent si nouveaux et démesurés.
Parfois, ils y allaient ensemble, virevoltant au rythme des instruments lors des bals ou s'appariant pour des activités plus sportives, courant au même rythme ou des disciplines locales.
D'autres encore, Link était le seul en piste, et cette fois c'était lui qui ignorait les regards toujours plus intéressés de son compagnon de route portés sur lui.
S'il était celui se mettant en avant, c'est que c'était sa force ou sa résistance qui entrait en lice, et le jeune chien fou qu'il était refusait de laisser passer pareille occasion de repousser ses limites. Ce n'était même pas pour le plaisir de se faire voir ou pour tenter de séduire qui que ce soit, c'était purement inconscient alors qu'il se mettait torse nu, resserrant la ceinture de son obi avant de se mettre en position.
Peu importe que ce soit pour une séance de sumo, du rodéo ou rattraper une immense roue de fromage, pouvoir utiliser ses muscles étaient agréables après tout ce temps passé derrière son volant. Les brûlures dues à tout cet exercice étaient pratiquement agréables, lui rappelant de bons souvenirs de quand il participait à la vie agricole de Toal et, bizarrement, ça n'alourdissait en rien son humeur.
Une fois, ça lui avait rendu le cœur si léger qu'il s'était enhardi et avait embrassé Jehd sans prévenir.
Le fard qu'il avait piqué avait été monumental mais aucune explication ne lui fut demandé, il balaya cette initiative comme « une réaction normale due à l'adrénaline provoquée par la montée tumultueuse de cet animal furieux » puis ergota pendant de longues minutes sur la tradition du rodéo à travers les âges et les cultures.
C'était un peu décevant, mais au moins le premier pas avait été réalisé, le suivant était une question de timing, maintenant.
— L'est quelle heure ?
Un bâillement mâchonna la moitié de la phrase, alors que Jehd se redressa, remettant ses lunettes en place et se frottant les yeux.
Il était adorable.
— Un peu plus de dix-sept heures. Tu as bien dormi ?
— Mmh…
Sa tête dodelina en réaction aux cahots, comme s'il hésitait à se rendormir, roulant sur ses épaules.
— Désolé, ça ne doit pas être très agréable. Je fais une très mauvaise compagnie, marmonna-t-il.
— Mais que racontes-tu là ? Si vraiment ça me dérangeait, tu penses bien que je t'en aurais parlé, après tout ce temps !
— Si seulement je savais conduire…
Et il s'endormit sur cette dernière déclaration, gardant la tête penchée.
— Oui, on en reparlera plus tard, si tu veux bien, hein…
La Montagne de la Mort, à cette période de l'année, c'était sans doute pas l'idée du siècle. Mais après le séjour dans le désert, ils n'étaient sans doute plus à ça près.
Préférant réserver la surprise pour le lendemain, Link avait décidé de s'arrêter pour la nuit à Cocorico, surtout qu'un hôtel s'y trouvait. Autant profiter des services qui y étaient proposés de temps en temps, quitte à donner un coup de main à l'écurie pour payer les derniers rubis qui manquaient !
Heureusement, ils n'eurent pas à le faire - enfin, à moins de le vouloir - et ils purent profiter de la source chaude située au-dessus.
— Parfait, il n'y a personne ! s'exclama Link en arrivant le premier.
Tenant sous le bras le panier où il déposera ses habits ainsi que la serviette mise à disposition par l'établissement, il s'était précipité dès que la gérante lui avait mentionné l'existence des sources, tirant pratiquement Jehd derrière lui.
Celui-ci le suivit plus timidement, remontant nerveusement ses lunettes.
Constatant à son tour leur intimité, il se détendit légèrement. C'était déjà mieux que devoir partager la source avec tous les clients de l'hôtel, mais ça restait gênant…
Un gros « plouf » le sortit de ses réflexions et il aperçut Link sortir la tête de l'eau, les cheveux trempés et aplatis recouvrant son visage, celui-ci abordant un immense sourire réjoui de sale gosse, avant qu'il ne s'ébroue comme un chien, arrosant tout ce qui trouvait dans son environnement proche.
— Link ! Quelles sont ces manières ?! s'écria-t-il.
— Oh, allez, il n'y a que nous ici, on peut s'amuser un peu !
— Il y a des règles, en tout lieu et en tout temps, ce n'est pas parce que nous sommes en comités réduits qu'il nous faut les ignorer…
Mais Link ne l'écoutait déjà plus et se redressa, ayant l'air de chercher quelque chose, lui tournant le dos. La vue soudaine de toute cette peau humide et de ces muscles lui firent subitement perdre la parole alors que la chaleur lui parut plus pressante que quelques instants auparavant, lui faisant craindre qu'il ne s'évanouisse pour l'occasion.
Sa main se referma sur sa chemise pour qu'il s'évente un peu avec, avant que son esprit ne lui susurre que ce n'était pas la sienne mais celle de son compagnon de voyage, que celui-ci ne leur portait aucune attention et qu'il pourrait bien en profiter… tout comme il l'avait fait depuis qu'il l'avait revêtu le matin-même, reniflant l'odeur si particulière de Link dès que celui-ci était occupé à autre chose.
Et sans doute l'aurait-il fait, si l'objet de son attention n'avait pas subitement retrouvé ce qu'il cherchait et s'était penché par-dessus la surface de l'eau, la fouillant, mais surtout mettant en valeur un peu trop d'anatomie pour le cœur fragile de Jehd qui eut besoin de s'asseoir.
— Tout va bien ? J'ai entendu du bruit.
— Oui oui, un coup de chaud, haleta l'ancien érudit alors qu'il prenait son visage rougissant entre ses mains.
Si ça continuait comme ça… Avaient-ils seulement une direction, d'ailleurs ? Ils ne s'étaient jamais vraiment posés la questions, ni posés tout court. Ça faisait des jours, des semaines, qu'ils n'avaient pas dormis dans de vrais lits avec de vraies commodités, leur quotidien occupant toute la place au point qu'il n'avait pas repensé à sa vie d'avant depuis un moment, s'effondrant de sommeil dès que la tente était montée.
Existait-il une date limite à leur périple ? Un matin, devra-t'il se lever en sachant que ce sera la dernière fois qu'ils monteront dans le 4x4 puis que leurs chemins bifurqueront ?
Non content de fourrager dans ses cheveux, il était maintenant accroupie, marmonnant dans sa barbe, le nez plongé dans le col trop large de la chemise empruntée, ses pensées fusant dans tous les sens. C'était d'ailleurs sans doute pour ça qu'il n'entendit pas Link s'approcher de lui avant qu'il ne pose une main mouillée sur les siennes afin de l'arrêter dans sa torture capillaire, lui faisant lever la tête.
Par contre, il ne s'était pas rhabillé pour autant, augmentant le malaise de Jehd qui ne savait plus où porter son regard ni comment réagir.
Au pire, il pourrait s'évanouir, non ? C'était le bon moment, après tout…
— Mais quel mélodramatique.
— Oui bon, ça va, je voudrais t'y voir, à ma place.
— Ah mais, j'y étais, à ta place. Mais je ne me prenais pas autant la tête que toi !
— Quand te prends-tu seulement la tête ?
— Mmh, laisse-moi réfléchir… quand un splendide hylien monte dans ma voiture et m'indique où se trouve ce satané lac, pour commencer…
Pour illustrer ses propos, Link embrassa l'épaule de Jehd.
Tous les deux plongés dans la source jusqu'en haut du torse, ils savouraient leur toute récente mise en couple (moins de cinq minutes, à peu près, si l'horloge interne de l'ancien berger était toujours aussi exacte), l'un dans les bras de l'autre.
— Tu l'aurais trouvé tout seul.
— Chéri, je ne sais plus lire, je te rappelle. C'est un peu mieux maintenant que tu me fais réviser, mais à ce moment, j'étais bien parti pour finir au domaine Zora alors que je voulais juste planter ma tente et passer la nuit !
Le doux surnom - le premier d'une sans doute grande liste - l'empourpra et il glissa dans l'étreinte affectueuse, comme pour se cacher sous la surface aqueuse, mais il fut rattrapé bien avant que son menton ne touche l'eau, un autre baiser appuyé contre sa nuque.
— Enfin, bref, mon point était juste que c'est parfaitement normal de s'inquiéter pour le futur quand on ne vit que le présent !
— Oui, enfin, au point de frôler la syncope…
— Tu étais nu !
— Et je le suis toujours. Tu veux voir ?
— NON !
Voracity Karn
