Hello !
Un petit texte écrit dans le cadre d'un fest (discord Festumsepra, c'est par ici, sans les espaces : :/ / discord . g g / 73rYkUNPTx). Le thème, Pages Manquantes, proposait de choisir une scène "oubliée" du canon, aka les "missing moments" qui sont à peine évoqués par JKR, et de la développer à sa sauce (en restant à peu près conforme au canon).
Avec en prime deux petites contraintes :
Un dicton révisité HP : "Tout le monde est cracmol quand il perd sa baguette" (= tout le monde est bossu quand il se baisse)
Un tableau : The Laudress, Francisco Laso.
Je vous laisse avec Fleur, Bill et Molly pour un moment de grand plaisir (ah ah. ah.)
Disclaimer : JKR.
27 juillet 1997
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Fleur observe Molly Weasley faire voltiger le linge depuis l'osier trempé, chorégraphier son déploiement le long de la corde, alors que le tango des torchons secs s'annonce, soulève un sourcil devant leur sortie de scène en quatre temps jusqu'au panier, et elle pense : c'est bien la seule grâce dont cette femme a été pourvue. Valsez, ménagères.
- Fleur, tu peux m'aider s'il te plait ?
Les grands yeux de sa soeur se flanquent dans ses observations sociologiques et la sylphide souffle. Elle détourne le regard du ballet qui distribue ses gestes en rousseur et son air froid perd de sa superbe devant ce visage adorable éclaté de taches de son. Son fiel attendra. Gabrielle lui tend ses paumes ouvertes sur ses ampoules. La peau est creusée de rose vif dans les deux mains de sa sœur et Fleur ne pense même pas à sortir sa baguette que le sort fuse déjà d'elle : Episkey.
- Gabrielle, soupire-t-elle. Tu as recommencé tes acrobaties.
Elle n'a pas peur de murmurer férocement ici. Personne ne les comprend, de toute façon.
- Je suis désolée, Fleur, je ne voulais pas… Ça ne devait pas faire ça ! Je te promets, j'avais fait tout comme tu m'avais dit : le zestes de mandragore pour renforcer la corne, l'huile de chauve-souris contre les bleus sur les bras. Même la poignée de champignons sauvages pour les muscles de l'en-dessous et réussir les rouleaux.
Sa sœur dodeline de la tête en récitant ses conseils comme l'écolière qu'elle n'est plus. Fleur fixe ses joues rosies. Les paupières qui frétillent sous le coup de l'exaltation. Et peut-être que si elle avait toujours été en première année à Beauxbatons, peut-être que si elle s'amusait encore à tournoyer autour de sa barre de trapèze, comme si elle n'avait pas des cours à apprendre, de professeurs à charmer, de garçons à éconduire, Fleur aurait dit quelque chose. Mais dans ce trou de belettes où les effluves de la guerre remontent des casseroles de Molly, ses foutues betteraves et pommes de terre et rutabaga qui lui plombent l'estomac, elle ne trouve que la force de prétendre :
- Fais attention, Gabrielle, tu n'as pas douze paumes à gâcher. Ce trapèze n'est même pas enchanté. Tu pourrais tomber si facilement.
Elle omet de dire : pas comme à avant. Le visage de sa petite sœur se fend de l'oreille droite à l'oreille gauche en courtisant l'excitation.
- Je sais, Fleur ! Mais j'aime presque mieux comme ça. » Elle ajoute, vite : « Ça fait plus peur, mais ça donne plus de plaisir ». Entre ses lèvres, ses canines irradient comme des enfants pas sages.
Pour la xième fois, Fleur se dit qu'elle est irrésistible. Ses yeux coulent leur bleu dans ce bric-à-brac de frères et de soeurs Weasley et elle regarde sa soeur glisser entre les empilements de briques et de sentiments incongrus, sa petite étoile qui promet d'être plus belle, encore, qu'elle-même. Chez les Delacour on aime la grâce du péril quand il est blond, habillé d'une robe blanche et nanti d'un quart de sang de vélane. Un péril en trapèze, sans danger noir qui guette. Des ligaments à croiser, des doigts à luxer, des articulations de chevilles, de poignets, à déchirer, de la peau à brûler. Une nuque à rompre, tout au plus. Pas un sorcier grisâtre prêt à décimer la terre.
Elle contemple ses mains se placer sur la barre en bois qu'ont installée Bill et Charlie pour elle, entre les nains de jardin qui déballent leurs commérages et la pelouse fouillis. C'était Fleur qui le leur avait demandé. Une barre, deux cordes, c'est tout simple, juste pour penser à autre chose… Gabrielle cambre son petit corps sec, encore tellement adorable, dans cette androgynie qu'on tolère, qui surfe sur la puberté et la titille de loin, la regarde qui contracte ses biceps et ses trapèzes et qui propulse son corps au dessus de la barre, entre les cordes. Gabrielle se place sur le bois dur, tend les bras, s'immobilise le temps d'un battement, planche pure étendue dans l'air sec, puis bascule vers l'avant, plonge vers les mauvaises herbes, avant de se plier en deux, courber les hanches, armer les coudes autour de la barre, et impulser l'effort, sans en avoir l'air : elle tourne autour de l'agrès deux fois, trois fois, cinq fois, ses mollets qui se tendent à chaque demi-tour pour lui offrir de l'élan, et elle enroule les soleils comme elle enfile ses robes. Gracieuse, éthérée. Fleur porte la main à sa poitrine. À son propre corps et son autre souplesse, ce corps qui sème ses soupirs dans la rue, sans qu'elle n'ait jamais besoin d'onduler, forcer, séduire. Est-ce que Gabrielle aura le temps de goûter sa propre beauté ?
- Fleur.
Fleur sursaute. Molly se tient toute proche, le linge plié jusqu'aux épaules. Elle a forcé un sourire éclatant sur ses lèvres.
- Tout va bien ?
Elle distingue à peine son visage derrière la pile de vêtements et de draps qui lui monte dessus, elle voit surtout les boucles orangées qui captent un instant le soleil et son tablier brouillé qui bourdonne dans la brise.
- Tout va bien, Molly. » Le même sourire fantôme claque sur ses lèvres. « J'admirais simplement votre… oh, comment dit-on déjà ?… votre jardinet ! » Elle a fait exprès d'employer le mot honni. « Est-ce que je peux t'aider ? … le linge ?
Les suppliques de Bill pour la paix dans le monde ont forcé les mots et elle se concentre sur leurs consonances qui ne veulent rien dire pour elle. Can I help you ? Ah, ne pas patauger entre le « vous » et le « tu ». Si simples ces Anglais. Est-ce qu'elle donnerait du vous à Molly pour geler leur distance, ou est-ce qu'elle jouerait la bonne bru en devenir, rien que pour la jouissance de l'obliger à lui ouvrir vraiment sa familiarité ? Tu, tu, tu. Jusqu'à faire saigner la trêve.
- Non, non,… Fleur ». Molly sourit — ça semble lui faire mal. « Continue de te reposer et de penser au mariage. Qu'est-ce qu'il approche ! Trois semaines et tu seras une Weasley ». Le sourire grimpe haut sur sa figure.
Fleur a soudain peur d'être face à l'un de ses moments où la mère Weasley se met à suinter ses litres d'émotions liquides, mais son visage reste fendu dans sa grimace.
- Quelle idée forte de se marier au milieu de tout ça. ». Fleur clôt les paupières, brièvement. Bien sûr qu'elle ne peut s'en empêcher. « De la joie, une belle robe, des invités tous plus illustres les uns que les autres.
Le terme inconscience n'est pas prononcé, il rugit simplement dans la coulée marron de ses pupilles.
- Oui, quel bonheur. » La main de Fleur trace une arabesque qui englobe la maison, le jardin et les mottes de terre humide. « Bill et moi ne pensions pas à ce cadre en imaginant le mariage. Mais, après tout, ce lieu est si bien protégé depuis la venue de Bellatrix. » Elle hausse des épaules candides. « Qui pourrait avoir l'idée de venir déterrer un mariage ici ?
- Bien sûr, » force Molly. Sa voix s'étouffe derrière la pile de linge. « Le Terrier est ravissant en cette saison. Et pour les sorts, tout le monde s'y est mis. Le Ministère s'est beaucoup impliqué.
- Puis mes parents renforceront les sortilèges en arrivant. » Son sourire angélique ravirait le Magenmagot. Elle enfonce le clou : « Des charmes transmis par ma grand-mère. Un peu de magie hybride. Rien de mieux, n'est-ce pas ?
- N'est-ce pas », répète d'une voix basse Molly. Son visage semble pris d'une crampe et elle hoche la tête en se détournant de Fleur.
Toutes deux savent que la conversation meurt en cet instant. Fleur avise sa montre moldue trafiquée. Trois minutes cinquante-six. Record. Et en regardant Molly s'éloigner d'elle avec ce pas d'Auror qui ne s'arrête jamais de façon superflue, la tête enfoncée dans ses draps et qui balance de gauche à droite la satisfaction de lui avoir rappelé sa présence, Fleur expire un peu de mascarade. Les mères couveuses sont toujours les pires. Car en face des poussins protégés, il n'y a que des proies de renard.
Elle lisse la robe bleue qu'elle porte aujourd'hui et, pour la huitième fois de la matinée, se demande comment on devient Bill, le plus beau des frères Weasley, avec une mère comme celle-là.
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28 juillet, matin.
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Ah, voilà. On y était. À peine Fleur descend-elle dans la cuisine ce matin, qu'elle est accueillie par ce mélodrame humain. Molly, main droite sur la bouilloire qui siffle, main gauche à l'assaut de ses cheveux électrisés, a la figure noyée dans la nouvelle émotion du jour. Cette femme sait-elle au moins que ça l'enlaidit à n'en plus finir ? Pleurer pour un oui, pour un non, pour une lettre d'une arrière-grande-tante que personne ne connaît, pour un Weasley qu'on quitte sur le quai de la gare.
La patronne de ce chaos ne lui fait pas face et Fleur prie pour qu'elle ne l'ait pas encore remarquée. Elle pense à faire demi-tour sur le champ, mais l'envie brûlante de café qui la tire de son lit tous les jours la fait hésiter sur les tommettes rouges. Si, au moins, elle pouvait savoir à quoi elle avait affaire : pleurs de joie, pleurs de détresse ? Elle ne sait faire face ni aux uns, ni aux autres, mais les premiers ont l'avantage de ne pas obliger une main de réconfort. Fleur inspire. Avise le journal ouvert en évidence sur la table et l'encre qui bave l'humeur de Molly. Fait voleter une tasse jusqu'à ses mains (la plus jolie, en terre cuite, à peine ébréchée, souvenir d'Egypte qui jure par son bon goût) tout en fouillant les gros titres. Pitié, pas la rubrique nécrologique. Se sert du café - ou ce qui s'en approche le plus -, sans lait, sans sucre, nuit noire, comme elle les aime. Ses yeux trébuchent sur « mandragores », « lune », et quelque chose en elle expire un peu de soulagement - pleurs de joie, probablement, un beau rhododendron lui arracherait une larme -, avant de se casser la gueule, net. Le mot « cicatrices » la cogne d'un coup de regard et la coulée de café se fige dans les airs. Est-ce qu'elle rêve ou… ?
… ou cette vieille peau vient encore se flanquer dans des affaires qui. ne. la. regardent. pas ? Fleur fixe ce dos brusque qui s'agite au-dessus de l'évier, la chemise marron qui se termine en tablier, ses petites boucles infatigables, et puis ses gestes, encore, qui se suivent, s'exécutent, se désordonnent, se ré-ordonnent, s'empilent, s'empilent, s'empilent à n'en plus finir, derrière ses boucles, encore, qui chahutent dans le soleil, insupportables, sa tête d'orange mûre, son écorce à bas coût, son pépiement constant, ses paroles qui ne disent jamais rien et battent l'air, tranchent la moindre convenance, les malmènent, la malmènent, elle, toujours, toujours à quatre épingles dans cet enfer de culs terreux et tiques qui tombent des arbres, et ses tics, ses tocs, ses remarques glissées sans pudeur, ses piques, sa sournoiserie, ses furetages, ses inspections, ses intrusions, ses intrusions ses intrusions ses intrusions ses intrusions dans… et c'est trop tard, pour fuir, quand d'un coup, Molly se tourne vers elle.
- Fleur ! J'allais venir te chercher, justement ». Tout son visage qui a pris l'eau la regarde depuis ses ridules. « C'est merveilleux ce que je viens de lire ». Elle empoigne la gazette et lui fourre dans les mains. « Regarde, regarde, page 16 ! La rubrique "Soins, beauté, cicatrisations". Oh, Fleur ! » La matriarche frétille devant elle en remuant la page et sa tête suit une cadence de haut en bas. « Une recette inédite de Fidelicia Smith, la plus grande dermatogicienne de notre époque. C'est merveilleux, n'est-ce pas ? Tu me suis, Fleur ? » Elle répète, son sourire, large, qui la transfigure : « Tu me suis ?
La gerbe de café dégringole des airs d'un coup et gicle sur les deux femmes. Molly laisse échapper un cri de surprise, pas brûlée pour deux gallions, et nettoie d'un geste de baguette. Elle lève deux yeux déstabilisés vers Fleur qui n'a pas tressailli. Ses cheveux blonds coulés dans une tresse renvoient au cercle doré qui éclate autour de sa pupille avant de fondre dans le céruléen. Molly recule avec sa page, soudain frappée. Le bleu qui la cloue loin de Fleur, qui la fait reculer jusqu'à l'évier et lâcher la page qui glisse au sol, crache une haine qu'elle a rarement vue chez sa presque belle-fille.
- Fleur », essaie-t-elle, hésitante. « Je… tu sais… c'est pour son bien. » Mais son sourire est incertain et affaisse sa maladresse dans les commissures. « Pour votre bien », achève-t-elle.
En face d'elle, Fleur a toujours ses yeux arrimés à la proposition infâme. Elle répète, en chuchotant : « Notre bien ». Elle se rapproche de Molly, acculée à l'évier, jette un regard à la page défigurée par le mot. Cicatrice. Sa voix est basse, lente :
- Vous êtes consciente, Molly, que j'ai traversé une mer pour votre fils. » Elle continue de s'approcher. « J'ai fait de sa guerre, ma guerre ». Elle sent Molly qui s'apprête à la détromper, à protester : c'est notre guerre à tous, tu sais, s'Il finit avec l'Angleterre, Il finit…
Mais elle secoue la tête. « Oui, votre guerre. Je ne suis pas plus concernée par cette guerre, qu'un… » et en cherchant le terme, elle se met presque à rire, «… un géant de Roumanie ! Il me suffirait de m'évanouir dans mon peuple pour toujours, de simplement disparaître ». Elle ment. Elle sait qu'elle ment. On naît vélane pure, ou on naît quart de vélane. Mais ment-elle plus que Molly et ses faux airs de Mère Thérésa ? « Juste… disparaître. » Elle fait un geste de la main. « Pouf. Envolée, Fleur. Fleur et sa mauvaise humeur, son arrogance française qu'elle traîne jusque dans sa belle-famille. Elle est si horrible, cette Fleur qui ne m'aide jamais ! J'ai tout à faire dans cette maison » et elle ricane en prononçant le terme, maison maison maison, « et voilà que j'ai sur les bras cette empotée en plus. Bonne à séduire, bonne à marier, bonne à se mirer tous les matins dans le dos de sa cuillère. Qui sait, si ce n'est pas elle-même qu'elle séduit en faisant ça ? »
Avec l'imitation, sa voix a grimpé dans les aiguës, mais la fureur alourdit ses mots.
- C'est ça, que vous vous répétez tous les jours, Molly, pas vrai ? Ça vous satisfait, non ? Vous rend si heureuse. D'être certaine d'avoir cerné à qui vous aviez affaire. » Fleur a cessé de s'approcher, elle la toise dans son évier. « Mais, Molly. Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi vos fils fuyaient la maison dès qu'ils le pouvaient ? » Elle secoue la tête, faussement consolatrice. « Non ? Charlie qui préfère ses dragons à celui qui éructe sous son propre toit. Percy et son sérieux, son amour de l'administratif, du chiant et des études, les jumeaux et leur désir de fuir dans les farces, Ron et son meilleur ami qui éclipse tout le monde, même ceux, surtout ceux, qui prennent trop de place dans sa vie. » Elle sourit. « Bill, qui préfère ses gobelins. Et, maintenant, sa française. Hybride. »
Fleur marque une pause dans cette tirade qu'elle a sorti depuis ses heures de silence à ruminer ses griefs. Elle contemple le pauvre spectacle qui lui fait face : molle Molly, ses boucles tristes qui tombent sur son front, sa lèvre inférieure qui indique les sanglots qui se préparent. La dignité qui les retient et endurcit son regard.
- Mais qui, qui a essuyé ses souffrances, après l'attaque de Greyback ? Qui lui a redonné le goût de vivre ? Celle qui le terrorise depuis l'enfance avec ses émotions brouillonnes qu'elle crache au monde ou celle qui n'en a rien à faire, de sa cicatrice, et l'épouserait sous toutes ses formes ? Celle qui cherche à… » Elle plisse le nez « … effacer ce qu'elle n'aime pas, ou celle qui l'embrasse, là où son visage s'ouvre ?
Elle recule brusquement devant le visage de Molly qui se froisse de plus en plus. La bouche de celle-ci s'entrouvre avec ses filets de bave :
- Je—...
Tous les mots dégringolent depuis les sanglots qu'elle retient.
- Qu'est-ce que tu… » Elle inspire d'un coup. « Qu'est-ce que tu… tu en sais toi, de toute façon ? » Elle tente de s'accrocher à la colère, mais la peine menace. « Tu… tu débarques.. ici, nous t'…accueillons… », elle court, à la poursuite des mots qui manquent, « Je, je, t'accueille ici, sous mon toit, mes draps, ma maison ».
Elle se tient aux assiettes qui n'ont cessé leur ballet au dessus du lavabo. « Mon intimité ». Sa voix chute, d'un coup : « Mes fils ».
Prise dans le carré de lumière que crache la fenêtre derrière Molly, Fleur se tient droite, la blondeur comme un soleil. Elle grince des dents. Tu mens Molly, tu mens, tu mens, tu mens, se répète-t-elle. Ses dents raclent le gout du mensonge et elle aimerait tant que la vérité éclate dans cette maison empilée où l'on passe son temps à dégueuler ses émotions sans ne jamais rien dire. Tu mens parce que tu sais que sans ton hyper-émotivité qui oblige tout le monde, personne ne te tendrait jamais son mouchoir. Mais, face aux yeux marron brouillé de celle qui lui fait face, Fleur se tait. Elle recule vers la sortie, un pas après l'autre, yeux rivés à la masse tremblotante maintenue fière par les assiettes qui se lavent toutes seules, et elle finit par franchir le seuil. En se retirant dans sa chambre, alors qu'un poids neuf dégringole sur elle, elle pense à tout ce qu'il faudra faire pour recoudre ce qu'elle vient de déchirer. Au moins pour le mariage, se chuchote-t-elle. Au moins pour Bill.
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28 juillet — nuit
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Elle se tient serrée dans son lit, près de Gabrielle qui dort. Sa respiration est recueillie par l'oreiller pressé entre ses bras. Elle, ses pensées sont rendues dures par l'angoisse dans son estomac et elles marchent au pas. Un, deux, un, deux. Il lui reste tant de choses à faire avant le 1er août. Les cadeaux débordent de l'ancienne chambre de Charlie — elle a bien vu Harry, Ron et Hermione détaler devant l'ampleur du tri —, les invitations ont toutes été envoyées depuis des semaines, mais il reste des trajets à ordonner, finaliser, sécuriser — ses cousines vélanes accepteront-elles enfin le portoloin dégradant qui assure leur camouflage (une botte usée sans même de talon pour la rattraper) si elle leur promet que Viktor Krum sera là ? —, la chorégraphie des demoiselles d'honneur — Gabrielle est époustouflante, les pas de Ginevra couinent l'asymétrie —, et puis, et puis, et puis. Le sortilège pour sa robe, à parfaire. Bill et Charlie qui montent le chapiteau. Les poules à ensorceler et clouer au poulailler. Le jard…
Un bruit de sanglots l'interrompt soudain. Ils ne proviennent ni de son côté droit aux boucles blondes, ni du couloir qui longe l'étage. D'en bas. Elle ferme les yeux. Pas encore. Les saccades mouillées s'infiltrent dans sa chambre avant d'être brusquement reniflées. Elle a passé l'après-midi entre les plantes à souffler des sortilèges de sa grand-mère. À juguler cette étrange magie de terre qui court dans son sang et fait grimper le lierre autour du Terrier. Elle y expurge quelques émotions coincées, le jour. Oui, elle s'est tenue loin de la cuisine depuis… depuis, et ce n'est pas en si bon chemin, au fond de son lit bleu et de l'insomnie, que cet attentat émotionnel va lui dégouliner dessus à nouveau. Fleur se tourne vers sa petite sœur et se concentre sur son souffle. Une mèche blonde volète en rythme. Si elle s'oblige assez les sens et l'oreille, elle pourrait rejoindre ce souffle, être expirée dans la moiteur de juillet et s'enfuir entre le rideau pâle qui ondule et les pensées de la lune. Si elle s'oblige assez, elle…
Toc, toc. Le poing frappe à peine contre la porte. Fleur rouvre les yeux d'un coup. Qui…? Elle glisse en dehors des couvertures, effleure le plancher de sa plante nue, pose une main sur la poignée, l'autre, nouée sur sa baguette, murmure :
- Bill…?
Derrière la porte, elle entend une respiration douce.
- C'est moi.
Tout son corps se détend. Fleur entrouvre la porte, se coule en dehors et les deux bras qui l'accueillent de l'autre côté n'ont pas besoin de lumos pour trouver sa taille. Elle enlace sa nuque et respire tout contre sa peau, ses doigts cherchant sa joue.
- Oh, Bill. Où étais-tu aujourd'hui ?
Elle relève la tête et fouille le noir pour trouver ses yeux bleu ruisseau. Elle sent son sourire sous sa paume.
- Viens avec moi, murmure-t-il et il la tire avec lui alors qu'ils s'écartent de son ancienne chambre.
Ils longent un moment le couloir qui bruisse dans la nuit avant que Bill n'ouvre la porte sur la droite. La chambre dans laquelle il dort le temps des préparatifs, croule sous les meubles remisés. Une lumière pâle s'allume alors qu'il referme derrière eux et Fleur peut enfin le regarder à loisir. Ses longs cheveux ont été relâchés sans leur consentement, tombent sur son front, cognent dans les ombres et tout son visage crie fatigue. Elle penche la tête sur le côté, lève une main vers sa joue :
- Encore une de ces missions pour le Ministère, hein ? » Elle sourit tristement. « Dont tu ne peux rien me dire…
Il porte sa main jusqu'à sa bouche et l'embrasse entre les lignes.
- Tu m'as manqué.
Il poursuit ses explorations sur sa paume puis contre son poignet. Avec ses lèvres, il trace les veines qui rougissent en violet. Le bras prisonnier et consentant, Fleur inspire. Elle sait ce qui va venir. Dans son inspiration, elle murmure son nom. Bill, Bill, Bill. Et quelques prières lâchées au vent et aux camélias qui rougissent sur sa robe. Qu'il ne prononce pas ce nom, faites qu'il ne le dise pas, que to…
- J'ai parlé à ma mère.
Ni le vent, ni les camélias ne retiennent les ongles de lui griffer la gorge. Elle rouvre brusquement les yeux, le toise, et récupère son bras qui ne veut plus, ne veut plus, vraiment, de ces baisers de fils.
- Elle pleurait.
La précision n'est nécessaire pour personne, mais Fleur voit bien qu'il essaie de rendre les choses plus faciles. Elle discerne un fouillis de gêne et de honte derrière le bleu mouillé de reproches et la fatigue. Elle le fixe sans rien dire. Elle ne l'aidera pas.
- Fleur, elle pleurait… après une discussion avec toi.
Oh, non, elle ne l'aidera pas. Il soupire devant son air drapé de nonchalance et ses bras croisés. Il recule.
- Avec moi…? », offre-t-elle finalement. « Ça pourrait être n'importe quoi, tu sais. Elle pourrait avoir pleuré d'angoisse pour les préparatifs du mariage, pour un invité qui ne vient pas, pour le dessert aux fraises qui sera aux myrtilles… », les exemples coulent comme un mauvais plaisir, «… pour un nain de jardin déplacé, un bonjour d'Arthur oublié, pour, pour Ron qui a eu de mauvaises M.U.S.E.S. » Elle fixe Bill, d'un coup. Cible : « Qui ne compte pas retourner en cours ».
Bill fronce des sourcils, tourne sa boucle d'oreille deux fois, sérieux.
- Ron ira où Harry ira. Dumbledore leur a confié une miss… » Il s'interrompt, prend conscience des mots qui s'éparpillent et dérivent de ce qu'il est venu dire. Il reprend : « Fleur. J'aimerais juste que les choses soient…
- Soient ? » Le ton défiant de sa fiancée lui fait lever les mains, à nouveau, geste offert entre eux.
- … apaisées. Faciles, entre vous.
- Hypocrites, tu veux dire.
- Fleur, ce n'est pas parce que tu offres un sourire à ma mère que tu te parjures devant Merlin, Morgane et la bonne société sorcière ». Il se passe une main sur le front. « J'aimerais tellement que les choses soient simples entre vous. Douces.
- Douces ? Douces, Bill ? » Fleur s'agite dans la chambre et elle traverse la pièce dans les deux sens. « Tu te rends compte de ce que ça fait d'être ici ?
- Quoi ? » C'est à son tour d'adopter la défensive. Sa robe de cuir s'immobilise sur ses muscles tendus. « D'être accueillie par une belle famille qui ne veut que ton bien ? Qui héberge ta famille, ta soeur, ton père, ta mère, le mariage à venir ?
- Qui se retient d'exploser chaque jour en ma présence. Qui me déteste. Qui se cache derrière son émotivité pour mieux cracher sa haine contre moi.
Sa haine… ? », interroge Bill, incrédule. « Fleur. Mais qu'est-ce que tu dis ? Personne ne te hait, ici.
- Oh, si. » Elle pointe son doigt vers le plancher et la cuisine derrière le plancher et les sanglots qui ont cessé derrière la cuisine et tout ce qu'il y a derrière les sanglots. « Ta mère me hait. Elle ne supporte rien chez moi, et tu le sais très bien. Depuis le premier jour.
Mais, enfin, Fleur, elle n'a rien à haïr chez toi. » Bill, semble dépassé. Le mot est fort, même pour lui, même pour ce qu'il sait de leurs relations. « Elle réagit de façon émotionnelle comme avec tout le monde. C'est sa façon d'être. Ce n'est pas contre toi. Ça te heurte parce que tu ne sais pas comment réagir, parce que ça te renvoie à ta façon si… contenue de ressentir les choses. » Il a peur d'avoir fait une erreur, mais il poursuit quand même, les paumes balbutiées. « C'est toi, qui ne la supportes pas. Elle, elle est toujours comme ça.
- Moi… ?! Moi, qui serais heurtée, par elle ?
Elle s'imagine comme une Molly, affublée de vingt bras, les battre dans les airs et agiter les pleurs qui s'écoulent d'elle. Elle passe une main dans sa tresse qui se défait et chasse l'image d'un reniflement.
- Elle ne m'a pas laissée le choix. Tout de suite, elle m'a trouvée pas assez. Pas assez pour son fil préféré.
- Ma mère n'a pas de fils préfér… — », mais Fleur l'interrompt, ses ongles brillants chassent les mouches devant le visage du sorcier.
- Oh, Bill, enfin. Il faudrait être cracmol pour ne rien ressentir. Cette sur-émotivité qu'elle a te concernant, cette frénésie dès qu'il s'agit de tes nouvelles, cette hyper-attention, ce besoin de tout contrôler te concernant, d'être là, toujours là, dans le cadre, quand Bill Weasley, le premier fils, débarque.
Il se fige pendant quelques secondes, avant de laisser la gêne goutter dans ses mots.
- Ça ne …. Ça n'a rien à voir avec ce dont on parlait ». Il serre la mâchoire face aux mots de la conversation qui se dispersent. « On parle de toi et de ma mère. Pas de moi ». Son regard furieux ne peut masquer la gêne. « Je… Je ne comprends pas ce que tu lui reproches au fond. Bien sûr que c'est une boule d'émotions et qu'elle les projète sur nous sans se poser de questions. Mais… c'est sa façon de nous protéger. De nous aimer.
- De vous aimer ? Bill, ce que je ne supporte pas, comme tu dis, c'est cette façon que vous avez de tout lui pardonner parce que ce serait un être tellement sensible. Votre façon de tout faire passer sur son hyper-émotivité. » La colère de Fleur se disperse dans les mains qu'elle agite. « Mais, elle ment ! Elle ment, Bill, dans son émotion même.
- Qu'est-ce que ça veut dire ça ? Tu t'es trouvée une vocation de psychomage maintenant ? » Il tente de le dire en souriant, mais il n'a pas le génie farceur de Fred et Georges et la tentative cale dans l'inquiétude de l'employé de Gringotts.
Elle arque très lentement un sourcil. Il hurle, Bill. Tu vaux mieux que ça, et puis, peut-être aussi, pourquoi la défendras-tu toujours. Elle ne lui parle pas des recherches inlassables de sa mère pour effacer la cicatrice de son fils préféré, pour lui rendre son visage de fils parfait, le faire resplendir parfait aux côtés de sa fiancée parfaite, le tenir près d'elle et de ses mains de mère modèle. Non, à la place, elle lui demande :
- Est-ce que tu sais ce qu'elle a fait, le premier jour où j'ai posé le pied dans cette maison ? » Elle n'attend pas la question dans le regard de Bill. « Rien. Elle n'a rien fait. Un sourire forcé, Oh hello Fleur, entre les dix tentatives d'étouffement qu'elle te faisait subir et les remontrances aux jumeaux. Pas un regard, pas un mot d'accueil. Un simple : La goule est capricieuse là-haut, et cette grimace clouée au visage.
Bill fixe le petit pli d'amertume qui a froissé sa joue, l'étrange frénésie de ses gestes qu'il ne reconnait pas. Sa colère lui semble tellement petite à l'instant. Elle retombe, comme un enfant. Sa voix est douce quand il demande :
- C'est pour ça que tu ne t'es pas montrée de la journée suivante ? » Il ajoute, devant sa question silencieuse : « C'est Ginny qui me l'a dit.
- Je ne sais pas si tu sais ce que cela fait d'être autant niée par celle dont on t'a vanté la chaleur pendant des mois. Par la mère de celui que tu aimes.
Fleur voit bien qu'il aimerait conclure la distance entre eux, la couler dans ses bras chauds, lui répéter à l'infini qu'il n'y a pas de choix à faire entre elle et sa mère. Puis, elle voit aussi le garçon Weasley qui a toujours soutenu maman. Il se frotte la tempe, fait un geste flou vers elle, de la main droite, baisse la tête :
- Non, je ne sais pas. Tes parents sont beaucoup plus simples, c'est vrai. » Il lève les yeux vers elle : « Plus forts aussi, certainement. Essaie… essaie de la comprendre. Ce n'est pas facile d'être dans la même pièce que toi, tu sais. Ça n'a jamais été facile. Elle a du mal avec ta beauté, ton élégance, ta façon d'être comme un personnage de roman. Le simple fait d'être en ta présence la dévalorise. Elle se sent…
Fleur le coupe.
- Elle me reproche ma beauté et mes airs dramatiques, mais c'est elle qui nous a servis le plus parfait des mélodrames. Mettre une assiette de trop le lendemain, sur la table ? » Elle rit, ça sonne mal. « Grande leçon de mise en scène. Ça et puis les larmes. De quoi remuer la faune entière contre cette méchante Fleur que la pauvre Molly Weasley espérait de tout coeur voir assise à sa table, mais qui continuait à déserter les repas en famille. » Elle croise les bras sur son regard défiant. « Évidemment, je suis venue, la fois d'après.
- En te mirant dans ta cuillère tout le long du repas, sourit Bill.
- La mise en scène n'est pas un monopole Weasley.
- Ça, je le sais au moins depuis ton premier jour à Gringotts. » Bill la regarde, le souvenir dans le sourire. « Déposer toutes ces fleurs, une à une, sur les cent quatre-vingt-deux bureaux du département de la sécurité.
Le souvenir les tient soudainement à nouveau dans la même paume et défait quelque chose de la tension. Fleur ne peut empêcher un sourire devant l'image qu'ils partagent. Elle voit les ridules fatiguées qui creusent le visage de son fiancé, tout le froissement dans sa posture. Alors, la sorcière hausse nonchalamment les épaules et ça dit, d'accord, Bill, pour cette fois, d'accord :
- Il fallait bien que je détermine lequel de ces bureaux cachait le plus joli des briseurs de maléfices ». Elle contourne Bill, entre le lit et elle, et s'assoit sur les draps grenats. « Et que celui-ci voie que mon sang hybride ne gicle pas uniquement dans ma beauté irrésistible.
Bill se tourne et s'approche de celle qui a ensorcelé cent quatre-vingt-deux bureaux de Gringotts à la recherche du sien, forteresse déjouée par des roses et une magie mêlée, indétectée pendant les deux minutes vingt où les fleurs avaient exhalé leurs pouvoirs de reconnaissance.
- Il suffisait de demander au gentil gobelin de l'accueil où se trouvait l'incontesté Bill Weasley, charmeur de sorts et de filles vélanes en perdition.
Il s'agenouille devant elle et pose ses mains sur ses cuisses, contre les couvertures. Ils font presque la même taille ainsi : elle, assise sur le lit, lui, à genoux devant elle. « Avoue tout de suite que tu voulais surtout me tester ». Son index suit l'imprimé rouge de sa robe. « Tu désirais savoir à qui tu avais affaire. » Il perche un sourcil, un regard faussement entendu : « Un simple diplômé en arithmancie et en tolérance quotidienne de gobelins ? Tss, tss. » Son doigt parvient jusqu'à la pointe des pétales du camélia et descendent sur la tige qui s'enroule sur ses cuisses. « Gagnant émérite de la plus belle chevelure rousse selon le Harper's Hommes 1996 ? » La tige rejoint un autre camélia, là où la peau de Fleur frisonne sous sa robe. « Frère immanquable du grand dompteur de dragons, fils éclatant d'un père trafiquant de canards jaunes en plastique, petit-neveu survivant des "robes" de vieille tante qu'on le forçait à mettre à chaque occasion ? » Le doigt de Bill qui s'aventure paresseusement le long de ses hanches lui vole son rire et Fleur ne peut qu'inspirer un peu plus vite. « Ou roux ténébreux, ange déchu ce soir d'orage, le balafré qui éclipsa l'éclair sombre de Harry Potter ? » Ses pouces se faufilent entre les tons dramatiques qu'ont pris sa voix et se glissent près de l'aine. « Le grand Bill Weas…
Il est interrompu soudain par un geste impérieux. Les pouces fixés sur la chair de poule qu'il sent sous la robe, il lève les yeux vers celle qui vient de lui saisir les mains. Il y a un orage entre ses cils d'argent. Fleur se penche vers lui et dépose calmement dans son oreille : « Sois tu le fais correctement, Bill Weasley charmeur de vélanes », elle plaque ses mains prisonnières sur cette pulsation près de ses hanches, « sois tu laisses faire les vélanes en perdition », et elle dépose un premier baiser sous son oreille, un second, un troisième le long de sa mâchoire, un quatrième qui éparpille les taches de rousseur. Le cinquième s'arrête à la commissure, tentateur. Son expiration lui chatouille les lèvres, elle semble lui dire : alors… ?
Les mains de Bill se sont resserrées d'un coup sur ses hanches. Il la tire brusquement vers lui et le mouvement les déséquilibre tous deux : son dos se retrouve sur le tapis tandis qu'elle retombe sur son torse. Un rire leur échappe. Fleur extirpe son visage du joli torse qui lui écrase le nez, se relève sur les coudes, sa tresse argent vient chatouiller le menton de son ravisseur. Le regard qu'il lui lance, depuis les mèches rousses qui se sont échappées, depuis ses yeux ruisseau qui la connaissent si bien, depuis sa bouche qui aime sourire, se flatter, discourir sur les meilleurs sortilèges en cas d'attaques et sur le nombre de grains de beauté qui tracent un chemin dans son cou à elle, qui aime cartographier les villes ennemies et sa peau, la brûle, sans honte. Elle se retient de repartir dans sa dispersion de baisers. Elle attend…
- Je crois que, pour cette fois, je me rends. Je laisse l'irrésistible vélane faire ce qu'elle souhaite. » Il a levé les mains, déjoué. Mais son sourire n'est ni sage, ni bienveillant, et affiche la couleur des vainqueurs.
Alors, c'est à lui que Fleur s'attaque en premier, à ce rictus qu'elle veut ravaler à coups de baisers, petites morsures, murmures qui s'échappent entre ses assauts et, plus tard, quand elle se retrouve entre ses bras nus, sur le lit que leurs corps ont fini par trouver, peau contre peau, elle écoute le son derrière sa poitrine. Son insomnie s'étend entre les battements qu'elle perçoit, la respiration qui s'espace et la chair de poule qui grimpe sur sa peau. Et elle finit par capituler entre ses mains chaudes. Contre elle, son cœur est un vrai tambour humain
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Quand elle rouvre les yeux, il fait encore nuit. Elle perçoit la lueur faible des étoiles qui caresse la fenêtre et le souffle de Bill endormi. Ses yeux fouillent la chambre et les ombres qui se faufilent. Sa voix est un murmure, quand elle reprend, pour elle ou pour lui, la conversation qu'elle a accepté de lui laisser :
- Tu sais, ce n'est pas le fait de me nier, qui m'a le plus rendue folle. C'est cette pièce de théâtre qui inversait les rôles. Moi, l'affreuse en caprices, Molly, la pauvre éconduite. C'est le mensonge de son émotion. Pleurer pour une belle-fille qui ne vient pas s'asseoir à sa table, ça lui permet de ne jamais se confronter à la vraie émotion. » Entre les bras de Bill, Fleur ne souhaite pas le réveiller. Mais elle ne peut empêcher son chuchotement de s'étendre : « Quand elle se met à pleurer de façon automatique avant que la nouvelle de la maladie incurable de son amie ne lui parvienne, quand elle pleure pour un fils qui ne peut pas venir à sa demande, mais qu'elle ne pleure jamais pour une fille » et elle ne prononce pas le nom de Ginny, qui saigne entre ses murmures, « qu'elle n'est pas sûre de savoir aimer comme un fils, elle s'empêche de ressentir la vraie émotion, derrière. Ses mots convenus, ses pleurs convenus : tout ça, c'est du mensonge, pour ne pas faire face à la blessure, la vraie. » Elle baisse la voix encore un peu plus, filet qui s'insère entre les fils des couvertures : « Celle qui t'attrape à l'estomac et te fouille le ventre de ses griffes. » Elle s'interrompt un moment. Les mots ont couru en silence depuis la tension qui la traque depuis qu'elle est ici. « Elle est redoutable. Elle a tous les réflexes de l'empathie, mais son empathie s'arrête à la porte de sa demeure et aux huit personnages qui font le tour de l'horloge. »
Fleur se tait. Le bruissement de sa voix n'a pas réveillé le grand corps qui l'enlace et la brise siffle encore doucement dans les rideaux. Elle inspire, puis expire, à peine, petits souffles entre les souffles. Est-ce qu'elle a désiré que ses regrets viennent le trouver dans ses rêves pour lui faire sentir ce qu'elle ne parvient pas à dire ? Est-ce qu'elle aimerait propulser son visage et celui de sa mère, côte à côte, dans son sommeil, pour le sommer de choisir ? Ou est-ce qu'elle veut seulement troubler la paix qu'il arrive toujours à retrouver, alors qu'elle-même ne sait pas. Sous ces questions sans réponses, les yeux de Fleur battent de plus en plus lentement. Et entre ses paupières qui ralentissent et la respiration de Bill, Fleur a des images qui chuchotent dans sa peau. Qu'est-ce que tu hais tant, au fond, Fleur ? Le papier peint sale de sa chambre, les échardes sous les pieds, le bruit constant dans la cuisine, dans la cour, dans toutes les pièces déjà à craquer de cette maison, ces démonstrations d'émotions de la Weasley en chef, ou que tu parviennes si peu à y tenir, sur ce papier-peint, entre ces émotions ? Alors que la pensée sillonne dans les replis de sa mauvaise foi et l'accompagne dans son sommeil, elle murmure malgré elle les mots qu'un jour on lui a lancés : « Moi, Fleur Delacour, enchanteresse frigide. »
Lorsque le sommeil finit par la ravir, elle ne sent pas deux bras se resserrer autour d'elle. Elle n'entend pas le soupir qui lui caresse la joue, pas plus que le murmure qui s'accroche à ses cils :
- Oh, Fleur, sous tes airs d'arrogance et d'insensibilité… ces couleurs froides qui nous pétrifient… ». Le doigt lui effleure la tempe « Mon père disait toujours : chacun est cracmol quand il perd sa baguette. Même toi, Fleur invincible. Chacun est nu, sous ses fiertés… ». La voix, à peine éveillée, se tait un temps, et, au moment où le silence retrouve la nuit et que la lune verse son apaisement blafard, il chuchote : « Un petit cœur de moineau, sous tes armures ».
Ce texte sera probablement un peu perdu dans la masse de f f net, mais j'ai beaucoup aimé écrire sur Fleur et le malaise entre elle et Molly. Creuser deux structures psychologiques si opposées et plonger dans leur mauvaise foi et petites fragilités ! (❤️) Ce texte n'a pas la même importance viscérale que Lavandes, mais ça m'a fait beaucoup de bien de l'écrire :)
J'espère pouvoir venir un jour sur ce site avec une histoire qui aura mûri longtemps et pas simplement un jet spontané qui me prend d'un coup. Peut-être un jour. (hope)
Merci beaucoup d'avoir lu ! ❤️ (et pardon à Molly — même si je n'éprouve aucun remords pour ce portrait en controlling mama et "attentat émotionnel" hihi).
