" Antoine ! l'interpella-t-elle autoritaire. Voiture ! " ordonna-t-elle.
Le commissaire lui obéit sous les yeux circonspects du capitaine. Comme un enfant en colère, Antoine ouvrit la portière côté passager et s'y installa avant de boucler sa ceinture en silence. Le trajet se déroula dans un silence de plomb et dans un habitacle qui enfermait en réalité tensions et jalousies. Pourtant, Nathan se décida à briser la glace... à ses risques et périls…
« D'ailleurs on a toujours pas décidé pour ce soir… On fait comment ?
- Je suppose que je vous laisse tous les deux… ? osa Antoine avec agacement.
- Ça me gêne un peu… répondit le capitaine.
- Ah bon… ?
- Je pensais plutôt laisser la chambre à Candice et partager la vôtre… Elle est plus grande et y a un petit canapé…
- Moi je trouve que c'est une super idée ! rétorqua Candice. En plus ça resserrera les liens comme ça…
Antoine dévisagea son ex, dépité.
- On dirait que j'ai pas le choix… maugréa-t-il la mine renfrognée.
- Voilà ! Comme ça c'est réglé ! triompha-t-elle fièrement.
- Bon on arrive bientôt là ? pesta-t-il.
- C'est écrit sur le GPS Antoine… Arrivée imminente. Le voyage t'as fait perdre la vue ou quoi ? le taquina-t-elle en se garant.
- Nianiania… grommela-t-il en ouvrant sa portière.
- Qu'est-ce qu'il a ? osa Nathan alors que le commissaire venait de claquer sa portière.
- Hum… J'crois qu'il est jaloux…
- De moi ? demanda-t-il inquiet en ravalant sa salive, apeuré. Mais… ?
- S'il savait que c'était sur lui que tu craquais… plaisanta-t-elle en rigolant.
- Oui enfin… J'préfèrerais qu'il le sache parce que là j'ai l'impression qu'il a envie de me tuer quand même… bredouilla-t-il.
- T'as peur ?! demanda-t-elle presque hilare.
- Bah non mais…
- Antoine ferait pas de mal à une mouche...
- Il a quand même failli étrangler le mec que t'as ramené chez toi la dernière fois hein... rappela-t-il avec angoisse.
- Allez… T'inquiète pas... Laisse-le râler dans son coin va… »
Gêné, le capitaine ouvrit sa portière et rejoignit son supérieur déjà planté sur le pas de la porte de la maison de ville de l'ancien conjoint de Camille. Ses prunelles noires heurtèrent furtivement celles d'Antoine et ces dernières ne reflétaient en aucun cas l'amicalité… Le plus jeune ravala sa salive et finit par poser ses yeux sur sa cheffe qui venait de toquer à la porte.
Rapidement, la poignée s'enclencha, laissant apparaître un jeune brun portant un bébé. Antoine les présenta et s'immisça dans le bâtiment sans un regard pour ses collègues… Intérieurement, Candice s'amusait… Son ex respirait la jalousie et… il fallait bien avouer que cela lui plaisait… Hier encore elle s'imaginait qu'il dormait dans les bras d'une autre et aujourd'hui… il démontrait maladroitement toute sa considération envers elle. Souriante, elle l'observa du coin de l'œil entamer la conversation avec leur témoin.
« Bien sûr que je connais Camille… On a été ensemble y a quelques années…
- Hum… En fait on est là dans le cadre de la mort de sa sœur. Émilie a été retrouvée assassinée et on est là parce qu'on pense qu'il y a un lien avec le décès de Camille.
- Je l'ai revu y a deux mois… annonça-t-il l'air grave.
- Ah ?! s'étonna Antoine.
- Ouais… Enfin c'était pas prévu… Elle a débarqué ici comme une furie en hurlant que Camille avait été violée. Que je le savais mais que j'avais caché la vérité…
- Violée ? s'étonna Candice.
- Oui… Elle a tout de suite justifié son déni de grossesse avec ça… Mais quand je lui demandais des preuves elle voulait pas m'en donner.
- Vous étiez au courant de sa grossesse à l'époque ?
- Non… Je l'ai su y a deux mois quand Émilie est venue… Ça m'a complètement retourné je… à l'époque elle m'avait quitté sans raison… on s'aimait encore et on avait plein de projets… Vous savez… Camille c'était mon premier amour et je pensais que ça allait durer toute la vie… Quand elle m'a quitté du jour au lendemain je… J'avais envie de tout quitter à mon tour… Je…
- Je comprends… bafouilla le commissaire visiblement affecté par cet échange.
- Et cette histoire de viol… Vous savez comment elle l'a su ?
- Je sais pas… elle était folle de rage… elle m'a dit qu'elle était retournée chez elles et qu'elle avait retrouvé des affaires et que dedans y avait un journal intime.
- De Camille ?
- Je suppose oui… Elle a dû le lire et… elle avait dû le noter dedans… j'en sais rien…
- On a pas retrouvé ça dans le garage de chez Grégoire… lança Candice à son adjoint.
- Non… Mais il y avait un coffre fermé…
- Vous l'avez pas ouvert ? s'étonna Antoine.
- Non… bafouilla-t-elle. On s'est lancés sur la recherche des individus qu'elle avait recensé je…
- Couper un cadenas c'est pas compliqué quand même ! s'emporta le commissaire.
- C'était pas un cadenas. C'est comme un petit coffre-fort. Ça s'ouvre avec un code. Et le truc est blindé… Donc compliqué à forcer…
- Le code… réalisa Candice. Les chiffres sur l'agenda…
- 2226… compléta Antoine.
- Hein ? balbutia Nathan, perdu.
- Mais oui ! On a retrouvé un petit agenda dans son scoot... rappela Candice.
- Et y avait 4 chiffres écrit dessus. C'est sûrement le code du coffre.
- Ouais... acquiesça Candice. Et quand Émilie vous a dit qu'elle était retournée chez elles… C'est-à-dire ?
- J'en sais rien… Peut-être chez leur tante mais il doit y avoir des gens qui vivent dedans maintenant.
- Vous avez l'adresse ?
- Oui… Mais c'est peut-être aussi dans leur maison de vacances à côté de Sète… J'en sais rien…
- Elle devient quoi cette maison ?
- Elles l'ont revendu à la mort de Camille.
- On va vérifier aussi. Vous savez où elle se trouve ?
- Précisément non… J'y suis allé qu'une seule fois y a longtemps mais je connais pas du tout la région et j'avoue que je m'y suis pas intéressé…
- Vous pouvez peut-être nous la décrire ?
- C'est une grosse maison avec une piscine. Y avait un étage et le balcon donnait sur l'étang… Mais c'était pas à Sète je crois… Je me rappelle juste que, quand on rentrait, on passait devant un petit kiosque après un rond-point…
- Merci… On va essayer de recouper tout ça et on vous tient au courant…
- Si vous m'appelez… Évitez le fixe et appelez mon portable… Je veux pas impliquer ma femme… Depuis qu'Émilie est revenue c'est un peu compliqué entre nous et… je veux la protéger de cette histoire.
- Bien… »
L'équipe acquiesça et quitta le domicile du jeune homme chargée de nouvelles informations. Mais pas question de se précipiter… II fallait déjà regrouper toutes les annonces de la matinée et agir par ordre et méthode. Candice proposa un déjeuner pour en discuter. Et visiblement affamés, tous acceptèrent. Pourtant, depuis le début de leur précédente discussion, la blonde sentait Antoine renfermé. Et cela n'avait rien avoir avec sa jalousie passagère… Candice en savait la raison… Alors elle se contenta de l'observer en silence et profita de l'absence de Nathan autour de la table pour mettre les pieds dans le plat.
« Tu penses à elle c'est ça ? lança-t-elle doucement face à Antoine.
- De quoi tu parles… ?
- Jean et Camille… Ça te fait penser à elle ?
- Non… Fin'… Ça va… C'est différent quand même…
- Jean aussi a été quitté du jour au lendemain sans explication… T'as le droit de comprendre son ressenti…
- Mais non… Ça va… mentit-il en détournant le regard.
- Hum… répondit-elle peu convaincue. Et… T'as de ses nouvelles ? Tu l'as revu ?
- Oui…
- Ah… répondit-elle blessée.
- Je l'ai croisé y a dix jours au tribunal de Montpellier… J'avais rendez-vous avec le procureur et elle sortait d'une plaidoirie.
- Et alors ?
- Alors rien… Elle s'est à nouveau excusée pour ce qu'il s'était passé la dernière fois et elle m'a demandé de tes nouvelles…
- Elle a dû jubiler quand tu lui as répondu que tu m'avais vraiment quitté… lâcha-t-elle mauvaise.
- Non… Parce qu'elle a très bien vu que la situation me rendait mal… la contredit-elle durement.
- C'est vrai que j'avais oublié que tout était de ma faute… lança-t-elle en levant les yeux au ciel.
- J'ai pas dit ça…
- Peut-être mais c'est ce que tout le monde croit… que t'es mal à cause de moi.
- Bah évidemment ! s'agaça-t-il. J'ai jamais voulu qu'on en arrive là moi ! Et si j'ai fait ça c'est parce que j'ai pas eu le choix ! Alors oui… Même si tu penses le contraire… Ça me fait mal cette situation… avoua-t-il durement d'un regard noir.
- Parce que tu crois que je suis mieux peut-être ?! Que je m'en fous de tout ça ? Non parce que… j'te signale... au cas où tu l'aurais oublié, que moi je… je… je t'aime encore en fait… Merde ! cracha-t-elle avant de quitter précipitamment la table pour rejoindre les toilettes. »
Antoine resta bouche bée. « Je t'aime… » venait-il entendre sortir de sa bouche. Sept petites lettres qu'elle ne se permettait jamais et qui lui manquaient. Et la façon dont elle venait de quitter cette table en disait long sur ses remords. Intérieurement, la commandante se maudissait, convaincue de s'être un peu trop exposée à ses yeux… Or cette révélation signalait très clairement la situation d'extrême urgence dans laquelle elle se trouvait. Peut-être finalement qu'elle gardait ces mots bien enfouis au fond de sa carcasse mais qu'elle avait besoin de les exprimer… ? Candice ne savait plus. Perdue entre son cœur et sa raison… Alors elle s'observa dans le miroir de ces toilettes sombres, l'air embué et les yeux inondés…
« Ressaisis-toi Candice ! Ressaisis-toi… » s'ordonna-t-elle pour contenir le flot de larmes qui menaçait de dévaler ses joues. Comment allait-elle l'affronter à présent ? À Sète, la fuite aurait été simple… Elle aurait probablement inventé une légère urgence et se serait exilée loin de ses griffes. Mais là, dans un environnement inconnu, elle se trouvait condamner à le côtoyer…
Et de l'autre côté du restaurant, Antoine n'avait pas bougé d'un iota. Il se contentait de tourner mécaniquement sa cuillère dans sa tasse de café, priant intérieurement qu'elle revienne et qu'il ose proposer une discussion à remettre ultérieurement. Mais visiblement, le capitaine en avait décidé autrement. Il débarqua d'un pas décidé à table et fixa Antoine l'air perplexe.
« Bah Candice n'est pas là ?
- Euh… Si… Mais… Elle… Elle est partie aux toilettes… Alors ça donne quoi ?
- Le gynéco peut nous recevoir que demain… Pas avant…
- Quoi ?! Mais vous lui avez dit que c'était urgent ?!
- Oui mais il est en congé aujourd'hui… C'est sa secrétaire que j'ai eu…
- Super… Bon… je me charge d'appeler Sète pour qu'on essaye de retrouver cette maison de vacances… Mehdi est déjà sur le coup du journal intime.
- Ça marche ! acquiesça-t-il alors que le commissaire quittait la table. »
Antoine rejoignit le trottoir à son tour et sortit machinalement le téléphone de sa poche. Il tapota sur son clavier et le colla rapidement à son oreille.
« Ouais Marquez, c'est moi ! Des nouvelles de Mehdi ?
- Euh non mais il vient tout juste de partir tu sais…
- Ok. Vous me prévenez dès que vous savez !
- Mais oui t'inquiète pas !
- J'ai autre chose pour vous… Faudrait me retrouver la maison de vacances des Dejean.
- Euh… Ok ? Et on a quoi ?
- T'as de quoi noter ? »
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