Aujourd'hui, outre la célébration de mon existence sur Terre, c'est le début de la mise en oeuvre d'un plan à la con dans ce chapitre... franchement, quand on me connaît, ça ne peut que mal tourner, hein ?
Bonne lecture !
Chapitre 15
Bien sûr, comme John ne savait pas être énervé trop longtemps contre Sherlock, à peine fut-il arrivé à Regent's Park, il était calmé. Il s'en voulait de s'être emporté, a fortiori puisqu'il n'y avait pas vraiment de raison. Connaissant le détective, soit il n'avait pas compris le comportement de John et l'avait ajouté sur sa pile « choses à déduire » et allait s'employer à analyser le médecin dès que possible ; soit il n'avait pas compris le comportement de John mais était passé à autre chose de nettement plus passionnant que les états d'âme de son colocataire et ne poserait aucune question. Dans tous les cas, il ne pouvait pas avoir compris John, puisque ce dernier lui-même ne se comprenait pas. Il avait agi de manière irrationnelle, et savait au fond de lui que ce n'était pas sain qu'il se sente blessé quand Sherlock ne faisait que faire ce qu'il avait toujours fait, à savoir disposer de son corps librement, et que son apparence n'y changeait rien. Et il espérait vraiment que Sherlock laisse tomber. Il n'avait pas envie de lui fournir des explications.
John poursuivit sa balade dans le parc, sur un rythme bien plus tranquille que précédemment, quand il était sorti furieux de l'appartement. Il aurait pu rentrer immédiatement, maintenant qu'il était calmé, mais la journée était claire et belle, et Regent's Park commençait à fleurir, c'était joli sous la lumière du soleil vernal.
Flânant, il se fit soudain la douloureuse réflexion que c'était la première fois qu'il quittait Sherlock depuis son retour d'entre les morts, sans y penser.
Bien sûr, depuis six mois, il y avait eu des douzaines de fois où Sherlock était sorti du champ de vision de John. Il fallait bien qu'ils mangent, et le détective ne se serait jamais abaissé à accompagner John au supermarché faire les courses. Quand il n'avait rien à manger, il commandait. Sherlock pouvait passer une semaine entière à se nourrir de plats à emporter du monde entier.
Mais depuis tout ce temps, dès que John quittait Sherlock, il y avait une part non négligeable de lui qui y pensait, une partie de son cœur qui restait serrée, un bout de sa respiration bloquée dans sa gorge. Un murmure qui lui disait « et s'il n'était pas là à ton retour ? ». Et quand John rentrait et que Sherlock était toujours là, tout recommençait à fonctionner normalement.
Depuis leurs discussions/disputes sur le sujet, globalement Sherlock avait été plus attentif à l'état de John et ne l'avait que peu quitté.
Et durant cette balade impromptue à Regent's Park, où John était parti volontairement en laissant son colocataire derrière lui, inversant totalement leurs habitudes, pour la première fois, le médecin n'avait pas le cœur serré.
— Je suis en train de guérir ? marmonna-t-il à personne d'autre que lui-même.
Ça lui paraissait improbable. Il avait passé tant de temps à souffrir de l'absence de Sherlock, puis à douter de la réalité de son retour qu'il avait oublié comment ça faisait, de ne pas avoir ces sentiments douloureux au fond de lui.
John n'avait pas fait un grand tour du parc quand il soupira, et fit demi-tour, direction Baker Street. Il était sans doute masochiste, mais il ne voulait pas vivre sans ces sentiments douloureux. Il ne voulait pas vivre sans Sherlock.
Sherlock ne dit rien, quand il rentra. Mais timidement, il lui tendit une tasse de thé à l'allure douteuse. De toute évidence, il avait été capable de prévoir mieux que John le moment exact où il allait rentrer, et lui avait préparé du thé encore chaud pour s'excuser. Il était mal infusé, mais Sherlock faisait un pas en avant vers lui, et John n'avait pas de raison de le lui refuser. Il accepta l'offrande avec un sourire.
— Merci, Sherlock.
Son ami le regarda sans rien dire. Essayait-il de lire sur le visage de son colocataire ce qui s'était produit quand John était sorti ? Y parvenait-il ? Était-il capable de déduire toutes les émotions contradictoires qui traversaient John ? De lire combien le médecin était incapable de lui en vouloir, pour quoi que ce soit, au demeurant ? Combien il voulait désespérément rester proche de lui, dans beaucoup de sens du terme ? Voyait-il au-delà de ce que John s'avouait à lui-même, pouvait-il lire ce que le médecin cachait si profondément en lui qu'il n'en avait pas conscience ?
John ne pouvait en avoir aucune idée, alors il se laissa observer, sans qu'aucune déduction ne franchisse la barrière des lèvres du détective. C'était si facile d'oublier qu'il avait un corps de femme, en cet instant précis. Toute sa morphologie avait changé de manière parfois plus ou moins subtile pour être plus féminine, mais ses yeux étaient restés exactement les mêmes. Et quand ils s'écarquillaient ainsi, si clairs qu'ils devenaient presque blancs teintés de bleus, John suffoquait. Il se noyait sans eau.
— Alors, prononça-t-il en se raclant la gorge pour mettre fin à ce moment gênant, c'est pour quand ton plan ?
En posant sa question, John n'avait pas vraiment vu venir que la réponse puisse être « ce soir. Molly arrive, Lestrade aussi, il est d'accord ». Il avait digéré sa surprise, et découvert par la suite que Greg n'était pas aussi d'accord que Sherlock le disait, mais qu'il avait abandonné de guerre lasse.
— Ça sert à rien de toute manière, il est trop têtu, avait conclu le DI d'une voix fatiguée.
Il devait arriver dans la soirée pour préparer et équiper Sherlock, avec les micros et puces qui leur permettraient de suivre ses déplacements, et entendre ses conversations. C'était la condition sine qua non qu'avait posé le supérieur de Lestrade, et le procureur contacté sur l'affaire. Sherlock n'était pas fonctionnaire ni policier, et ils avaient besoin d'autorisations spéciales pour le laisser participer et pouvoir utiliser les preuves qu'il récolterait dans le cadre d'une procédure de justice. Ce genre de choses n'intéressait pas Sherlock, qui voulait juste prouver qu'il avait raison dans la résolution de l'enquête, mais Greg et ses équipes et supérieurs étaient nettement plus attachés au fait de déférer les criminels en prison et les faire condamner pour qu'ils y restent durablement, surtout quand ils assassinaient sauvagement des gens avec préméditation.
Le détective avait accepté de se prêter au jeu des micros avec désintérêt. Il était nettement plus excité par le jeu de dupes qu'il allait devoir jouer.
— Ça t'amuse à ce point, cette perspective ? demanda John.
Molly arrivait sous peu, avec « ce qu'il fallait pour préparer Sherlock ». John avait préféré ne pas demander de quoi il s'agissait.
— Bien sûr ! répondit le détective avec emphase. Tu me répètes souvent que je suis un excellent acteur et que je manipule la moitié des gens que je croise pour obtenir ce que je veux...
— C'est entièrement vrai, l'interrompit le médecin, blasé.
Il ne connaissait pas beaucoup de secrétaires, ou assistants, ou réceptionnistes, ou n'importe qui, en fait, capable de résister au charme magnétique de Sherlock qui essayait de corrompre quelqu'un.
— ... c'est un bon exercice pour vérifier si c'est vrai ! poursuivit Sherlock comme s'il n'avait pas été interrompu.
— Pourquoi veux-tu le vérifier ? demanda John.
Il savait qu'il y avait quelque chose. Il le ressentait. Sherlock ne lui disait pas tout. Ses joues se coloraient légèrement de rose. Sur n'importe qui d'autre, ce serait passé inaperçu, mais la carnation très pâle de sa peau le rendait extrêmement sensible aux moindres changements. Sherlock ne rougissait jamais, d'habitude.
— Expériences, John. C'est scientifique.
Sa voix était posée et calme, presque ennuyée, mais il n'était assurément pas sincère. John ne le comprenait pas. Il s'était habitué à son corps, la plupart du temps, mais il ne semblait pas réaliser que pour draguer un homme soupçonné d'avoir assassiné deux jeunes femmes pour des raisons d'argent, de sexe et de jalousie, il allait devoir donner de sa personne. Littéralement. John n'aurait souhaité ça à aucune femme de sa connaissance, ou du monde. Il le souhaitait encore moins à son meilleur ami coincé dans un corps féminin.
Sherlock mentait sur ses raisons de faire ça, mais John ne savait pas déduire la vérité.
Un coup résonna soudain, et Molly entra dans le salon, Mrs Hudson sur les talons, qui avait dû lui ouvrir la porte en bas.
— Je veux voir ça ! décréta la vieille dame.
John trouva que sa curiosité était déplacée. Mais comme il la partageait, il s'abstint de toute remarque, et se contenta d'être spectateur de la suite.
Avec une efficacité surprenante, Molly sortit tous les vêtements, accessoires et maquillage qu'elle avait ramenés. Leur cible était connue pour aimer les très belles femmes, ce que Sherlock était indéniablement. Il suffisait de la « mettre en valeur », comme disait Molly. Soutien-gorge augmentant la poitrine, décolleté plongeant mais pas excessif, taille marquée et cintrée, jupe courte mais pas trop, de l'élégance chic et assumée. Le détective se plia à toutes les directives de la jeune légiste avec complaisance. Molly n'avait généralement pas conscience de sa propre beauté, ni aucune velléité de la mettre en avant, mais elle savait assurément comment faire.
Sauf que lorsque Sherlock ressortit de la salle de bains, habillé selon les indications de Molly, tous ne purent retenir une grimace.
— Alors ça, ça ne va pas le faire, décréta Molly.
— Ça quoi ? demanda le détective.
— Tes jambes. T'as de la cire, pour épiler ça ?
— Pardon ?
John retint un éclat de rire amusé. Une part de lui était désolée pour son ami, et pour toutes les femmes qui devaient se plier aux diktats masculins des critères de beauté. L'autre avait envie de se marrer. Sherlock, ainsi habillé était magnifique, comme personne n'en avait jamais douté. Il était d'ailleurs plus femme que le souvenir de Sherlock homme, presque un étranger. Mais la jupe courte s'arrêtait au-dessus de ses genoux, et il n'avait évidemment jamais songé à se raser ou s'épiler depuis tout le temps où il occupait ce corps. Il n'avait porté que des pantalons longs, au demeurant. Ses jambes fines, chevilles, tout était résolument féminin chez lui, et poilus.
— Sherlock, tu ne séduiras personne avec ça, commenta Molly. Tu rases, tu épiles, ce que tu veux, mais il faut s'en débarrasser. Et... attends, rassure-moi, comment sont tes aisselles ?
Le regard apeuré du détective leur fit écho. John se mordit l'intérieur des joues pour ne pas exploser de rire. Sherlock le prendrait mal.
— Je dois avoir de la crème dépilatoire, renchérit Mrs Hudson. Je ne pense pas que les garçons aient ce qu'il faut. John, chéri, il faudrait peut-être passer au Tesco du coin aller chercher rapidement de quoi faire...
— Non ! intervint Sherlock avant que John n'ait eu le temps d'esquisser le moindre geste.
— Non quoi ? demanda Molly posément.
Sherlock se laissa tomber dans son fauteuil, lourdement. Aucune grâce dans son acte, et John vit Molly lever un sourcil désapprobateur. Même lui pouvait dire que les actions de Sherlock, sa manière de se tenir, la position de ses jambes, toute son attitude, n'était pas assez féminine pour son plan.
— Sherlock, soyons clairs, si tu veux réellement aller au bout de ton idée, va falloir faire des concessions. Les standards féminins n'autorisent pas tes poils, c'est ainsi. Au passage, tiens-toi droit, baisse les épaules, resserre les jambes et croise tes chevilles, mais ne te tiens pas comme ça, tu n'es pas du tout crédible.
Sherlock bougonna, mais obéit, du moins pour sa posture. La transformation tenait en peu de choses, mais était bluffante. Il ne bougea cependant pas d'un centimètre.
— Pourquoi je devrais faire ça ? demanda-t-il cependant. C'est absurde. C'est naturel. Pourquoi devrais-je m'épiler ?
Molly leva les yeux au ciel. John la comprenait. Sherlock faisait cet effet aux gens.
— Je suis entièrement d'accord avec toi, et il y a tout un monde qui est d'accord aussi, et tu pourras en débattre avec tous les groupes féministes du monde si ça t'amuse, mais en l'occurrence, il ne s'agit pas de nos opinions quant aux diktats de la beauté féminine, mais de faire de toi une version de la femme parfaite du connard que tu vas essayer de faire parler pour l'inculper. Donc, dans ce cadre, pas de poils, c'est comme ça.
La légiste était intransigeante, et Mrs Hudson et John échangeaient des regards moqueurs sous cape.
— Quelles sont mes options ? céda le détective.
Molly sourit d'un air victorieux.
— Rasoir pour la rapidité, à condition que tu saches ne pas te lacérer les jambes au passage, les éraflures feraient mauvais genre. Cire, chaude ou froide, mais si tu n'as jamais fait ça, ça va être compliqué... La pince à épiler, si t'as du temps devant toi et l'envie de perdre du temps. L'épilateur électrique, si y'en a un quelque part, je n'ai pas apporté le mien. La crème dépilatoire, mais ce n'est pas toujours efficace.
Sherlock leva un sourcil perplexe. Ça ne l'aidait pas.
— J'ai le numéro de mon esthéticienne à domicile, offrit Mrs Hudson. S'il le faut. Peut-être qu'elle peut passer en urgence.
— Il nous reste que deux heures, indiqua Molly.
— Greg est en route, renchérit John qui venait de recevoir un message. Il dit qu'il veut être là pour voir ça.
— Ça quoi ?
— Ta séance d'épilation, ricana le médecin. Qu'importe sa forme.
— Et n'oublie pas qu'il faudrait faire les aisselles, aussi, rajouta Molly.
— Quoi ? Non, pourquoi ?
— Pour le principe, tes manches sont courtes. Et estime-toi heureux, la plupart des femmes rajouteraient l'option du maillot à épiler également, dans ton cas.
Sherlock était de plus en plus pâle, et marmonnait sur l'absurdité de telles actions, que ça n'avait aucun sens, et que les critères de beauté étaient absurdes. Personne ne pouvait lui donner tort, mais Molly avait quand même raison. Dans ce cas très précis qui les occupait, Sherlock n'allait pas y couper.
Après débat sur le niveau de douleur de l'épilation (Molly et Mrs Hudson haussèrent les épaules en disant qu'on s'habituait, John témoigna d'une vidéo qu'il avait vu où les hommes testaient la douleur et s'avéraient nettement plus douillets que bien des femmes), Sherlock trancha pour le rasoir. Au moins, ils en avaient, et il n'y avait pas réellement de différence entre un rasoir féminin ou masculin, qu'importait ce que les packagings essayaient de faire croire. Et Sherlock ne s'était jamais coupé de sa vie, il n'y avait pas de raison que ça se passe mal.
— Très bien, accepta Molly. Allons-y.
Elle s'apprêtait à le suivre dans la salle de bains, quand Sherlock s'y opposa.
— Non, décréta-t-il.
Avant même que John ait eu le temps de dire ouf et de comprendre la raison du refus de Sherlock à être accompagné de son amie, le détective avait attrapé le médecin par le bras et entraîné dans la salle de bains avec lui, avant de refermer la porte derrière eux.
John ferma les yeux et se pinça l'arête du nez. Autant les débats sur l'épilation et l'air effrayé de Sherlock avaient quelque chose d'amusant, autant vivre la situation ne l'était pas.
— Sherlock, je ne t'aiderai pas à te raser les jambes, décréta-t-il d'une voix ferme.
— Contente-toi de me tenir compagnie.
La voix était parfaitement assurée, mais John le connaît suffisamment pour en entendre les fêlures. Le grand détective pouvait dire ce qu'il voulait sur le fait d'expérimenter, la situation lui échappait et il n'aimait pas ça. Sa fierté lui interdisait d'abandonner, mais il n'était pas à l'aise, et il avait besoin de soutien. De la seule personne qui lui en fournissait systématiquement sans jamais fléchir.
Sauf que lorsque Sherlock se débarrassa de la jupe courte qu'il portait jusqu'alors pour enduire ses jambes de mousse à raser, assis sur le rebord de la baignoire, John se surprit à faiblir.
Il savait, bien sûr, que les sous-vêtements de Sherlock étaient assortis. Il avait assisté à tout le débat avec Molly, qui avait argumenté en cette faveur, et avait eu gain de cause, et Sherlock avait cédé à la lingerie qu'elle avait apportée.
Mais le savoir théorique n'était pas pareil que de le constater de ses yeux, et avoir l'impression de mater son meilleur ami. Mais son meilleur ami avait un corps de femme, et il passait présentement le rasoir sur ses jambes en un geste maîtrisé, et John devenait fou. Il ne savait plus ce qu'il ressentait, et d'où cela venait.
Cette situation devenait de plus en plus incontrôlable pour lui.
— Sherlock, mon chéri, vous êtes superbe !
Mrs Hudson s'émerveillait. Même Lestrade était bouche bée. John reconnaissait que Molly avait fait du bon boulot. Sherlock était presque méconnaissable. Il était resté lui, depuis sa transformation, et John oubliait régulièrement, quand il lui tournait le dos ou ne faisait que l'entendre, que son timbre avait quelques variations plus aiguës et qu'il était une femme.
Mais maquillé, son visage redessiné par les bons soins de la légiste, coiffé, habillé, juché sur des talons hauts vertigineux que Molly l'avait obligé à enfiler plusieurs heures auparavant pour « l'habituer rapidement » (À la démarche ? avait demandé Sherlock. Non, avait répliqué Molly. À la douleur.), sans compter les bijoux revêtus, il n'était plus Sherlock. Plus du tout.
Greg était arrivé dans l'intention de se moquer un peu, mais n'avait rien dit, bluffé par la transformation.
Du moins, jusqu'à ce que Sherlock ouvre la bouche pour l'insulter en lui demandant pourquoi il restait planté là comme un imbécile, la bouche ouverte. Cela avait eu le mérite de sortir Lestrade de sa transe.
— Ah, c'est toujours bien toi, Sherlock. Je suis rassuré.
Il avait installé un micro invisible dans le col du chemisier du détective, et ils avaient dû faire des tests pour vérifier comment le placer, le cacher, et être sûr que le son était transmis de manière claire. Le décolleté de Sherlock empêchait de le placer dans l'ouverture de l'encolure, juste en dessous de sa gorge. Il fallait le placer sur les côtés, et vérifier la clarté du son transmis.
Sherlock avait accepté de placer un GPS dans sa montre également, mais aussi sur l'agrafe du soutien-gorge qu'il portait. Ils n'avaient pas l'intention de le perdre de vue ni de le laisser partir avec l'homme qu'ils soupçonnaient être un assassin, mais les victimes avaient en commun d'avoir perdu leur montre, entre le moment où elles avaient disparu et le moment où on avait retrouvé leurs corps morts. Sherlock avait supposé que le coupable pouvait leur ôter et les conserver en guise de trophées. Les psychopathes faisaient ce genre de choses. Dans un des scénarios les plus catastrophiques, il prenait à Sherlock sa montre, et allait la ranger avec le reste de ses trésors de guerre. S'ils n'obtenaient ni aveux, ni preuves, Scotland Yard pourrait perquisitionner là où le signal émettrait, espérant ainsi retrouver les autres montres et donc obtenir des preuves.
Mais comme ils ne voulaient pas perdre Sherlock pour autant, ils préféraient avoir aussi une puce sur quelque chose qu'il avait une chance de garder le plus longtemps possible, et lui injecter sous la peau une puce était exclus.
Il avait également une oreillette invisible sous ses cheveux, pour entendre les consignes que Lestrade lui donnerait.
— Arrête de râler, Sherlock, avait-il ordonné au détective quand il avait commencé à refuser le dispositif. Je sais bien, de toute manière, que tu n'en feras qu'à ta tête si je te donne des ordres. Mais j'ai besoin de pouvoir te prévenir si on détecte le moindre danger alentour. Tu as établi que ce mec était le coupable, et je te crois, mais que je sache, tu n'as rien trouvé du modus operandi. Il a tué deux femmes, ou plus exactement, nous avons deux cadavres retrouvés en même temps. Il y a peu en avoir d'autres, jamais retrouvés, ou jamais fait le lien avec lui ! Alors s'il y a un complice, un danger extérieur, quoi que ce soir, je DOIS pouvoir te prévenir.
Sherlock ouvrit la bouche pour répliquer, mais Lestrade ne lui laissa pas le temps, et poursuivit son laïus de flic.
— Sais-tu combien de temps il m'a fallu pour faire accepter ce plan débile au superintendant et au procureur ? C'est pas la planque, la filature, l'appât, qui a posé souci. C'est que TOI tu le fasses. T'es pas flic. Et pire que tout, au lieu de déployer toute une unité mobile pour te surveiller et te filer, ce sera juste moi. Moi et John. Deux civils impliqués ! T'imagines ce que j'ai dû faire pour obtenir ces autorisations ? J'ai dû ramper à leurs pieds pour ça !
— Tu n'avais qu'à appeler Mycroft, ricana Sherlock. Tu aurais obtenu tes autorisations sur le champ, sans aucune contestation, et il me semble que ramper à ses pieds à lui te pose moins de problème.
Molly laissa échapper une expression indignée, Mrs Hudson ne fit aucun commentaire. John songea que Sherlock était vraiment plus mal à l'aise qu'il ne l'avouerait jamais, pour se montrer aussi cruel et stupide.
Lestrade resta totalement impassible, affrontant tranquillement le regard narquois de Sherlock posé sur lui, qui le dominait de sa taille. On oubliait parfois qu'il était un bon flic.
— Bien sûr. Et prévenir Mycroft de ta nouvelle condition, alors, évidemment. J'ai ton autorisation pour cela ?
Sherlock détourna le regard, furieux. Il avait perdu, il le savait.
— Tu ne l'as pas volé, lui murmura John en s'approchant de lui. Sois sage. Tout ira bien. Je serai là.
Le médecin n'approuvait pas ce plan débile. Il approuvait encore moins de devoir y jouer un rôle. Mais il ne mentait pas : il serait là pour soutenir Sherlock, quoi qu'il se produise.
Sherlock accepta l'oreillette sans mot dire.
Ils étaient prêts.
Fondamentalement, ça ne s'était pas si mal passé. Ça aurait pu être vraiment pire. John avait accepté sans broncher l'oreillette et le micro que Lestrade lui avait données. En l'absence de caméra pour suivre les mouvements de Sherlock, c'était John qui avait récupéré ce rôle, surveillant son ami à distance, informant le reste de l'équipe à distance également. Il avait interdiction d'intervenir, et c'était au final ce qui avait été le plus dur à gérer.
Avant même que leur suspect ne se pointe au bar de l'hôtel où Sherlock avait pris position, il était déjà en train de se faire reluquer par la moitié de la population mâle passant dans la pièce, et John rongeait son frein avec difficulté.
— Pour l'amour du ciel, Sherlock, cesse de manspreader, ou ton plan ne fonctionnera jamais ! retentit la voix de Molly dans leurs oreillettes.
Mrs Hudson était restée sagement à Baker Street, en leur faisant promettre de tout lui raconter, mais Molly avait insisté pour venir, arguant qu'elle en avait déjà fait assez, qu'elle avait le droit de savoir la suite et de si ces efforts pour faire de Sherlock une femme séduisante étaient payants. Greg et elle étaient devenus suffisamment amis pour qu'il ne conteste pas sa présence, tant qu'elle n'était pas officielle et se faisait discrète. Ils étaient tous les deux installés dans une voiture banalisée, garée devant l'hôtel, pour être à portée de mains en cas de besoin (et surtout pour leur donner les consignes).
— Molly, tu ne le vois même pas, commenta John dans son poignet.
Vu de l'extérieur, il devait avoir l'air un peu stupide, à parler seul. Heureusement que depuis quelques années, les écouteurs sans fil étaient devenus la norme. Des gens au téléphone sans aucun dispositif apparent se rencontraient fréquemment, et John devait avoir l'air d'être de ceux-là. Lui n'était pas un appât, et l'oreillette était bien visible, alors ça atténuait le sentiment qu'il était ridicule, assis l'air de rien, à plusieurs mètres de Sherlock, mais l'ayant dans son visuel direct. De toute manière, personne ne faisait réellement attention à lui, les gens passaient avec indifférence. Les passants regardaient nettement plus Sherlock en talons hauts et jupe courte que le petit médecin en jean et chemise qui discutait au téléphone.
— Non, mais je suis sûre qu'il est en train de le faire, répondit Molly.
Sherlock, toujours dans son rôle de femme-s'ennuyant-au-bar-cherchant-de-la-compagnie, entendait parfaitement leurs échanges, mais ne pouvait pas prendre le risque de leur répondre. Il se contenta de se tourner à demi vers l'endroit où était situé John, et froncer les sourcils pour indiquer son incompréhension.
— Il ne sait pas ce que ça veut dire, réalisa John avec amusement. En plus, Molly a raison, t'es vaguement en train de le faire. Referme les genoux, Sherlock.
Le détective obéit, reprenant une posture plus correcte, comme celles que Molly lui avait enseignées, et qu'il avait tendance à oublier et laisser son corps agir naturellement sans y réfléchir, au lieu de croiser les chevilles et serrer les genoux.
— Mon Dieu, soupira Molly. Si vous ne savez pas ce que ça veut dire, on n'est pas sortis de l'auberge.
— Hé, moi je savais ! indiqua John.
— Moi aussi ! résonna la voix de Lestrade.
— J'ai déjà pris le métro avec chacun de vous, répliqua la légiste, et ça vous arrive de le faire !
— Pas volontairement ! se défendit Lestrade.
— Pareil ! renchérit John.
— Mais vous le faites quand même ! Et de toute manière, ce n'est pas qu'une posture stupide de machos dans les transports en communs, c'est un état d'esprit qui englobe tellement de choses et...
John pouffa, et Molly s'interrompit.
— Je ne ris pas à cause de toi, corrigea aussitôt John. C'est la tête de Sherlock. Il ne peut pas nous répondre, mais il nous entend.
Le détective hocha légèrement la tête, appuyant les propos de John, ce que les deux autres ne pouvaient évidemment pas voir.
— Du coup, il est tiraillé par toutes les réponses assassines qu'il voudrait nous asséner, et le fait de rester dans son rôle et donc totalement impassible, et c'est assez drôle à voir.
Sherlock leva les yeux au ciel, très brièvement, et John pouffa de nouveau.
— Franchement, l'enjeu ne serait pas si important, je trouverais la situation à mourir de rire, commenta le médecin. On devrait faire ça plus souvent, parler sans le laisser répondre. C'est hilarant.
Lestrade et Molly rirent dans le micro, se lamentant de ne pas avoir de caméra pour capter l'instant, tandis que Sherlock continuait ses mimiques exaspérées.
— Stop, les arrêta soudain la voix de Lestrade, redevenue professionnelle. Le suspect vient d'entrer dans l'hôtel.
En un instant, ils avaient tous repris leur rôle, prêt à jouer leur partition.
Prochain chapitre le Me 20/09 !
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