Cette Fanfiction a été écrite dans le cadre du fest' organisé par FESTUMSEMPRA sur le thème « Pages Manquantes »
Auteurs, lecteurs, artistes… rejoignez le discord de Festumsempra ici :
discord . gg / 73rYkUNPTx
OU
Contactez-nous par mail : festumsempra[arobase]gmail . com
"Pour atteindre à de hautes places, ce sont deux choses : il faut être aigle ou reptile."
Honoré de Balzac - Le catéchisme social.
Harry regarda autour de lui.
– Le mieux, c'est d'attendre ici, dit-il. Si quelqu'un vient, on l'entendra à des kilomètres.
Il avait à peine fini sa phrase que Ludo Verpey surgit de derrière un arbre, juste en face d'eux. Même à la faible lueur des deux baguettes magiques, Harry remarqua que Verpey avait considérablement changé. Il semblait avoir perdu sa joyeuse humeur et son teint rosé. Il marchait à présent d'un pas lourd, le visage livide et tendu.
– Qui est là ? demanda-t-il en clignant des yeux pour essayer de les reconnaître. Qu'est-ce que vous faites ici tout seuls ?
Ils échangèrent un regard surpris.
– C'est la panique, là-bas, dit Ron.
Verpey le regarda fixement.
– Quoi ?
– Sur le camping... Il y a des sorciers masqués qui ont pris une famille de Moldus...
Verpey lança un juron sonore.
– Les imbéciles ! dit-il, l'air affolé.
Il y eut un simple « pop » et il disparut en transplanant, sans ajouter un mot.
Des sorciers masqués… ça ne peut quand même pas…
Le nom plane dans son esprit. Tournoie sur le bout de sa langue comme le plus sournois des rapaces attendant son heure. Il tapote la poche de sa grande cape rayée aux couleurs des Frelons. Sa baguette. Où est sa baguette ?
On le bouscule. Il n'a pas le temps de la chercher. Tant pis, il faut faire sans.
C'est une mauvaise plaisanterie, pas vrai ? Oh bon sang. Barty saura le dire, lui. Où est-il ?
Le paysage se transforme autour de lui à une vitesse hallucinante. Tant, en vérité, qu'un tableau net peine à s'en détacher. Des éclats de lumière et ce qui aurait pu ressembler au bruit du tonnerre parsèment la nuit d'encre.
L'adrénaline circule dans tout son système. Il est prêt à faire face à n'importe quoi lorsqu'il est dans cet état : rafler une mise particulièrement ardue, s'envoler sur son balai sur le stade et faire face à une foule déchaînée scandant son nom, enchaîner les cascades périlleuses dans les airs en frôlant la chute mortelle d'un pied.
N'importe quoi… sauf ça. Ce tumulte-là en particulier. Pas qu'il ne soit pas prêt à affronter l'adversité - on ne réchappe jamais de justesse à son destin - mais ce qui se passe, là dehors, là maintenant, ouvre une perspective terrifiante sur l'avenir. Une faille géante dont le tremblement de terre a eu lieu tant de temps auparavant, qu'il préfère oublier. Il passe son temps à oublier, de toute façon. Un peu plus ou un peu moins, qu'importe ?...
L'afflux de la panique générale lui donne l'élan supplémentaire. Ses jambes le portent par-delà les obstacles, mais ses yeux cherchent encore dans quelle direction se rendre. En vain.
Il met quelque temps avant d'apercevoir, enfin, les tentes disposées sur le terrain cédé par la famille Roberts.
Son souffle court et ses jambes prêtes à éclater trahissent ce que deviennent les hommes pratiques lorsqu'ils intègrent les emplois bureaucratiques du Ministère : des gratte-papier qui perdent le sens des réalités. S'il avait su…
Mais il est trop tard pour regretter, toujours trop tard. Et sa baguette manque toujours à l'appel. Une vague d'irritation monte en lui ; à coup sûr, il l'a perdue dans un des replis des nombreuses poches de sa tenue.
De plus en plus de gens croisent sa route, s'égayent tous azimuts dans le sens inverse au sien. Des cris des pleurs, de la peur - des yeux exorbités, des appels à l'aide désespérés, de grands gestes.
-Que quelqu'un appelle les Aurors !
-Allez chercher des secours, vite !
Il pénètre dans la foule, se masse jusqu'au cœur de la marée humaine agitée d'un vent de panique dont la raison va se dévoiler d'un instant à l'autre. Des détonations retentissent, de plus en plus fortes. Les corps se heurtent sans ménagement. Il est obligé d'échanger la course pour la marche alors qu'il se faufile dans le noyau dense des sorciers qui cherchent à s'enfuir, pris au piège dans une nasse entre le feu et le danger.
Il faillit trébucher sur des restes de tentes encore fumantes. Il n'y a aucun orage à l'horizon ; ça n'empêche pas les éclairs de jaillir de tous les côtés, faisant hurler l'assistance. L'odeur de roussi se fortifie de pas en pas, alors qu'il arrive de moins en moins à percevoir ce qui se passe - épaule contre épaule.
-A l'aide…
La voix est plus faible, cette fois, et malgré les cris qui la supplantent, il reçoit le message.
Là.
Il se faufile dans la brèche qui vient de s'ouvrir, jouant d'un coup d'épaule, de son ventre un peu arrondi. Ça y est, il va savoir. Est-ce que ce sont vraiment…?
La scène qui se produit sous ses yeux… il n'y aurait pas cru s'il n'en avait pas déjà été témoin, aujourd'hui comme hier.
La crevasse est là, immense, à ses pieds. C'est là où elle se termine, d'ailleurs.
Du camping immense tenu par les familles Payne et Roberts, il ne reste qu'un amas méconnaissable de tentes pillées, brûlées. Tout est sens dessus-dessous. Il se demande, l'espace d'un instant, si la gravité n'a pas changé de sens ou si l'alcool a finalement atteint les derniers neurones qui lui restent quand ses yeux se posent sur les formes qui flottent en l'air.
-S'il vous plaît...
Des êtres humains ! Ce sont eux la source des hurlements de la foule. Leurs cris semblent pourtant inarticulés de loin… Ils planent, descendent et montent, virevoltent dans l'air comme des joueurs de Quidditch.
Sans balai.
Une sensation affreuse remonte le long de son estomac. On dirait des pantins humains. Le plus jeune se laisse suspendre tandis que les autres se débattent contre la prise invisible qui les a saisis. Pauvres gens.
La force qui les pend en l'air… vient de baguettes tendues vers eux. Des silhouettes masquées, recouvertes de noir de pied en cap. Les sorciers que le fils d'Arthur Weasley avait décrit avancent dans la nuit, terrorisent la foule, mettent le feu aux tentes. De gigantesques bûchers s'élèvent de part en part du camping, la fumée pique les yeux.
Ce soir, ça n'est pas n'importe quels trouble-fêtes qui viennent semer la zizanie en même temps que les incendies. Ce ne sont pas des Bulgares enragés, prêts à tout pour détruire le souvenir d'une victoire emportée de justesse. Ça, il aurait pu l'encaisser sans aucune difficulté.
Ce n'était pas censé se passer ainsi.
Il fait chaud, anormalement chaud, mais c'est de la glace qui remplit ses veines.
Dix ans. Plus de dix ans qu'ils ne s'étaient pas montrés. Il est sûr que c'est eux.
Dissimulés parmi les ténèbres nocturnes, les rapaces n'attendent jamais qu'une seule chose : pouvoir fondre sur leur proie. L'aigle tout de noir vêtu se trouverait-il parmi eux..?
Il n'y voit pas grand-chose parmi la fumée, les gens et les hurlements. Un à un, aléatoirement, des objets prennent feu et des silhouettes masquées se dévoilent à la foule, baguette levée. De plus en plus nombreuses, de plus en plus menaçantes.
Son regard se détache un instant de ces ombres ressurgies de nulle part. Leur identité ne fait plus aucun doute. Les prisonniers d'Azkaban vont-ils ressurgir, eux aussi ?...
Ludo n'a même pas besoin de parier, même à un contre cent : Barty est en danger. Ils sont tous en danger.
Il sent la chaleur d'une larme lentement sillonner sur sa joue, mais se remet à courir à perdre haleine. Protéger les Moldus oui, mais pas au prix du sang de tout le Ministère et du Survivant.
Quand il pense qu'avec ses collègues du Département des jeux et des sports magiques, il s'est bien moqué des remontrances et avertissements de Barty concernant la quasi-absence de protection aux abords du stade durant tout l'événement de la Coupe du Monde... ça le faisait bien rire de le voir s'agiter, lui et les Aurors, comme des petites souris affamées qui cherchaient à protéger leur précieux butin.
Il l'avait cordialement invité à rester à l'écart de l'organisation du tournoi, de ne pas outrepasser ses fonctions, malgré le besoin de coopération entre les services. Comme toujours, Barty avait tenté de s'imposer, mais au vote la majorité s'était ralliée avec la cause de Ludo, proclamant son besoin de liberté dans une période instable où les restrictions devenaient de plus en plus contraignantes pour une grande partie des citoyens sorciers.
L'avoir qualifié dans son plaidoyer de "mêle-tout paranoïaque qui semble voir le danger partout où il n'est pas" et avoir appuyé sur son passé familial afin de discréditer ses propos n'avait pas été son coup le plus brillant, même s'il disait bien tout haut ce que tout le monde pensait tout bas au Ministère. Il s'en rend compte, désormais.
Barty. Il faut trouver Barty. Avant que...
Ses yeux balaient rapidement les alentours. Les gens se ruent dans tous les sens, les cris s'éparpillent à la lumière menaçante des braises. Tout est en train de se détricoter sous ses yeux. Tout ce qu'il avait tissé pour en arriver là…
La fête... la joie...
Un cauchemar.
Il se pince, essoufflé, mais ça ne disparait pas. La douleur en coup de poignard sous ses côtes non plus.
Où est-il, bon sang de Merlin ? Nous nous sommes quittés il y a quelques minutes à peine...
Il court, sentant les éclairs zébrer derrière son dos.
Une charrette à sucreries explose juste à côté, touchée par un sort incendiaire. Il a à peine le temps de se protéger les yeux que le souffle le ballotte contre un groupe de sorciers en train de fuir. Les flammes s'élèvent instantanément, hautes, bleues et orangées. Il se relève tant bien que mal, s'accroche aux robes, à n'importe quoi. Une odeur douceâtre s'élève dans l'air. La course reprend.
Ça sent la pâte d'amandes et la gelée à la cerise. Brûlé, le mélange est immonde. Pourtant...
Ludo se fige. La faille s'agrandit. Il sent qu'il va tomber dedans, cherche une issue. En vain. Ses pieds glissent… et il croit l'entendre à nouveau.
Le chant du merle parmi les cerisiers.
C'est une hallucination. Oui, ça doit être ça.
Il ne veut plus jamais, jamais avoir à l'écouter. Mais l'esprit a ses lois que la raison ne comprend pas, et impassible, la mélodie résonne aux oreilles de sa mémoire, sourdes au chaos ambiant.
Quelque part dans sa tête ou dans son coeur, là où il est pourtant banni, le merle chante encore.
Ludo Verpey frissonne. Pourtant, des gouttes coulent le long de sa tempe.
Et s'il revenait là dans la nuit alors qu'il s'y trouve aveugle, sans défense, les yeux immenses d'aigle noir perçant les ténèbres pour remonter jusqu'à lui..?
Son sang ne fait qu'un tour. Les échos désagréables des battements de son cœur lui remontent jusque dans le cou, où des sueurs froides se glissent malgré la nuit pourtant si chaude.
Les souvenirs de tant d'autres nuits, tant d'autres erreurs ressurgissent avec fracas ; il lui aurait fallu de bonnes pintes et l'excitation de quelques paris pour ravaler le passé. Son cœur se serre, pressé d'un étau froid, et ses entrailles, nouées en sac d'anguilles, frétillent dangereusement.
Son père lui avait demandé de veiller sur lui en son absence et celle de son grand frère, emportés dans le tourbillon incessant des affaires du Ministère.
Ce n'était qu'un enfant... et la peur de l'ennui avait pris ses aises, déployé en grand ses racines, le rendant captif. Retenu aux chevilles mais le regard en l'air, prêt à se laisser porter par les ailes d'un grand volatile, Ludo s'étirait de toute la souplesse de la jeunesse sans savoir qu'il finirait par se briser.
Ils s'étaient tout de suite entendus. C'était un bon ami de son père, après tout. Depuis toujours. Il n'y avait aucune raison de ne pas lui faire confiance.
Il avait assisté à la poussée de croissance fulgurante du jeune Ludovic Verpey sous la lumière des étés baignés de chaleur. Tout leur réussissait en ce temps-là.
Les nuits de ces étés s'étaient révélées si spéciales.
Sous le porche de la maison familiale, la vue était dégagée sur l'autre versant de la colline. Pré-au-Lard brillait de mille feux sous la couverture des étoiles. Après une longue discussion avec son père dans la véranda, il était venu le rejoindre. L'odeur âcre, la fumée envoûtante du cigare, le visage à moitié plongé dans l'obscurité qui dessinait de drôles d'ombres sur les contours familiers, l'attrait des boucles brunes, le chant du merle dans les branches des cerisiers du verger...
Il est à Azkaban.
A seize ans, on ne connaît rien du monde. On se contente de suivre nos aînés. Mais à dix-sept...?
Il lui avait appris à vivre dans la nuit, à aimer la lumière qu'elle renvoyait, plus vive encore que celle qui écrasait les journées caniculaires. Ils avaient passé cet été-là à écumer bars, casinos et cabarets après les entraînements de Quidditch. Avec un tel batteur dans leur équipe, les Frelons de Wimbourne avaient toutes les chances de remporter la prochaine coupe d'Europe !
Ludo Verpey s'était cru invincible.
Le merle chanteur l'avait entrainé dans une sérénade folle. D'une légère poussée, oh si légère que personne ne l'aurait remarquée, il avait encouragé les inclinations de sa nature, poussé ses désirs.
Évidente mais abrupte avait suivi la chute. Tombé de trop haut, rien n'avait été en mesure de le sauver. Ni son père, ni Otto, ou si peu que le silence attristé de sa mère et les chahuts d'un public qui ne retenait de lui que ses exploits, qui ne connaissait rien. Oisillon blessé, il avait dû se relever tout seul.
Il s'était toujours tenu là, parmi les amis de Ludo, d'âge trop mûr, renvoyant une ombre trop longue en pleine lumière. Jamais pourtant écarté des conversations, des rires et des chants grivois. Le merle fredonnait au creux de son oreille plus entêtant que le charme réputé des Vélanes, gazouillait son refrain de chaperon permissif aux autres, et ils buvaient tous ses paroles quand lui ne touchait qu'à peine à la boisson.
Personne ne savait que le merle innocent dissimulait un aigle noir de la pire espèce.
L'ombre de sa silhouette s'était épanouie sans qu'il ne s'en rende compte alors qu'il se débrouillait pour éclipser jusqu'à la lumière même. Il avait revêtu sa forme prédatrice, ailes déployées, serres écartées…
Prêt à fondre sur lui.
Quel idiot j'ai été. Rien qu'une ouverture, plus facile que le père et le fils aîné.
Quand je pense qu'Otto a essayé de me mettre en garde. Et je me suis offert à lui comme la plus stupide des proies.
On le croit limité, trop enfantin et obsédé par le jeu pour comprendre les conséquences de ses erreurs. Une part de cela est sûrement vraie. En réalité, il n'a fait que ce que tout le monde cherche à faire lorsque la culpabilité pointe le bout de son nez tordu : oublier.
Il est à Azkaban...
Il reviendra. Un aigle ne lâche jamais sa proie.
Ce bon vieux merle de Rookwood…
Une vague froide, paralysante, le fait tituber. Son cœur tambourine.
Non.
Azkaban.
La sensation finit par passer. Un dernier frisson s'enroule autour de sa nuque. C'est à cause de son nom, il le sait, mais il ne veut pas y penser, il a l'a déjà trop fait.
Une nouvelle explosion le secoue. Quelque chose vient de se mettre à brûler non loin. Une chaleur intense surgit sur sa gauche. Ludo continue à marcher tant bien que mal parmi les débris et les cendres, tous ses sens en alerte.
Barty. Il faut trouver Barty. Et sa baguette, tant qu'à faire. Il prie pour ne pas l'avoir perdue dans la cohue.
Ludo scrute les environs, se repositionne afin de se retrouver loin de ces horribles criminels. Les Aurors sont-ils arrivés ? Toujours pas de Croupton Senior en vue. Passant ses poches en revue pendant de longues minutes de ses doigts patauds, la révélation lui vient avec la courte tige de bois. Ça y est, il l'a enfin retrouvée. Alléluia. Il se sent plus confiant, maintenant.
Barty, mais oui ! Il doit sûrement se trouver auprès du Survivant. Quel idiot je fais...
Son esprit localise immédiatement le jeune Potter, là où il l'a trouvé un peu plus tôt, priant pour qu'il s'y trouve encore. Sans perdre une seconde, les veines emplies de sang froid, il transplane à nouveau.
Cette fois, il croise les doigts afin d'arriver trop tard.
Mr Diggory lui montra une baguette magique.
– Elle l'avait à la main, dit-il. Ce qui viole l'article trois du Code d'utilisation des baguettes magiques. Aucune créature non humaine n'est autorisée à détenir une baguette magique.
A cet instant, il y eut une autre détonation et Ludo Verpey apparut en transplanant juste à côté de Mr Weasley. Essoufflé et désorienté, il tourna sur place, levant ses yeux ronds vers la tête de mort couleur d'émeraude.
– La Marque des Ténèbres ! haleta-t-il en manquant de trébucher sur le corps inerte de Winky.
Qui a fait ça ? demanda-t-il à ses collègues. Vous les avez attrapés ? Barty ! Qu'est-ce qui se passe ?
Harry Potter et la Coupe de Feu, J.K. Rowling, Chapitre 9 - La Marque des Ténèbres.
Image : A hundred Anecdotes of animals, Percy J. Billinghurst, 1901, P.028.
Pour ce texte, le dicton tiré au sort était : "Chacun est Cracmol quand il perd sa baguette", alias "chacun est bossu quand il se baisse".
