« Bonjour, bien dormi ? »

La voix de son humaine était enthousiaste, alors qu'elle passait la porte.

Avec un grondement mauvais, Markus se redressa, la fusillant du regard au travers des barreaux énergétiques.

« Tu vas me faire sortir ? » gronda-t-il.

« Non. »

Il siffla, alors qu'elle détaillait sa prison, effleurant du doigt une des colonnes d'où émanaient les traits d'énergies qui l'emprisonnaient.

« Tu veux me punir pour ce que j'ai fait à Ilinka ? » gronda-t-il.
« Non. Mais le capitaine Giacometti certainement, pour ce que tu as fait à son frère. »

« Fais-moi sortir. Tu n'as qu'à le penser pour que ce maudit vaisseau fasse tout ce que tu veux. » grinça-t-il.

« Non. Je n'irai pas à l'encontre des ordres du capitaine. »

Se redressant, il se planta devant elle, aussi près que les barreaux le lui permettaient, la dominant de toute sa hauteur.

Elle ne recula pas. Ne cilla pas. Il n'y avait aucune peur dans ses yeux. Aucune crainte. Et ce n'était pas parce qu'il était emprisonné.

Elle sourit.

« Ça me rappelles des souvenirs, tout ça... » nota-t-elle. « Quoique, tu étais moins bien coiffé... et plus sale... »
Frappant avec colère contre le montant de sa prison, il rugit. Sa femme se contenta de croiser les bras.

« Markus, contrairement à lorsque nous nous sommes rencontré, tu es dans cette cellule pour une bonne raison. Tu en es conscient, n'est ce pas? »
Pour toute réponse, il rugit à nouveau, faisant les cent pas dans l'espace minuscule.

« Tu aurais pu le tuer ! Si la sécurité n'était pas arrivée à temps, tu aurais vraiment pu le tuer. Zen'kan, ton neveu ! Et ton frère ! »
Il gronda. Comme s'il ne le savait pas !
« Je suis un meurtrier, je te rappelle. » cracha-t-il, hargneux.

« Ce n'est pas pareil et tu le sais ! Ce guerrier te maltraitait. Tu n'as fait que te défendre. Mais Zen ?! »
« Il m'a insulté. »

« Mais c'est pas une raison pour le tabasser à mort ! »
« Il va bien, il me semble. »
« Markus, ne te fais pas plus stupide que tu l'es. » soupira-t-elle avec lassitude.

« Je suis comme ça, et c'est tout. » grinça-t-il de toute sa mauvaise foi aigrie.
« Non. Tu ne l'es pas et tu le sais très bien ! Je sais que pour toi aussi, ce retour, c'est dur, et angoissant. Et tous ces changements... Je sais que tu veux juste le meilleur pour Ilinka, mais ce n'est pas en frappant tout ce qui se met sur ton chemin que tu vas y parvenir... »
Il s'affaissa un peu.

« Rosanna, je suis un guerrier. Je suis un traqueur. Tuer et détruire, c'est tout ce que je sais faire. C'est pour ça que j'ai été conçu. »

« C'est vrai, tu es un guerrier. Tu es un traqueur. Mais tu es aussi un garde-chasse, et un père. Tu sais protéger, et chérir. Enseigner, et aimer. Ne l'oublie pas. On a passé moins de deux décennies sur Terre, mais ces années existent quand même et existeront toujours. Ne les oublie pas. D'accord ? » murmura-t-elle, tendant la main comme si elle voulait le toucher à travers les barreaux.

Il soupira. Il se sentait fatigué. Perdu. Effrayé. Comme une bête prise au piège. Chaque fois qu'il s'était senti ainsi, sa lumineuse humaine avait été là. Elle lui avait tendu la main. Offert son cœur et sa vie. Ensemble, ils s'en étaient toujours sorti. Ils s'en sortiraient toujours.

« D'accord. »
.

Sa mère avait dû dire quelque chose, car malgré quelques regards furtifs, personne ne lui avait fait de remarque. Ni dans un sens, ni dans l'autre.

Elle était arrivée au réfectoire dans un silence assourdissant et avec l'impression d'être l'étranger qui débarque dans un saloon.

Ce n'était que quand elle s'était approchée de la ligne de service avec son plateau que les quelques convives avaient repris leurs discussions, comme si de rien n'était.

« Bonjour, princesse. Qu'est-ce qui vous ferait plaisir ? » s'enquit Menu, agitant sa grosse louche de métal.
Ilinka bénit la femme et son habituel comportement bonhomme.

« Heu... je ne sais pas. » répondit-elle, contemplant les plats mystérieux disposés devant elle.

« Alors, ça je n'ai pas, noble demoiselle. » rit la femme. « Là, c'est de la compotée d'ocral, ici un ragoût de bœuf terrien aux chirottes avec du vin de Findak, des brochettes de larves d'imp, du sauté de bozal aux tomates, et une grillade de poissons terriens. »

Elle détailla un peu plus les plats.

« Je vais prendre du poisson et, heu... ça ? » s'enquit-elle, désignant un des plats contenant ce qui semblait être des légumes verts.

« De la compotée d'ocral et du poisson. Et avec ça ? Un dessert ? Ou une salade, peut-être ? »
« Oui, s'il vous plaît. »
« Quelle gentillesse ! Pas besoin de me prier, jeune reine ! Je suis votre humble servante. Voici pour vous une tarte aux banniers, et une salade vinaigrée de grum's. N'hésitez pas à revenir si vous en voulez plus ! » s'exclama la femme, ajoutant à son plateau une énorme part de gâteau et un petit bol de légumes marinés.

Opinant, Ilinka emporta son repas à la table la plus sombre et éloignée, un peu cachée derrière un pilier, espérant que ce dernier lui permettrait de dissiper l'horrible impression d'être dévisagée qui ne la quittait plus.

Elle attaquait son dessert, ayant renoncé à terminer son plantureux repas, lorsque Zen et Rory entrèrent, se poussant un peu du coude en l'avisant. Ils partirent se chercher chacun une part de tarte, avant de la rejoindre.
« Lili ! Ça fait plaisir de te revoir ! Comment tu vas ? » s'enquit Zen'kan en se laissant lourdement tomber sur le banc en face d'elle.

« Ça va... » répondit-elle mollement, incapable de soutenir leur regard.

« On s'est inquiété. C'est cool de voir que tu vas bien. » poursuivit-il, enfournant un énorme morceau de tarte.

Rory opina, goûtant bien plus dignement sa part.

Ne sachant que répondre, elle se contenta de jouer avec un peu de farce échappée de son propre dessert.
Zen'kan termina d'engloutir sa tarte en trois bouchées, puis s'essuya la bouche d'un revers de main.

« En tout cas, ça te va bien. » nota-t-il.

Rorkalym lui colla un énorme coup de coude.
« Quoi ?! Je parlais de ses cheveux ! T'as pas vu qu'elle a une nouvelle coiffure ?! » s'offusqua-t-il, gesticulant dans sa direction.

C'était évidemment un mensonge. Mais un mensonge qui la fit presque sourire. Certaines choses ne changeaient pas, et c'était rassurant.
« Tu trouves ? » demanda-t-elle.

« Oui. J'en voudrais pas sur ma tête, ça doit être trop chiant à tout défaire, mais ça te va bien. » opina-t-il avec un grand sourire.

Rory acquiesça aussi.

« Merci, les gars. »

« De rien. » répondit ce dernier.

« Ouais, de rien. On a littéralement rien fait ! » renchérit Zen'kan.

« Non, vous êtes là. Merci. »
Rorkalym tendit la main, prenant doucement la sienne, qu'il serra dans sa paume chaude.

Elle contempla leurs deux mains verdâtres aux griffes noires.

« Ilinka, beaucoup de choses changent, mais on est toujours là pour toi. Ça, ça ne change pas. »
Zen'kan appuya son propos d'un immense sourire et d'un pouce en l'air qui lui arracha un petit sourire. Le premier depuis longtemps.
Rory avait raison. Certaines choses ne changeaient pas.

« Merci. Je suis aussi là pour vous. »
« Bien sûr ! » répondirent-ils à l'unisson, et sans la moindre hésitation.

Elle serra la main de son ami. C'était bon de les avoir près d'elle.

.

« Dehors. »

Avec un rictus mauvais, Markus s'exécuta. Tom ne broncha pas. Le traqueur le dévisagea alors qu'il passait devant lui.

Il se souvenait d'un adolescent maigrichon et bruyant. Le jeune mâle qui lui faisait face n'avait plus grand-chose à voir avec ce dernier.

Grand, même pour un fils de Silla, il était sans doute plus haut que lui ne l'était lorsqu'il était encore scion (1). Le jeune mâle venait d'une portée de scientifiques, mais à force de se battre et de courir aux quatre coins de la galaxie, il avait acquis une musculature tout à fait respectable. Et à en juger par la fidélité de son équipage, son caractère n'était pas en reste.

Cela ne rendait pas son incarcération moins humiliante.

Avec un sifflement défiant, il le dépassa.

Il allait quitter la pièce lorsque le jeune mâle ouvrit la bouche. Sans se retourner, il s'arrêta pour écouter.

« Je ne fais pas de favoritisme. Je fais mon devoir. J'ai prévenu Zen'kan : s'il se retrouve encore mêlé à une bagarre à bord de mon vaisseau, je le ferai aussi mettre aux arrêts. Il n'a pas plus d'exemption à ses devoirs parce qu'il est mon petit frère, que vous n'en avez parce que vous êtes un fondateur, Markus Lanthian. »
« C'est bien noté... Tom Giacometti. » siffla-t-il en reprenant sa route.

.

« Ma petite reine, est-ce que je peux entrer ? »
Levant le nez de son roman, elle dévisagea son père qui, le dos rond, attendait à la porte.

« Qu'est-ce que tu veux ? M'arracher mes vêtements parce qu'ils sont terriens ? » cracha-t-elle avec acidité, tiraillant la manche de son t-shirt.

La violence de sa propre hargne la surprit.

« Non ! » siffla-t-il, perplexe.
« Alors tu veux quoi ? »
Il sembla se dégonfler un peu. Puis, après quelques instants d'un silence insoutenable, il posa lourdement un genou à terre, ses traits cachés par les longues mèches blanches de sa chevelure.

« Ilinka Lanthian-Gady, je te présente mes profondes et sincères excuses pour mon comportement.

J'ai failli à ma mission de père et de protecteur, et je n'ai pas de justification digne de ce nom à te présenter. J'espère simplement que tu pourras me pardonner le mal que je t'ai fait. »
Reposant son roman, elle se redressa un peu, alors qu'une colère brûlante enflait en elle. C'était ça, ses excuses ? Quelques phrases génériques et pompeuses ?!

« Dis-le. Dis-le exactement pourquoi tu t'excuses ! » persifla-t-elle.

Il releva la tête un instant, perdu, puis se mordillant la lèvre, s'exécuta.

« Je m'excuse de t'avoir forcée à enlever ton collier holographique. »
« Non ! Non. Tu m'as pas forcée à l'enlever ! Tu me l'as arraché du cou alors que je te suppliais en pleurant ! J'ai encore la marque ! Regarde ! REGARDE ! » cracha-t-elle, tirant avec rage sur son col pour découvrir la brûlure que le cordon avait laissée sur sa peau.

Il la fixa sans ciller, alors qu'une vague de haine sombre emplissait son esprit, sourdant par le moindre interstice de son âme, entièrement tournée vers lui-même.

Se plaquant une main sur le ventre, Ilinka lutta contre une subite nausée. Ce sentiment sombre, elle le connaissait. La pulsion meurtrière d'un guerrier qui ne parvient pas à diriger ses instincts correctement.
Très lentement, son père se redressa.
« Excuse-moi. Je reviendrai te faire des excuses dignes de toi... plus tard. » gronda-t-il sur un ton qui la terrifia.

Elle le regarda partir en silence, se levant pour aller jusqu'à la porte de sa cabine et le suivre du regard aussi longtemps que possible.
« Ubris, tu peux prévenir maman que papa a un problème ? » demanda-t-elle d'une petite voix blanche.

« Je crois qu'elle est déjà au courant... » nota l'IA désincarnée.

A peine rassurée, elle referma la porte de sa chambre.
Elle n'avait jamais vu son père comme ça, et ne savait pas quoi faire. Mieux valait ne rien faire que mal agir, n'est-ce pas ?
Elle reprit son livre, sans plus avoir le cœur à le lire.

.

Assis contre le mur de la salle d'entraînement, Zen'kan regarda son oncle démolir la mâchoire d'un des guerriers de bord d'un monstrueux coup de poing.

Ça faisait une bonne heure qu'il démontait sans pitié tous les adversaires assez stupides pour grimper sur le ring. Liam'kan et d'autres avaient tenté de le pousser à participer, mais il avait refusé. Déjà qu'il lui était quasiment impossible de vaincre son oncle dans un duel calme et réglé, là, il se savait vaincu d'avance. Et il était d'autant moins motivé, qu'il savait pourquoi ce dernier se trouvait dans un tel état.

C'était sans doute sadique, mais il appréciait réellement de le voir souffrir de la peine qu'il avait infligée à Ilinka.
Et dans une moindre mesure, c'était une douce, douce vengeance pour le tabassage qu'il lui avait fait subir trois jours plus tôt.

.

« Bonjour, princesse. Puis-je vous déranger quelques instants ? » s'enquit un wraith à la mise impeccable.

Rory était venue la chercher un peu plus tôt, avec un jeu de cartes et la ferme intention de la distraire. Elle posa donc ses cartes sur la table, se demandant quel drame on allait encore lui annoncer.

« Oui, c'est pourquoi ? » s'enquit-elle.

« Merci, mademoiselle (2). Je suis Rel'kym de Gelkamalle, de la ruche de Delleb. Votre mère m'a fait mander lors du précédent passage de l'Utopia afin que je vienne vous donner quelques... leçons. » se présenta-t-il.

« Des leçons ? »
« D'histoire terrienne » précisa-t-il.

Ils durent avoir l'air parfaitement perplexe, car il pouffa.
« Mais je ne venais pas pour cela. Il a été porté à mon attention que vous rencontriez quelque difficulté à vous adapter à... la vie à bord. J'ose espérer pouvoir vous proposer une humble distraction. »

« Heu... » bafouilla-t-elle, se demandant où il voulait en venir.

Avec un doux sourire, Rel'kym lui tendit une main.

« Princesse Ilinka, m'accorderiez-vous une danse ? »


(1) Terme un peu désuet qui désigne chez les wraiths, les mâles qui ne se sont jamais accouplé avec une femelle. Généralement, en devenant reproducteur, les wraiths ont une sorte de seconde poussée de croissance, due à la testostérone. Markus a pris quasi quinze centimètres comme ça. Il faisait déjà plus de deux mètres auparavant.

(2) D'un point de vue wraith, « mademoiselle » serait réservé à une jeune reine en devenir qui n'a encore ni pouvoir ni responsabilité, et « madame » à une femelle avec pouvoir et responsabilité – aussi minimes soient-ils. Rien à voir avec un quelconque statut marital.