La fragilité de Newt semblait s'accroître de jours en jours et c'était tel que Stiles devrait redoubler d'efforts pour prendre soin de lui. Il en arrivait à devoir limiter ses sorties, histoire d'être là en cas de problème. Finies les explorations, finis les vagabondages pour se vider la tête : Newt était lentement en train de mourir et Stiles ne se voyait pas l'abandonner. Alors, il passait du temps avec lui, sortant uniquement pour leur chercher quelques maigres vivres. De son côté, il commençait réellement à faiblir, à ressentir les effets les plus clairs de la privation qu'il s'infligeait – et qui était bien plus importante qu'il ne voulait bien le voir. Parfois, le déni était un bon moyen de se protéger, pour tenir le coup, gagner un peu de temps.

Ce matin-là, Stiles était encore dans ce lit de fortune, avec lui. Il le tenait entre ses bras, les yeux fermés, faisait semblant de dormir, comme pour accompagner Newt qui, lui, dormait réellement tant sa blessure continuait de l'affaiblir. Elle l'épuisait, au sens littéral du terme. Était-ce une bonne idée, ce qu'ils faisaient ? La veille, lorsque Stiles était rentré d'une expédition maigrement récompensée par deux boîtes de conserve et une petite bouteille d'eau, ils avaient recommencé. Sans un mot. Juste comme ça, par instinct. Jusqu'à maintenant, Stiles imaginait que l'excitation sexuelle n'arrivait que lorsque la séduction entrait en jeu. Avec Newt, il découvrait également à quel point le désespoir pouvait l'attiser. Il suffisait de se dire que l'on ne se réveillerait peut-être jamais le lendemain, et… On changeait d'état d'esprit. On se laissait aller à se dire que ce serait la dernière fois et qu'il serait bête de la manquer. Mais sitôt qu'ils avaient terminé leur affaire, ils s'endormaient tous les deux, en sachant que le sommeil n'avait pas la même saveur ni pour l'un, ni pour l'autre. Stiles faisait d'ailleurs en sorte de dormir un peu moins, mais plus souvent. Ses dernières nuits se résumaient à des petites siestes, des moments d'un repos aussi bref que nécessaire. Disons qu'il avait besoin de se savoir présent en cas de besoin. Sa plus grande peur ? Se réveiller et découvrir Newt, inerte, dans ses bras. De découvrir qu'il avait perdu la vie dans son sommeil. Ça, c'était inconcevable. Alors, la terreur le poussait doucement à changer son mode de fonctionnement, à s'adapter à cette situation si compliquée… Celle qui était en train d'éteindre les dernières étincelles de vie qu'il avait encore dans le regard. Celles-là même qui lui permettaient de faire illusion lorsque Newt se réveillait et qu'il lui parlait. Ce n'était jamais long, mais ces moments rassuraient Stiles. Ils lui permettaient de se dire que ça allait, pour l'instant. Que ce qu'ils faisaient de temps à autres n'était pas mal, qu'il… Ne l'avait pas cassé, épuisé. Car si, sur le moment, Stiles et Newt s'évadaient grâce au sexe, l'hyperactif… Était terrifié à l'idée de se dire qu'il pouvait, à cause de leurs ébats ponctuels, empirer son état. Le tuer.

Alors lorsque ça arrivait, il essayait toujours d'allier douceur et passion. Tendresse et désespoir. Des opposés qui se complétaient étonnamment très bien. Car dans ces moments-là, les deux amants improvisés voulaient juste… S'évader, se faire plaisir. Se montrer qu'ils étaient là l'un pour l'autre, qu'ils ne s'abandonneraient pas. Si la marge de manœuvre de Newt était réduite à cause de sa blessure, le sexe semblait lui changer les idées, diminuer cette douleur qui tendait perpétuellement ses traits. Même si Stiles restait au-dessus pour des raisons pratiques, il le laissait lui faire ce qu'il voulait dans la mesure du possible. Le toucher, le caresser, l'embrasser. Le posséder, à sa manière, juste avec ses doigts fins. Pour qu'il profite aussi de ces moments d'une autre façon, oui, autre que celle qu'il aurait utilisée s'il était en forme. Stiles n'avait aucun doute là-dessus. Ça se ressentait à chacune de ses attitudes, chacun de ses râles, chacun de ses gestes.

Au bout d'un moment, Stiles n'y tint plus et se leva le plus doucement possible, réétala correctement la couverture sur Newt, qu'il vit frissonner un peu. Il fallait qu'il reparte en expédition le plus tôt possible, et pas seulement pour ramener de la nourriture : s'il pouvait trouver une autre couverture, même un duvet… Ce serait super. Si Stiles pouvait encore s'accommoder de la température un peu fraîche du lieu, Newt commençait sérieusement à avoir du mal.

Dans le but de boire un peu d'eau et de s'isoler, Stiles s'en alla dans l'espèce de salle de bain à côté de la pièce à vivre. Etonnamment, il y avait encore l'eau courante. L'hyperactif la fit couler et en but un peu. Viendrait un jour où plus une goutte ne s'écoulerait du robinet et à ce moment-là, les choses se compliqueraient sérieusement. Stiles espérait que la vie l'aurait quitté à ce moment-là qu'il n'aurait pas à subir cette surprise que lui ferait la vie. Une très mauvaise surprise, si on lui donnait son avis.

Par un élan dont il ne comprit pas l'origine, Stiles releva la tête vers le miroir de la salle de bain. Sa propreté lui sauta soudainement aux yeux et lui fit se dire… Que quelque chose clochait à ce niveau-là. Automatiquement, Stiles mit cette impression sur le compte de cette folie dont il essayait d'ailleurs chaque jour d'ignorer l'existence. D'ailleurs, garder la tête froide à ce sujet commençait sérieusement à devenir compliqué… Bordel, ce miroir était trop propre par rapport au reste ! Et ce détail, plus que tout autre, ne voulait pas sortir de son crâne. La raison voudrait qu'il retourne auprès de Newt, qu'il oublie ça et… Retrouve un miroir sale et gras la prochaine fois qu'il reviendrait dans cette pièce aussi insalubre que le reste.

Mais Stiles se retrouva incapable de bouger.

Pas qu'il n'en avait pas envie, bien au contraire : il ne pouvait juste pas esquisser le moindre mouvement pour s'en éloigner. C'était comme s'il devait rester là. Alors que des souvenirs aussi nets qu'horrifiques remontaient à la surface, Stiles sentit un frisson douloureux le parcourir. Douloureux parce qu'il avait l'impression que ce qui s'était déjà passé… Était sur le point d'avoir à nouveau lieu. Et… Il appréhendait. Pire : il avait peur. Peur parce qu'il savait dans quel état ça l'avait mis, la dernière fois. Peur parce qu'il avait envisagé de se laisser disparaître. De ne pas retarder la mort si celle-ci s'arrêtait devant lui pour le faucher. Au final, il résistait pour Newt… Et était terrifié à l'idée de céder à sa folie avant que le pauvre blond ne rende l'âme. Stiles voulait lui accorder une fin de vie aussi agréable que possible, pas… Pas qu'il agonise dans son coin, sans eau, sans nourriture, sans personne avec qui partager ses derniers instants. Il trouvait ça trop triste, trop injuste.

Alors oui, il savait qu'il devait retourner auprès de lui. Mais il n'y arrivait pas. Une action aussi simple que détourner les yeux du miroir s'avérait impossible à exécuter pour lui. La question qui lui vint automatiquement à l'esprit fut composée d'un seul mot : « pourquoi ? » Coutumier des crises de paniques, il pouvait d'ores et déjà dire qu'il n'était pas en train d'en faire une. C'était trop étrange, trop peu familier. S'il pensait être en train de retomber dans un accès de folie, c'était encore quelque chose qu'il connaissait peu et qu'il ne voulait pas expérimenter davantage. Sans façon.

Et pourtant…

… Pourtant, le miroir ne renvoyait plus le reflet de Stiles. Plus vraiment. Face à lui, son image, mais différemment. Des joues moins creuses, un teint hâlé, des cernes moins importantes, des cheveux plus courts, une musculature qui se devinait au travers du marcel près du corps. Stiles ne portait jamais de marcel. Il n'avait jamais l'air aussi dur non plus.

C'était lui, sans vraiment l'être.

Un prénom lui vint automatiquement à l'esprit, passant sur ses lèvres extrêmement facilement.

- Thomas.

Ces deux syllabes péniblement articulées lui faisaient mal à la gorge tant il avait l'impression de s'étrangler avec ce nom. C'était comme s'il n'était pas censé le prononcer. Comme s'il n'en avait pas le droit.

- Stiles.

Son surnom, articulé par surprise et dans l'urgence. La voix de Thomas était plus assurée que la sienne, moins tremblante, naturellement plus grave.

Incapable de détourner le regard, Stiles le garda fixé sur celui de Thomas. Et inversement. Tous deux bouches bées, ils ne furent plus capables d'articuler quoi que ce soit durant quelques secondes. Ils ne firent rien de plus que se regarder, et se reconnurent. Si Stiles eut l'impression de toucher le fond mentalement, il se dit qu'il n'était pas la peine de chercher à se dérober : de toute façon, il était foutu.

Irrémédiablement foutu.