« Un jour, je pourrai plus te tirer d'affaire.
- T'inquiète. »
Depuis qu'ils avaient étudié ensemble à Gryffondor, Hermione Granger et Neville Londubat s'étaient liés d'une amitié erratique mais persistante : ils réussissaient à se voir deux ou trois fois l'an et s'envoyaient de temps en temps des messages abrupts et drôles. Neville avait toujours paru sympathique à Hermione. Elle avait toujours aimé les hommes grands et il ne faisait pas exception à la règle. Haut de presque deux mètres, il avait l'air gringalet d'un garçon grandi trop vite. Sa bonne bouille d'adolescent attirait la sympathie. Hermione l'adorait.
« Non mais sérieusement ! Tu vas finir par te faire baiser par le système et je pourrai plus rien pour ton pauvre petit cul de princesse ! »
Il avait le ton irrité de son adolescence, ce ton qu'elle n'entendait que trop rarement et qui revenait quand il voulait l'engueuler. Devant les flics, il était resté poli et courtois : un modèle de savoir-vivre.
« C'est pas la première fois que je termine en garde-à-vue, Neville.
- Là ils vont te ficher, bordel ! Jedusor rigole pas avec les troubles à l'ordre public, tu le sais bien. En plus t'as déjà fait un article sur la dérive autoritaire du pays et ça a fait tellement de bruit que ton rédac chef a dû te sauver les fesses en lui dressant un portrait flatteur et une interview conciliante dans le numéro suivant ! Tu fous tout le monde dans la merde et on a l'impression que ça t'atteint pas ! »
Hermione avançait d'un bon pas dans la rue, suivie par Neville. Les gens s'écartaient sur son passage.
« La liberté de la presse…
- Et puis, on t'a vue avec un Green Block ! Ils rigolent pas, là ! »
Elle grimaça. Sa garde-à-vue s'était mal passée. Elle avait réussi à contacter Neville mais il était arrivé tard, le temps pour les policiers d'essayer de l'intimider pour lui faire avouer qui était le Green Block qui avait discuté avec elle. Elle avait répété son mantra : « Je ne sais pas. Il m'a pris par le bras. Je ne le connais pas. »
Ce qu'elle répéta gentiment à Neville.
Ce qui n'était même pas un mensonge.
« Tu es une piètre menteuse, Hermione Granger. Je sais que tu me caches quelque chose. »
Hermione se tourna vers son ami. Il avait l'air inquiet. Vraiment inquiet. Peut-être qu'il était temps d'arrêter les conneries.
« Ok. »
Sa décision était prise. S'il y en avait bien un qu'elle pouvait mettre dans la confidence (et elle devait en mettre au moins un, au cas où les choses dégénéreraient), surtout si elle mettait le nez dans le guêpier politique qu'était le régime au pouvoir, c'est Neville Londubat. Avocat, il était soumis au secret professionnel et pourrait l'aider d'autant mieux qu'il avait déjà défendu des journalistes face aux politiques corrompus. Luna Lovegood pouvait en témoigner.
« Viens, on va chez moi. »
Hermione se méfiait des conversations dans les pubs ou les cafés. Elle avait déjà récupéré des informations de première main en laissant traîner ses oreilles sur les banquettes miteuses des Trois balais ou de la Tête du Sanglier. Hors de question de se faire avoir.
Ils prirent un bus, discutant de jardinerie, l'autre grande passion de Neville. Arrivés devant la porte de son immeuble, Hermione avait appris comment faire pousser des renoncules en pleine canicule.
« Entre, installe-toi. Tu veux du thé ? »
Elle mit de l'eau à chauffer, alla chercher ses notes dans le salon et les tendit à Neville.
« Voilà ce que j'ai. »
Neville prit les papiers et commença à les parcourir le temps que l'eau se mît à siffler. Hermione sortit deux tasses du placard, attrapa le sachet de thé qu'elle préférait, prépara une théière.
« Alors ? Qu'en penses-tu ? »
Neville se frotta les yeux.
« Attends, je lis. »
Elle le servit, envoya un message à Ron pour lui demander ce qu'il voulait manger le soir même, traîna sur Twitter le temps que la tasse de Neville refroidisse et qu'il ait le temps de parcourir tous les documents qu'elle lui avait donnés.
« Le Green block serait le fils de Lord Malefoy ? »
Elle éteignit son téléphone et s'assit face à lui. Il avait lu son dossier et ses conclusions : Drago Malefoy serait un des leaders du mouvement des Green Block.
« Je crois bien.
- Tu crois ou tu en es sûre ? Parce que là, dans ton dossier, t'as rien de bien solide, même si les faits sont troublants. »
Elle se mordilla la lèvre, hésitante.
« Je n'ai aucune certitude, mais… Mon intuition pour l'instant correspond à tout ce qui s'est passé.
- Il t'a reconnue ?
- Il sait que je suis journaliste, oui. »
Neville reposa les feuilles devant lui, s'étira en arrière. Elle serra la tasse entre ses mains : il allait rendre son verdict.
« Il fait sa rébellion contre papa ?
- Peut-être. Ron pourrait t'en dire plus sur la psychologie adolescente, mais je ne lui ai rien demandé.
- Rien ? »
L'étonnement perçait dans la voix de Neville.
« Je ne divulgue rien sans être sûre de mon coup.
- Et à moi ?
- Vu le contexte, j'aime autant avoir l'avis d'un juriste avant de me lancer dans le grand bain. »
Neville fit une moue peu convaincue.
« Pour balancer tes rumeurs ?
- Pour fouiner un peu plus. »
Il acquiesça lentement, comme si l'information parvenait doucement à son cerveau. Hermione ne dit rien, tapotant impatiemment ses doigts contre le bois de la table.
« En supposant que tu finisses par établir avec certitude le lien entre le Green block qui agresse les policiers et le fils du politicien, qu'est-ce que tu ferais de cette info ?
- Je ne sais pas trop. »
Elle aurait eu du mal à dire pourquoi cet homme l'intéressait autant. Elle ne comptait pas vraiment écrire un article sur lui… Et pourtant, il y aurait de quoi faire ! Mais tout autre Green block aurait pu lui servir de sujet d'étude, et elle avait choisi celui-ci, sans trop savoir pourquoi – ou alors elle savait pourquoi, et elle ne se le disait pas. C'était peut-être son ambivalence, cette attention qu'il avait pour elle alors qu'il méprisait les autres. Ou son attirance pour le danger, toujours un peu comme une drogue.
« Tu vas faire un article sur les Green block ?
- Je suppose. Il faut que je soumette mon idée à rédac chef. »
Elle hésitait. Neville le sentit.
« Tu ne comptes pas dévoiler son identité.
- Pas vraiment. »
Elle était grillée et sentit une rougeur légère colorer ses joues. Heureusement, Neville n'était pas attentif à ce genre de choses. À moins qu'il soit délicat et décide de ne rien remarquer.
« C'est plutôt une bonne nouvelle.
- Pardon ?
- Le jour où t'es vraiment dans la merde, t'as une info de qualité pour négocier ta sortie de garde-à-vue. »
Elle ne s'attendait pas à ça.
« Je n'ai aucune intention de vendre Malefoy !, s'offusqua-t-elle.
- Pourquoi pas ? Le mouvement Green Block est interdit par la loi, et faire tomber le fils d'un député pourrait te valoir une belle promotion. Ou un Pulitzer.
- Mais… Jamais je ne ferai ça ! C'est déontologiquement impossible ! »
Son éthique s'y refusait. Neville plissa les yeux :
« C'est parce qu'il te plaît que tu refuses ?
- Non ! » rougit-elle de plus belle.
Il avait donc bien vu son premier rougissement. Dommage. Elle continua vaillamment.
« Non, c'est pas ça, c'est…
- Un mec peut te plaire, y a pas de mal à ça. C'est pas que t'es avec Ron que…
- Je ne vendrai personne, le coupa-t-elle. Je ne suis pas là pour rendre justice et, pour l'instant, je n'ai pas l'impression qu'il agisse contre l'État et qu'il veuille sa destruction. Être un opposant au régime ne fait pas de toi quelqu'un de condamnable. »
Neville ricana :
« Un peu alambiqué comme raisonnement. Il casse quand même le bien public.
- Je refuse de servir le régime de Jedusor.
- Tout le monde refuse. Mais on n'a pas trop le choix : quand il a décidé de te faire parler, il parvient à ses fins. T'as un truc à grignoter ? »
Elle se leva, alla chercher dans le placard au-dessus de l'évier un paquet de biscuits entamé et en offrit à Neville. Il mordit dans l'un d'eux avec enthousiasme et reprit :
« Jedusor tient le pays et les deux chambres sont à ses bottes. Lord Malefoy a un pouvoir conséquent, surtout aux tribunaux, et se targue d'être un parangon de vertu. Si tu voulais vraiment mettre le gouvernement dans la panade, t'aurais tout intérêt à vendre Malefoy fils. »
Hermione n'était vraiment pas prête à ça.
« Je suis journaliste, asséna-t-elle. Pas indic.
- T'auras pas le choix. Le jour où ils te mettront au pied du mur et que tu seras prête à vendre père et mère pour t'en sortir, t'auras une info en stock. Pourvu que personne ne te grille la priorité. »
Elle haussa les épaules : au fond d'elle, elle était certaine que Drago Malefoy n'aurait jamais permis à une autre qu'elle de découvrir qui il était. Pansy Parkinson était revenue enchantée de son interview mais elle n'avait rien soupçonné de ses velléités anarchistes. C'était comme si Malefoy lui laissait des indices, uniquement pour elle.
Et ça ne l'arrangeait pas, parce qu'elle avait l'impression de lui devoir quelque chose. Et on sait ce que deviennent les dettes non payées : des entraves.
Réponses aux reviews :
Flivia : Merci ! oui, Hermione a un peu de mal à concevoir que le monde réel fonctionne sur d'autres modalités que ce qu'elle pense. j'aime bien creuser son côté idéaliste. j'espère que la suite te plaira ! merci pour ta review !
Drou : voilà la suite ! pour l'instant, elle s'en sort. mais ce n'est que partie remise^^ merci pour ta review !
