Chapitre 44 : …et aux avenirs radieux !
Ville de Selphia, 14ème jour du Printemps…
Doug se leva de bonne heure ce jour-là. Depuis quelques semaines, c'était à lui de s'occuper entièrement de l'épicerie. La vieille Blossom la lui avait donnée pour prendre une retraite bien méritée. Le jeune nain descendit les escaliers et ouvrit l'épicerie, sachant par habitude que certains clients préféraient venir à l'ouverture pour éviter les heures d'affluence. Par respect pour eux, il se devait d'être toujours ponctuel.
Blossom s'installa dans un rocking-chair devant l'épicerie. Elle appréciait de pouvoir passer sa journée à tricoter et broder tout en bavardant avec tout ceux qui venaient faire leurs achats.
La journée était calme, et la boutique déserte. Blossom entendait Doug faire du rangement à l'intérieur alors qu'elle-même échangeait les derniers potins avec Nancy, venue lui apporter son traitement.
_ Le mariage de Dawn et Emaline était vraiment magnifique, qu'en pensez-vous ? Lui était bien sûr magnifique, tous les elfes le sont, et encore plus les noirs, mais Emaline… qui aurait cru que le bonheur la transfigurerait à ce point !
_ Oui, elle était radieuse ! Ça fait plaisir de voir tant de gens être heureux…
_ Oui, tant de bonheur, nous l'avons tous plus que mérité, je crois.
Les deux femmes se turent le temps de regarder une femme-renarde particulièrement belle entrer dans la boutique, entrée qui fut aussitôt suivit d'un bruit de verre brisé.
Blossom sourit en secouant la tête, amusée.
_ Ah les jeunes…
_oOo_
Doug jura et s'agenouilla pour ramasser les éclats de verre. Lâcher un vase simplement parce qu'une jolie fille entrait dans son épicerie, c'était vraiment indigne d'un commerçant professionnel ! Mais c'était qu'elle était vraiment jolie, cette femme-renarde dont les yeux verts aux pupilles fendues ne le quittaient pas, une lueur amusée les illuminant. _ Euh… Soyez la bienvenue. Je ramasse ça et j'arrive !
_ Je peux faire mes courses toute seule, merci.
Doug l'observa du coin de l'œil prendre un panier en osier sur une étagère et commencer à le remplir de divers articles, circulant avec une souplesse impressionnante entre les étagères.
_ Y aurait-il dans cette ville un endroit où l'on peut laisser des petites annonces ?
Doug ramassa les éclats de verre dans une pelle et se redressa, dévisageant sa cliente dont les oreilles animales étaient bien droite, attentives.
_ Oui, il y a un tableau sur la place principale. C'est tout droit à droite en sortant d'ici.
_ Parfait ! Je suis venue à Selphia car j'ai entendu dire que votre ville n'était pas régit par des lois stupides et moyenâgeuses.
_ Simple question de point de vu. On n'est pas une Cour des Miracles non plus !
Le sourire de la femme-renarde releva ses lèvres sur ses crocs, clairement amusé.
_ La tolérance dans les deux sens, c'est ça ? J'adore ! Et toi aussi, je t'adore !
Doug rougit vivement et manqua de renverser le contenu de sa pelle. Il s'empressa de la vide dans une poubelle, autant pour éviter un nouvel accident que pour avoir une excuse et cacher son visage brûlant.
_ Enfin passons ! Je suis là parce que c'est ce type de lois qui me plait. Je suis danseuse, et j'aimerais ouvrir un cabaret, alors je voudrais mettre une annonce pour demander s'il n'y a pas un bâtiment à vendre quelque part en ville !
_ Un cabaret ? Il n'y en a pas, ici… On a plusieurs bordels avec quelques prostituées qui se trémoussent avec des plumes, mais de là à parler de danse…
_ Tu as l'air de t'y connaitre.
_ Les prostituées sont des clientes comme les autres, et se fournissent en général chez moi, elles me parlent donc souvent.
_ Et ça ne te dérange pas de servir des putes ?
_ Chacun son métier, je ne vois pas ce qu'il a de plus avilissant que le mien.
_ Décidément, toi, je t'adore !
Doug toussota pour garder un semblant de contenance. Personne ne l'avait jamais autant déstabilisé ! Il s'emmêla les pinceaux au moment d'encaisser le paiement de la femme-renarde, puis alla lui ouvrir la porte lorsqu'elle quitta son épicerie. Elle frôla sa joue de sa queue blanche. Elle était si douce !
_ Au fait, je m'appelle Anaël ! On se reverra bientôt… ?
_ Ah… Dog ! Doug ! Je m'appelle Doug !
_ A bientôt, Doug !
Le jeune nain la regarda s'éloigner, les joues écarlates, et ne réalisa qu'il était observé qu'au moment où Blossom n'y tint plus et se mit à rire.
_ On dirait que cette charmante demoiselle te plait, Doug !
_ C'est pas une naine.
_ Comme si son espèce avait la moindre importance, ici.
Il regarda le dos de cette Anaël décidément bien jolie, dégluti, et parti en courant pour la rattraper, criant vaguement à la vieille dame qu'il aimait comme sa grand-mère de garder la boutique quelques instant. Elle avait raison, son espèce n'avait aucune importance.
_ Anaël, attendez ! La place c'est de l'autre côté ! Je vais vous y emmener !
_oOo_
Pendant que Doug courrait après la nouvelle venue de Selphia, Nancy rentrait à la clinique en chantonnant. Elle sourit en passant devant la forge de Bado. Le forgeron n'avait jamais été aussi travailleur. Il fallait dire que le Sechs Guideon s'était établi pour de bon en ville, ce qui lui faisait un rival de taille. De ce que Nancy en savait, pour éviter toute sensation de favoritisme, Lest faisait faire les armures et les armes de ses soldats autant chez l'un des forgerons que chez l'autre.
Nancy arriva finalement à sa clinique et sourit en ouvrant la porte. Dolce repliait des bandages, assise sur un lit en écoutant attentivement Jones lui décrire les symptômes d'une maladie. Depuis la guerre, l'elfe avait décidé de devenir médecin, et le docteur se faisait un devoir de lui enseigner tout ce qu'il savait. Pico était avec eux, sautillant dans la pièce avec entrain. Elle fut la première à repérer Nancy et à se précipiter vers elle pour l'accueillir.
Nancy sourit doucement.
Si le sort avait fait qu'elle ne pourrait jamais avoir d'enfants, la vie lui avait pourtant offert une famille merveilleuse. Elle ne l'aurait échangée pour rien au monde.
_oOo_
Un nouvel été s'installa sur Selphia, éloignant un peu plus les horreurs de la guerre.
Naoko, prostituée de La Lanterne Rouge, pinça les lèvres d'un air concentré en lisant une petite annonce placardée sur le panneau de la place principale. Un cabaret avait ouvert en ville, après quelques rénovations plus que bienvenues pour le vieux bâtiment qui l'accueillait, tenu par une femme-renarde que Naoko avait déjà croisé plusieurs fois à l'épicerie. Ce pauvre Doug n'en finissait pas de rougir et de bafouiller face à elle.
_ Un poste de danseuse…
_ Ça vous intéresserait ?
Elle se retourna et dévisagea celle qui avait assurément mit l'annonce là. Anaël souriait avec son air amusé habituel.
_ Je me dis que ça pourrait être un beau changement de vie. Mais vous accepteriez une putain dans votre établissement ?
_ J'ai grandis dans un bordel, ma mère était pute et mon père l'un de ses clients. Ça ne les a pas empêchés de tomber amoureux l'un de l'autre. C'était un noble homme-renard, et elle une elfe de bas étage. On ne peut pas dire que ma naissance ait été très… légale, mais le proxénète du bordel trouvait que j'aurais fait une marchandise de première qualité. Surtout que personne n'allait l'en empêcher, mes parents étant mors depuis longtemps, assassinés par la famille de mon père qui voulait effacer le déshonneur que je représentais. Le proxénète de ma mère était une ordure mais c'est tout de même lui qui m'a sauvé la vie ce jour-là. Ma reconnaissance n'allant pas jusqu'à écarter les cuisses pour le premier venu, je suis partie. Et de fil en aiguille, je suis arrivée ici. Alors non, votre métier ne me dérange pas, et je réglerais son compte à quiconque vous le reprochera.
_ Etant donné que la moitié des hommes de la ville ont défilés dans mon lit, ils seront bien peu à me le reprocher… Mais si ça ne vous dérange pas… Je veux travailler pour vous.
Anaël hocha la tête et sourit.
_ Je peux vous demander pourquoi vous voulez changer de profession ?
Naoko sourit et se retourna alors qu'un homme-lion arrivait en courant, visiblement en retard. Elle secoua la tête.
_ Sans doute parce que votre mère n'est pas la seule putain à être tombé amoureuse de l'un de ses clients… Tu es en retard, Léandre.
_ Pardon, pardon ! Mais depuis qu'Arnaud a été nommé capitaine de la Garde des Vents, il nous assomme avec des entrainements à n'en plus finir ! Et avec Tully comme seconde, c'est encore pire, elle ne laisse personne partir avant qu'on soit tous à moitié morts, au moins !
_ Pauvre petit lion…
_ Qu'est-ce que j'envie Oural et Mistral d'avoir quitté l'armée ! Ils enseignent la magie et sont vraiment doués pour ça ! Leurs élèves les adorent, même si pas mal d'entre eux ne trouve pas très ''normal'' leur relation.
_ Chacun est libre de penser ce qu'il veut, du moment qu'il ne fait de mal à personne.
Léandre acquiesça en souriant, présentant son bras à Naoko. Ils saluèrent Anaël, la future ex-prostituée lui promettant de passer la voir dans la journée pour discuter de son offre d'emploi.
La femme-renarde les regarda s'éloigner et reprit sa route. Elle s'était arrêtée en voyant Naoko lire son annonce, mais sa destination n'était pas le tableau d'affichage mais l'épicerie de Doug, et la simple idée de s'y rendre la faisait sourire d'un air heureux.
Il l'accueillit en rougissant furieusement, le sourire aux lèvres.
_oOo_
Lest se réveilla ce matin d'Hiver et sourit en observant Vishnal encore endormit à ses côtés. Il se sentait si heureux, si chanceux de pouvoir s'éveiller ainsi, dans ses bras… Et dire que pas plus tard qu'à l'Automne précédent, quelqu'un avait tenté de détruire tout ça, un homme venu d'on ne sait où évaluer les compétences de majordome de Vishnal. Cet homme avait décrété sans autre forme de procès qu'un majordome digne de ce nom ne devait jamais être l'amant de son maitre. Vishnal en avait été terriblement ébranlé, et Lest avait pour ainsi dire rompu avec lui pour qu'il ne renonce pas à son rêve d'être le meilleur majordome du monde. Des jours de tristesses auxquels Vishnal avait mit en terme en déclarant qu'il se moquait d'être le meilleur majordome du monde, du moment que Lest était à ses côtés. Que son rêve, c'était Lest. L'homme avait été raccompagné à la sortie de la ville sans trainer et prié de ne plus revenir, et Lest et Vishnal avait put reprendre leur court de leur vie.
Lest s'arracha à ses souvenirs alors que Vishnal se réveillait en baillant. Il lui sourit, encore à moitié endormi, et se nicha dans ses bras.
_ Vishnal… Tu veux m'épouser ?
Le jeune homme observa son prince, et son air endormi céda progressivement la place à une surprise totale. Il jeta ses bras autour du cou de Lest et l'embrassa passionnément, encore et encore.
_ Oui !
_oOo_
Le mariage royal fut célébré au retour du Printemps, alors que Selphia se recouvrait de fleurs fleurissant en libérant leurs senteurs incomparables. Il fut célébré dans toute la ville, et M. Volkanon eut toutes les peines du monde à aller au bout de la cérémonie sans fondre en larmes.
Ce fut une fête magnifique.
Frey regarda son frère rayonner de bonheur en dansant au bras de Vishnal. Elle sourit et s'appuya contre Dylas.
_ On dirait que mon frère n'a plus besoin de moi, ni Selphia. Que dirais-tu de rentrer chez nous ?
Dylas la regarda et sourit en hochant la tête.
Chez eux.
Cette maison au bord d'un étang de la colline aux Cerisiers qu'ils avaient construit de leurs mains, là où ils s'étaient réfugiés une éternité plus tôt.
_ Tu serais prête à quitter ton frère ?
_ Ce n'est pas comme si je partais au bout du monde. Et je compte partir avec le meilleur cheval qui soit, il sera capable de me ramener à Selphia en quelques heures à peine à chaque fois que j'en aurais envie.
Elle sourit d'un air espiègle et Dylas l'embrassa sur la tempe.
Lui aussi voulait rentrer chez eux.
_ De toute façon, nous sommes partis sans que je sois arrivé à pêcher cet énorme poisson que j'ai aperçut une fois dans le lac. Je ne serais pas un pêcheur digne de ce nom si je le laisse filer.
_ Tu sais que ce poisson est réputé être légendaire, l'attraper ne sera pas facile !
_ Je ne compte pas m'y frotter seul.
Frey sourit d'un air radieux et hocha la tête avec vigueur. Elle se lova dans les bras de Dylas et regarda la fête battre son plein sous leurs yeux, les visages heureux, amis comme inconnus.
Selphia était devenue une ville vraiment magnifique.
_oOo_
Bien des années plus tard…
Le son d'une harpe s'élevait au-dessus de la place principale de Selphia, par-dessus les têtes d'un auditoire subjugué, des larmes brillant dans certains yeux. Les enfants aux premiers rangs n'avaient jamais connut autre chose que cette ville où chacun avait sa place, où chacun était égal à l'autre, qu'il soit homme ou femme, humain, elfe, homme-bête, monstre ou même un mélange de toutes ces espèces. Quelle importance cela avait-il, après tout ?
Deux jumeaux, un garçonnet et une fillette, regardaient la barde qui chantait en jouant de sa harpe. Les adultes disaient qu'elle était revenue à Selphia après un long voyage pour chanter ses chansons de part le monde, et raconter une histoire qui aurait put être celle de n'importe qui. La haine et la guerre n'avaient pas de frontières, mais l'amour et la paix non plus, et c'était ça qu'elle voulait transmettre. Les petits jumeaux battirent des mains avec enthousiasme lorsque les dernières notes s'envolèrent dans le vent frais de cette belle journée printanière, leurs queues équines d'un beau vert tendre cinglant joyeusement l'air dans leur dos, assorties à leurs oreilles. Le soleil jouait sur leurs cheveux de la même couleur que leurs crins, et faisait briller leurs yeux d'or.
La harpiste s'inclina devant son public, souriant avec chaleur aux enfants à qui il fallait transmettre cette histoire, pour qu'eux-mêmes la transmettent à leurs enfants, et que jamais elle ne se reproduise.
Son regard accrocha celui de ceux qui, un peu à l'arrière, avaient connu ces drames et ces bonheurs, se rappelaient de ce qu'ils avaient perdus, et de ce qu'ils avaient gagnés. Comme elle, ils se souvenaient des leurs éclats de rire, de leurs chants et du son sourd de leurs pas sur le pavé. Ils se souvenaient de leur vie, et de ce qui avait bouleversé leur monde sur ses bases, l'avait fait trembler, l'avait détruit. Ils se souvenaient du gout des larmes qu'ils avaient versées, et de leur sang qui avait coulé. Elle leur avait raconté tout cela, les histoires d'amour, les histoires de haine, les histoires d'amitiés, celles qui s'étaient nouées, celles qui s'étaient défaites.
Margaret inclina la tête dans leur direction, levant légèrement sa harpe pour leur rendre hommage.
A Lest et Vishnal, à Frey et Dylas, et à tous les autres, qu'ils soient là à l'écouter chanter ou bien ailleurs dans le monde à mener leur vie. A ceux qui n'étaient plus là pour l'entendre, aussi. A eux tous, elle dédiait sa chanson.
Elle regarda à nouveau son auditoire, un sourire flottant sur ses lèvres. Elle les scruta avec attention, comme si ses yeux bleus pouvaient lire au plus profond d'eux.
_ Vous rappelez-vous de la question que je vous ai posée au début de mon histoire ? Vous rappelez-vous de la réponse que vous pensiez me donner ? A-t-elle changée ? Est-elle toujours la même ? Alors… Savez-vous ce qu'est un homme, et ce qu'est un monstre ? Ce qu'est une belle, et ce qu'est une bête ?
Et voilà, c'est la fin de l'histoire. Je n'aime pas vraiment ce mot ''fin'', il donne l'impression que tout s'arrête alors que ce n'est pas le cas. Selphia et ses habitants vont simplement continuer leur vie, et être heureux, c'est tout ce que je souhaite pour eux.
Merci à vous, lecteurs, d'avoir lu cette histoire jusqu'à son terme, j'espère sincèrement que vous l'aurez aimée !
Au plaisir de vous retrouver un jour, au détour d'une autre fanfic :)
