La ponctualité des trains japonais continuait à la déconcerter. Elle avait eu beau utiliser la voie ferroviaire tout au long de son périple au travers du célèbre archipel du Japon, elle devait à chaque fois se faire violence pour s'assurer d'avoir assez d'avance au départ. Immobile sur le quai, prête à quitter Tokyo, elle jeta un œil à son portable. Ses ongles vernis de violet sombre cliquetèrent légèrement sur l'écran tactile, et la jeune femme poussa un soupir discret : elle n'avait qu'une minute d'avance, soit quatre minutes de moins que ce qu'elle avait prévu en quittant l'hôtel. Le moindre incident sur la route lui aurait été fatal. Enfin, cette formulation était sans doute mal choisie, puisque par définition, n'importe quel incident pouvait parvenir à n'importe quel moment de la vie, et… y mettre fin. Pas très joyeux tout ça, et un peu trop philosophique. Mais la jeune femme qui patientait sur le quai avait tendance à avoir l'esprit plus philosophique et pessimiste lorsqu'elle ressassait un échec. Sa tante était vraiment en colère contre elle. Elle l'avait envoyée à l'autre bout du monde pour s'acquitter d'une tâche il y a plus d'un an, et, n'étant pas du genre à pardonner, elle avait renié sa nièce lorsqu'elle avait constaté son échec, contraignant celle-ci à s'exiler, à rester en mouvement en permanence. Sa tante était suffisamment puissante pour lui pourrir la vie où qu'elle soit dans le monde, pour la faire tuer peut-être même. Non. Pas à ce point. Si ?

Nouveau soupir.

Les portes s'ouvrirent, et la jeune femme entra à la suite d'autres passagers, traînant derrière elle une petite valise. Dès qu'elle le put, elle se débarrassa de sa valise dans l'un des portes-bagages encore seulement à moitié remplis. Ne gardant avec elle que sa large sacoche en tissu brun, elle chercha la place qui lui avait été attribuée. Lorsqu'elle l'eut trouvée, elle fouilla dans sa sacoche pour en sortir un livre ainsi qu'une paire d'écouteurs. Elle posa sa sacoche dans le rail de rangement au-dessus des sièges, et enfin, elle s'assit. Appuyant l'arrière de son crâne contre le repose-tête sans s'inquiéter du fait que cela pourrait abîmer sa coiffure, elle ferma quelques secondes les yeux, occultant ses iris marron foncé striés de nuances plus claires. Cependant, comme éprouvant du remords, elle se redressa peu de temps après en tâtant doucement sa chevelure blond sombre qu'elle avait attachée en enroulant un peu au hasard les mèches sur son crâne.

Pff, elle aurait dû les laisser détachés, ou faire un chignon sur le côté. Quoique. En fonction de la place qu'elle occupait, ça aurait pu l'empêcher de poser sa tête de façon bien plus handicapante. Bref, pas la peine de s'en faire pour une fichue coiffure. Celle-ci était très bien, d'autant qu'elle était suffisamment déstructurée pour supporter quelques mèches folles.

Ses écouteurs sans fil installés dans ses oreilles, elle commença à se détendre, le regard dans le vide pour se forcer à décrocher. Cependant, elle ne put écouter que deux chansons avant que son attention ne se retrouve inexorablement attirée par une silhouette qui traversait la voiture. L'homme portait un bob clair, et elle put aussi distinguer une paire de lunettes noires lorsqu'il se retourna, comme pour vérifier qu'il n'était pas suivi. Ses cheveux mi-longs blonds et son visage lui rappelaient quelque chose, et le fait qu'il tente vraisemblablement de dissimuler une mallette sous sa veste poussa la jeune femme tranquillement assise dans son siège à chercher plus précisément dans sa mémoire pourquoi cet homme lui semblait familier. Et c'est lorsque la deuxième porte matérialisant un sas entre les voitures se referma sur lui que la blonde tilta. Ses yeux s'écarquillèrent légèrement, ses muscles se raidirent, et elle bondit presque de son siège. Prenant sur elle pour calmer ses ardeurs, elle fourra ses écouteurs dans une des poches de son pantalon lie de vin, gardant son portable serré dans sa main, et elle commença à suivre l'homme au bob, d'un pas assuré mais pas précipité. Elle se souvenait où elle avait vu ce type. Et son cœur battait très vite lorsqu'elle pensa que la probabilité de le recroiser était quasiment nulle. Ça devait être son jour de chance. Ou bien c'est lui qui avait une sacrée poisse. C'était lui qui, un an plus tôt, lui avait coupé l'herbe sous le pied et l'avait fait choir de l'échelle qu'elle gravissait dans l'espoir d'un jour atteindre le rang de sa tante. Avec un peu de chance, elle allait pouvoir se venger, peut-être même trouver un moyen de récupérer ce qu'il lui avait fait perdre, et ainsi retrouver la confiance de sa tante. Ça se tentait.