« Qu'est-ce que…

— Je sais, il est bizarre des fois, admit Ibolya avec un sourire désolé. Allez, sors de là, Bob. »

Lentement, en se prenant les pieds dans un sac, l'homme commença à quitter sa cachette. Le brun en costume bleu le regarda faire, toujours très perplexe, et il ouvrit la bouche pour parler, mais juste à cet instant, son portable vibra et l'interrompit. Il le récupéra et soupira doucement en regardant l'écran.

« Pardon », fit-il en recommençant à avancer alors qu'il décrochait.

Ibolya se poussa pour le laisser passer, et il s'écarta au maximum des deux autres passagers du Bullet Train pour répondre à l'appel. Se reconcentrant sur l'homme au bob, Ibolya lui adressa un sourire joueur un peu sadique, dont la signification était assez claire. « Alors, on s'arrange ou je te balance ? » L'air extrêmement inquiet, « Bob », comme l'avait nommé Ibolya, chuchota d'une voix agitée :

« OK t'as gagné ! Je vais négocier avec mon agence pour qu'elle te donne du fric ou n'importe quoi de valeur !

— Je peux retourner faire mon travail ? fit le boucher de Bolivie depuis l'autre côté du sas. Oh, c'est très gentil à vous, merci beaucoup. »

Il mit alors fin à l'appel, et, toujours dos aux deux blonds en train de comploter, il rangea son portable à l'intérieur de sa veste bleue. Il se retourna ensuite vers Ibolya et Bob et il fit quelques pas pour se rapprocher d'eux.

« Excusez-moi », fit-il en se stoppant près d'eux alors que ses yeux bleus se posaient successivement sur les deux personnes qui discutaient avant son arrivée. Ibolya discernait toujours aisément un reste de perplexité dans son regard lorsqu'il se posait sur Bob. « Je recherche une mallette, elle est métallisée et il y a un autocollant de train sur la poignée. Ça vous dit quelque chose ? » s'enquit-il en mettant les mains dans ses poches et en haussant faiblement les épaules.

Ibolya croisa les bras un instant, le portable doré dérobé à Bob toujours dans les mains, et elle se tourna brièvement vers son nouvel acolyte avec une moue concentrée, comme si elle cherchait dans ses souvenirs.

« Hmm. Non, désolée, ça ne me dit rien, finit-elle par dire en secouant doucement la tête.

— Moi non plus, renchérit le blond aux lunettes noires.

— Tant pis, merci, répondit l'homme au costume et aux yeux bleus en commençant à reculer vers la voiture 6.

— Vous devriez peut-être signaler au contrôleur que vous avez perdu quelque chose, il pourra probablement vous aider, proposa Ibolya avec un sourire désolé et encourageant.

— Je suis sûr que je retrouverai ma mallette, on est dans un train. Merci en tout cas, Mademoiselle.

— Je vous en prie. »

Et l'homme reprit son chemin vers la queue du train.

« Retourne à ta place, fit Bob dès que la porte se fut refermée derrière le propriétaire de la mallette volée. Je dois m'occuper de quelque chose.

— Quoi ? Pour que tu risques de me la faire à l'envers ? Je te lâche plus maintenant.

— T'es dans quelle voiture ?

— La 4.

— Alors tu me reverras forcément passer, la mallette est plus loin par là, expliqua-t-il en montrant la direction dans laquelle venait de partir le brun aux yeux bleus. Et moi je vais en voiture 3, il faut que je m'occupe du deuxième cinglé. Rends-moi le téléphone et donne-moi ton numéro, comme ça si y a un problème je pourrai t'appeler ou t'envoyer un message. Vite, on n'a pas beaucoup de temps. »

Hochant la tête, Ibolya lui tendit le portable qu'elle lui avait pris, et tous deux quittèrent le sas pour repartir en direction de la voiture 3. Tout en marchant, Ibolya énonça son numéro de portable, et Bob tapa sur le téléphone doré, créant un contact avant d'envoyer un message à sa coéquipière de fortune pour qu'elle puisse elle aussi le joindre en cas de souci. Ils se séparèrent une fois arrivés dans la voiture 4, et Ibolya se rassit à sa place, mettant son téléphone sur vibreur avant d'appuyer son coude sur un accoudoir, les jambes croisées et le menton posé dans sa main. Cette journée et ce trajet dans un train de nuit étaient en train de devenir très intéressants, mais aussi très dangereux. Mais drôlement intéressants, presque excitants. Ibolya avait vraiment eu envie de suivre Bob jusqu'à la voiture 3, juste pour voir ce qu'il allait faire, mais elle devait admettre que ça aurait été démesurément risqué. Le deuxième jumeau l'aurait identifiée comme complice de Bob, et ça n'était pas vraiment souhaitable.

Soudain, le regard un peu dans le vague, Ibolya distingua une silhouette bleue qui traversait la voiture en direction de la tête du train. Le premier des deux jumeaux n'avait visiblement pas retrouvé la mallette. Ibolya détourna son attention de lui et elle tendit la main vers le livre qu'elle avait emmené, le soulevant de la tablette où il était posé et regardant la couverture avec l'air hésitant d'une personne qui se demande si elle va oui ou non poursuivre sa lecture.

L'homme en costume bleu dépassa la place d'Ibolya, mais elle le vit revenir dans son champ de vision. Il avait fait quelques pas hésitants vers l'arrière pour se remettre à sa hauteur, et il adressa à la jeune femme le sourire poli qui voulait dire « pardon de vous déranger », sourire auquel il ajouta pourtant les paroles associées :

« Désolé de vous importuner encore une fois. L'homme qui était avec vous tout à l'heure…

— Bob ? demanda Ibolya en reposant son livre sur la tablette devant elle et en redressant la tête.

— Oui, voilà, lui. Vous savez où il est ?

— Euh, non. Peut-être aux toilettes ? Ou en train de se promener je sais pas où.

— Mais vous le connaissez, pas vrai ? Vous voyagez avec lui ? »

Réalisant qu'il s'agissait probablement d'une question piège tout ce qu'il y avait de plus orientée, Ibolya fut soudain prise d'une hésitation, et son pouls accéléra légèrement. Le regard de l'homme aux cheveux sombres et aux yeux clairs commençait à se faire plus perçant, et c'était inquiétant. Au moment où elle ouvrait la bouche pour répondre, le portable de l'homme en costume vibra, et il s'excusa avant d'y jeter un œil. Alors, visiblement un peu à contrecœur, il mit fin à ce début d'interrogatoire :

« Excusez-moi, je dois y aller. »

Il sourit à Ibolya une dernière fois, et il reprit la direction de la tête du train d'un pas rapide. Ibolya le regarda partir, un peu inquiète.