En silence et toujours en souriant poliment à l'homme qui passait, Mandarine et Ibolya attendaient, tels deux sprinters avant la finale des Jeux Olympiques. Et le bruissement de la porte qui se referme annonça le début de la course. Ibolya saisit brusquement des deux mains le canon du revolver, tentant de l'arracher des mains de son propriétaire. Se retournant pour faire face à la jeune femme, Mandarine raffermit sa prise sur l'arme en l'attrapant à deux mains, et il commença à faire pivoter le revolver afin de tordre les bras d'Ibolya et lui faire lâcher prise. Se rendant compte qu'elle n'allait pas y arriver de cette manière, la blonde retira sa main droite de l'arme, refermant le poing pour frapper l'articulation du poignet de son adversaire. Mandarine perdit sa prise, mais sa deuxième main tenait toujours le revolver. Alors Ibolya recommença sur son autre poignet. Malheureusement, cette fois-ci Mandarine s'y attendait, et il parvint à maintenir sa main à peu près fermée autour de la crosse de l'arme. Donc lorsqu'Ibolya tira brusquement sur le canon de l'arme à feu, elle ne put pas prévoir la trajectoire correctement, et le revolver partit se heurter contre le mur opposé. Ibolya était la plus proche de l'arme à présent. Pour reprendre l'avantage, Mandarine lui décocha un coup de poing dans la pommette gauche, déstabilisant Ibolya suffisamment longtemps pour qu'il s'élance avant elle vers son arme. Catastrophée à l'idée de déjà perdre ce combat, Ibolya fit un croche-pied à son adversaire, qui se retrouva déséquilibré et qui se rattrapa de justesse contre la porte des toilettes. Soulagée, Ibolya se saisit du revolver, mais elle n'eut pas le temps de viser : Mandarine avait déjà eu le temps de la rejoindre, et il agrippa l'arme pour empêcher la blonde d'en garder le contrôle.

Lèvres pincées par la concentration, Ibolya se rendit rapidement à l'évidence : elle avait moins de poigne que son adversaire, elle ne pouvait pas se contenter d'attendre qu'il réussisse à s'emparer de nouveau du revolver. Elle envoya un coup de pied dans le genoux gauche de Mandarine tout en continuant à tirer le revolver vers elle pour l'éloigner de lui, et lorsque le propriétaire de la mallette tant convoitée relâcha sa prise sur l'arme, Ibolya avait mis tant de force dans sa tentative de recul qu'elle tomba à la renverse, agrippant ce qu'elle avait sous la main pour tenter de se rattraper. En l'occurrence, le rideau qui permettait de cacher la vue des bagages rangés dans le compartiment contre le mur. La tringle lâcha, le rideau tomba, Ibolya et le revolver aussi. Mais par malheur, le revolver se trouvait trop loin derrière la jeune femme, contrairement au rideau. Plus précisément la tringle du rideau. Ibolya tendit la main vers la tringle métallique qui pourrait faire une très bonne arme, mais l'arme de fortune disparut avant que ses doigts ne se referment. Mandarine avait été plus rapide, et il ne resta plus que les rideaux à Ibolya. Par désespoir, elle s'en saisit malgré tout et se releva à toute vitesse. Tendant le tissu entre ses mains pour en faire un bouclier de fortune capable d'amortir les chocs qui allaient suivre, Ibolya parvint à esquiver ou bloquer les deux premiers coups que Mandarine essayait de lui porter. Mais il contraignit Ibolya à pivoter sur elle-même pour ne pas briser sa garde, si bien qu'elle se retrouva acculée contre le mur des toilettes. Et, pour couronner le tout, l'anneau d'une extrémité du rideau se coinça dans la poignée de la porte. Ibolya étouffa un juron en tirant désespérément dessus, mais le tissu tint bon, et elle allait manquer de temps pour réorganiser sa garde avant la prochaine attaque la tringle en métal était déjà levée.

Et c'est lors de sa dernière tentative pour libérer le rideau de la porte qu'Ibolya eut une dernière idée. Relâchant sa prise sur le tissu, elle ne garda en main que l'anneau le plus éloigné de celui coincé, et plutôt que de tenter de bloquer le coup qui menaçait de lui fracasser l'épaule, elle plongea vivement sur le côté tout en levant le rideau. Pivotant aussi vite que possible autour de Mandarine, d'un seul mouvement, d'une seule impulsion, elle emprisonna ses bras sous le solide tissu jusqu'à ce que le rideau fasse un tour autour de lui.

Ibolya espérait que le rideau allait tenir. Il fallait qu'il tienne.

De toute ses forces, elle tira sur la toile épaisse jusqu'à faire glisser l'anneau qu'elle tenait sur la poignée de la porte des toilettes, juste au-dessus de l'autre. Emportée par son élan, le dos d'Ibolya heurta le mur opposé, et elle tomba en position assise, jambes fléchies devant elle.

Le souffle court, elle fixa son œuvre avec inquiétude, immobile. Puis, elle vit que Mandarine était coincé, le rideau entortillé autour de ses bras, plaqué contre la porte. La tringle lui était tombée des mains, et il se débattait pour essayer de soulever le rideau suffisamment pour débloquer l'un des deux anneaux accrochés. Mais le tissu était trop serré autour de ses bras, et lorsqu'il s'en rendit compte, il reporta son attention sur Ibolya. Celle-ci le fixait, bouche-bée.

« Ben ça alors, si on m'avait dit que ça allait marcher…, souffla-t-elle en se redressant.

— Ouais, félicitations, siffla Mandarine, le visage rouge de colère. Maintenant… détache-moi. Détache-moi, répéta-t-il plus lentement, et je te promets que je t'offrirai une mort rapide et presque indolore. »

La sévérité de la menace dans son intonation était à son paroxysme, il serrait nerveusement les dents, pourtant Ibolya ne répondit pas, se contentant de faire précautionneusement un pas en direction du revolver abandonné dans un coin. Cependant, il était à l'autre extrémité du sas, et entre lui et Ibolya, il y avait Mandarine, encore suffisamment libre de ses jambes pour atteindre la jeune femme si elle s'approchait trop. C'est d'ailleurs ce qu'il tenta de faire, mais Ibolya s'y attendait, elle put reculer à temps. Tant pis pour le revolver, elle allait devoir faire sans. Déjà, elle était en vie, elle n'était pas blessée – à l'exception d'une douleur rayonnante dans sa pommette gauche – et elle avait un peu de temps avant que son adversaire parvienne à se libérer, ou encore avant que quelqu'un passe par là et le délivre de sa porte.

Ibolya commença donc à reprendre la direction de la voiture où elle devrait encore être tranquillement assise, et elle se retourna rapidement vers l'homme prisonnier de la porte des toilettes :

« J'suis désolée, ça n'a rien de personnel. Retiens bien que j'étais pour la solution pacifique.

— Si je t'attrape... »

Mais Ibolya n'avait pas besoin d'entendre la suite, alors elle s'éclipsa.