Il lui avait suffit de cligner des yeux pour que le monde entier disparaisse.

Il s'était retrouvé face à une porte en obsidienne sculptée si haute qu'elle se perdait dans les nuages, si large qu'on aurait cru l'horizon fait uniquement d'elle.

Il l'avait effleurée du gras du pouce et s'était retrouvé de l'autre côté.

L'autre côté était un lieu obscur, un lieu à l'espace infini où tout n'était que noirceur. Il n'y avait ni ciel, ni terre, ni rien entre les deux : tout était noir, noir, noir.

Il cru être seul jusqu'à ce qu'une des choses bouge.

C'étaient des créatures aussi sombres que le décor, si noires que l'immobilité les rendait invisibles.

Elles se mouvaient en glissant sur le sol comme des ombres, leurs pas aussi légers que la caresse du vent dans la nuit.

Elles n'avaient ni yeux ni oreilles : on aurait dit qu'un drap noir avait été posé sur leurs fronts et qu'il recouvrait chacune de leurs excavations, leurs donnant des silhouettes d'hommes alors qu'elles n'en étaient pas.

Mais il ne pouvait pas se résoudre à avoir peur, car il savait qu'il était comme elles.

Des murmures grandirent de la foule de créatures sans bouches.

Il entra dans un cercle d'ombres les plus proches. Elles lui firent place sans lui accorder la moindre attention.

- … le choix du monde est primordial, souffla l'ombre lui faisant face.

A sa gauche l'ombre émit un bruit sec, le même bruit que ferait une langue claquée contre un palais.

- Tu penses qu'on avait pas saisi ? Mais t'as vu la taille de cette foutue roue, elle est plus grande que la tour Eiffel. On a beau parler et faire des plans pendant des heures, il est plus probable qu'on tomber sur un endroit qu'on connaît pas.

L'ombre de droite serra ses mains sans doigts l'une contre l'autre, sa silhouette tremblant.

- Vous pensez qu'on peut les soudoyer ? Avec assez d'argent...

L'ombre de gauche eut un rire aussi sec que méprisant. Vu qu'elle n'avait pas de bouche, le rendu était étrange : on aurait dit qu'elle était secouée de spasmes.

- T'es un de ceux-là, hein ? Tu devais être bien pété de thune dans l'Avant pour croire que tu peux acheter ces démons

L'ombre de droite tourna sa tête à droite et à gauche, nerveuse.

- Ne les appelle pas comme ça-

- Pourquoi ? Elles font rien d'autre que nous appeler, de toute façon

L'ombre en face les fit taire d'une parole :

- On peut les soudoyer. Je l'ai vu.

Sa voix avait dû porter dans un moment de silence collectif car tout le monde dans leur proximité directe se tut.

Même des ombres d'autres groupes avaient tourné leurs têtes vers eux. Certaines vinrent grossir les rangs de leur petit cercle, s'attroupant fiévreusement pour entendre la suite.

La première ombre – celle qui avait l'attention de toutes les autres – se racla la gorge.

- On peut les soudoyer, oui, mais pas avec de l'argent.

Il y eut des murmures.

- J'ai vu une ombre leur demander ce qu'il lui faudrait payer pour pouvoir choisir son Après.

L'orateur se tut durant quelques secondes : le nouvel arrivant l'interpréta comme une pause le temps de chercher ses mots.

- Il leur a dit qu'il leur donnerait tout ce qu'elles voulaient. Il leur a dit qu'elles n'avaient que le nommer : des mines de diamants ou une montagne d'or… leur prix était le sien.

L'ombre de gauche serra ses bras contre son torse. Ses épaules tremblaient.

- Et après ?

- L'un d'entre-elles a parlé. Elle a dit qu'elles voulaient son âme.

A nouveau un silence abasourdi.

- C'est pas… comment… ?

- Tu mens

- Et ensuite l'ombre a explosé

Le nouvel arrivant imagina une des créatures éclater comme une bombe.

Il voyait sa peau noire se fendre comme un miroir brisé avant de s'éparpiller dans les airs, imaginait une lumière blanche jaillir de son estomac. Il voyait l'autre côté illuminé durant une fraction de seconde par un soleil d'une blancheur aveuglante ; il en sentait la chaleur, en voyait la lumière, en imaginait l'horreur.

Comme une super nova en fin de vie.

Et puis tout avait dû disparaître, réduit dans le néant infini de cet entre-deux.

- Tu mens !

Les ombres jouèrent des coudes. Le nouvel arrivant en avait assez entendu : il s'éloigna pour éviter d'être prit dans la mêlée.

Il se déplaça au milieu de l'obscurité, écoutant ci et là des bribes de conversations.

- … c'est être un Uzumaki

- Ah ? Tu déconnes ou quoi ? La probabilité d'être le nouveau Jinchuriki est carrément folle

- Et après l'Akatsuki sera forcément à ta poursuite

- Pas si je deviens assez fort

Les autres ombres avaient l'air exaspérées.

- Mais tu te crois où ? T'es pas le protagoniste, t'auras aucun plot armor. Si le monde est un tant soit peu réaliste, t'auras plus de chances de te faire tuer par un Genin avec un couteau à beurre que de pouvoir affronter Itachi en un contre un

L'ombre continua à marcher, se déplaçant sans un bruit entre les cercles de discussion.

- … chronicle… trouver la pierre…

- Fairy Tail… ?… télékinésie…

Elles parlaient, parlaient encore, parlaient toujours. De toute façon il n'y avait rien d'autre à faire que parler, alors pourquoi ne pas parler ?

Son oreille capta une discussion qui piqua son intérêt.

- … la technique c'est d'attraper la roue et de la lancer en inclinant légèrement le poignet.

Une des ombres fit une démonstration, pliant son poignet à vingt degrés.

L'ombre s'arrêta, le regardant faire avec curiosité. Les autres créatures s'esclaffèrent.

- Tu sais très bien que tout est une question de Karma, siffla l'une. Tes techniques à deux balles n'y changeront rien.

L'ombre qui avait démontré le lancé se redressa, le dos bien droit. Sa voix sonna indifférente aux moqueries :

- Je suis là depuis plus longtemps que vous

Elle tapota sa poitrine où le chiffre 411 brillait en blanc.

- Et ? Nous aussi on est là depuis un moment, et on a tous vu à quoi ressemblaient les roues. C'est juste une question de hasard. Et de Karma.

Chacun des autres torses affichait des chiffres oscillant entre onze mille et trente mille.

La nouvelle ombre baissa les yeux sur son propre torse et y découvrit le soixante dix-sept mille sept cent soixante dix-sept.

Toutes les dix secondes le dernier nombre passait à une valeur inférieure.

- Hé, t'es nouveau toi ?

L'ombre accusée de charlatanisme s'approcha de lui. Il passa son bras autour de ses épaules.

- Alors, qu'est-ce que ça fait d'être mort ?

Les autres ombres avec qui il était en train de parler murmurèrent puis se dispersèrent.

- J'aurais cru qu'on allait tous finir fous mais ils nous ont fait un truc là-dedans (Il tapota sa tête du doigt) et du coup personne a peur

Il regarda autour de lui, et la nouvelle ombre imagina qu'il aurait vu de l'affection dans ses yeux, si yeux il y avait.

- Ca a un côté familier, hein ? J'ai l'impression de retourner à la maison

La nouvelle ombre repoussa le bras de ses épaules.

- Où sommes-nous ?

- On est dans l'Entre-Deux, l'Au-delà, la Passerelle, bref appelle ça comme tu veux.

- Qu'attendent-ils de nous ?

La nouvelle ombre ne savait même pas qui elle désignait en parlant de 'ils'. Peut-être étaient-ce les 'démons' dont il avait entendu parler ? Peut-être autre chose, des créatures sans âge et sans nom aux capacités infiniment supérieures ?

- 'Ils' n'attendent rien de nous. La seule chose qu'on doit faire c'est tourner les roues.

Les roues. Tout le monde n'avait parlé que des roues depuis qu'il était arrivé.

- Qu'est-ce que-

Des projecteurs s'allumèrent.

Une scène faite de fumée apparut au milieu de la foule d'ombres. Tout le monde se tut.

Les créatures se rangèrent en rangs d'oignons, attendant le spectacle avec impatience.

- Tais-toi et regarde, le nouveau.

Une brusque vague de vapeur – comme si on venait de retourner une casserole pleine de fumée – s'écoula de la scène avant de se noyer dans les ténèbres.

Une roue aussi grande que l'Empire State Building apparut de la brume blanche.

L'ombre leva les yeux mais c'est comme si elle n'avait pas de fin.

La foule s'ouvrit en deux pour laisser passer une des créatures sans visage : le nombre 1 brillait sur sa poitrine.

Il monta sur la scène au milieu des chuchotements.

Sa tête se tourna vers la foule comme s'il les regardait tous.

Une autre roue apparut entre l'ombre et l'autre mastodonte. Celle-là, en revanche, était à taille humaine.

De la fumée jaillit de la petite roue. Deux cases à part quasi égales se disputaient l'espace : 'Oui' et 'Non'.

Le charlatan siffla, admiratif.

- Ce type doit avoir un sacré bon Karma pour que son Oui soit presque égal au Non

L'ombre lança la première roue.

Elle tournait à pleine vitesse alors que l'ombre de gauche se triturait nerveusement les mains.

- A quoi sert cette roue ?

Ce n'est pas le charlatan qui lui répondit mais l'ombre à sa droite.

- C'est celle qui détermine s'il va pouvoir se rappeler de sa dernière vie dans la suivante

La nouvelle ombre se redressa, surprise.

Cette roue était la plus petite mais c'était de loin la plus dangereuse des deux.

Les souvenirs et les expériences façonnaient notre être. Ne plus les avoir équivalait à la mort de celui que nous avions été.

La flèche s'arrêta sur une case.

La foule s'agita.

- Tss, chanceux

L'ombre, sur scène, hurlait de joie.

Le nouveau comprenait pourquoi elle était heureuse mais elle lui semblait plutôt pathétique à se donner en spectacle de la sorte.

Le charlatan se pencha vers lui.

- Elle s'en est bien sortie pour la première et si elle tombe sur un monde relativement correct après…

L'ombre sur-excitée avait déjà lancé la roue géante.

Le charlatan secoua la tête.

- Elle aurait dû lancer la roue en inclinant son poignet…

La flèche s'arrêta sur une nouvelle case. Plus personne ne fit le moindre son.

C'était une des cases les plus petites, une de celles aussi fines qu'un cheveu.

- Comme quoi même avec un bon Karma...

- Qu'est-ce qu'il y a écrit dessus ? Je vois pas d'ici

- Shingeki No Kyojin

La nouvelle ombre regarda autour d'elle. Tout le monde avait l'air très solennel.

- C'est mauvais ?

- Bah disons que si elle après elle tombe sur la case Mahr, on peut juste espérer pour elle qu'elle aura accès à un pistolet chargé dès son arrivée

De la fumée explosa des deux roues. Leurs cases se métamorphosèrent en d'autres.

Sur la première 'Transmigration' et 'Autre' se partageaient l'espace de façon à peu près égale.

Sur la seconde se trouvaient tout un tas de prénoms rangés au hasard.

La première roue tomba sur 'Autre'. Cela pouvait tout et ne rien dire.

Une nouvelle explosion de fumée entoura la seconde roue. Il n'y avait plus de noms mais une liste d'objets et de choses qui n'avaient pas grand sens pour lui.

La flèche tourna.

'Artefact', 'Death Note', 'Epée de Kuzanagi'…

Le reste était trop petit pour qu'il puisse lire.

L'ombre numéro un tremblait comme une feuille. Elle avait l'air désespérée.

La flèche s'arrêta sur une case si grosse que tout le monde, aussi éloignés soient-ils, pouvait lire ce qui y était écrit.

- Ope-ope no mi, murmura-t-on.

L'ombre se mit à pleurer de joie.

Personne ne lui laissa le temps de se remettre de ses émotions qu'une troisième roue apparut.

- C'est là qu'on voit la nature humaine dans toute sa splendeur, susurra le charlatan. J'ai vu des types avec un super Karma se faire maudire sur trois vies juste parce qu'ils en voulaient plus

Il mit un coup de coude au nouveau.

- Hé, écoute moi bien. Si je peux te donner un seul conseil c'est de surtout pas toucher à cette foutue roue, peu importe à quel point le reste de ce que t'as tiré est mauvais. (Il secoua la tête) Le pêché de l'avarice, rien d'pire pour un humain.

Le nouveau se demanda si quelqu'un avait prévenu le numéro un des dangers puisqu'il alla tout de même tirer la roue.

Sur celle-ci les cases rouges et noires étaient exactement proportionnelles : le Karma n'avait pas l'air d'y influer.

La flèche tourna beaucoup plus vite que sur toutes les autres roues. Les couleurs des cases se mélangèrent jusqu'à en devenir des traits de lumière flous.

L'ombre numéro un était immobile, ses bras longilignes enroulés autour de son corps comme des pinces. Si elle avait eu une peau, elle aurait été recouverte de sueur.

Et puis la flèche s'arrêta sur une case. Une case noire.

La case était de bonne taille, mais c'était une de celles où il était écrit tout un tas de choses en très petit.

Comme les clauses d'un contrat avec le diable, pensa le nouveau.

Sur scène, l'ombre tomba à genoux.

L'ombre à sa droite demanda à voix haute :

- Quoi ? Qu'est-ce que c'était ? Il est tombé sur quoi ?

Personne ne lui répondit.

Les restes de fumée blanche qui flottaient autour du sol s'enroulèrent comme des serpents autour du numéro un. Lorsqu'elles s'évanouirent, il avait disparu.

Après ça l'ambiance devint plutôt tendue.

Aucun de ceux qui ne passa ensuite n'opta pour la cinquième roue.

Tout le monde l'évitait, même ceux qui avaient tiré de très mauvaises cases.

Les numéros défilèrent sur scène sans qu'il soit capable de les distinguer les uns des autres. Certains pleuraient, beaucoup s'énervaient… sur les dix-sept mille qui passèrent avant lui, seuls huit conserveraient leurs souvenirs.

Parmi eux, sept avaient eu un bon Karma. Le huitième était le charlatan. Il prenait plus de temps à lancer les roues que n'importe qui d'autre avant lui.

Il ne s'approcha même pas de la dernière roue.

Sur le torse du nouveau les chiffres décroissaient plus vite qu'il ne l'aurait cru. Il prit part aux conversations, entendit sans écouter les recommandations d'autrui, spécula sur ce que tirerait chacun comme s'il était de retour dans le sud de la France pour assister à une corrida.

Vint enfin son tour.

La foule d'ombre s'ouvrit comme la mer pour le laisser passer.

Il alla à la scène d'un pas tranquille, refusant de se laisser gagner par la terreur ou l'angoisse. Il était déjà mort, qu'est-ce qui pourrait lui arriver de pire ?

Un nuage de fumée entoura la première roue.

Il promena son regard sur les alentours, essayant d'avoir une vue d'ensemble de l'Entre-Deux.

Aussi loin que son regard pouvait porter il vit d'autres spots de lumière s'éteindre et se rallumer par intervalles. A partir d'une certaine distance même s'il savait qu'il y avait des ombres il n'était plus en mesure de les distinguer. C'étaient comme si elles ne faisaient qu'un avec cet étrange lieu.

Sa tête se tourna vers l'arrière de la scène, là où les autres ombres n'allaient pas.

Il s'arrêta et regarda les abysses – puis les abysses regardèrent en lui.

Son sang se glaça. Il détourna le regard, faisant comme s'il n'avait rien vu.

Il secoua ses mains pour calmer les tremblements qui les agitaient. Il fallait qu'il se concentre sur son lancé : mettre le poignet à vingt degrés...

La première roue émergea de l'écran de fumée. Le public était abasourdi.

- Mec, tu tuais des bébés dans ton temps libre où ça se passe comment ?

Le 'Non' mangeait l'intégralité de la roue, laissant seulement un espace aussi fin qu'un cheveu pour le 'Oui'.

Il lécha ses lèvres sèches. Vingt degrés…

La roue tournoya follement. Il la regarda jusqu'à ce que ses yeux ne soient plus en mesure de distinguer les cases les une des autres.

Il ferma les yeux, inspirant longuement pour se détendre. Rater son coup signifiait qu'il mourrait une seconde fois.

Il ne voulait pas mourir.

Il entendit la roue ralentir. Et puis le vent arrêta de siffler.

- Vous foutez pas de moi…

Il attendit une autre réaction du public pour pouvoir jauger de sa situation, mais personne ne dit rien d'autre. Alors il ouvra un œil et regarda.

Sa respiration se bloqua dans sa gorge.

La flèche dorée était à la limite parfaite du 'Oui' et du 'Non', tremblant follement comme si elle n'arrivait pas à se décider quel côté désigner.

C'était irréel, comme si elle se battait pour tomber dans le 'Non' mais que quelque chose de fort et d'intangible la repoussait toujours vers le 'Oui'.

Un souffle glacial s'éleva du côté obscur de la scène. Les poils de l'ombre se redressèrent. Il sentit l'air tiède se substituer à l'autre C'était comme si la Mort elle-même l'enserrait entre ses griffes.

La flèche dorée s'arrêta sur le 'Oui'.

Tout le monde était abasourdi.

L'ombre elle-même se figea, clignant des yeux bêtement. Et puis elle se ressaisit : il venait de se passer quelque chose d'étrange mais c'était tout à son avantage. Ce n'était pas demain la veille qu'il commencerait à refuser des privilèges.

Il s'approcha de la deuxième roue où des cases aussi fines que des épingles à nourrice côtoyaient d'autres aussi larges que des livres. Il inspira et mit sa main sur la poignée de la roue. Si la chance pouvait être encore avec lui…

Il resta quelques secondes à vérifier que son poignet était bien incliné de vingt degrés. Ensuite, il lança sèchement.

La roue fit quelques tours avant de perdre de la vitesse. Il reconnaissait quelques noms sur la roue mais la probabilité qu'il tombe sur l'un d'entre eux était plus faible que se faire frapper par la foudre.

L'ombre tenait ses mains l'une contre l'autre, se refusant à montrer plus de nervosité.

La flèche ralentit. Elle s'arrêta sur une des cases les plus grosses, une des cases noires.

Comics MC-

A nouveau le souffle glacial. La flèche se déplaça d'un centimètre sur la droite.

'Boku No Hero Academia.

Le soulagement envahit l'ombre. C'était un des seuls monde qu'il connaissait.

Le public s'agita.

- Hé, vous vous foutez de notre gueule ?

- Qu'est-ce que c'est que ce bordel, putain !

L'ombre les ignora et passa à la prochaine roue. Cette fois-ci il ne prit même pas le temps d'incliner son poignet.

Il tira 'Transmigration' puis 'Shoto Todoroki'.

La flèche tricha pour le premier mais s'arrêta naturellement sur le second.

Pour sa quatrième roue, l'ombre décida de lancer la roue de sa main droite – sa main la moins forte. Il y eut à nouveau le souffle froid venu des abysses.

'Immuabilité des dons'

La foule était au bord de la crise d'hystérie. Une des ombres s'agrippa à la scène, frappant dessus pour capter son attention.

- Comment tu fais ça, hein ? Dis moi et je te promets que dans ma prochaine vie-

Une autre des créatures le poussa sur le côté.

- C'est vraiment injuste que seul toi en profite alors s'il te plaît…

Une foule de créatures se colla à la scène, le hélant ci et là.

L'ombre les ignora, son attention tout entière focalisée sur la cinquième et dernière roue, la roue qu'il ne fallait surtout pas lancer.

Il hésita. La fumée, à ses pieds, attendit patiemment qu'il fasse son choix avant de l'emmener.

Le charlatan avait bien dit qu'il avait vu des chanceux tout perdre en lançant la dernière roue. Le pêché de l'avarice, avait-il dit.

Heureusement qu'il avait toujours été un homme cupide.

Il attrapa la roue et la lança avant de changer d'avis. Il sentit le souffle froid caresser sa peau et s'enrouler autour de la roue tournante.

Il ferma les yeux, l'excitation et l'inquiétude le partageant. Son pari allait-il payer, ou perdrait-il tout ?

Il inspira longuement pour calmer ses nerfs. Il ouvrit ses yeux avec appréhension.

'Chakra'

Cette fois il en était sûr, quelqu'un avait triché pour lui. Il osa regarder l'abysse.

Un œil immense, presque aussi grand que la seconde roue, le regarda en retour. C'était un œil d'un bleu intense, fluorescent, aussi froid que de la glace mais qui brillait avec… affection.

Comme s'il le connaissait.

L'ombre, ébahie, se perdit dans la contemplation de l'oeil. Une myriade d'émotions y dansaient. Tristesse, souffrance… amour.

Il ne remarqua même pas les ombres vindicatives montées sur scène.

La fumée blanche s'enroula autour de lui dans une embrasse affectueuse, presque paternelle.

La colère du public prit de l'ampleur. Il y avait des cris, maintenant, et la scène tremblait.

L'ombre disparut à l'instant même où les mains des autres créatures se refermaient sur de lui.

L'oeil se ferma, comme s'il était en deuil.

Lorsqu'il rouvrit, cette fois, tout le monde put le voir. Une lumière éclatante jaillit de sa prunelle, balayant toutes les autres ombres sur son passage.