- Elle va s'en sortir. Elle est... c'est une Luthor. C'est costaud, en général. Ça ne meurt pas comme ça.

- C'est vrai. Elle va s'en sortir. Il faut qu'elle m'explique ce qu'elle a réussi à faire. Je n'avais jamais vu ça avant, souriait Sam, en feuilletant un magazine.

Kara ne répondit pas. Ça faisait deux jours qu'elle n'avait pas bougé, assise dans le fauteuil à côté du lit. Sam lui avait amené un café, quelques barres de céréales. Mais elle ne bougeait pas. Ne parlait pas non plus. Elle restait là, les deux mains jointes serrées, penchée en avant. Son regard glissait du sol à Lena. Les bips du moniteur étaient devenus de la musique pour ses oreilles.

Le reste n'était que du bruit. Elle n'entendait pas Alex, ni les autres. L'affrontement avec le clone tournait en boucle dans sa tête. Les sons. La conversation. L'explosion de la colline, dans la fuite du clone, qu'elle se refusait à nommer. Alex qui avait surgi, mal en point, bouclier sur le dos, traînant Lena à deux mains. Ils avaient tous fui sans chercher à savoir ce qu'était devenu le clone. Elle avait fui. Sans chercher à se battre. Elle était en colère. Contre Lena. Contre elle-même. D'avoir trahi ses valeurs. Pour la première fois depuis longtemps, elle avait eu envie d'utiliser ses pouvoirs. Elle aurait probablement détruit la moitié de l'État du Nevada, mais ça lui était égal. Tout lui était égal. Tout était confus. Elle en voulait à Lena, mais elle aurait voulu se battre pour la protéger.

- J'ai quelle tête ?

Kara se leva d'un bond, s'approcha du lit. Il devait être autour de deux heures du matin, la Tour était déserte, ils étaient tous rentrés. Personne n'avait essayé de la dissuader de rester. Alex était partie en dernier, après l'avoir longuement enlacée, sans un mot.

- T'as une sale tête, vraiment.

- Je m'en doutais un peu. Mais tu aurais pu faire semblant.

Kara eut un petit rire en s'asseyant au bord du lit.

- Pas le genre de la maison.

Lena rit, douloureusement.

- Mmh, je ne me suis pas ratée, hein ?

- Deux côtes déplacées, une commotion cérébrale et des brûlures au deuxième degré sur les bras. Tu ne t'es pas ratée.

La brune souleva ses bras et ses mains, couvert de bandages. Elle fit jouer ses doigts, lentement. La marque des répercuteurs lui chauffait les paumes. « Ça a marché... ça a marché ! » Elle sourit.

- Sans me vanter, je crois que j'ai réussi un sacré truc.

- Je ne sais pas ce que tu as fait, mais c'était puissant, en tout cas.

- C'était... de la science. Et de la magie. Enfin... j'ai réussi à utiliser les deux. À combiner. Ça n'est pas tout à fait au point... mais ça fonctionne. Ça fonctionne !, jubilait-elle. « Je n'y croyais pas, mais les calculs étaient bons ! Ça devait marcher, en théorie. Mais en pratique, ce n'était pas sûr du tout, la puissance du sort devait être suffisamment forte pour faire repartir le rayon, mais assez maîtrisable pour les répercuteurs, les équations étaient bonnes, mais il fallait encore que ça tienne, et ça tient ! Ça tient, Kara ! », fit-elle, en lui montrant se bras.

- Ça tient ?

- Ça tient ! Tu ne comprends pas ? La magie et la science... En fin de compte, la magie est une science comme une autre... », souffla-t-elle en se laissant reposer sur le lit. Ses yeux étaient dans le vague. Elle appréciait toutes les possibilités qui s'ouvraient à elle.

- Il faut quand même que tu améliores ton truc, fit Kara en se leva, en désignant ses mains du menton. « Parce que la prochaine fois, tu te retrouveras sans bras ».

- Ce n'est pas mon intention. Mais...

- La magie et la science. Oui. Bravo. Si il y en avait bien une pour réussir le coup... C'était toi.

La blonde lui sourit un instant, adossée au chambranle de la porte. Lena lui rendit son sourire.

- Tu ne restes pas ?

- Non, non, je vais rentrer. Je voulais juste être bien sûre... que tu ailles bien.

- C'est idiot, reste.

- Tu es sûre ?

- Oui.

Kara ne répondit pas. Mais elle revient s'installer dans le fauteuil. Elle n'avait de toute façon nulle part où aller en ville. Lena le savait aussi, mais n'en disait rien. « Allez, fais-moi voir tes équations », offrit la blonde. « Tiens, regarde... », fit Lena en se saisissant d'un bloc note. Kara croisa les jambes dans son fauteuil.

Lena fut rapidement sur pieds. Dès qu'elle put quitter son lit, elle fila au laboratoire, sans demander l'avis de personne, pour y rejoindre Brainy. « Elle reste ici, alors ? », avait souri Sam. « Il faut croire que oui », avait répondu Alex en croisant les bras, indécise. « Au moins on sait où elle se trouve », avait-elle ajouté en tournant le dos. Sam avait ri.

- Alors, qu'est ce que tu en dis ?

- Je ne sais pas, Lena Luthor. Ça m'a l'air de fonctionner, les simulations sont indéniables, mais tu as une variable très instable à prendre en compte.

- La magie.

- Oui. Pour être honnête, ça augmente de 126% les différentes possibilités, de la meilleure issues à la pire, et de 105% les risques de danger.

- Seulement 105% ? Je suis étonnée.

- Parce que j'ai pris en compte ton expérience dans mes calculs. Sinon ça n'était même pas la peine d'essayer.

- Il faut donc qu'on stabilise la magie. Je m'en doutais.

- Comment peut-on stabiliser quelque chose d'aussi... volatil ?

- C'est tout le problème, Brainy.

Lena faisait les cent pas dans le laboratoire. Ces quelques heures d'échanges scientifiques et de calculs lui avaient fait du bien. Son esprit s'était dérouillé. Elle connaissait la réponse à la question de Brainy. Mais la réponse n'allait pas lui plaire.

- On ne peut pas vraiment stabiliser la magie. On peut la guider, l'emmener où on veut... mais elle dépend de la personne qui la pratique. De sa force, de sa concentration. De son état mental, aussi. Autrement dit...

- La magie dépend de l'humain qui la pratique. Et on sait que les humains sont des créatures...

- Profondément instables. Et je ne fais pas exception. Loin de là.

Brainy se tut un instant. « Les aliens ne sont pas plus stables. Les pouvoirs de Kara sont aussi corrélés à son état émotionnel. Comme toi », imagea-t-il. « Il en va de même pour Nia, Sam et J'onn ».

- Ils arrivent à se contrôler pour utiliser leurs pouvoirs. Ce n'est pas mon cas.

- Tu te trompes. Ils sont loin de se contrôler tout le temps. On n'aurait pas tant de problèmes autrement ! Même moi, je ne suis pas infaillible, déplora-t-il. « Tu ne peux pas contrôler ta magie en permanence. Mais elle est puissante, c'est un fait. Comme les autres, il faut que tu apprennes, que tu progresses. Le plus souvent, la science avance lentement ».

Elle lui retourna un faible sourire. Elle n'avait aucune patience en ce qui la concernait. C'était bien le problème.

- Tu n'as pas tort. Je vais m'entraîner.

- On va faire des essais. Il n'y a que ça de vrai. D'accord ?

- D'accord.

- Ça va ?

- Ça va.

Kara était assise au bord du toit de la Tour. La vue était magnifique, de jour comme de nuit. Elle ne s'en lassait pas. Ça lui rappelait Krypton, d'une certaine manière. C'était calme. De cette hauteur, elle percevait la furie de la ville. Son énergie. Son caractère. Elle avait toujours aimé se ressourcer en hauteur. Parfois, elle méditait, au milieu de sa patrouille, pendant quelques minutes. C'était aussi souvent le moment où elle cherchait le son des battements de cœur de ses proches, un instant de répit. Qu'elle ne trouvait plus vraiment aujourd'hui. La moitié de la ville la détestait. L'autre la traitait avec indifférence, à présent. Comme un ancien joueur de base-ball dont on finit par dire « c'est dommage, il était bon ».

Sam s'assit à côté d'elle.

- J'étais pas si mauvaise que ça, non ?

- Mmh ? Tu veux bien préciser un peu ? Je ne sais pas lire dans les pensées, Kara.

- Je veux dire, en Supergirl, je n'étais pas si mauvaise que ça, non ?

- Tu étais très douée. Tu l'es toujours, d'ailleurs.

- Je ne crois pas. Plus maintenant.

- Si tu le dis..., fit Sam en haussant les épaules.

Elles restèrent là, en silence, quelques minutes. Kara ferma les yeux, essaya de se concentrer sur la ville. Sans succès. Le lien semblait s'être rompu. Elle rouvrit les yeux. Sam regardait au loin.

- Je suis un peu perdue. Il n'y a plus grand chose qui ait de sens. Je voulais être l'héroïne de cette ville. Et aujourd'hui elle me rejette.

- Parce que tu as eu un instant de faiblesse. C'est humain. Mais les humains ont peur quand leurs héros sont vulnérables. Tu le sais mieux que moi. On n'est pas seulement des justiciers. On symbolise autre chose. Ça leur passera.

- L'espoir. J'ai l'impression que cette ville n'en a plus. Elle a... changé. Il y a quelque chose de changé. Moi aussi d'ailleurs, j'ai changé. Comment ça se passe, ici ?

- On fait ce qu'on peut. Il y a des jours avec, et des jours sans. Et puis j'ai une fille à élever. Ça demande du temps. De l'énergie. Mon dieu si tu savais... elle est épuisante, parfois !, rit Sam.

- J'imagine. Elle va rentrer à la fac, non ?

- Oui. Ça m'a fichu un coup, je dois dire.

- Ça ne nous rajeunit pas.

- Non, c'est sûr. Et toi... tu as parlé avec Lena ?

- Pas plus que ça. On veut me tuer. La fin du monde. La routine habituelle.

- Et... qu'est-ce que ça te fait de la revoir ?, retenta Sam.

- C'est... bizarre. Elle a quelque chose de différent. Comme moi, je pense. J'étais contente de la voir, mais il y a aussi des moments où j'ai envie de l'emplâtrer, et de ne jamais la revoir. Je crois qu'elle m'a manqué, un peu. J'ai eu envie de réutiliser mes pouvoirs. Jusque là j'arrivais très bien à m'en passer.

- Ah oui ?

- Comme je t'ai dit. Je ne sais pas si ça aurait été pour l'envoyer en orbite autour de Jupiter ou pour la serrer dans mes bras. Je ne sais pas.

- Ah oui. Ce qui est sûr, c'est qu'elle te fait de l'effet.

- C'est plus fort que moi, il faut croire, soupira Kara.

« Reign, au rapport ! Je croyais que tu étais en patrouille, qu'est ce que tu fais à la Tour ? Direction les docks, on a un alien récalcitrant. Possible trafic interstellaire ». Son oreillette grésilla. « Il faut que je te laisse. On se voit tout à l'heure ? Une pizza ? Ou deux, ou trois ? » Kara sourit. Sam prit son envol.