-Salle ?

-203.

Si l'échange pouvait paraitre des plus froids qui soient, cela n'était une sensation qu'unilatéral puisqu'en réalité, le blond qui suivait nonchalamment la jeune femme sombre en face de lui était tout ce qu'il y avait de plus joyeux. Il l'observa ouvrir la porte à la volée pour pénétrer dans la pièce désignée et la rejoignit rapidement. Lorsqu'ils furent tout deux entrés, il la verrouilla et vérifia par réflexe purement militaire l'absence de tout micros ou caméras susceptibles de trahir ce qui allait se dire ici. Enfin, quand il fut sûr de l'intimité de l'espace, il reporta son attention sur la rose qui s'était assise en face du bureau enseignant, bras et jambes croisées dans une attitude des plus fermées.

Cela allait probablement être une conversation compliquée…

Il esquissa un sourire en coin : ses préférés en somme.

Ainsi, il rejoignit le siège d'en face et joignit ses mains sous son menton tout en calant ses coudes contre la table.

-Je suis très heureux de pouvoir avoir cette entrevue avec vous, Miss Grace.

-Une entrevue ? N'était-ce pas censé être une prise de connaissance de blâme ? Répliqua-t-elle d'un ton ironique, sans pour autant faire preuve de la moindre ouverture mentale.

Son sourire se raffermit.

-Vous savez très bien que non. Ce n'est d'ailleurs pas pour une raison aussi banale que vous avez consenti à me suivre.

-Une raison banale ? Un blâme peut avoir assez d'impact pour détruire une carrière militaire très hautement gradée, vous savez.

-Les meilleurs éléments arrivent toujours à percer. J'ai un nombre assez conséquent de blâmes moi-même…

-En tant que maitre en la matière, quelle punition me conviendrait-elle ?

-Un rapport écrit d'une vingtaine de page sera plus que suffisant. En attendant, ce n'est pas le sujet primordial ici.

Feldt plongea son regard dans le sien, décroisant ses jambes pour les croiser du côté inverse, son expression se voulant plus scrutatrice :

-Si vous voulez aller aussi rapidement droit au but, ça n'arrange que mes affaires.

Il plissa un peu les yeux, s'amusant à décortiquer les traits de son visage imperméable à la moindre chaleur.

-Vous avez dit savoir des choses sur mes parents.

-En effet.

Feldt se força à rester neutre en s'exclamant :

-Pour commencer, qui sont mes parents pour vous ?

Il se pencha un peu vers l'avant, calant un bras à l'arrière de sa chaise et tendant l'autre sur le large bureau. La question était une des plus prudentes qu'elle aurait pu poser en guise de démarrage, car en effet, avec les différences consciemment faites de noms entre elle et ses géniteurs, il pouvait très bien être dans l'erreur quant à leur identité et donc rendre ses arguments sans valeurs pour elle.

-Ruido Resonance et Marlène Vlady.

Elle eut un rictus méfiant et menaçant, penchant l'avant de son corps un peu vers lui à son tour, tout en demandant :

-Comment le savez-vous ?

Son « comment » fut si vibrant qu'il en aurait frissonné s'il avait été quelqu'un d'autre.

-Ils étaient considérés comme des Meisters légendaires.

-Ca ne répond pas à ma question.

Il eut un air un peu condescendant en lançant :

-Depuis combien de temps pensez-vous que je suis moi-même une légende ?

Feldt se remit droite et fit le rapprochement sans relever l'arrogance : il les avait donc probablement côtoyés un minimum par le fait de bercer dans la même catégorie.

-Que savez-vous d'eux ?

-Ils étaient respectivement les Gundams Meisters de l'Astraea et de l'Abulhool, soient les prototypes de l'Exia et du Kyrios actuels.

-Mais encore ?

-Ils étaient dotés d'une puissante soif de justice et prônaient de forts idéaux de paix. Leur talent inné pour le pilotage et leur détermination n'avaient pas d'égaux à cette époque… Ils étaient à craindre et n'avaient rien à craindre en tant que Meisters.

La rose, à l'aguet de toute formulation ambigüe, plissa les yeux en relevant :

-« En tant que Meisters » ? Dois-je comprendre qu'une fois qu'ils n'étaient plus sous cette couverture, les enjeux étaient différents ?

L'Ace de la Fédération eut un sourire bien marqué en dévisageant allégrement la jeune adulte en face de lui.

-Votre intelligence réactive est des plus séduisantes qui soient… Mais avant d'aller plus loin, puis-je moi-même vous poser une question ?

Le silence fut son signe de consentement, et il reprit au bout de quelques secondes :

-Que savez-vous vous-même de vos parents ?

Elle se tendit un peu et il sentit la pression monter d'un cran. Elle cherchait le piège dans sa question. Toutefois, ne le trouvant pas mais toujours sur ses gardes, elle finit par répondre évasivement :

-Tout ce que pouvait savoir une enfant de 7 ans.

-N'avez-vous pas fait des recherches tout au long de votre cursus à l'Académie ?

-J'en ai fait. Mais rien de ce que j'ai pu apprendre ne m'a paru satisfaisant…

-Pourquoi ? Interrogea-t-il en plissant les yeux.

Feldt contrôla parfaitement ses émotions tandis qu'une alarme retentit dans son esprit, cernant enfin un peu ce qu'essayait de lui faire dire l'homme en face d'elle. Cette question était dangereuse. Très dangereuse. Pour la simple et bonne raison que son manque de confiance en les informations données accusait indirectement la Fédération de substitution de vérité. Pour un militaire aguerri comme lui, cela pouvait sonner comme une violente diffamation, et dans le pire cas, il pouvait la juger comme une ennemie potentielle et la mettre hors d'état de nuire.

Ce fut pourquoi, se rappelant enfin à quel point Graham Aker lui était supérieur en termes de capacités et n'était qu'un inconnu aux réels objectifs méconnus, sa froideur se transforma en plus de chaleur improvisée, teinté d'une hypocrisie prudente :

-Cela était un peu trop concis. Je veux en savoir plus sur eux que ce que peut m'apprendre des archives militaires.

-Il est vrai que ce n'est pas en restant dans des informations officielles que vous pourriez connaitre les antécédents de vos géniteurs…

Son ton semblait se radoucir au profit de plus d'indolence, et elle se mordit la lèvre. Elle devait en apprendre plus, lui faire lui en dire plus ! Elle ne pouvait pas le laisser avoir la dominance de l'échange !

-M. Aker… Je—

-Et si nous arrêtions quelques minutes d'agir comme deux militaires et parlions entre êtres humains ? Bien évidemment, ce moment ne sera jamais considéré comme ayant eu lieu.

Elle ne revendiqua pas le fait d'être coupée, scotché par le regard intense du Meister. Elle fronça les sourcils, et comprit à la force émanant de ses pupilles vertes qu'il lui tendait la perche pour savoir la vérité, ou plutôt une partie d'elle. Alors, elle hocha la tête, ce à quoi il eut une expression joyeuse.

-Bien. Alors entrons dans le vif du sujet franchement…

Elle tendit l'attention quand il reprit d'une voix qu'elle jugerait de plus avisée et sérieuse :

-Soyons clairs, je me doute avec ton niveau et ton degré de détermination que tu as piraté les systèmes de sécurité de la Fédération pour savoir tous les détails de ce dont tu parlais précédemment… Et je t'annonce que tu as raison, Feldt.

Un éclair d'incompréhension passa dans le regard de la rose :

-Que voulez-vous dire ?

-La Fédération dissimule la vérité autour de la mort de tes parents.

L'expression de la Coordinatrice devint plus sérieuse et froide que jamais, pendant qu'il continua :

-Comment t'en es-tu rendu compte ?

-Tout paraissait trop banal. Tout ce qu'on pouvait savoir d'eux, de leurs antécédents aux raisons spéculées autour de leur assassinat… Chaque évènement semblait trop « normal »… Trop simple et prévisible.

-Ta sensibilité est très pertinente. Ca toucherait son égo…

Feldt le toisa avec une forte défiance :

-Toucher son égo ?

Il hocha la tête en détournant les yeux vers la fenêtre, une émotion indéchiffrable se retranscrit sur son visage et ses paroles suivantes :

-Oui. Je suis ami avec celui à qui l'on a ordonné de concocter ces excuses. Mais avant toute spéculation, sache qu'il n'est pas impliqué dans cette affaire et s'est simplement retrouvé avec cette tâche ingrate. Il l'avait d'ailleurs plutôt mal vécu…

-Graham Aker.

Il fut alerté par le ton plus ferme et l'observa de nouveau :

-Répondez-moi clairement. Que savez-vous d'eux et de leur mort ?

Un silence léger s'installa, tandis qu'il joignit ses mains sur la table et se rassit ainsi de façon droite sur la chaise :

-Je suis au regret de t'apprendre que je n'en sais pas énormément. Toutefois, j'en sais toujours plus sur la vérité que ce dont tu as connaissance.

-Je vous écoute.

Il hocha la tête, puis prit une inspiration avant de se lancer :

-Comme je te l'ai dit, tes parents étaient considérés comme invincibles, et donc représentaient des éléments très importants pour la Fédération à plus d'un titre.

Feldt joignit ses mains sous la table pour les serrer fortement : elle sentait de plus en plus que sa spéculation morale était avérée mais se força à rester neutre tandis qu'il poursuivit :

-Lorsque tu es née, ils se sont rendu compte que leur situation professionnelle risquait de te porter préjudice. D'une part, ils ne voulaient pas que tu sois forcé à vivre dans le combat, et d'autre part, se mettre en danger en tant que Meister, tout autant que la charge de travail de ce métier, risquait de te laisser seule et délaissée. Ce qu'ils se refusaient de t'infliger.

Si la rose avait été plus insensible, elle aurait probablement lâché un léger rire face au comble de la situation. Ils s'étaient inquiétés de la laisser seule et finalement, avaient accompli exactement ce fait.

-Alors, ils ont choisi de démissionner.

Feldt lâcha un gémissement. La pensée qu'elle avait voulu révoquer par manque de preuve la narguait violemment.

-Etant toi-même une Coordinatrice qui va se lier à un Meister, tu sais ce que cela implique…

-Un Meister qui décide de fuir le combat force indirectement son partenaire à faire de même puisque la sentence d'un Appel est irrévocable… Par ce fait, démissionner comme ils l'entendaient revenait à retirer aux forces militaires deux Gundams.

Graham hocha la tête.

-Je pense que tu te doutes de ce qui va suivre… A vrai dire, je pense que tu le savais depuis le début sans jamais avoir pu t'en assurer.

Feldt ferma les yeux : au fond, cela lui faisait mal de devoir accepter cela. D'après les données, ses parents avaient été assassinés à la suite d'une acte terroriste isolé. Ils auraient été des dommages collatéraux symboliques, affaiblis par leur démission mais victimes de leur prestige…

Pourtant, le mensonge de ses informations était bien réel.

-Même s'ils en ont juridiquement le droit, la Fédération n'a pas pu l'accepter. Puisqu'ils étaient d'excellents pilotes, elle a probablement essayé de les forcer à rester. Mais ils ont continuellement refusé, et elle a jugé que deux Gundams étaient plus importants que le désir de deux citoyens… Elle a donc fomenté leur assassinat pour pouvoir libérer leur partenaire.

-Toutefois, les partenaires en question le savaient.

Feldt le regarda, surprise de l'intervention et du sens de la parole.

-Savaient quoi ?

-Que tes parents allaient se faire assassiner. Alors la Fédération a jugé qu'il fallait aussi s'en débarrasser.

-Mais… Il y avait le risque d'autodestruction post-mortem !

-C'est pourquoi ils ont subi des tortures pour les forcer à révoquer cette action si elle avait été faite, avant d'être tué.

Feldt écarquilla les yeux, tandis qu'il lui saisit une mèche de cheveux pour jouer paresseusement avec malgré la portée de ses propos :

-Tu es aussi une Coordinatrice de Gundam, Feldt Grace. As-tu conscience du tournant que tu as donné à ta vie à l'instant où tu as accepté l'engagement de ta Consécration ? Tu ne pourras ni fuir le combat, ni fuir une mort douloureuse si tu songes à te rebeller… Ce sera également le cas pour ton Meister, si tu effectues ton Appel tout à l'heure.

Il pouvait sentir la tension dissimulée en elle, alors qu'elle s'exclama d'une voix sombre :

-Qu'essayez-vous de me dire ?

Il broya littéralement sa mèche rose, tandis qu'il déclara clairement :

-Vas-tu imposer ce fardeau à ton partenaire ?

Elle le laissa remonter sa main sous son menton puis approcher leur regard l'un de l'autre en continuant de s'exprimer :

-Je vois à tes yeux que tu ne crois plus… Non, que tu n'as probablement jamais cru un instant que la Fédération était la justice telle que tu la concevais. Un jour ou un autre, tu seras amenée à la trahir. C'est ce que me dit mon instinct, et il ne m'a jamais trompé une seule fois.

-Je n'abandonnerais pas.

Cette réponse formulée au tac-au-tac le laissa abasourdi un instant, et ce ne fut qu'en rencontrant ses pupilles céruléennes et leur lueur profonde qu'il comprit l'importance qu'avait ce propos dans l'esprit de la jeune femme.

-Tu ne révoques pas mon affirmation sur ta trahison ? Demanda-t-il finalement, d'une voix calme et sans un sourire au visage pour une rare fois depuis le début de leur conversation.

-Personne ne sait ce qu'il adviendra dans le futur. Mais si je devais me projeter, je n'ai actuellement pas pour objectif que de trahir la Fédération.

-Pourquoi ? Elle est la raison même du meurtre de tes parents. N'est-ce pas ta motivation que de les venger ?

Feldt se saisit de sa main intrusive et la posa sur la table, un léger sourire s'esquissant sur ses traits froids :

-C'est là que vous faites erreur.

D'un regard, il l'invita à continuer plus qu'impatiemment.

-La préméditation de la mort de mes parents n'est pas un acte officiel mais isolé de la Fédération. Cela signifie que seuls certains haut-gradés ont fait ce choix, et si je devais agir par vengeance comme vous l'explicitez, ce serait eux que je devrais juger, et non pas remettre la faute sur toute l'organisation militaire.

-Mais encore ?

-Ma motivation n'est pas de venger mes parents. Comprendre leur mort et pouvoir me sentir plus proches d'eux en entamant un chemin similaire l'est. De plus, sans aucun lien avec eux mais simplement avec moi-même, je veux pouvoir changer ce monde de mes propres mains au profit de quelque chose de meilleur.

-Et si jamais tu avais l'occasion de les venger ? Que leurs meurtriers se retrouvaient un jour face à toi ? Tu arriverais à ne pas te laisser dominer par ta haine ?

Feldt l'observa prudemment alors qu'il semblait avoir perdu un peu le contrôle de ses arguments, l'interrogeant presque précipitamment sans arrêt. Ainsi, sa réponse fut plus douce, ayant plus que le temps de reprendre une forme de dominance dans l'échange :

-Si ses personnes sont ennemies à mes valeurs et leur élimination s'avère en accord avec mes objectifs précédents, je reconnais que je voudrais être celle qui les abattrais.

-Alors tu collaborerais avec eux s'ils étaient des alliés ?

-Pour être sincère, cela m'étonnerait que des gens se permettant de tuer des innocents au profit de la guerre puisse être un jour considéré comme des alliés pour moi… Mais…

-Mais ?

-… Mais on dirait surtout que vous essayez de me monter contre la Fédération depuis tout à l'heure.

Il eut un léger sursaut, semblant reprendre prise avec la réalité brusquement au propos de la Coordinatrice :

-Je cherche simplement à comprendre davantage tes motivations, fut sa seule justification alors qu'il se leva pour se mettre face au tableau, lui montrant son dos.

Elle le scruta quelques secondes, avant de se permettre un petit soupir en demandant :

-Et donc ? Est-ce là tout ce que vous pouvez m'apprendre ?

-Comme tu l'as dit, l'assassinat de tes parents a été fomenté par une minorité silencieuse à ton échelle. Elle représente ceux qui agissent dans l'ombre de la Fédération et détienne un contrôle des plus conséquents sur elle.

Feldt prit un moment avant de réagir à l'information soudaine, mais se reprit avec vivacité :

-Etes-vous en train de dire que la Fédération est contrôlée par des tiers ?

Il se retourna vers elle, toute sa condescendance de retour en hochant la tête :

-Ils sont des membres de la Fédération, mais ont plus de pouvoir que jamais dans celle-ci. Plus encore qu'en pensent ceux qui les côtoient.

-Vous les côtoyez ?

-Cela m'arrive.

-Vous ne me direz rien de plus à leur sujet donc.

-Comme toujours, tu comprends vite.

-Par envie ou par dépit ?

Il eut un petit sourire, amusé par la question :

-Lorsque l'on est haut-gradé à mon échelle, dépit ou envie se fait vite remplacer par responsabilité et protection de ses arrières.

-Vous ne semblez pas le type de personnes très manipulatrice en ce sens.

-Que veux-tu dire ?

-Exactement ce que j'ai dit. J'ai dû mal à vous imaginer réellement lèche-botte de l'administration.

Il lâcha un léger rire.

-C'est vrai que je suis plus dans la catégorie rebelle…

Elle l'observa sans un mot tandis que ses pupilles aiguisées transpercèrent les siennes.

-… Mais je demeure un adulte responsable.

Ils se jaugèrent longuement après cette réplique. Feldt commençait à saisir facilement qu'il ne se proclamerait pas comme un allié pour elle si jamais la tournure lui devenait défavorable, et ce, même s'il pouvait être en accord avec elle, accroché à son propre statut. Et elle ne s'en outra pas : il n'avait pas à s'occuper d'elle, et elle trouverait au contraire étrange qu'il puisse prendre ce risque pour l'inconnue qu'elle était pour lui.

-Feldt Grace.

La Coordinatrice lui offrit son attention.

-Je prends tes déclarations actuelles comme vérités. Néanmoins, à mon avis personnel, ton refus d'abandonner t'amènera d'une manière ou d'une autre à rencontrer ces personnes. Lorsque ce sera chose faite, je ne sais pas ce qui en résultera mais si je peux t'assurer d'une chose, c'est que tu t'engageras dans un chemin des plus dangereux qui soient. Et ce, quel qu'en soit la conclusion qui se profile.

Son sourire fut glacé et ironique alors qu'elle se releva de sa chaise en prenant appui sur la table :

-Vous pensez que je n'en ai pas conscience depuis le début ? Je suis peut-être un objectif utopique, mais je ne suis pas naïve au point de me lancer dans un futur belliqueux là où ceux qui m'ont offert la vie ont été éliminés sans me douter que je risque très gros. Rien qu'à l'heure d'aujourd'hui, le danger autour de moi est certainement constant et palpable.

Il lui lâcha un rictus satisfait : il aimait vraiment cette facette inaccessible et téméraire de cette jolie perle.

-Alors je ne me permettrais que de rajouter une seule chose.

Ses yeux clairs l'invitèrent à développer.

-Nous serons probablement amenés à devenir ennemis un jour, Feldt. Si jamais cela se produit réellement, alors sache que je ne serais d'aucune pitié.

Elle se raidit perceptiblement, traversé par l'intensité frôlant la passion de ses yeux verts profond. Plus encore que le prédire avec son super-instinct comme il s'en vantait, Feldt pût très bien percevoir qu'il le désirait. Il voulait pouvoir croiser le fer avec elle, se battre contre l'Exia et son Meister… C'était palpable et la tension dans l'air ne dissimulait pas à quel point sa soif de défi pouvait être sanguinaire.

Si elle devenait véritablement une traitresse, cet homme serait sans aucun doute son pire ennemi et le premier à ses trousses.

Elle fronça les sourcils, puis avala sa salive avec un peu de difficulté. Ce serait mentir de sa part que de dire qu'elle ne ressentait aucun effroi : au contraire, l'angoisse s'engrainait de plus en plus en elle face à cet homme au charisme imposant.

Semblant satisfait de l'effet de sa déclaration sur elle, il se dirigea vers la porte pour sortir, mais il fut stoppé par la voix de la rose :

-M. Aker.

Il se tourna de moitié pour notifier son attention.

-Pourquoi m'avoir révélé tout cela ? Vous n'avez même pas demandé une contrepartie, et je n'accepterais pas une réponse aussi injustifiée que le fait que vous vouliez simplement profiter de mes réactions.

-Oh. La réponse est simple.

Un éclair d'incompréhension brilla dans ses pupilles céruléennes alors que son œil vert visible se plongea dans les siens, imbibé d'une lueur satisfaite étrange.

-C'est cette minorité même qui m'a ordonné de te mettre au courant.

Son cœur s'arrêta net.

Elle avait enfin compris.

En réalité, la jeune femme n'avait jamais eu la moindre dominance ou la moindre longueur d'avance. Depuis le début, tout avait été calculé. Son identité même était déjà percé à jour par ceux qui n'auraient pas dû l'apprendre. Cette conversation, aussi pertinente soit-elle pour sa compréhension sur ses parents, n'avait été qu'une manipulation pour prendre connaissance plus explicitement de son mode de pensée et de ses objectifs, voire même de son degré de déviance.

-Je t'attendrais dans le hall, s'exclama-t-il d'une voix dont elle ne saurait juger l'émotion, trop engrainé dans sa frayeur mentale.

Ses yeux s'écarquillèrent alors qu'elle perdit le contrôle de ses jambes et s'écrasa à genoux au sol dans un bruit sourd, incapable de se retenir plus longtemps maintenant qu'elle était seule.

Aussi méfiante qu'elle l'eût été jusqu'ici, elle s'était faite totalement bernée par cette prise d'information trop miraculeuse. Graham Aker n'était pas un allié, mais pas un neutre non plus. Il était carrément et complètement un apparenté de ceux qui avaient tué ses parents. Un ennemi profondément personnel mais un supérieur public à respecter. Elle venait de subir un test… De passer un jugement des plus difficiles, fomenté par la minorité qui avait voulu jauger sa dangerosité ou son utilité, dans ce qu'elle n'avait perçu que comme une conversation commune et abordable à caractère sérieux.

Ses poings se serrèrent, au point que ses jointures devinrent blanches, ses mèches cachant son visage affaissé vers le sol.

Talentueuse stratège ? Coordinatrice puissante et hautement intelligente ? Jeune femme mature et charismatique ? Que de compliments qui, en réalité, n'avait eu que pour but de la faire se complaire dans ses acquis, de croire qu'elle était plus que capable de faire face au monde facilement alors qu'elle ne demeurait qu'une enfant vulnérable dans un univers de fauves expérimentés. Malgré son lourd passé, elle ne savait rien de plus que les autres gamins de 18 ans. Le plus humiliant dans tout cela était peut-être même l'arrogance qu'elle avait eu en pensant savoir un minimum.

Il lui restait beaucoup à apprendre avant d'être capable de faire la différence, de ne pas être la manipulée.

Vraiment beaucoup.

Cette vérité ne l'avait jamais autant frappée qu'à cet instant précis.