Stiles n'eut pas besoin de faire semblant d'être malade lorsque le médecin finit par passer le lendemain, à la demande de son père, pour la simple et bonne raison qu'il l'était devenu. La fièvre… N'était plus une tromperie. Réelle, elle le clouait au lit. Le point positif de son état de légume ? Il pensait un peu moins et ne pleurait plus aussi facilement qu'au départ. Finalement, prendre des douches tantôt glacées tantôt bouillantes était désagréable… Mais utile. Au moins, il pouvait retarder encore un peu son retour au lycée – la simple idée de savoir qu'il allait tout de même y retourner un jour lui nouait l'estomac. En attendant, il profitait de cet état de flou bénéfique. Un état dont il avait littéralement besoin. Car l'hyperactif n'avait toujours pas digéré cette soirée cauchemardesque… Elle continuait de tourner en boucle dans son esprit. Et les impressions qu'il avait étaient aussi multiples que changeantes. Un coup il se faisait l'effet d'un allumeur obsédé par le sexe, et la fois d'après, il se disait… Qu'il n'avait rien voulu de tout ça. Il se sentait violé. Pourtant… Pourtant c'était lui, qui était allé vers les autres, lui qui se rappelait avoir sauté sur les membres de la meute… Et leurs membres à eux. C'était lui également qui avait fait des gâteries à ceux qui ne l'avaient pas pris.
Stiles se trouvait ignoble.
Alors, la fièvre lui faisait du bien… Mais elle avait ses mauvais côtés. L'humain avait l'impression de ne plus supporter le moindre bruit sec. Dès qu'il en entendait un, ou il s'enfouissait dans sa couette, ou il mettait sa tête sous son coussin. Idem pour la lumière : son père avait fermé les rideaux à sa demande. Tous ces éléments, aussi simples que futiles, lui donnaient à subir les assauts migraineux les plus inconfortables et forts de sa vie.
Mais la fièvre ne l'empêchait pas complètement de penser, de se souvenir. Si les visages de ses amis se floutaient toutefois un peu plus depuis qu'il était dans le cirage, celui de Scott ressortait parfaitement… Et le hantait un peu plus que les autres.
En temps normal, Scott était celui qu'il aurait appelé en cas de problème ou de grosse déprime, ou… Ça. C'était ça le pire, selon Stiles. Se dire que l'être en qui il avait le plus confiance avait envoyé bouler son avis sciemment. Plus il y pensait, plus il en était certain. Si la plupart des loups-garous avaient profité de lui autant qu'il avait profité d'eux, il avait toujours trouvé ce flou dans leur regard, cette… Dépersonnalisation. Cette chose qui lui soufflait qu'il n'avait pas été le seul à se retrouver esclave de ses propres sens.
Scott avait eu l'air complètement lucide, le regard brillant de quelque chose de si sombre que Stiles continuait d'en avoir la nausée. A quoi l'alpha avait-il pensé ? Qu'est-ce qui… Avait été différent pour lui ? Comptait-il vraiment… Stiles ne savait pas, ne savait plus. Il aimerait sincèrement se dire que non, Scott n'aurait jamais insisté ou outrepassé ses différents refus de son plein gré. Cette partie de la soirée, sans doute la plus sombre, le fit couiner et se recroqueviller sur lui-même. Pourquoi avait-il été lucide à ce moment-là ? Pourquoi son cerveau ne s'était-il pas éteint, comme lorsqu'il s'était retrouvé dans les bras de Derek ? Stiles n'avait pas l'intention de s'attarder sur ça, c'était tout aussi horrible que le reste… A la différence qu'il avait réellement vécu l'extase, avec lui.
Il ne devrait même pas se dire cela… Même si ça avait été le cas. Avait-il le droit d'avoir ressenti du plaisir ? Non. Stiles ne savait même pas d'où venait cette incroyable excitation qui l'avait soumis à ces désirs qu'il ne soupçonnait pas. Il serra fort ses draps puis, considérant que ce n'était pas assez, ses bras. Plus fort encore. Ses ongles se plantèrent dans sa peau.
La culpabilité d'avoir joui, dans tous les sens du terme, ne fit rien de plus qu'augmenter son mal de crâne… Et son mal-être.
xxx
La fièvre était passée, un peu. Suffisamment pour que Stiles puisse survivre hors de son lit, hors de sa chambre, hors de sa maison.
Dans sa Jeep.
A vrai dire, il aimerait se carapater chez lui, mais il ne le pouvait pas. Après tout, il avait accepté le deal : retarder son retour en cours d'un jour supplémentaire à condition d'aller faire les courses. Une sortie banale pour Noah, une réelle épreuve aux yeux de Stiles. Le shérif, avant de partir au poste, lui avait dit qu'il n'aurait qu'à aller vite pour retrouver au plus tôt le confort de la maison. Le châtain n'avait pas pu refuser. Pour lui, tout était bon pour repousser l'inévitable. Si son père le lui proposait, il serait même prêt à l'aider au commissariat malgré son état… Juste dans le but de gratter quelques jours de plus.
Stiles prit son courage à deux mains et s'extirpa mollement de la Jeep. Déjà dix minutes qu'il s'était garé sur le parking du supermarché et… Qu'il se préparait mentalement. Sortir lui faisait peur et l'idée de voir des gens lui donnait carrément la nausée. L'hyperactif vérifia qu'il avait bien la liste de course faite par son père sur lui et se mit en marche. Il se répéta que tout allait bien se passer, qu'il s'agissait juste de quelques légumes, fruits et autres aliments classiques. Que l'on ne ferait pas attention à lui, que l'on n'irait pas savoir ce qu'il avait fait juste en le regardant. Et pourtant, c'était une peur qu'il continuait d'entretenir malgré lui. Concentre-toi, s'exhorta-t-il. Quelques pas de plus et il pénétra finalement à l'intérieur du magasin. S'il ne faisait pas particulièrement chaud à l'extérieur, Stiles fut frappé par la fraîcheur des lieux. Elle n'était pas conséquente, mais l'humain semblait y être subitement devenu plus sensible. Il frictionna fébrilement ses bras, attrapa un petit caddie et s'élança. Du regard, il vérifia sa tenue. Sobre, large, confortable… Elle ne laissait pas voir un bout de peau superflu. Stiles ne voulait pas qu'on se rende compte rien qu'en le voyant qu'il était… Qu'il avait… Les mots refusaient de lui venir réellement. Stiles savait que, d'une manière ou d'une autre, il devait arrêter d'y penser, mais… Pour l'instant, il s'en sentait incapable… Tout comme il avait l'impression que quelque chose en lui s'était définitivement brisé. Le mot était fort, parce que la dernière fois qu'il y avait pensé, ç'avait été lorsque le Nogitsune s'était emparé de lui. A ce moment-là, Stiles avait eu l'impression d'entendre un bruit de cassure, dans sa tête. S'il n'avait rien perçu cette fois-ci, il le sentait. Plus rien ne serait comme avant… Restait à savoir ce qui l'était encore.
Stiles fit de son mieux pour éviter de se dire que ses exactions étaient dues à une autre forme de possession. Avec son cerveau, il était capable d'imaginer bien des scénarios, dont celui d'avoir été possédé par un démon du sexe. C'était un peu tiré par les cheveux, certes, mais Stiles ne savait réellement pas quoi penser. Il se recentra sur la raison de sa présence ici. Les bananes… Non, on verra plus tard. Elles figuraient sur sa liste, néanmoins, l'hyperactif aimerait bien s'éviter de nouveaux cheminements de pensées perverses à cause d'aliments de ce type souvent connotés… Alors il décida de passer directement à la viande. Finalement, les fruits aussi attendraient. Ce qui comptait, c'était qu'il fasse ses courses le plus rapidement possible, histoire de ne pas rester ici plus longtemps que nécessaire… S'il arrivait pour l'instant à ignorer le fait qu'il y avait un monde fou, il savait que ça n'allait pas durer. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'il se sente étouffer, dans cet immense supermarché, à paniquer, à… Attirer le regard des gens sur lui. Ça allait forcément arriver. Ainsi, il pressa le pas et son caddie commença doucement à se remplir. Enfin, vint l'un de ses rayons préférés : les pâtes. Il devait faire le plein. D'un geste peu assuré, il se saisit de quelques paquets, qu'il déposa doucement dans son caddie en faisant abstraction au maximum du monde qui l'entourait.
Peut-être qu'il n'aurait pas dû, car la voix qui s'éleva non loin de lui le fit instantanément sursauter.
- Stiles ?
Ni une ni deux, Stiles tourna la tête en direction de sa provenance… Et se sentit défaillir. Quelle était la probabilité pour qu'il tombe sur un membre de la meute en ce début de matinée ? Quel membre en question aurait pu se décider à aller faire ses courses alors que les cours avaient déjà commencé ? L'un des seuls à ne plus être au lycée depuis un moment.
Derek.
Stiles n'eut pas tout de suite envie de s'effondrer pour s'enterrer six pieds sous terre. D'abord, il y eut ces yeux particuliers, qu'il fixa et qui lui renvoyèrent de plein fouets les souvenirs qu'il s'efforçait de… D'oublier ? D'accepter ? De refouler ? Il ne le savait même plus. Mais sa gorge se noua et l'envie de fuir fut si claire pour lui que ses doigts s'enroulèrent autour des poignées du caddie. Le cœur battant à cent à l'heure, il commença fébrilement à reculer dans le rayon. Stiles n'avait pas peur de Derek à proprement parler… Mais bien des conséquences de ses actes. S'il se savait partiellement victime dans l'histoire, il n'oubliait pas les autres, et… Derek faisait partie de l'équation.
- Stiles, attends, fit le loup-garou en faisant un pas, la main tendue dans sa direction.
L'hyperactif n'arrivait même pas à décrypter correctement l'expression qu'il arborait. Derek semblait… Perdu, perplexe, alarmé. Peut-être tout à la fois. L'humain n'était pas sûr d'interpréter correctement ce qu'il voyait, mais qu'importe.
Pleurer. Stiles voulait pleurer. Pas affronter qui que ce soit de la meute. Pas maintenant. Alors il secoua la tête, murmura un pitoyable « désolé » et fuit avec son caddie.
